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Carole Carcillo Mesrobian, De nihilo nihil

Confinement Covid la vie à l'arrêt. Le rien envahit nos vies au risque de nous rendre fous. Mais quels sont cette "immatérialité théâtrale" et ce "vide scriptural" qui ouvrent ce nouvel ouvrage de Carole Carcillo Mesrobian, intitulé De Nihilo Nihil et publié aux Éditions Tarmac ?

Le vide. Le rien. Un théâtre sans spectateurs. Le confinement a provoqué ce désert dans les salles de spectacles. Carole Carcillo Mesrobian a peut-être arpenté cet espace désertique pendant ce délai d'arrêt forcé. L'imagination ne s'arrête pas sur décret d'état d'urgence, et l'autrice de creuser ce vide, cette immobilité, ce mutisme. Y chercher un motif de réflexion.

Rien ne peut être produit à partir de rien. Certes, mais avec l'esprit rien n'est impossible. Le poème se crée à partir de rien, juste quelques neurones et synapses en bouillonnement.

Quel est ce théâtre masqué qui voit évoluer des personnages faisant "l'expérience de leur vacuité formelle" avec des répliques devenues un simple "empilement de lettres" ? Des répliques imprononcées qui font mouche chez le lecteur, à défaut de spectateurs.

De nihilo nihil se décline dans un style direct fait d'une juxtaposition de phrases, formes de citations, sans ces adverbes et petites conjonctions qui font le lien entre elles. Sans doute justement pour marquer l'anéantissement des liens provoqué par cette pandémie. Ce rythme dans l'enchaînement des phrases me fait penser à Philippe Jaffeux, avec un langage comme asséché par le froid de l'époque. Si le climat se réchauffe, les rapports humains se refroidissent. 

Carole Carcillo Mesrobian, De nihilo nihil, Tarmac éditions, 2022, 51 pages, 12€.

Carole Carcillo Mesrobian évoquait dans son précédent ouvrage nihIL « L’architecture d’un langage hermétique (qui) délimite le périmètre de nos enfermements ». Plus que de l’hermétisme il y a comme une audace des méandres dans la poésie de cette autrice déjà publiée maintes fois. 

Cette notion de repli est encore très présente dans ce nouveau volet. "Nos personnages ressemblent à l'arrière de leur absence".

Mais ce théâtre immatériel d'un enfermement dans l'immobilité, ne peut se contenter d'un espace clos avec rideau et sièges rouges. C'est le monde dans son immensité qui a de plus en plus tendance à nous enfermer dans nos certitudes. Carole Carcillo Mesrobian en spectatrice avisée nous offre une écriture qui se refuse de caresser dans le sens du vent. Ici rien du poème ne doit être velours.

Présentation de l’auteur

Carole Carcillo Mesrobian

Carole Carcillo Mesrobian est née à Boulogne en 1966. Elle réside en région parisienne. Professeure de Lettres Modernes et Classiques, elle poursuit des recherches au sein de l’école doctorale de littérature de l’Université Denis Diderot. Elle publie en 2012 Foulées désultoires aux Editions du Cygne, puis, en 2013, A Contre murailles aux Editions du Littéraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sursis en conséquence, Qomme questions, à Jean-Jacques Tachdjian par Vanina Pinter, Carole Carcilo Mesrobian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Florence Laly, Christine Taranov,  Editions La chienne Edith, 2018.

Parallèlement paraissent des textes inédits sur les sites Recours au Poème, Le Capital des mots, Poesiemuzicetc., , ainsi que des publications dans les revues Libelle, et L’Atelier de l'agneau, Décharge, Passage d'encres, Test n°17, Créatures , Formules, Cahier de la rue Ventura, Libr-critique, Sitaudis, Créatures, Gare Maritime, Chroniques du ça et là, La vie manifeste.

Elle est l’auteure de la quatrième de couverture des Jusqu’au cœur d’Alain Brissiaud, et de nombreuses notes de lecture et d’articles, publiés sur le site Recours au Poème.

Autres lectures

A contre-muraille, de Carole Carcillo Mesrobian

Avez-vous déjà éprouvé l'impression d'avoir plus ou moins bien lu un livre de poésie ? Pour ne pas dire l'avoir mal lu… Vous est-il déjà, arrivé que l'insatisfaction (ou le hasard) vous amène [...]

Carole Carcillo Mesrobian, Aperture du silence

Sous la cicatrice une blessure, sous la blessure, la peau du temps Toutes les frontières froissées, emparées, et cette première aube, cicatrice ouverte, blessure reconnue dans « le creux du sillon vase femme… ». Carole [...]

Carole Carcillo Mesrobian, À part l’élan

Carole Carcillo Mesrobian, À part l’élan Poésie vivante comme le mot vivant vacille au couchant. Carole Merosbian offre, dans cet ouvrage fugueur décousu recousu, sa vision littéraire pétrie d’analogies [...]

Carole Carcillo Mesrobian, Ontogenèse des bris

Le lecteur que je suis – dans ce domaine qui m'est si essentiel, à savoir la poésie – ne peut être qu'extrêmement sensible à un recueil qui renoue avec la fibre artaudienne du [...]

Carole Carcillo Mesrobian, Fem mal

Intimité expulsée pour retrouver la paix en soi. Lorsque l’autre, malfaiteur hurlant dans les chairs tuméfiées, est trop bien installé au cœur de la femme-offrande, celle-ci vacille, tombe, mais continue de parler pour [...]

Carole Carcillo Mesrobian, Ontogenèse des bris

Dès son titre (oxymorique), Ontogenèse des bris - qui fait l'économie de l’article et ainsi se relie d’entrée aux textes initiatiques soulevant depuis les lames de fond les « vagues vipérines » du Vivre en sa [...]




Denise Le Dantec, La strophe d’après

Comme si la semaison de Jaccottet avait poussé dans une langue encore plus dépouillée, et encore plus inventive. Comme si la langue de la Beat Generation pouvait encore dire le brouhaha du monde à travers la douce lumière des lucioles, le velours des corolles au jardin mais aussi les sigles violents de l'actualité...

En effet, dans son dernier ouvrage La strophe d'après, sans se sentir obligée à la métaphore, Denise Le Dantec, après une cinquantaine d’ouvrages, nous offre une poésie sans apprêt dans les strophes, qui, elle aussi, cherche à tisser le visible et l'invisible.

Et parmi ce visible, le végétal. Denise ou le règne végétal : « Mon jardin est plus grand que le monde » me renvoyant aux « Jardins qui reculez / sans cesse l'horizon » de Cadou. Ces vers s'appliquent aussi à la poésie de Denise Le Dantec : reculer l'horizon, voir plus loin. Travailler le langage avec un patchwork de termes de linguistique, de botanique, d'ornithologie qui n'est pas sans rappeler la jubilation du vocabulaire d'un Henri Droguet (que Denise Le Dantec connaît bien).

Denise Le Dantec, La strophe d'après, Editions Sans Escale, 2021, 106 p., 13€.

Le poème est émaillé de multiples références, de lieux, d'objets. Sorte de journal-herbier où l'autrice conserve quelques bouquets de nuages, quelques traces de poètes, les grands absents, quelques velours de pétales, quelques lumières du soir, de nombreux « éclats de mémoire », quelques plumes de soie d'oiseaux chantants, quelques envols de libellules… et aussi des actualités inadmissibles.

Verlaine, Rimbaud, Claudel, Hölderlin, Léon Gontran Damas, Aragon, Joyce, Mallarmé, Zanzotto, Mandelstam, bien d'autres encore, sont de passage dans ces strophes, comme des oiseaux migrateurs revenus d'un on-ne-sait-où enfoui profondément en nous.

Bien sûr, Denise Le Dantec aussi « donne la parole / à la langue »  quand le poème se fait pressant « J'écris quand le poème réclame d'être écrit ».  Son écriture se définit bien dans cet extrait :

 

Il y a une poésie écrite en lettres soignées.
Il y a une poésie écrite sur les cendres vertes des fougères.
Il y a une poésie négative tirée du sol et construite de crevasses, pavés, péages, rocades.
Des textes de tours, cloches, fredons.
Je me suis endormie à hauteur d'alouette.

 

Sa poésie est pour moi tout cela à la fois, en prise avec le monde entier, y compris ses faces sombres. Denise Le Dantec a les yeux et l'indignation grands ouverts sur le monde et ses guerres de frontières. L'ouvrage avance crescendo entre azur et désastre. Si la guerre 39-45 est très présente dans son histoire familiale, « Je dépose ma mémoire / Dans un nuage de feu » à cette époque où « Le ciel a pris la couleur de la boucherie », le siècle présent n'est pas exempt de malheurs. Je ne connaissais pas ces GLI-F4 (grenades lacrymogènes instantanées), ni les RATATA, ces refus d’admission sur le territoire qui sonnent comme les mitraillettes. Après un siècle aux traces de sarin, zyclon B et d’ypérite, l'eau de mer commence à avoir le mal de mer de tous ces corps noyés en Méditerranée...

Face aux désastres du monde, se dire que les fleurs ne cessent de renaître. Denise Le Dantec nous propose une promenade au jardin qui envole bien plus loin que la strophe d'après...

Présentation de l’auteur

Denise Le Dantec

Denise Le Dantec est née le 3 Mai 1939 à Morlaix, dans le Finistère. Elle est d'une trentaine d'ouvrages : des recueils  poétiques, et de publications philosophiques et romanesques. Elle est également l'auteur d'articles dans le Dictionnaire philosophique PUF et le Dictionnaire Culturel Robert.


Traduite en anglais, en allemand, en chinois, elle a obtenu le Prix Poésie-Bretagne (pour « Les Fileuses d’étoupe »), Prix de la Société des gens de lettres et le Prix de Poésie Wuhan (Chine) pour l'ensemble de son œuvre.

 

  • Métropole, éd. P.J.Oswald, 1970
  • Le Jour, éd. des Femmes, 1975
  • Les Fileuses d'étoupe ou le Voyage en Cornouailles, revue Bretagnes n°2, printemps 1976, p. 5-10.
  • Les Joueurs de go, Stock, 1977
  • Le Bar aux oiseaux, livret musical (avec Patrice Fouillaud), 1980
  • Le Voyage en Cornouailles, Calligrammes, 1981
  • Marche dans les abers, illustrations Piza, éd. Qui Vive, 1983
  • Mémoire des dunes, Folle Avoine, 1985
  • Les Fileuses d’étoupe, Folle Avoine, 1985, Prix Poésie-Bretagne
  • Le Roman des jardins de France : Leur histoire, avec Jean-Pierre Le Dantec, Plon, 1987
  • Le Roman des roses, avec Jean-Pierre Le Dantec, Plon, 1989
  • Reading the French Garden, MIT Press, 1990 (traduction du Roman des jardins de France)
  • Splendeurs des jardins de Paris, en collaboration avec Jean-Pierre Le Dantec, Flammarion, 1991
  • Suite pour une enfance, Des Femmes, 1992
  • Le Journal des roses, François Bourin, 1994
  • Emily Brontë, le roman d’une vie, éd. de L’Archipel, 1995
  • Les campagnes heureuses, avec Claude Roy, Paroles d'aube, 1996
  • Le Roman des jardins de France : Leur histoire, avec Jean-Pierre Le Dantec, Bartillat, 1998
  • Île grande : Promenade première, Du Laquet Eds, 1999
  • Le Livre du chagrin, roman, Bartillat, 1999
  • Cantilena, Wigwam éditions, 2000
  • Partition pour une île, Du Laquet Eds, 2000
  • Guillevic et la Bretagne, Blanc Silex, 2000
  • Sept soleils, Dana, 2000
  • Herbe princière, avec Marinette Cueco, éditions François Janaud, 2001
  • L’Estran autour d'Île Grande, Flammarion, 2002
  • Le Pirate de l'île Lern, précédé de Un dialogue des cultures avec Charles Le Goffic, Coop Breizh, 2002
  • Le Journal des roses, Bartillat, 2002
  • Encyclopédie poétique et raisonnée des herbes, Bartillat, 2004
  • Katabase, livre d'art avec Thierry Le Saëc, éd. de La Canopée, 2005
  • Terres d’Égypte, de Dom et Jean Paul Ruiz, poèmes de Denise Le Dantec, Jean Paul Ruiz, 2007
  • De l'achillée jaune à la yèble violette, les plantes tinctoriales, poèmes de Denise Le Dantec, illustré par Dom et Jean Paul Ruiz, Jean Paul Ruiz, 2007
  • Les Jardins et les Jours, le jardin des Augustines, éd. du Rocher, 2007
  • L’Homme et les herbes, éd. Apogée, 2009
  • Journal de l'estran Ile Grande, La Part Commune,
  • L'Homme et les herbes, éd. Apogée,
  • Arianrod", Livre d'artiste avec Maya Memin, éditions de Léon, 2011
  • Herbes Médicinales, éditions Ruiz, 2011
  • Roses célébrations, livre d'artiste avec Vonnick Caroff, 2011
  • Quels infinis paysages ?, anthologie numérique dirigée par François Rannou, éditions publie.net [archive], 2011
  • Étonnante Flore de Bretagne, préface, éditions Cristel,
  • pas d'ici, pas d'ailleurs, anthologie poétique, édition Voix d'encre, 2012
  • Bretagne est poésie, in Quel Temps fait-il ?, éditions Françoise Livinec,
  • Cantilena, Thierry Le Saëc, 2013
  • L'Ile Grande, André Jolivet (Le monde des îles, Voltje Éditions Ltd), 2014
  • Les 3 choses du jour, La Rivière échappée, collection Babel heureuse, 2014
  • Amo, André Jolivet, Voltje Éditions Ltd, 2014
  • Villa Brune, livre d'art, éditions Ruiz, 2015
  • Amore, avec Maya Memin, 2015
  • Entretien avec Erwann Rougé, Revue Ar Men, mai-4
  • Le Rappel des jours, éditions La Part Commune,
  • La Seconde augmentée, éditions Tarabuste, mars 2019
  • 7 Soleils et autres poèmes, éditions L'Herbe qui tremble, janvier 2020
  • Dors, dors, dors, éditions Le Petit Flou, 2020
  • Enheduanna, éditions Atelier de l'Agneau, 2021
  • La Strophe d'après, éditions Sans Escale, 2021
  • Là où fleurissent, livre d'artiste avec Thierry Le Saec, éditions La Canopée, 2021

Poèmes choisis

Autres lectures

Denise Le Dantec, La strophe d’après

Comme si la semaison de Jaccottet avait poussé dans une langue encore plus dépouillée, et encore plus inventive. Comme si la langue de la Beat Generation pouvait encore dire le brouhaha du monde [...]




Marie-Josée Christien, Sentinelle, Guy Allix, Vassal du poème

Marie-Josée Christien, Sentinelle

Tout poète est sentinelle, veilleur, qu'il(elle) soit au bord de l'estran ou bien sur les sentiers d'un quelconque ubac, il doit au monde la clarté du regard et la transformation du silence en une forme de substance vive des mots.

Les Éditions Sauvages viennent de publier le dernier ouvrage de Marie-Josée Christien intitulé justement Sentinelle. Et qui mieux que Marie-Josée Christien, toujours en veille dans sa terre finistérienne assaillie par les tempêtes, pour incarner cette sentinelle, depuis son poste d’observation dans la revue Spered Gouez qu’elle anime. Observer les mots, les siens et ceux des autres, à travers le corps, observer le corps à travers la poésie, le silence, quand "Le corps / prend le chemin / de l'esprit".

Car Marie-Josée Christien est une autrice en veille continuelle, toujours en avance d'une perception, qui continue d'avancer vers où "l'horizon s'efface / retranché derrière son écho". Et demeure constamment à l'écoute des "Souffles du monde / portés / par le silence".

Poète "d'une sobre sagesse / aux aguets", voilà bien trois mots clés pour décrire cette autrice. Et après les aguets, passons à la sagesse et l’humilité :

Marie-Josée Christien, Sentinelle,
Les Editions Sauvages, 2021, 
54 pages, 12 €.

"Nous sommes ces atomes quantiques / captifs d'une autre légende." et la poésie ne fait qu’accélérer ces particules de langage semées à la volée. Et qui connaît Marie-Josée Christien sait qu'elle fuit les prétentieux, les arrogants imbus de leur talent...

Sa poésie ne recule pas dans l'affrontement avec les éléments, comme bon nombre de poètes bretons. Une poésie qui ne craint donc pas le vertige du silence, le "rebond de la tempête", "le silex du vent", mais aussi "l'univers à vif". En prise avec les éléments comme les îles bretonnes qui composent une "escapade insulaire" en seconde partie de l'ouvrage qui ne figurait pas dans le recueil initialement publié par Emmanuelle Le Cam aux éditions Citadel Road. Ici c'est tout naturellement qu'elle rend hommage aux phares qui, la nuit éclairent et guident les navigateurs.

En évitant le je parfois pesant des poèmes, Marie-Josée Christien fouille dans les alluvions de nos vies quand "La peur de vivre / à vif / nous habite / jusqu'à l'os". A signaler aussi, cet ouvrage d'une belle poésie est complété par des collages des plus oniriques de l'artiste Marie-Josée Christien. Un jour, la Bretagne saura ce qu'elle doit à Marie-Josée Christien...

 

∗∗∗

 

Guy Allix, Vassal du poème, Eléments pour une poétique

Les poètes ne sont-ils jamais que les vassaux du poème ? C'est en tout cas ce qu'affirme Guy Allix dans son dernier ouvrage publié aux éditions sauvages. Être au service du poème, Guy Allix le pratique depuis plus de quarante ans.

Il écrit, il lit, il a enseigné, il diffuse ses notes de lectures, il chante ses textes et ceux des autres. Et tout cela, toujours dans l'amitié et le souci du partage. Et c'est maintenant, définitivement posé en Bretagne, son pays de cœur à défaut de naissance, après toute une vie en poésie et en chanson, qu'il nous invite à réfléchir à une forme d'éthique de l'écriture, ce qu'il appelle sa poéthique.

Mais ici point de doctes préceptes, assénés à coups de grands principes péremptoires et comminatoires. Tout se passe ici dans la modestie de celui qui cherche, et non pas celui qui affirme avoir trouvé. Dans l'humilité de l'homme qui ne perd pas de vue cette destination humus qui nous attend tous et qui nous rend si fragiles. Humilité et modestie sont l'essence même de la sagesse et de la noblesse d'âme comme le courage, l'humanisme, la fraternité, la générosité. Que des mots à replacer en une de nos journaux, nos discours, nos réseaux sociaux...

Guy Allix, Vassal du poème, Les Éditions Sauvages, 2020, 124 pages, 12 €.

Guy Allix a le « courage de l'humilité » tel que l'évoquait André Comte-Sponville. Car il faut du courage pour écrire de la poésie et n'en tirer aucun bénéfice. Il faut du courage pour y affirmer son humilité face à la vanité des préoccupations matérielles, face à l'immensité des connaissances qui nous font défaut. Pour qui connaît l'homme, son humilité n'est pas feinte. Aucun orgueil ne se déguise derrière cette modestie d'un poète, injustement méconnu du public que l'on dit grand...

Cette humilité de Guy Allix se manifeste donc quand il s'affirme"vassal du poème", au service des mots. Il est de cette école des Cadou « Je ne conçois pas le poème sans un miracle d'humilité à la base. », des Christian Bobin « Les orgueilleux m'ont appris l'humilité [...] », des Jean Follain « La seule connaissance que nous apporte le poème est cette connaissance d'une impossibilité de connaissance. » Quant au soi-disant hermétisme de la poésie, Guy Allix y voit une considération liée à l'impatience des lecteurs qui veulent chercher à comprendre, quand il ne s'agit juste que de ressentir « le poème est ouvert comme un corps vers tous ses possibles de sens, dans l'infini de ses possibles », de travailler à ressentir « Car là même où il travaille la langue avec le plus d'acharnement pour découvrir du nouveau et éclairer le monde, il nous demande aussi notre effort et notre participation. C'est ce travail sur la nuit de l'âme, cette aventure aux portes de l'indicible, cette ouverture vertigineuse du poème qui éloigne et ferme le lecteur. »

Guy Allix consacre également un chapitre à la poésie pour enfants (voir ses Poèmes pour Robinson aux éditions Soc et Foc) en affirmant « Oui, la poésie pour les enfants me semble, hélas, le plus souvent la forme la plus censurée qui soit. Parce que, enfin, il ne faudrait parait-il, ne parler que de choses gaies, mignonnes. Ne jamais évoquer de choses graves et douloureuses. » Propos à relativiser cependant quand on voit la masse d'ouvrages pour enfants racontant des histoires autour de la mort...

Les figures tutélaires de Guy Allix sont Eugène Guillevic et Jean Follain. L'analyse qu'il fait de leur œuvre se focalise sur leur façon d'aborder les objets : plutôt en les montrant du doigt pour Follain, et en les touchant, les palpant, les caressant pour Guillevic. Jean Follain, poète discret et singulier cultivait sa singularité en refusant les métaphores et en s'attachant aux faits anodins.

Guy Allix nous livre donc ici une œuvre aux valeurs salutaires quand cynisme, égocentrisme, haines et théories paranoïaques sont assénés à longueur de jour sur les écrans.

Présentation de l’auteur

Marie-Josée Christien

Marie-Josée Christien, née en 1957 dans la Cornouaille morbihannaise, vit dans le Finistère à Quimper. Poète, auteur jeunesse, critique littéraire, collagiste, elle est responsable de la revue annuelle Spered Gouez / l’esprit sauvage qu’elle a fondée en 1991.
En tant que critique, elle collabore régulièrement à la revue bimestrielle
ArMen et occasionnellement au magazine numérique Unidivers. Vents d’ouest, sa chronique consacrée aux maisons d’édition, est accueillie dans la revue Interventions à Haute Voix.

Présente dans une cinquantaine d’anthologies et d’ouvrages collectifs, traduite en allemand, bulgare, espagnol, portugais et breton, elle a publié une quarantaine de livres et collaboré à des livres d’artistes.
Deux ouvrages lui sont consacrés :
La poésie pour viatique (Chiendents n°118, Editions du Petit Véhicule, 2017) et Marie-Josée Christien passagère du réel et du temps (Ed. Spered Gouez, coll. Parcours, 2020).

Pour l’ensemble de son œuvre, elle est lauréate du Prix Xavier-Grall et du Grand prix international de poésie francophone.

Site : https://mariejoseechristien.monsite-orange.fr

Egalement sur wikipédia

Bibliographie

Poésie
Affolement du sang
(préface de Jean-François Mathé, encres de André Guenoun), Al Manar, 2019
Aspect du canal, Sac à dos Editions, 2010
Constante de l’arbre, avec le photographe Yann Champeau, Les Editions Sauvages, coll. Carré de création, 2020
Conversation de l’arbre et du vent (photographies de Jean-Yves Gloaguen), coll. jeunesse A la cime des mots, Tertium éditions 2007, Tapabord, 2018, Liste de référence de l’Education Nationale
Correspondances, recueil à deux voix avec Guy Allix, Les Editions Sauvages, coll. Dialogue, 2011
Lascaux & autres sanctuaires, Jacques André Editeur, 2007
Marais secrets, en collaboration avec le photographe Yann Champeau, Les Editions Sauvages, coll. Carré de création, 2022
Les extraits du temps (préface de Guy Allix), Les Editions Sauvages, coll. Askell, 2009, Prix des Bretons de Paris
Temps morts (préface de Pierre Maubé, encres de Denis Heudré), coll. La Pensée Sauvage, Les Editions Sauvages, 2014
Quand la nuit voit le jour (photographies de Yann Champeau), coll. Jeunesse A la cime des mots, Tertium éditions, 2015

Prose
Eclats d’obscur et de lumière
(collages de Ghislaine Lejard), Les Editions Sauvages, coll. La Pensée Sauvage, 2021
Petites notes d’amertume (préface de Claire Fourier, land art de Roger Dautais), coll. La Pensée Sauvage, Les Editions Sauvages, 2014

Autres lectures

Chiendents n° 118, consacré à Marie-Josée CHRISTIEN

Marie-Josée Christien est née en 1957 à Guiscriff en Cornouaille morbihannaise. Sa poésie est très marquée par sa Bretagne natale où elle vit. "La poésie pour viatique" est bienvenue. Gérard Cléry, Guy Allix, [...]

Marie-Josée Christien, Constante de l’arbre

L’arbre est dans le vent. On l’enlace, c’est bon pour la santé. On fait une marche en forêt et tout va pour le mieux. Mais le poète  - et pas seulement les thérapeutes [...]

Marie-Josée Christien, Eclats d’obscur et de lumière

Les aphorismes de Marie-Josée Christien Faire halte, regarder le monde sans complaisance, mais aussi savoir s’émerveiller. La poétesse quimpéroise Marie-Josée Christien distille des graines de sagesse sous forme d’aphorismes ou de pensées lapidaires. [...]

Marie-Josée Christien et Yann Champeau, Marais secrets

Marais secrets Le marais est une belle matière poétique. Monde entre deux mondes (la terre et l’eau), il confine par définition au mystère au point d’être considéré, notamment du côté des Monts d’Arrée, [...]

Présentation de l’auteur

Guy Allix

Né en 1953 à Douai (59). Vit à Rouen (76). Poète, critique littéraire, auteur jeunesse, auteur-compositeur-interprète. Nombreux recueils de poésie aux éditions Rougerie, au Nouvel Athanor, aux éditions sauvages et à l'atelier de Groutel. Parmi les dernières publications : Le sang le soir (poésie)Le Nouvel Athanor, 2015. Au nom de la terre (poésie), Les éditions sauvages, 2017. En chemin avec Angèle Vannier (essai), éditions Unicité, 2018. Oser l'amour suivie de D'amour et de douleur (poésie, bibliophilie), Atelier de Groutel, 2018. Je suis... Georges Brassens, co-écrit avec Michel Baglin, Jacques André éditeur, 2019.
En préparation : Les amis, l'amour, la poésie, CD chansons et poèmes interprétés par Guy Allix, autoproduction. Vassal de la poésie, (recueil d'articles), Les éditions sauvages. 

Autres lectures




Florent Dumontier, éclair éclat erre

C'est comme si Florent Dumontier, après avoir déjà exploré la lumière et les « spectres d'ombre » dans son premier ouvrage, déjà paru aux éditions de la Crypte, cherchait la définition de l'éclair, qui ne serait en fait qu'un mot-valise. Eclat erre, éclair. Le mouvement et la lumière. Mais ce titre tente aussi  une définition du poème : un éclair, de l'éclat et une forme d'errance.

Ce poète, né en 1989, lauréat du Prix de La Crypte – Jean Lalaude 2015, prix dont ont bénéficié avant lui Éric Sautou et Valérie Rouzeau, aborde la poésie par sa face mystique et spirituelle. Professeur de philosophie et de théologie de l'art, il semble nous faire plonger dans la douce mélancolie de la méditation.

On sent du calme, de la patience dans cette écriture. C'est tout d'abord l'image mystique de la table, puis l'alternance d'aubes et de crépuscules et toute la mélancolie qui va avec. « Du déclin de l'aube à son prochain éclat, la lueur et la pénombre où refondre l'azur pour demain. » 

Florent Dumontier, très à l'aise dans les clairs-obscurs, nous entraîne dans des ambiances tamisées. Ici la lumière y est à la fois « dévêtue », « précaire et sans cape », « étreinte contre toi », « muette et affaiblie », « courbes ». Les lueurs « s'affaissent ». Point de projecteur, ni aveuglement de pleins phares, « Tout le clair, rassemblé, se tarit dans le vase muet de la nuit ».

Florent Dumontier, éclair éclat erre, La Crypte, 66 pages, 12€.

L'auteur en quête de lumière fouille aussi la pénombre, la fatigue, l'écroulement des corps « désheurés jusqu'à usure / jusqu'à la cassure / du jour ». Il explore la nuit, la mort « quoi vivre quand mort n'a plus rien de trouble / et simplifie le sang / à l'extrême ».

Mais tout de même l'espoir n'est pas loin. Dans son triptyque bleu blanc sombre, le bleu est sur la table et « la lumière à ton chevet ». Ici pas de ce ciel bas et lourd qui oppressait Baudelaire, dans sa tentative de rassembler le clair, le poème est aéré, il éclate, il éclaire et erre longtemps en nous

Percer le mystère de la vie, née de la lumière, qui un jour vient à s'éteindre « est-ce la fin du visage / quand ton corps / appuie/ un dernier souffle / à la lumière dont le cadre ne porte plus rien ». Car la lumière peut dire aussi la mort, ce « vertige encore plus grand » que tous les vertiges...

La poésie de Florent Dumontier est, elle aussi, un vertige délicieux qu'il faut prendre le temps de découvrir.

Présentation de l’auteur

Florent Dumontier

Florent Dumontier est né en 1989 à Belfort, et vit à Paris où il enseigne la philosophie et la théologie des Arts. Il est le poète lauréat du Prix de La Crypte – Jean Lalaude 2015 pour le recueil Sur le perron glissent des spectres d’ombre. Son deuxième ouvrage à La Crypte, éclair éclat erre, est paru en 2020.

Poèmes choisis

Autres lectures

Florent Dumontier, éclair éclat erre

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Revue La Page Blanche : entretien avec Pierre Lamarque

Denis Heudré nous présente la revue La Page blanche, à travers les propos de son créateur Pierre Lamarque, qui explique quelles sont ses motivations et ses objectifs. 

Comment La Page Blanche est-elle née ?
La revue La Page Blanche est née en 2000 par le hasard d'une rencontre entre mon ami roumain Constantin Pricop et moi sur le site de l’ambassade de France au Canada. L’ambassade offrait en 1998, au commencement de l’internet, un espace dédiée à la poésie sur son site, un lieu de rencontre entre poètes francophones qui y publiaient des textes, lieu tenu par un jeune poète français qui faisait là son service militaire, un soldat de la vie. Constantin Pricop et moi avons le même âge, nous sommes nés en 1949, j’exerçais le métier de médecin généraliste dans un quartier nommé La page blanche à Mérignac-Arlac près de Bordeaux. Pricop était un écrivain, dont le livre « La marge et le centre » était en devanture de librairies roumaines, un critique et revuiste professionnel, devenu professeur de lettres à la faculté de Iasi. Un professeur de français pour moi.

Quelle est sa ligne éditoriale, ou plutôt sa personnalité, les traits de son caractère ?
La ligne éditoriale part du constat que désormais tout le monde peut publier ses écrits grâce à internet. Notre revue fonctionne comme un filtre.
LPB est fondée sur la gratuité et le don, elle est articulée entre création, critique, traduction et poètes ‘du monde’…c’est sa personnalité, son caractère.
La revue est structurée en rubriques, dans l’ordre on trouve les rubriques suivantes :

La page blanche n°52, lapageblanche.com.

« Simple poème » en général un texte sélectionné, « éditorial », un billet, ou point de vue du rédacteur en chef – dans les derniers numéros cette rubrique n’est plus présente car le rédacteur en chef, Constantin Pricop a entrepris à la place de publier dans la revue la traduction en feuilleton de son roman La nouvelle éducation sentimentale, « Poète de service », un ou plusieurs poètes de service par numéro avec pour chacun la publication d’une dizaine de textes, « Moment critique », un article de critique littéraire ou culturelle, « Bureau de traduction », où sont présentées des traductions, « Séquences », où sont présentés des suites organisées de textes d’un ou plusieurs auteurs, « Poètes du monde », où sont présentés des textes d’auteurs publiés, connus et reconnus, et pour finir « E-poésies », où sont présentés des textes isolés de différents auteurs participant à la revue.

 

La page blanche n°54, lapageblanche.com.

A quel tirage et comment est-elle diffusée ? 
Notre revue sur papier n’est pas diffusée en librairie, par paresse. Chaque numéro est imprimé à 30 exemplaires, ces exemplaires sont offerts par la revue LPB aux poètes invités dans le numéro. Cette économie autarcique permet à la revue de survivre sur le papier depuis vingt ans. C’est l’internet qui nous permet de vivre depuis vingt ans. Pour moi, les valeurs d'internet ont ceci de supérieur aux valeurs de l’imprimerie qu’elles sont la mise en pratique de la gratuité et l’exercice concret de l'oblativité intellectuelle. L’ère et l’aire de l’internet est l’aire et l'ère de la communication.
En vingt ans, comment a évolué La Page Blanche ?
Des hauts et des bas, des calmes plats et des tempêtes, des gains et des pertes, la vie… assez vite nous avons trouvé notre rythme naturel de croisière, moins de numéros, des textes, …
Parlez-moi de votre rubrique Le Dépôt
Le Dépôt est un endroit qui rassemble les quatre articles essentiels de la revue LPB, création, critique, traductions, poètes du monde, et où se retrouvent des poètes qui font vivre la revue. Notre maître de toile, Mickaël Lapouge a réalisé un ajout au site LPB qui me permet d’administrer le Dépôt.
Votre travail d’éditeur de cette revue doit vous prendre du temps sur vos travaux d’écriture, le regrettez-vous ?
Je protège mon temps : le temps le plus important, peu importe sa durée, c’est le temps de la lecture. Mon travail d'éditeur fait partie de mon travail d’écrivain, j'y trouve inspiration, j’y fais mon marché…
Quel(s) auteur(s) rêveriez-vous de publier dans votre revue ?
Michel Butor, mais il est mort et on l’a déjà publié de son vivant dans le numéro 20. 
Quels ont été les impacts de la crise covid sur votre revue et ses lecteurs ?
Je ne regarde les statistiques de visiteurs lecteurs qu’une fois quand j’y pense tous les vingt ans. Récemment j’ai vu qu’il y avait eu 25000 visites en un an. Pour notre part nous n’avons pour le moment personne de touché par cette maladie à ma connaissance. Comme tout le monde nous espérons passer entre les gouttelettes…
Quels sont vos projets pour les prochains mois ?
Continuer le mouvement, aller aux avant-postes comme des braves.
Quel regard portez-vous sur l’évolution depuis vingt ans de la poésie française ?
On lit un livre, on en lit un autre, on découvre. On ne sait pas quoi retenir du temps qui passe, du style qui dépasse, mais heureusement, en poésie le temps ne passe pas vraiment.
Dans le n° 55 qui paraît bientôt, on ne sait jamais exactement quand - car cela dépend de l’emploi du temps de maître toile, on trouvera un peu tous les styles, aujourd'hui il n’ y a pas grand mouvement dans les astres, c’est ça le post-moderne, il n’ y a que des directions dans tous les sens, dont les oulipiens… mon français personnel, minimaliste, a bien changé en vingt ans..
Et de la poésie du monde ?
Nous recevons des poètes de différentes points du globe et notre microscope nous montre une vie fourmillante et tourbillonnante, difficile de ne pas tomber amoureux de notre microscope qui lit et écrit  !
Selon vous la e-poésie est-elle l’avenir de la poésie ?
Oui, sauf exceptions.
Que peut-on vous souhaiter pour les vingt ans à venir ?
De rester en vie ! Je songe à plus tard dès maintenant. Je cherche depuis quelque temps à savoir comment s’y prendre pour que LPB continue de vivre après ses trois fondateurs, Mickaël Lapouge, Constantin Pricop et moi.




Henri Droguet, Grandeur nature

Pour dire la grandeur de la nature, il fallait bien un auteur comme Henri Droguet, travaillant dans toute la grandeur de la langue, arpentant de long en large, mais aussi en hauteur et profondeur les arcanes du vocabulaire de son écriture exigeante à base de « tricotis et remaillures ».

Mais ici, pas de vision romantique de la nature, plutôt les bourrasques, chaos et orages, « mécanique errante des déluges », là où planent « choucas, freux, corneilles »

La nature et ses bouleversements, ses cataclysmes, dans un ouvrage tout en turbulences et tohu-bohu langagier, nous emmenant vers l'abstraction d'un désordre soigneusement travaillé. Mais le poète ne craint pas les éléments déchaînés, il est toujours à la bonne taille. Grandeur nature pour observer l'ordonnancement du vivant et des pensées humaines.

Henri Droguet s'adonne au jeu jubilatoire avec la langue, comme une invitation à rouvrir les dictionnaires, pour des mots que les logiciels de correction orthographique ne connaissent pas comme lanturlus, émissole, licher, badigoinces, ébrais, panicaut, vanvole, tretous, etc. Même le tout-puissant Uncle Google n'a jamais eu vent de ses dérinçures. Belle performance. Car la poésie peut aussi jouer un rôle dans la préservation des mots peu usités. Si tous les mots sont dans la nature, toute la nature est dans les mots d'Henri Droguet. La poésie est aussi un combat contre l'uniformisation du langage.

Henri Droguet, Grandeur nature, Rehauts 2020, 82 p., 16€.

Poète né à Cherbourg, face au vent et aux embruns, les deux pieds désormais posés sur son socle hercynien granitique breton, qu'il a choisi pour un enracinement des plus solides, Henri Droguet se plaît à tournebouler les rythmes pour chambouler notre perception de lecteur. Il s'intéresse à toute la machinerie des éléments, la mer, l'orage, etc. Quand « les jours sont tout noirs », quand « il pleut de l'ombre », Henri Droguet les voit « dans la poche du diable ».

Pas de nature sans animaux, sans oiseaux « buse ... courlis vanneaux tournepierres », sans insectes « lucane redoutable » et « gendarmes pyrrhocoris apterus ». Minéral et végétal itou. Sans oublier l'espace et les étoiles ses « belles taciturnes ». Mais la nature c'est aussi l'amour « L'amour qui est / l'autre nom du vertige »,  la mort « car mourir s'apprend

 

                     ça prend

                                     toute une vie 

 

Quand, dans ce siècle, l'intelligence artificielle reste bien à sa place, dans l'artificiel et le superficiel, la poésie d'Henri Droguet ne fait que nous grandir.

 

Présentation de l’auteur

Henri Droguet

Henri Droguet est né le 29 octobre 1944 à Cherbourg. Poète français, il passe son enfance et son adolescence à Cherbourg, puis il poursuit des études supérieures de lettres à Caen de 1962 à 1970. Il habite Saint-Malo, où il fut enseignant jusqu’en 2004

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

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Clara Calvet, Le pèlerinage du temps

A qui veut s'initier à l'errance en poésie, Clara Calvet offre l'occasion d'une belle découverte. Mais auparavant, bien penser à se déprendre de toute grille de lecture.

Ne pas chercher à tout comprendre, plutôt se laisser surprendre par ses allers et retours à travers les temps, les pays, le je, le tu, le nous, les mythes. Ne pas craindre de croiser ici Oum Kalsoum, Oreste le fils d'Agamemnon, la déesse Lyssa, les Vivian Girls de Henry Darger.

Ici, fini les cauchemars du collège à dénouer chaque syllabe d'un poème, se laisser aller uniquement au ressenti, aux portes que les mots peuvent ouvrir dans nos esprits « Je lisais, / je lisais sans / / comprendre. / Et les mots, peu à peu, / / s'attachaient à moi. ». Se laisser porter par ce flux hétéroclite comme dans les rêves tout mélangés.

Mais surtout ne pas abandonner devant la difficulté. Car il n'y a pas de raison, dans toutes les obscurités la poésie doit se risquer. Chercher quelques prises. Quand je ne sais par où comprendre un recueil de poèmes, je me mets à chercher les trois points d'appui nécessaires à l'équilibre de l'escaladeur : ici ce pourrait être : mythes, spiritualité et exclusion, avec son cortège « Des inutiles, des / Incertains et des / pauvres, / des êtres libres entre les / cailloux. ». Cela me permet de progresser.

Clara Calvet, Le pèlerinage du temps, L'atelier de l'agneau , 2020, 76p, 15€.

Les mythes sont les embarcations qui nous conduisent dans ce pèlerinage du temps, « Sans rite / et sans / rituel. », cette errance méditerranéenne et orientale « Seul le sommeil / des cyprès / battait la mesure ». Avec pour seuls accompagnants l'ombre et la lumière « L'opacité, elle, me sied, / m'emmure, / / Car c'est dans cet / abrupt final que pointe / l'aurore  / et tous ses artifices, / sa demeure, sa douceur, sa foi / pastels. »

Les zones d'ombre sont les sacrifices, les crimes qui répandent leur sang dans cette mythologie grecque. « Le glaive s'annonçait/ terrible / Et une peur enfantine / tordait le ventre / des innocents. »

On ne saura pas qui est cette indigente « Absolue récalcitrante / d'un avenir / réprimé, révolu, radieuse / d'un passé sonné » ni cette innommée. Mais à travers elle, l'on aperçoit tous les « excLu ». Il n'y a aucune litanie lancinante dans cette liturgie, juste du rythme dans le chant. 

Avec donc les mythes en filigrane, l'autrice n'hésite pas à dire le monde tel qu'il est de nos jours : « Les intellos s'émerveillent  / (de tout) / toujours, / / Quand les guerres / s'amoncellent, / s'annoncent. / / Aux cris d'orfraie, / les poètes / se font petits / / Comptant et / trébuchant, si morts / de leurs maux. / /  Ne plus savoir être / / terre / d'accueillir  / / m'a démolie.  / / Être repoussoir,  / / qui s'en contente ? »

Le temps est respiration. Le temps est manque aussi. Le temps est pas, est sable sous le pas. Le temps est leurre. Le seul travail du poète est de faire proposition de lumière et Clara Calvet s'y attache avec une belle réussite. « Retourner à la / foule solitaire / nous effrayait / Tous, et pourtant, / / d'un pas pressé, / Nous y allions. / / Comme bulles de verre, / / Sans autre direction / / que le nécessaire / attrait pour la lumière / promise / - aux confins du soleil - / orangée et lasse. »

Mais je n'ai sans doute pas tout dit sur cet ouvrage de Clara Calvet, récemment publié chez Françoise Favretto et son atelier de l'agneau. Il ne faut pas tout dire, il faut laisser le lecteur ou la lectrice emboîter à sa guise le pas de ce pèlerinage. Et trouver sa propre vérité en ces lignes où ailleurs avec ces mots. Car comme disait Paul Quéré « Tout est dit, semble-t-il. Reste pourtant la manière de ne pas le dire. »

 

Présentation de l’auteur

Clara Calvet

Clara Calvet est une poétesse française.

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Serge Núñez Tolin, une poésie de la moindre des choses

Les éditions Rougerie nous ont donné à découvrir en 2020, deux recueils de deux poètes d'origine belge : Marc Dugardin et Serge Nuñez Tolin. S'il ne fallait ne retenir qu'un point commun entre ces deux auteurs, il me semble que c'est leur sens de  l'observation méticuleuse du moindre instant de vie. Mais aussi dans leur appropriation de leurs observations « C'est en moi que je trouve le bois vécu des clôtures : en moi l'incendie du sens. »

L'ouvrage de Serge Nuñez Tolin s'ouvre sur des feux de prairie en totale opposition avec la pluie drue du titre. Mais cet d'embrasement est un feu de joie. Le feu de la fin d'été et de l'automne où commencent ces textes. Le feu intérieur qui entretient la vie. Ce feu que les poètes cherchent, sinon à domestiquer, à le comprendre, à en percevoir la magie, à en ressentir le pouvoir « en moi, l'incendie du sens ».

Tout de suite, dès le premier texte, l'auteur cherche à « Tirer le poème de son silence » dans la « Banalité de la campagne, chemins défoncés.  / / Tous les mots sont ici, aucun ne s'absente, prairie du réel ». Là où le réel serait cette prairie immense où il est facile de se perdre, l'auteur a trouvé son poste d'observation : « La fenêtre patiente pour s'accorder au paysage. » Pour s'aérer le regard « J'habite les fenêtres, ces éveils de la lumière. »

 

Serge Nuňez Tolin, Près de la goutte d'eau sous une pluie drue, Rougerie, 2020, 72 p., 13 €.

 

 

La poésie de Serge Nuñez Tolin résonne comme célébration des mots du quotidien, « Ce quotidien où nous sommes levés avec les choses et les mots les plus quelconques ». Avec des mots de tous les jours, Serge Nuñez Tolin parvient à réaliser ce qu'Antoine Emaz appelait la fusion vie-langue pour un ensemble très agréable à lire.

Serge Nuñez Tolin sait choisir les mots de l'observateur attentif de la nature pour en exprimer la fragilité : « Fragilité belle, d'une beauté qui ressemble si fort à nos tristesses. Fragilité qui conduit nos pas vers les présences les plus discrètes. » La nature et les petites choses qui en font la vie « Les mots ne me séparent pas des choses ». Avec une écriture à l'écoute de ce « silence plus grand que les mots avec quoi on a voulu le cerner. »

 

Poésie du fragile, poésie de la moindre des choses.

 

Une observation fine de chaque perception la plus insignifiante, pour en deviner le signifiant. Le poète trouve un pouls dans le moindre envol de cloches. Il observe en profitant de la forme la plus heureuse de la solitude « Il y a toujours une solitude dont on doit se remettre, à laquelle on n'achève pas de se rendre. »

Observer le moindre détail, y repérer la moindre sensation. Dans la pluie drue, savoir y distinguer la moindre goutte d'eau. Pas besoin d'aller loin pour écrire de la poésie, « En quoi vaudrait-il toujours pour se tenir ici, respirer ailleurs ? », juste tenter de raccrocher à l'universel la moindre veilleuse allumée, le plus banal poteau de clôture, la plus insignifiante goutte d’eau « Près de la goutte d'eau sous une pluie drue. / Comme l'eau de la cruche, la mie sous la croûte, le silence réclame sa forme. »

Écrire avec le regard au plus proche du réel. « Des mots dits dans leur plus grande possibilité d'être dits ; pour cela, nus dans leur plus grande possibilité d'être nus. Ils sont le réel sans nous. Des mots avec lesquels nous mangeons et mourons. ». Se laisser s'abandonner à la méditation dans la lumière et le silence pâles d'une aube nouvelle, depuis une fenêtre, et dire « le glissement des heures l'une sur l'autre. »

Que retirer de cet ouvrage ? Une poésie des horizons bas, d'une douce mélancolie, en prise directe avec « le vaste réel et l'icône du monde. », mais aussi « une joie dans la matière que l'écho du vivant y aurait mise, violente et active, une danse élémentaire. » Une pluie nourricière pour qui aime la poésie.

 

 

 

Présentation de l’auteur

Serge Núñez Tolin

 Né à Bruxelles en 1961 où ses parents sont arrivés d'Espagne dix ans plus tôt. Sept livres parus. A partir de 2001, quatre ouvrages ont paru sous le titre unique de Silo et un cinquième, en 2006, L’interminable évidence de se taire : les cinq aux Éditions Le Cormier (Belgique).

En France, parution de L’ardent silence chez Rougerie (2010) et Nœud noué par personne (2012), Rougerie éditeur.

Dernières collaborations aux revues en Belgique et en France (2010-2013) : Traversées (Arlon),  N4728 (Angers), NUNC (Clichy).

Une émission radio diffusée sur la RTB-F La Première en 2010. Des articles de presse sur l’Internet et dans les revues N4728 et EUROPE en 2013.

 

Serge Núñez Tolin

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Serge Núñez Tolin La vie où vivre 

Dès la première page, le lecteur est surpris : s’agissant d’un livre de poésie, il est divisé en chapitres comme un roman. Cela semble annoncer une habitude que le poème liminaire annonce : [...]




Marc Dugardin, D’une douceur écorchée

Que s'est-il  passé de janvier 2016 à décembre 2018 dans le monde, de douceurs et d'écorchures pour que Marc Dugardin intitule ainsi son dernier ouvrage, paru chez Rougerie en mars 2020 ? Qu'est-ce qui a fait que pendant cette période « vivre était plus terrible encore et plus doux que cela » ? Quelle est cette « romance au bord du vide », ce « retour vers les lits fiévreux de l'enfance » ?

Comme s'il s'agissait d'étudier la douceur en observant ce qui en serait un écorché Marc Dugardin cherche à voir à travers la peau douce des jours heureux pour en étudier les muscles et leur tension, les réseaux nerveux des sentiments, l'ossature des souvenirs.

Marc Dugardin le sait, écrire n'est jamais que se blesser au coupant des émotions. Et nous, simples lecteurs, aimons voyager dans les mots qui nous en disent plus sur nous-mêmes, dans ces silences inclus dans leur parole. C'est tout cela que nous offre le poète belge.

Cette « douceur écorchée » ne serait-elle pas ce qu'on appelle la résilience, quand les écorchures se referment avec le temps ? Avec la faute qui reste « tapie dans un coin ». Avec les mots pour cicatriser « On écrit / dans le naufrage du je qui écrit » ou « à deux doigts de l'imposture d'écrire ».

Comme si la douceur du moment ne pouvait pas signifier le bonheur « Je dis cela parce que la douceur / est violente », qu'elle portait sur sa peau les scarifications de faits d'histoires dramatiques. Kigali, Nyamata, heureusement vingt-deux ans après, « des bras se sont ouverts pour promettre autre chose ».

 

Marc Dugardin, D'une douceur écorchée, Rougerie, 2020, 80 p., 13€.

 

On pourrait se poser la question de l'impact du temps et du lieu sur l'écriture, difficile d'en faire une analyse holistique. Mais plutôt ressentir, apprécier les parallèles avec le destin de Mandelstam dans ce siècle chien-loupqui s'acheva sur les massacres du Rwanda.

Revenir aux choses simples. Du temps, l'enchaînement des saisons « dans le fond nous ne savons pas / ce que c'est que l'automne // et pas non plus ce qui distingue/ une fin d'un commencement ». Dans la douceur du matin, un bol de café, des visages, le même mouvement enveloppant des mains. « un matin / où simplement / quelqu'un prend pitié ».

Partir, fuguer. Fugue est musique. Envol. L'oiseau « dans le chant à peine commencé », « le chant qui nous laisse sans réplique », « agonise au bord du poème ». Fugue en laissant toute sa place au silence « écoute // c'est presque le silence // c'est peut-être pour ça / que ce n'est pas la mort ». Partir et revenir à l'enfance « la mémoire de l'enfance  / s'enroule sur elle-même ». Cette enfance source de toutes les douceurs et toutes les écorchures.

Mandelstam, mais aussi du Bouchet viennent marcher en ces pages. Imre Kertèsz vient nous ramener aux génocides. L'écrivain norvégien Tarjei Vesaas y fait glisser sa barque. Le poète hongrois János Pilinszky est là en convive et Coltrane joue quatre notes. Schubert accompagne Alejandra Pizarnik et Mozart nous tire une larme.

Revient régulièrement chez Dugardin l'image de la table, lieu de partage entre co-pains, lieu d'échanges entre am(e)is, « la table en attente », « ce n'est jamais vraiment une table [...] cela ressemble trop à un poème » . Moments de douceur que ces échanges.

L'auteur propose en fin d'ouvrage, quelques notes de genèse, quelques clés pour mieux comprendre les circonstances d'écriture de ces poèmes. Ce qui n'empêche aucunement le lecteur d'en avoir sa propre lecture. Car « on ne s'écorchera jamais assez à la douceur d'un poème ». Marc Dugardin, une lecture douce, à peine écorchée.

Présentation de l’auteur

Marc Dugardin

Marc Dugardin est né à Watermael-Boitsfort le 27 novembre 1946. Habite actuellement à Namur. A travaillé comme éducateur spécialisé puis dans l’Enseignement de Promotion Sociale. Membre du comité de rédaction du Journal des Poètes. Lauréat de la Bourse Spes de poésie en 2005. A publié, uniquement en poésie, une dizaine de titres depuis 1982. Une poésie nourrie par l’écoute de la musique, un cheminement d’homme entre désarroi et émerveillement, une solitude qui entre en résonance avec le chœur des vivants.

Marc Dugardin

 

Bibliographie

  • Connivences, Flémalle, Vérités, 1982
  • Itinéraires de la patience, Bruxelles, Le Cormier, 1984
  • Ricercare, Flémalle, L’Arbre à paroles, 1984
  • Poème des matins exigeants, Mortemart, Rougerie, 1986
  • Une parenthèse pour le vent, Mortemart, Rougerie, 1989
  • Un pas pour l’éphémère, un pas pour l’éternel, Mortemart, Rougerie, 1993
  • La peur la plénitude, Amay, L’Arbre à paroles, 1994
  • L’écoute infiniment, Mortemart, Rougerie, 1999
  • Adieux, en collaboration avec Lucien Noullez, Bruxelles, Editions de l’Ours, 2000
  • Solitude du chœur, Mortemart, Rougerie, 2002
  • Hovenieren in vergetelheid / Jardiner dans l’oubli, Leuven, Editions P, 2002
  • Stances, Amay, L’Arbre à paroles (collection Textimage – avec deux gravures de Jean Verly), 2004
  • Fragments du jour, Mortemart, Rougerie, 2004
  • Eenzame samenzang en andere gedichten / Solitude du chœur et autres poèmes, Leuven, Editions P, 2005
  • Soupirail d’enfance, Mortemart, Rougerie, 2007
  • A la escucha, Mexico, Editions Fosforo, 2009
  • Voyageurs que nous sommes  (avec des photographies de Muriel Claude), Bruxelles, La Ravine, 2009
  • Dans l’oreille profonde, Châtelineau, le Taillis Pré, 2010
  • Over en weer/ De part et d’autre  (en collaboration avec Marleen De Crée, gravures de Goedele Peeters), Leuven, Editions P, 2011
  • D’écluse en écorce (en collaboration avec Alexandre Valassidis), Paris, L’herbe qui tremble, 2011
  • In memoriam, tirage limité à 20 exemplaires avec des collages de Max Partezana, éditions Centrifuges, 2011
  • Quelqu’un a déjà creusé le puits, Mortemart, Rougerie, 2012

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Martin Wable, Terre courte

Il faut découvrir la poésie de Martin Wable qui avait reçu le prix de la vocation (il est né en 1992) avec son recueil Géopoésie publié chez Cheyne en 2015. Car, avec son dernier recueil Terre courte, il confirme le talent repéré par le jury.

 

Avec cet ouvrage, comme pour nous rappeler que nous avons la mémoire courte, Wable nous suggère que l'histoire humaine n'est qu'une succession de présents devenus passés et trop vite oubliés. De multiples chemins délaissés, bordés de racines trébuchantes, avant ce point du jour qu'on nomme hui.

J'aime cette façon de placer la langue quelque part entre la géographie en abscisse et l'histoire en ordonnée. Après la géopoétique, Wable ajoute de l'historiopoésie et du lyrisme. Le poème comme "Topographie des fondations de son enfance".

Sur son étal de poète, Wable nous propose toutes sortes de lieux d'histoire. A commencer par la grande période des explorations-conquêtes-exploitations. "Et tandis que réécrire la langue voyageuse : c'était creuser un canal stratégique, mobiliser un régiment. Annexer des tribus, des dialectes et laisser derrière soi un parfum de cuir dans le crépuscule. Chevaucher, répandre une cendre ; envoyer des bouquets de convois marchands dans les steppes. Déborder le fleuve à locomotive derrière les horizons moribonds."

Martin Wable, Terre courte, Editions du cygne 2018, 52 p, 10€.

[...] "Et c'était être navigateur, faire des expéditions en Égypte, punir le peuple oppresseur, ouvrir les mers, bombarder le sultan, marchander un scorpion séché, passer la frontière palestinienne, ici atterrir, migrer, laisser des écritures."

 

Mais rien n'est si simple, "Garder présent à l'esprit qu'il n'est pas d'histoire qui ne soit un labyrinthe" et cette pique adressée à l'histoire n'est pas le seul propos du livre, Wable veut aussi explorer la langue et son propre travail d'écriture. "La Terre était ce globe incontournable, écrire c'était se frayer dans les voies, dans l'immensité, dans la trace des choses. Garder à l'esprit qu'il n'est pas d'histoire qui ne soit un labyrinthe."

Des pays se créent, des frontières sont déplacées:

 

"Dès lors, il s'agit d'apprendre à parcourir les nouvelles frontières du monde avec le tact du médecin qui touche une vieille blessure. Mais il arrive que le sentiment du monde se refuse à se baigner deux fois dans la même langue."

 

Martin Wable nous propose un voyage dans le temps en maniant l'anachronisme comme un ouvre-imaginaire. "Et quand bien même on gagne le marais où s'est tissée la mémoire. Que l'on s'embourbe jusqu'aux genoux. On serait tenté de gagner ce côté de la rive où la clarté nous détermine. Et ce serait proposer une langue encore, proche de celle que tracent les pattes des oiseaux sur la vase."

Si Martin Wable se fait par endroit plus revendicatif, il sait regarder sa propre histoire au regard de celle du monde tel qu'il est devenu. Bref, une poésie qui fait réfléchir dans le plaisir de la langue.

 

Présentation de l’auteur

Martin Wable


Martin Wable est né en 1992 à Boulogne-sur-Mer et vit actuellement dans les Landes. Créateur avec Pierre Saunier et Antoine Erre de la revue cosmoréaliste Journal de mes Paysages, il anime les sites internet martinwable.fr et plquality.fr et s'intéresse à la lecture publique et à la performance (notamment le projet l'Antistar avec la comédienne Marie-Charlotte Léon depuis 2015).

 

 

©  Julie Merlo

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