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Florent Toniello, Foutu poète improductif

Publié par les Éditions Rafael de Surtis, dans sa collection "Pour un Ciel désert", Foutu poète improductif, le dernier ouvrage de Florent Toniello, explore en mode-poète le monde de l'entreprise. Mais au-delà de l'originalité de cette démarche, la poésie est bien au rendez-vous.

Pourtant qu'y a-t-il de plus éloigné de l'entreprise, de l'économie libé-immorale, de la compétition, que la poésie? Et si les mots du poète pouvaient éclairer les hommes jusque dans leur relation au travail?

Florent Toniello, Foutu poète improductif, illustrations Eloïse Rey, Editions Rafaël de Surtis, 2018,  44 pages, 15 €.

Florent Toniello a bien connu ce monde de l'entreprise moderne, uniquement tournée vers le profit des actionnaires. Son habitude de croquer les travers de ses collègues par de petits textes a sans doute fait de lui un extraterrestre en son milieu.

 

C'est la première fois
depuis qu'on en distribue
aux serviteurs zélés de grade inférieur
que QUELQU'UN REFUSE DES STOCK-OPTIONS
me reproche-t-on dans un bureau climatisé.

 Comme si enfant déjà en m'endormant
je rêvais de la richesse abondante
procurée par un cours d'action à la hausse.

 

L'entreprise soi-disant à la pointe de l'innovation, avec la modernité comme objectif à tout prix, n'oublie-t-elle pas l'essentiel : les valeurs, le sens de l'humain.

Et Toniello d'opposer le pouvoir d'une start-up nation à celui des mots, avec le jargon internationalisant de l'économie ramené en prétexte poétique. Foutu poète qui délaisse ses dossiers de "joint-venture" ou d'audits de systèmes informatiques pour la poésie d'un loukoum, de quelques carpes dans un étang, des différentes formes de nez, d'un tajine au pruneau sous un figuier. Foutu poète qui voit l'entreprise au-delà des slides et des confcall et en détecte le mal sans courbe ni graphique mais non sans humour...

 

J'hésite à embrasser pleinement
LA RELIGION POWERPOIN
T

 

 

Présentation de l’auteur




Jacques Taurand, Les étoiles saignent bleu

Christophe Dauphin nous appelle à découvrir ou redécouvrir Jacques Taurand, poète, nouvelliste, critique, autodidacte français qui, après une vie littéraire un peu dans l'ombre malgré de nombreuses rencontres, s'est définitivement éteint en 2008. Et cette publication vient justement (au sens où ce n'est que justice) remettre un peu en lumière cet auteur non dénué de talents. Ce recueil est un hommage à l'amitié, en particulier à celle entre Christophe Dauphin, Jacques Simonomis et Jacques Taurand. Et un hommage surtout à la fidélité en amitié, à travers cette anthologie revenant sur près de trente ans de poésie.

Jacques Taurand, Les étoiles saignent bleu, Les Hommes sans Épaules éditions

Son enfance, bercée par un imaginaire familial aux couleurs du Brésil et marquée par les récits de chevauchées dans la pampa, d'oiseaux multicolores et de tempêtes tropicales, l'a éveillé à la puissance du récit. "A vouloir faire des nœuds avec le vent/à boutonner le cœur avec la raison/le bonheur dans la cage prend sa voix de fausset"

Bien entendu, Jacques Taurand n'est pas le seul poète à être attiré par la lumière, "entre Hélios et Séléné", ce n'est pas si fréquent de lire une anthologie personnelle autant traversée par les reflets "vous me rencontrerez/dans les reflets de l'eau sous les voûtes du soir", les faux-jours, les miroirs, la lumière d'un "parc en février" à Florence. C'est toute la pertinence du choix de poèmes opéré par Christophe Dauphin. Et l'on se laisse aisément emmener quand Taurand cherche à "faire du poème un vaisseau de lumière"

 

La lumière/puisait son ardente révolte/à la source du futur/entre l'épaule et le cœur

 

Dans ses faux-jours Taurand place souvent un peu de nostalgie comme ce retour sur le début des trente glorieuses : "Il y avait des rires/sur les noirs décombres/La lumière retrouvée/libérait son froment".

Lui qui reçut de Louis Guillaume ce conseil, qui vaut encore pour de nombreux apprentis poètes : travailler dans le sens du dépouillement, de la compacité, laisser tomber les vocables trop rares, les adjectifs inutiles et favoriser l'éclosion de l'image, de la métaphore analogique.

Le "descendant des descendants" de l'École de Rochefort rend un "simple hommage" à Cadou : "Toutes les rivières du printemps/bondissent dans tes yeux cet amour qui gonfle ta poitrine / tiendra la promesse d'un blé"

Ce recueil est suivi d'un entretien avec Jacques Simonomis où l'on en retiendra entre autres, cette citation de Louis Guillaume : "Un poème doit être un objet que l'on peut tenir dans la main sans qu'il dégouline ou s'évapore".

Je partage aussi l'opinion de Jacques Taurand à propos de la critique de la poésie : "J'ai compris assez tôt que parler des autres, écrire sur leurs œuvres, c'était aussi faire vivre et comprendre la poésie. Et puis, c'est la meilleure façon de "sortir de soi", d'oublier son "ego", de découvrir d'autres paysages affectifs, d'autres géographies sentimentales...[...] Pour moi c'est aussi un devoir minimum envers la poésie."

Jacques Taurand n'est pas resté étranger aux soucis de son époque, les guerres au Liban, au Kosovo. "Quelle parole de lumière/Fera taire les canons/L'espoir à bout de ba/porte les hiéroglyphes du sang". Et  dans son poème Les longs convois, dédié "aux Kosovos passés, présents et à venir", il écrit ce passage terrible de prémonition "Demain l'arbre/sur le charnier/portera les bourgeons/de l'indifférence"...




Cécile Coulon, Seyhmus Dagtekin et Roland Reutenauer

Trois auteurs, trois âges, trois styles et pourtant des points communs. Des ponts et des ronces, mais surtout la poésie dans les mots.

 

Les ronces de Cécile Coulon

Cécile Coulon est la plus jeune de ces trois poètes. Elle publie Les ronces au Castor Astral. Bien que le titre ne le laisse pas penser, cet ouvrage est bien un appel à " vivre dans les hautes lumières ".

Poèmes écrits sur plusieurs années, Cécile Coulon revient sur son passé avec sans doute quelques " ronces ", " Ma force c'est d'avoir enfoncé mon poing sanglant/dans la gorge du passé ", " On se remet de tout/mais jamais/à l'endroit ".

Mais ce recueil est aussi un chant d'amour "ce visage endormi que tes yeux éclaboussent/de ce bleu si profond où la nuit/je ramasse/ce qu'il faut de trajet de tes lèvres à ma bouche/pour pouvoir le matin s'arrêter/se suspendre au bord/du temps qui passe/comme deux grands oiseaux/alourdis par la pluie/font sécher au soleil/leurs plumes d'oreillers".

Cécile Coulon, Les Ronces, Le Castor Astral 2018, 240 pages, 14€

C'est la fièvre qui parle/avec ses lèvres crevées d'avoir aussi soif/qu'un chien mourant sous une marche d'escalier/avec son corps brisé en travers des draps trempés/ces plaintes tranchées par des larmes brûlantes/nous n'avons plus l'habitude d'avoir mal/cette nuit, mon amour/c'est la fièvre qui parle ".

je cesserai d'écrire des poèmes le jour où l'on cessera/de considérer/les hommes sincères/comme des hommes malades/en attendant la rivière continue/elle/la pluie continue/elle/demain matin les ronces vont griffer les renards dans les bois/le ciel ce grand poumon sauvage a jeté ses filets/sur les hommes tout en bas/seul le bruit de la terre arrive depuis la fenêtre ouverte ".

Avec une poésie narrative, parsemée de quelques anaphores, Cécile Coulon situe ses poèmes, assez souvent, dans les paysages d'Auvergne et de la Drôme mais aussi du Vanuatu.

Le style de Cécile Coulon est une écriture qui donne envie de dire je t'aime autrement avec plus de lumière et d'herbe sauvage. Lisez cet ouvrage magnifique, vous regarderez le quotidien autrement.

 

Juste un pont sans feu de Seyhmus Dagtekin

Les éditions du Castor Astral viennent de rééditer Juste un pont sans feu qui avait reçu en 2007 les prestigieux prix Mallarmé et le prix Théophile-Gautier. Ce fut le 5ème ouvrage de Seyhmus Dagtekin édité par le Castor Astral, et de nombreux autres suivirent dans la fidélité des mots et des combats.

Il y aura quelques ronces, mais les choses finiront par s'arranger." C'est une vision optimiste que propose Seyhmus Dagtekin. Il tente de relier l'humain par le pont des mots que chacun emprunte à sa manière. Avec un regard bienveillant sur l'humanité " Comment exister dans le regard de l'autre, comment faire exister l'autre dans mon regard ?  ".

Seyhmus Dagtekin, Juste un pont sans feu, Le Castor Astral 2018, 10€

Dans un style foisonnant, Dagtekin déploie tout un lyrisme très personnel dans son travail sur le langage poétique " La langue s'éloigne comme une poche qui se vide ". " Je chanterai et m'éloignerai de tout ce qui est langue pour m'approcher du mot que tu n'auras pas à prononcer ". Et par moment, ce lyrisme se mélange à un surréalisme transfiguré que l'auteur revisite à sa façon. " Je sais que tu ne sors pas de mes mots. Que tu n'es pas chargée que de mes minuscules. Que tes doigts ne sont pas tirés que par mes majuscules/Pas de pointillés. Pas de lignes/Que le vert de tes yeux/Mais je suis tombé dans le suaire de mes becs/Bon repas/Bon trépas/Entre chien et louve/Elle s'y terre et y démasque ses oreilles/Par des trèfles à quatre feuilles/Elle y perce la mâchoire des sédentaires ".

On trouve également dans ce recueil un peu de mélancolie "A défaut de douceur, ne nous restera-t-il que mélancolie ? ". " Bien sûr, l'on tient la main de l'autre pour éviter de trouver la sienne dans le vide. Pour ne pas ouvrir un cimetière à côté d'un lit. Parce qu'à chacun ses hantises, à chacun ses cauchemars qui lui dévorent le jour. " Une forme d'inquiétude face à l'avenir " Sait-on de quelle tare surgira l'avenir ? ". Et puis aussi une belle invitation à l'intégration dans notre pays : " Vas-y, bouge-toi dans ce pays des clos/Face à la variété de tes douleurs/Qui passent  sous les ponts bordant les collines/Boisées d'arbres et de couleurs/Vas-y boulange ta pâte/Boulange ton pays d'orangers avec ce pays de collines  ".

Cette réédition, onze ans plus tard, prouve que le talent de Dagtekin récompensé par les prix Mallarmé et Théophile Gautier s'est confirmé. Quel que soit votre chemin, empruntez ce pont sans feu, allez vers le style de cet auteur kurde qui mélange à merveille sa double culture.

Le portail dans les ronces de Roland Reutenauer

Quant à Roland Reutenauer, il publie Le portail dans les ronces chez Rougerie (lui aussi une belle fidélité à noter) .

Cet ouvrage, avec la lucidité liée à l'âge " avec ses années nombreuses ", est comme un chemin vers " le portail dans les ronces ". Cette mort, ce seuil à franchir, ce " pont fatidique ", quand il s'agit "de poser/ses lèvres une dernière fois/sur la paupière du jour ". Reutenauer est attentif aux moindres détails qui lui parviennent du monde (les avis de décès ou la profanation de tombes juives) mais aussi de la nature " Coupé une branche basse du bouleau/la sève tombe goutte à goutte/et scintille au soleil de mars // il applique un pansement sur le moignon/car toute la sève il faudra/pour faire les feuilles une nouvelle fois // on ne pourra pas dire/qu'il a attenté à la vie de son bouleau ".

 

Roland Reutenauer, Le Portail dans les ronces, Rougerie 2018, 12€

Un chemin de vie donc, au contact de la nature et des mots pour dire la vie et la nature, avec pour l'accompagner les mots de Goethe, Héraclite, Mallarmé, Rutebeuf, Trakl. Toujours motivé par l'invention du langage " Il se sent pressé/d'écrire encore quelques motssans les obscurcir // de la langue apprise/il voudrait garder les premiers/qui conjuguent le mieux/présence et perte".  "Il trébuche sur les poncif/et les vieilles phrases/à l'approche du grand portail // il tient à hisser du profond/une parole de son âge/c'est comme si le jamais entendu/le jamais lu dédaignaient de s'immiscer ".

Reutenauer, même s'il n'utilise pas le je et privilégie la troisième personne, " déroule le fil de son enfance " et revoit ses grands-parents. " Le soir, il trie quelques souvenirs/et s'ils n'en garde que les plaisants/les autres dévastent sa nuit ". " Il souhaite fort la paix intérieure/il la sait hors d'atteinte ".

Son portail dans les ronces reste toujours ouvert à l'émotion et la nostalgie " Jusqu'à la dernière goutte / il pressera la nostalgie // il relève la tête et voudrait s'engager/léger les poches vides sur le sentier des chèvres/qui mène à l'herbe courte aux rares fleurs/avant de s'effacer dans le bleu et le froid ".

La poésie comme pont par-dessus les ronces. Lisez ces trois auteurs.

 




Yannick Torlini, Bernard Desportes, Carole Carcillo Mesrobian

Yannick Torlini – Ce n’est rien

Le dernier ouvrage de Yannick Torlini est présenté comme un récit-poème sur le site des éditions TARMAC. Pas étonnant quand on sait que cet auteur n'aime pas parler de poésie, mais plutôt de textes, qu'il écrit des textes, qu'il explore la langue avec des textes et non des poèmes.

La langue donc, l' "ambiguïté de la langue". Depuis La malangue son premier recueil en 2012, ce travail sur la langue est une préoccupation constante chez Yannick Torlini. Par une succession de courtes strophes, comme des tweets, par des répétitions comme rebondissantes, il cherche sa propre langue, la place de la langue dans le temps présent, sa propre voie dans la langue.

 

 il y a une angoisse d'être de ce monde. d'être dans cette langue qui pense faire monde. / cette langue qui repose. sur l'obstination du sens. Sur le sol accumulé par le sens. strates après strates, pierres après pierres."

"Dans la langue il y a une autre langue qui creuse, gratte et crie. dans la voix un million de voix autres. m'adressent. me tarissent."

Yannick Torlini, Ce n'est rien,
TARMAC éditions, 2018, 52p, 10€

Yannick Torlini choisit la scansion pour dire et proférer le corps et le temps. Ses textes courts s'enchaînent et se succèdent dans un rythme et un style très rapide, comme autant de pas dans cette course contre le souffle qu'est le temps. Une course ponctuée sans majuscules. Mais à quoi servent les majuscules dans la déclamation?

Torlini interroge aussi bien sûr le temps qui passe "que tout poursuive. que tout s'érode. que les os tiennent la chair encore poursuivent que la chair tienne poursuive ici. / que les matins se succèdent lumière lente, sur la table, sur le bureau, sur tout ce qui porte le désastre lumière lente que tout poursuive."

Désastre et ruine du temps qui file "que les bouches poursuivent. que les cheveux tombent. que les ronces rampent. que la limite évite la lumière évide. que chaque abri chaque édifice crie la ruine." Comme un ravin invisible ou chacun vient à tomber "quelque chose du temps et des jours. quelque chose des ravins et des ronces. quelque chose sans mémoire et sans traces. / quelque chose quelque chose qui ne s'entend pas. ne se sent pas. ne se touche pas."

Mais Torlini n'est pas coupé du monde et de ses soucis : "j'écris pour le reste. pour la pluie et les terreurs liquides. pour les grillons qui tiennent encore les saisons debout, terre craquelée, sèche, puis glaise, meuble et molle." Et modeste face aux enjeux du monde et de son avenir "nous essayons d'être".

Cet ouvrage, ce n'est rien qu'un peu de poésie sans doute, mais cela fait du bien. Et dans ce rien il y a presque tout.

Bernard Desportes, Le Cri muet

 

Alain Gorius et sa maison d'édition Al Manar ont l'habitude de nous gratifier de livres d'artistes de grande qualité mais Le Cri muet  de Bernard Desportes vient ajouter de l'émotion à l'esthétisme.

Bernard Desportes est mort le 20 mars 2018, le cri muet est son dernier ouvrage publié quelques semaines avant sa disparition. Ce dernier cri est une sorte d'autobiographie, bilan d'une vie d'écrivain "serai-je allé plus loin / qu'au seuil / de moi-même ?" , traversant vingt cinq ans de poèmes, proses, essais, lettres de 1991 à 2016. Livre hommage, organisé par l'auteur lui-même, qui restera donc comme un témoin "ma vie / plus loin que moi", de ce que fut son talent.

Quand, pour un poème, Desportes choisit comme exergue cette citation d'Henry Vaughan : "et respire, toi, dans l'âcre monde / pour dire ce que je fus." c'est pour décrire cet âcre monde qu'il dépeint au travers de ce choix de textes en bleu, blanc et noir.

Le noir tout d'abord, avec le frontispice de Gilles du Bouchet qui vient bien résumer ce livre toujours sous-tendu de noir et de gris. Mais un noir noble, le noir universel qui touche chacun de nous en nos propres tourments. Il y a quelques années, Anish Kapoor s'est approprié la couleur noire la plus intense, au point d'en devenir propriétaire. Il s'agit ici pour Bernard Desportes, au contraire, de partager ses zones d'ombres pour que son cri, bien que muet, fasse écho en nous.

Le noir d'une vie de solitude et de nuit : "espoir et désespoir sont même cendres / même absence / dans l'immobilité des heures / même errance dans le néant du jour". Une vie dans l'urgence d'écrire :  "j'écris / comme on se sauve / mes jambes à mon cou", écrire en particulier son lien avec la terre "est-ce ton pays / ce pays / qui t'écartèle ?" et le monde à découvrir "je ne suis pas en deçà de la route que je suis", "un écho bruissant du monde déposé dans la matière brute, la pierre, le caillou, le grain de sable, la poussière."

Bernard Desportes, Le Cri muet,
Al Manar, 2018, 88p,18€

Se sachant malade, Desportes se confronte aussi à la mort "j'ai laissé la route / se défaire / de mes pas" avec au bilan "tout ne fut pas vain dans ce désastre / il nous reste des mots des rêves". Ouvrage-leg que ce cri, "une déchirure qui est la matière des mots".

Mais le noir n'est pas la seule couleur de cet ouvrage. Le blanc neige des "jours évidés"  y occupe aussi une bonne place. Le blanc de la page, dans l'amitié d'André du Bouchet "en amont du mot / sur la page vierge". En filigrane aussi René Char en son Isle.

Mais la couleur Desportes la côtoie aussi dans son compagnonnage avec des artistes comme Katuchevski.  Et son recueil fait aussi bonne place au bleu lumineux de quelques détours au soleil de Provence, des Cévennes ou de Tanger, pays de ciels, de vents et de pierre.

Bien entendu, ce Cri muet, d'un noir multicolore, n'est qu'un fragment de la vie de Desportes mais "ce dont on ne peut parler / reste seul à dire" mais aussi "ce qui n'est pas dit / demeure en mémoire dans le ciel".

Que Bernard Desportes trouve sa demeure en nos mémoires.

 

Carole Carcillo Mesrobian, Aperture du silence

Pour Carole Carcillo Mesrobian, "écrire c'est tenter de saisir un instant, une seconde, l'aperture d'un univers enclos dans le silence." Et cette aperture est le maître mot de son dernier ouvrage, publié chez PhB éditions. Car il ne s'agit pas simplement d'une simple ouverture mais aussi en linguistique, l’ouverture du canal buccal au point d’articulation d’un phonème. Et que prononce le silence sinon le chant inaudible du monde végétal? C'est en tout cas ce que laisse suggérer l'incipit de cet ouvrage : "J'irai tu le savais porter le chant des arbres / Aux fenêtres du ciel"

Et au-delà du végétal, Carole Carcillo Mesrobian, dans un style mêlant abstraction, surréalisme, regorgeant d'images, passe en revue toutes les vies silencieuses qui ont tant à exprimer : le feu "J'irai tordre le feu pour verser sa chaleur au seuil de tes hivers". Les larmes "Nos corps ne plus / Comme un chien qui s'ébroue pleut des larmes perdues". Les saisons "Sous le sillon des apertures se dépenaillent les étés / Et rime autant que la clôture l'entêtement de respirer". La solitude "La nuit jamais ne s'apprivoise [...] La solitude est son habit [...] ". Les ombres "Mais la vie ne mesure l'espace de nos rêves qu'à l'empan de nos ombres". La poussière "Et encenser la poussière / Pour ce qu'elle offre au sablier / D'éternité"

Carole Carcillo Mesrobian, Aperture du silence,
PhB éditions 2018,58 p, 10€

Mais aussi "Il y a le bleuté d'un bruit de papillon", image qui, en ce qu'elle évoque en trois dimensions : couleur, son et mouvement, est sans doute encore plus belle que la terre orange d'Eluard.

Le style de Carole Carcillo Mesrobian interroge notre façon de percevoir la poésie, dans une liberté qui peut dérouter un lecteur peu habitué à la poésie contemporaine, mais qui garde l'enfance comme source. "Je porte manteau de vieillesse et parole de nouveau-né."  Tout en restant exigeante et originale dans son appel à l'imaginaire du lecteur.

Elle qui cherche à "Écrire contre le langage, contre soi-même, contre toute possibilité de dire, de vouloir dire, d'énoncer" garde à l'esprit que "Ecrire, c'est répandre un sang vaniteux sur une vacuité irréductible."

 




Bernard Desportes, Le Cri muet

Alain Gorius et sa maison d'édition Al Manar ont l'habitude de nous gratifier de livres d'artistes de grande qualité mais Le Cri muetde Bernard Desportes vient ajouter de l'émotion à l'esthétisme.

Bernard Desportes est mort le 20 mars 2018, le cri muet est son dernier ouvrage publié quelques semaines avant sa disparition. Ce dernier cri est une sorte d'autobiographie, bilan d'une vie d'écrivain "serai-je allé plus loin / qu'au seuil / de moi-même? " , traversant vingt cinq ans de poèmes, proses, essais, lettres de 1991 à 2016. Livre hommage, organisé par l'auteur lui-même, qui restera donc comme un témoin "ma vie / plus loin que moi ", de ce que fut son talent.

Quand, pour un poème, Desportes choisit comme exergue cette citation d'Henry Vaughan : "et respire, toi, dans l'âcre monde / pour dire ce que je fus." c'est pour décrire cet âcre monde qu'il dépeint au travers de ce choix de textes en bleu, blanc et noir.

 

Bernard Desportes, Le Cri muet,
Al Manar, 2018, 88p,, 18€

Le noir tout d'abord, avec le frontispice de Gilles du Bouchet qui vient bien résumer ce livre toujours sous-tendu de noir et de gris. Mais un noir noble, le noir universel qui touche chacun de nous en nos propres tourments. Il y a quelques années, Anish Kapoor s'est approprié la couleur noire la plus intense, au point d'en devenir propriétaire. Il s'agit ici pour Bernard Desportes, au contraire, de partager ses zones d'ombres pour que son cri, bien que muet, fasse écho en nous.

Le noir d'une vie de solitude et de nuit : " espoir et désespoir sont même cendres / même absence / dans l'immobilité des heures / même errance dans le néant du jour ". Une vie dans l'urgence d'écrire :  " j'écris / comme on se sauve / mes jambes à mon cou", écrire en particulier son lien avec la terre "est-ce ton pays / ce pays / qui t'écartèle? " et le monde à découvrir " je ne suis pas en deçà de la route que je suis ", " un écho bruissant du monde déposé dans la matière brute, la pierre, le caillou, le grain de sable, la poussière."

Se sachant malade, Desportes se confronte aussi à la mort " j'ai laissé la route / se défaire / de mes pas " avec au bilan " tout ne fut pas vain dans ce désastre / il nous reste des mots des rêves ". Ouvrage-leg que ce cri, " une déchirure qui est la matière des mots ".

Mais le noir n'est pas la seule couleur de cet ouvrage. Le blanc neige des " jours évidés "  y occupe aussi une bonne place. Le blanc de la page, dans l'amitié d'André du Bouchet " en amont du mot / sur la page vierge ". En filigrane aussi René Char en son Isle. Mais la couleur Desportes la côtoie aussi dans son compagnonnage avec des artistes comme Katuchevski.  Et son recueil fait aussi bonne place au bleu lumineux de quelques détours au soleil de Provence, des Cévennes ou de Tanger, pays de ciels, de vents et de pierre.

Bien entendu, ce Cri muet, d'un noir multicolore, n'est qu'un fragment de la vie de Desportes mais "ce dont on ne peut parler / reste seul à dire " mais aussi "ce qui n'est pas dit / demeure en mémoire dans le ciel ".

Que Bernard Desportes trouve sa demeure en nos mémoires.




Lionel Bourg, Un oiseleur, Charles Morice

Avec ce nouvel ouvrage, publié par Le Réalgar, Lionel Bourg nous conte l'histoire de Charles Morice, écrivain oublié, compagnon de route des deux Paul (Gauguin et Verlaine), comme s'il nous racontait une histoire. Une histoire d'un homme certes, mais aussi et surtout l'histoire d'une époque : l'après Commune à la fin du 19ème siècle "A Montmartre, la Commune n'est plus qu'une poignée de cerises écrasées sous la botte versaillaise." avec ses drôles d'oiseaux libertaires et ses merles moqueurs...

Lionel Bourg, Un oiseleur, Charles Morice, Le Réalgar, 2018, 40 p., 5€.

 

Et toujours le style gourmand de Lionel Bourg pour si bien décrire la société de l'époque : "Rubiconds, le gilet boutonné sur une proéminence abdominale proportionnelle à d'augustes coups de fourchette, le boîtier de montre dûment astiqué, les bourrelets au chaud sous un solide bandage herniaire et, le ridicule ne tue pas, le pantalon tire-bouchonnant sur des bottines vernies, huissiers, soyeux, ingénieurs, avocats, clercs et hauts fonctionnaires s'y gargarisaient de thèses paternalistes ou d'alexandrins affligés d'arthrose avant de batifoler au bordel."

Lui aussi poète maudit sans doute, "Charles Morice, d'emblée, sut reconnaître le génie de Camille Claudel et, l'un des premiers, regarder les toiles de Pablo Picasso. Qu'à cela ne tienne ! La vie n'est pas accommodante. Démuni, les poches vides, réduit aux expédients d'articles destinés à des revues indignes de son talent, il fréquenta d'assez près l'indigence ". Pourtant, si l'on en croit Anatole France, Morice était promis pourtant à un bel avenir...

Ce livre parle aussi de la fragilité de la reconnaissance pour les écrivains facilement oubliés : qui connaît aujourd'hui Charles Morice, pourtant théoricien du symbolisme, Francis Poictevin, Felix Fénéon, Laurent Tailhade? Les frères Goncourt sont-t-ils encore lus de nos jours? Les poètes ne sont-ils pas encore de nos jours, pour la plupart des poètes maudits?

Après avoir lu cet ouvrage, je me suis replongé dans le site Gallica pour découvrir les deux ouvrages de poésie de Charles Morice : Quincaille et Le rideau pourpre. Quand la lecture mène à la lecture... Et quand internet permet de faire revenir les mots oubliés...

 




Claude Ber, Titan-bonsaï et l’extrêmophile de la langue

Claude Ber aime à croiser les itinéraires et quand, en décembre 2015, il lui a été proposé de venir en résidence de création dans un laboratoire scientifique, elle n'a pas hésité. Elle rencontra alors Nathalie Carrasco, chimiste et professeure en chimie atmosphérique au laboratoire atmosphère, milieux, et observations spatiales (LATMOS) à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, spécialisée dans l’étude de l’atmosphère de Titan, un des satellites de Saturne.

Claude Ber, Titan-bonsaï et l’extrêmophile de la langue, éditions Les Lieux Dits, 80p, 18€

Ce projet fut en fait une triple rencontre puisque la photographe Adrienne Arth s’est jointe à elles, pour ajouter son regard aux mots de l’écrivaine.

Cette rencontre entre une poète, une photographe et une scientifique se fit autour d'une planète recréée en laboratoire pour chercher l'origine de l'apparition de la forme la plus infime de la vie : les extrêmophiles. Un Titan minuscule (d'où le Titan-bonsaï du titre).

Claude Ber, dans ce laboratoire, se sent un peu perdue à la fois par l'immensité des distances de l'espace et l'immensité des savoirs de cette langue de science si loin de celle de poésie :

Elle écrit : [...] La propagation d'incertitude par simulation Monte Carlo permet de quantifier ces incertitudes pour des systèmes complexes, même présentant des non-linéarités.

Je ne comprend plus vraiment

- car ce n'est pas comprendre que vaguement comprendre-
Incertitude est à prendre à la lettre

Elle prend des fragments de note, elle écrit des poèmes, un conte même autour de ce Titan-Bonzaï et cet extrêmophile de la langue qu'est le poème. Avec en filigrane de nombreuses réflexions sur le monde actuel, si peu enclin à approfondir la réflexion (science et poésie contemporaine unis dans "le plaisir du pourquoi"), pour ne suivre que les péripéties de l'actualité et ses faits divers parfois dramatiques ("antidote de l'opinion que sont sciences et poésie").

Bien entendu, Claude Ber cherche aussi des similitudes entre ces deux disciplines :

Même rigueur à la science du poème et au récit de la science. Aux deux embouts on visse à la virgule et à la décimale, au chiffre et à la lettre. Dans la vigilance à ce que ramène le filet et à ce qui toujours s'en échappe.

Le poème aussi est réacteur, mais pas d'acier inoxydable.

Oxydé oxydant plutôt.

Et la science qu'est-elle à l'étalon du poème?

Science et poésie peuvent aussi donner naissance à un conte, où Claude Ber analyse le reproche d'hermétisme fait souvent à la fois à la science et à la poésie contemporaine :

Titan-bonzaï confie à l'Extrémophile rencontrer quelquefois les obstacles du préjugé ou de l'obscurantisme. Se voir de temps à autre, isolé au désert d'une raison froide, péremptoire et dénuée d'imaginaire. Être assailli par des incessants "Tu sers à quoi?" qui le feraient virer au rouge quitte à transgresser les lois physico-chimiques de son existence. [...] 

L'Extrémophile, de son côté, lui avoue être cycliquement relégué dans la cage des hurluberlus allumés, considéré comme un insignifiant rêveur cantonné à la babiole et à la niaiserie sentimentale ou, au contraire, accusé d'être hermétique.

S'il est évident que le point commun entre le poète et le scientifique est la tentative permanente d'expliquer l'inexplicable, de décrire le monde avec les outils de l'abstraction, Claude Ber et Nathalie Carrasco se jouent des doubles sens de leur spécialité, entremêlent leur curiosité dans un échange fécond entre l'ici du langage et le lointain sidéral. Le résultat est ce recueil de songes poézientiques qui explore une autre face de la poésie, plus exigeante et moins convenue, plus intéressante donc.

 

 

 

 

 

 




Perrine Le Querrec, Ruines

C'est une poésie noire, un drame poétique que nous propose Perrine Le Querrec, avec Ruines, publié aux éditions Tinbad. Une poésie dérangeante, fouillant le glauque, le sordide d'une vie de souffrance et de la relation de folie amoureuse et créatrice entre Unica Zürn et Hans Bellmer.

Unica Zürn était une artiste et écrivaine d'origine allemande, née en 1916 et proche des surréalistes français. A partir de 1953, elle entame à Paris une relation destructrice avec le plasticien Hans Bellmer. C'est cette relation, étudiée à partir de leur correspondance, que Perrine Le Querrec intitule Ruines.

Voici ce que dit l'auteure dans sa note d'intention : "J'écris par la voix d'Unica. Je pose des mots, les reprends, les soustraie au regard lorsqu'elle s'enfonce dans l'obscur de la psychose, lorsque les traitements oblitèrent son langage. J'écris concis, portée par la fragilité d'Unica, forcée par le respect de ces personnalités balayées par de trop grands vents." Il ne s'agit donc pas d'une biographie et dans sa postface Manuel Anceau résume très bien cette écriture : "Le Querrec écrit avec les ongles longs de qui laisse pousser au bout de ses doigts cet accent de vérité qu'on voudrait parfois limer, ne pas entendre, mais qu'intraitable notre écrivain fait si souvent crisser sur ce qui est moins une marge qu'un mur".

 

Perrine Le Querrec, Ruines, Tinbad poésie, 2017, 64p, 12€

Perrine Le Querrec, Ruines, Tinbad poésie, 2017, 64p, 12€

La mise en page de cet ouvrage colle parfaitement aux fragilités psychologiques d'Unica, mais aussi sans doute aussi à celle de Hans Bellmer faite de passion perverse et de violence morale. Mais il n'y a ici aucun jugement, juste la volonté d'explorer une folie créatrice entre deux artistes.
C'est le fait de fouiller dans le sordide de cette relation de passion destructrice qui dérange  "Les racines du mal qui / soulèvent Unica, la fendent, !a ruinent." Mais le poète est là aussi pour explorer les abîmes "Chacun a sa lisière, l'abîme au bord du cœur." Aimer à la folie, ce n'est pas qu'un pétale de marguerite, c'est aussi une pierre tombale au Père




Sophie G. Lucas, Moujik moujik suivi de Notown

Les éditions La Contre Allée ont la bonne idée de rééditer en un seul volume les recueils de Sophie G.Lucas Moujik moujik diffusé en 2010 et Notown sorti lui en 2013. Entre poésie et documentaire d’indignation, l’auteure nantaise a choisi de poser ses mots au ras du sol dans les villes, là où le regard ne porte pas, et où vivent de nombreux sans abri. Avec tout d’abord nos SDF français et puis la descente irrémédiable d’une ancienne ville phare des USA : Détroit, dite Notown.

Quand la poésie naît d’une colère et d’une impuissance. Quand la poésie décrit aussi notre monde tel qu’il se montre, noir, impersonnel, impitoyable pour les faibles. Quand la poésie dénonce notre passivité devant les morts de froid dans la rue chaque hiver. Quand la poésie donne la parole aux petits, les nouveaux moujiks ou nouveaux serfs (les jeunes savent-ils encore la signification de ces mots?) du seigneur Libéralisme, tout en bas de l’échelle sociale, sur qui l’on marche au sens figuré sans les voir. Ces compagnons de la manche qui, à force d’indifférence des passants, ont « perdu le goût des gens » et que le moindre détail de la vie quotidienne fait rêver :

 

 

Sophie G. LUCAS, Moujik moujik suivi de Notown, La Contre Allée, 2017, 176 p., 18€ ; 

 Je donnerais n’importe quoi
pour entendre de nouveau
une chaise grincer sur un carrelage
L’effet que ça fait d’ouvrir une fenêtre

Un livre pour cafter la misère et redonner noblesse aux sans-logis qui dorment dans des cabanes, des recoins, des bâches ou des cartons. Ils auront été plus de 500 à en mourir en 2016. Vous rendez-vous compte, 500 décès sans le moindre bruit médiatique...

   ça s’effondre un hom
me
dans le Bois
ça
ne fait pas de bruit
dans les feuilles 

Les mairies font couper les arbres, raser les terrains vagues, comme si elles voulaient déloger des rats. Faire fuir les indésirables. Ceux qu’on n’aime pas voir. Pas étonnant que certains perdent le nord, se mettent à boire « tout s’en va / de moi ». Certains travaillent, mais pas assez pour avoir un salaire décent, alors on se débrouille alors que les institutions essayent maladroitement de rassurer. Nombreux sont ceux qui ne se plaignent pas d’être pauvres, juste de se sentir devenir inutiles.

Je regarde mes mains
Est-ce qu’il y a un homme dessous

Ces pauvres revenus de toutes les belles promesses des hommes politiques plus soucieux de leur couverture médiatique que de la couverture sociale que certains souhaiteraient même détricoter. Ces pauvres ne possédant plus rien que quelques sacs de supermarché pour transporter un peu de linge pour rester digne.

Moujik moujik en soliloques du pauvre, référence à l’exergue de Jehan-Rictus. Portraits au Bois à la première personne avec les vers coupés pour signifier l’absence de perspective et l’hésitation dans la parole, documentaires d’instants à la troisième personne avec précisions entre parenthèses, poèmes en je, poèmes en Lui, le père vagabond mort, qu’il faut bien habiller avant la cérémonie. Poèmes-explorations de la pauvreté, de l’âme humaine qui reste encore en veille quand il n’y a plus rien.

Puis départ pour Detroit, symbole de l’effondrement de l’économie, ville mise en faillite en 2013 et qui peine à panser ses plaies. Sophie G. Lucas nous propose un collage documentaire à partir d’extraits d’interviews TV, d’émissions de radio etc. Ville sinistrée, quand même les SDF sont partis. Exploration de ces états unis des villes fantômes, bien après la ruée vers l’or.  Là où “plus de soixante mille maisons ont été saisies” et bon nombre ont été incendiées pour ne pas engraisser les vautours. Làl'espoir disparaît comme un reflet dans le ciel nuageux, là où même “le soleil finit par puer”. Une autre vision du rêve américain...

Et comme conclusion de ces deux chapitres, rappeler que ce monde est le nôtre, que le poète nous aide à réfléchir à notre propre conduite “à quel moment tout ça nous a échappé”.




Lionel Bourg, Watching the river flow

Bob Dylan est un prisme, le prisme de toute une génération. Et Lionel Bourg, avec Watching the river flow, aux éditions La Passe du Vent, a choisi de se retourner sur sa propre vie à travers ce prisme Dylan. A noter que ce livre a été écrit bien avant la remise du prix Nobel 2016.

Lionel Bourg aime à revenir sur son itinéraire. Les années 60-70 avec son inventivité, une forme de liberté nouvelle.  C'est le virage d'une adolescence provinciale et modeste autour de Saint-Etienne, après la découverte de la Beat Generation, du rock, et des mouvements contestataires. Les temps changeaient et Lionel Bourg en témoin direct, a su conserver tous ses souvenirs intacts pour nous montrer dans cet ouvrage la construction petit à petit, au fil de lectures et de musique, d'une conscience littéraire abreuvée à de nombreuses sources françaises ou américaines (le fameux rêve américain). "Bob montrait le chemin. Je devais mettre les pas dans les siens." mais aussi dans les semelles de vent de Rimbaud. "le monde me tirait par la manche" pour prendre la route de Kerouac ou remonter "le Guadalquivir - le Missouri, le Rio Grande -" .

 

Lionel BOURG, Watching the river flow, éditions La Passe du Vent, 2017, 144p, 13€.

Lionel BOURG, Watching the river flow, éditions La Passe du Vent, 2017, 144p, 13€.

Des émois et états d'âme de l'adolescent aux prises de position de l'écrivain prolixe qu'il est devenu, il n'y a que quelques chansons, quelques films, quelques poèmes. Car c'est aussi cela (et peut-être surtout) qui construit un homme. A travers la jeunesse de Lionel Bourg, avec ses rêves, ses joies et ses drames, ce livre est aussi un témoignage sur ce que furent ces années vues de province chez un adolescent épris de littérature et de rock 'n roll. Même si les USA ne font plus autant rêver.

Une vie loin du Mississippi, mais auprès de "la Durèze, le Gier, le Rhône, la Saône, la Loire, le Lignon, l'Yonne, le Furan, le Dorlay, la Gampille". Une vie dans l'exigence du beau verbe avec comme toujours un style tout en ciselures.

Un livre que toute une génération devrait acheter, et bien au-delà tous ceux qui voudraient parfaire leurs connaissances sur cette période ou tout simplement tout ceux qui aiment la littérature et le rock.