1

Six poèmes de Nina Kossman (Etats-Unis)

Nina Kossman a quitté l’Union soviétique enfant, avec ses parents et son frère, en 1972, pendant les années Brejnev. A cette époque, la décision d’émigrer était très risquée, l’Union soviétique étant un pays verrouillé. Il fallait obtenir du gouvernement une autorisation spéciale de sortie du territoire, autorisation rarement accordée.

Ceux qui faisaient une demande d’émigration prenaient un grand risque car en cas de refus ils s’exposaient à être privés d’emploi et s’ils étaient au chômage, ils pouvaient être arrêtés pour cette raison – même qu’ils ne travaillaient pas. Ils étaient alors tenus coupables de ce que le régime communiste a appelé « parasitisme social ». Les parents de Nina Kossman ont eu la chance d’obtenir l’autorisation d’émigrer en Israël, seul pays accessible aux Juifs d’Union soviétiqueen ce temps-là. Ils sont restés un an en Israël puis ont choisi de s’installer aux Etats - Unis. Nina a écrit plusieurs nouvelles ayant pour thème son immigration, expérience concrètement fondatrice par-delà le trauma et l’inquiétude constitutive, dont trois viennent d’être publiées en anglais.

https://www.litterateurrw.com/magazines/february_21/index.html?fbclid=IwAR18mSo9NrY -XUlTnsyUuQ6l8Mb1IACl9rV2Lql-bcaMzjMEaBzsfxZ8oWw#p=5

Ces nouvelles seront incluses dans un prochain livre, Dictionnaire du 20ème siècle histoire d’une famille ("Dictionary of the 20th Century : Story of a Family"). Elle a aussi publié un livre sur son enfance, Derrière la frontière ("Behind the Border ") qui relate les épreuves et le parcours d’une famille candidate à l’émigration dans l’Union soviétique de Brejnev.

L’expérience de l’émigration et de l’immigration a laissé son empreinte dans la formation intellectuelle, artistique et dans le travail d’écriture de Nina Kossman dont voici cet ensemble de six poèmes1, premiers textes à paraître en français.

∗∗∗∗∗∗

Choix de poèmes

Traduction de l’anglais Isabelle Macor

LA VALLEE DES YEUX FERMES

1

Dans la deuxième décennie du troisième millénaire
Moi, né trois fois de l’arbre de chair
tombé trois fois de ses branches nues,
la masse d’eau diaphane,
rouge de la mer maternelle,
syllabes de mon nom se précipitant pour sauver
tes lèvres
immobilité
air
tes lèvres essaient de former comme mon nom-
« complaintes du vent par-dessus le tas
des os » -
que cela soit mon nom en cette vie :
Le Ciel Se Précipitant à la Rencontre de l’Eau.

 

2

Eau de pierre
colorée par le vent,
ciselée par la lumière tombée de tes paupières :
un instant est tout dans le silence du nouveau-né.
Maintenant prends une cruche,
verses-en de petits échos, à égalité
sur la terre,
sur la forteresse du scorpion,
sur les pierres transparentes,
et sur la flamme inerte à la porte.

 

3

Trempant mes pommettes
dans la substance aveugle,
dans l’eau rafraichissante du oui maternel,
Moi, fleuve de ton corps,
Moi, corde raide de la crainte que ton corps se mette en marche,
je retourne à toi la nuit, sans mouvement,
le jour, la nuit
J’ensevelis mes deux mains dans ta solitude :
les échos
me répondent dans ta vallée des yeux fermés.

 

4

Sel de la terre dans une graine de tournesol,
sel sur les feuilles de l’arbre de la destruction,
sel s’ouvrant et se fermant
comme une fleur,
transparent
labyrinthe que je dois traverser
pour fermer mes paupières avec tes doigts de sommeil
pour ouvrir les tiennes avec mes doigts d’argile et d’eau.

 

5

Dans la deuxième décennie du troisième millénaire,
Moi,
hallucination de flamme sur le visage d’un enfant,
gardien des rêves aériens de l’enfant,
tous ses souffles à présent n’étant qu’un seul souffle,
tous ses mots une phrase sans fin,
Je me divise en lunes parallèles,
Je me déverse dans un bol de sang –
Tu me verras sel de ton corps,
tu m’entendras penser dans tes pensées…
Quand je t’offre une face de la lune, tu sais :
Mon visage est le visage dévoré
Par des années de maladie et de faim,
Le visage d’un enfant qui est mort
Il y a cinquante ans.

 

∗∗∗

I am Persephone. Only flowers here still recall the dead, Nina Kossman.

 

La main gauche de l’obscurité est lumière qui recule.
L’absolu est l’odeur en fuite d’une pluie antique.
La bouche que l’on baise n’est pas la bouche sur laquelle on mise son destin.
Regarde : la vibration de la lumière est fraîche brise des jours à venir.

La rive du détachement est loin des algues dormantes.
Les poings sont ouverts pour lâcher prise sous la caresse de l’air.
Rien n’est moins nôtre que les cendres emportées par le vent.
Regarde : le soleil et le corps s’élancent tous deux vers la lumière.

La veille est le rêve familier de la face sèche de la toile.
La veille : l’attente ainsi comblée par les ondulations de la lumière,
elle ne connaît plus la frontière entre le mot et le silence
et la traverse calme comme un nageur fend une vague hypothétique.

∗∗∗

A Child Dreams of a Bright Future, Nina Kossman.

 

PSYCHE A EROS

Je te t’exhorte mais tu es endormi.
Je t’éveille mais tu n’entends pas.
Ton souffle de dormeur se déploie d’ici à là-bas
En un arc majestueux jeté par-dessus les rives.
Quand je suis près de toi, je suis près d’un océan :
des voix, comme des vagues, se brisent à l'oreille
de l’Esprit qui semble seulement endormi.
L’intelligence du sommeil que tu m’as donnée,
la vertu d’une pensée issue
                 d’une paix plus profonde,
de sous la statique qui plisse la surface.
Pour apaiser la surface, je t’exhorte.

 

∗∗∗

DAPHNE PARLE

Je me ferai pousser de discrètes feuilles
dans le silence difficile de la chasteté.

Je me cacherai dans l’immense anonymat
bien que chaque arbre lui murmure mon nom.

Je suis le lit de feuilles qu’il ne pourra jamais brûler
pas même avec ses yeux de feu.

Je suis le visage nu de la fleur ; une croix.
Il ne peut s’échapper en m’atteignant.

Le dieu et le dessein ; l’amant et l’aimé ;
la poursuite et la fuite, entremêlés.

Bien que dieu, il mourra dans les profondeurs de mon écorce.
Je ferai briller sa face sur mes feuilles.

Chaque aigle aura ses paupières.
Chaque événement – sa vitesse.

Chacun des mille soleils
me poursuivra comme il a chassé.

Chacun des symboles du silence
apprendra son nom que je refuse de porter.

Je suis lui : le soleil, son bol immense
déversant les soi comme d’une fontaine de chasteté.

Il est moi : le chant persistant en fuite,
le soleil me poursuivant à jamais.

∗∗∗

He Who Holds His Head in His Hands, Nina Kossman.

 

INCANTATION

Sois en moi tel un chant silencieux
      qui ne cesse jamais, et non
comme sont les paroles prononcées –
      arrogantes et braillardes.
Cache-moi dans une langue sans artifice
      de vérités qui dorment
dans un esprit non dispersé.
      Laisse le non-dit nous faire un bouclier
parmi les phrases clinquantes.
      Rochers empoisonnés du silence,
Gardez-nous.

∗∗∗

The Soon To Be Extinct, Nina Kossman.

Refroidi par la neige,
trempé de pluie,
irrité par l’immobilité
comme si c’était un crime,
les yeux mi-clos,
les mains séparant
les anémones des asphodèles,
tige par tige, 
pétale par pétale...
Et n’oublie pas la petite-herbe-de l’eau,
comment elle s’est nourrie de l’asphodèle,
fleur des morts,
symbole de la mémoire,
et ce bref éclat du soleil
dans la vallée des morts-à-venir,
tandis que tes mains douloureuses
continuent de séparer
le pétale de la tige,
l’oubli de la mémoire
dans la tombe des dieux
qui ne règnent plus sur nous

                             ***

J’ai enfin trouvé une cité
dans laquelle ma mère vit encore.
Vieille, mais vivante,
vieille, mais marchant
toute la nuit dans mon sommeil.

 

Translator Nina Kossman reads from her translations of Marina Tsvetaeva, one of the greatest Russian poets of the last century.

Présentation de l’auteur

Nina Kossman

Nina Kossman, née à Moscou, est un écrivain bilingue anglais-russe, poète, peintre et dramaturge. Ses peintures ont été exposées à New York et à Philadelphie. Parmi ses travaux publiés figurent trois recueils de poèmes en russe et en anglais, deux volumes de traductions de poèmes de Marina Tsvetaïeva, deux recueils de nouvelles, une anthologie qu’elle a composée et fait paraître aux Presses universitaires d’Oxford (Oxford University Press) et un roman. Certains de ses ouvrages ont été traduits en grec, japonais, hébreu, espagnol, persan et danois. Lauréate de nombreux prix, elle vit à New York. La poésie de Nina Kossman est marquée par l'expérience de l'exil tout en étant ancrée dans les fondements de la culture classique par sa référence constante à la mythologie grecque qui tisse avec le présent de nouvelles représentations des territoires de l’homme. Elle donne à entendre une voix de la modernité, inscrite dans l'historicité.

Poèmes choisis

Autres lectures

Six poèmes de Nina Kossman (Etats-Unis)

Nina Kossman a quitté l’Union soviétique enfant, avec ses parents et son frère, en 1972, pendant les années Brejnev. A cette époque, la décision d’émigrer était très risquée, l’Union soviétique étant un pays [...]

Six poèmes de Nina Kossman (Etats-Unis)

Nina Kossman a quitté l’Union soviétique enfant, avec ses parents et son frère, en 1972, pendant les années Brejnev. A cette époque, la décision d’émigrer était très risquée, l’Union soviétique étant un pays [...]




Six poèmes de Nina Kossman (Etats-Unis)

Nina Kossman a quitté l’Union soviétique enfant, avec ses parents et son frère, en 1972, pendant les années Brejnev. A cette époque, la décision d’émigrer était très risquée, l’Union soviétique étant un pays verrouillé. Il fallait obtenir du gouvernement une autorisation spéciale de sortie du territoire, autorisation rarement accordée.

Ceux qui faisaient une demande d’émigration prenaient un grand risque car en cas de refus ils s’exposaient à être privés d’emploi et s’ils étaient au chômage, ils pouvaient être arrêtés pour cette raison – même qu’ils ne travaillaient pas. Ils étaient alors tenus coupables de ce que le régime communiste a appelé « parasitisme social ». Les parents de Nina Kossman ont eu la chance d’obtenir l’autorisation d’émigrer en Israël, seul pays accessible aux Juifs d’Union soviétiqueen ce temps-là. Ils sont restés un an en Israël puis ont choisi de s’installer aux Etats - Unis. Nina a écrit plusieurs nouvelles ayant pour thème son immigration, expérience concrètement fondatrice par-delà le trauma et l’inquiétude constitutive, dont trois viennent d’être publiées en anglais.

https://www.litterateurrw.com/magazines/february_21/index.html?fbclid=IwAR18mSo9NrY -XUlTnsyUuQ6l8Mb1IACl9rV2Lql-bcaMzjMEaBzsfxZ8oWw#p=5

Ces nouvelles seront incluses dans un prochain livre, Dictionnaire du 20ème siècle histoire d’une famille ("Dictionary of the 20th Century : Story of a Family"). Elle a aussi publié un livre sur son enfance, Derrière la frontière ("Behind the Border ") qui relate les épreuves et le parcours d’une famille candidate à l’émigration dans l’Union soviétique de Brejnev.

L’expérience de l’émigration et de l’immigration a laissé son empreinte dans la formation intellectuelle, artistique et dans le travail d’écriture de Nina Kossman dont voici cet ensemble de six poèmes1, premiers textes à paraître en français.

∗∗∗∗∗∗

Choix de poèmes

Traduction de l’anglais Isabelle Macor

LA VALLEE DES YEUX FERMES

1

Dans la deuxième décennie du troisième millénaire
Moi, né trois fois de l’arbre de chair
tombé trois fois de ses branches nues,
la masse d’eau diaphane,
rouge de la mer maternelle,
syllabes de mon nom se précipitant pour sauver
tes lèvres
immobilité
air
tes lèvres essaient de former comme mon nom-
« complaintes du vent par-dessus le tas
des os » -
que cela soit mon nom en cette vie :
Le Ciel Se Précipitant à la Rencontre de l’Eau.

 

2

Eau de pierre
colorée par le vent,
ciselée par la lumière tombée de tes paupières :
un instant est tout dans le silence du nouveau-né.
Maintenant prends une cruche,
verses-en de petits échos, à égalité
sur la terre,
sur la forteresse du scorpion,
sur les pierres transparentes,
et sur la flamme inerte à la porte.

 

3

Trempant mes pommettes
dans la substance aveugle,
dans l’eau rafraichissante du oui maternel,
Moi, fleuve de ton corps,
Moi, corde raide de la crainte que ton corps se mette en marche,
je retourne à toi la nuit, sans mouvement,
le jour, la nuit
J’ensevelis mes deux mains dans ta solitude :
les échos
me répondent dans ta vallée des yeux fermés.

 

4

Sel de la terre dans une graine de tournesol,
sel sur les feuilles de l’arbre de la destruction,
sel s’ouvrant et se fermant
comme une fleur,
transparent
labyrinthe que je dois traverser
pour fermer mes paupières avec tes doigts de sommeil
pour ouvrir les tiennes avec mes doigts d’argile et d’eau.

 

5

Dans la deuxième décennie du troisième millénaire,
Moi,
hallucination de flamme sur le visage d’un enfant,
gardien des rêves aériens de l’enfant,
tous ses souffles à présent n’étant qu’un seul souffle,
tous ses mots une phrase sans fin,
Je me divise en lunes parallèles,
Je me déverse dans un bol de sang –
Tu me verras sel de ton corps,
tu m’entendras penser dans tes pensées…
Quand je t’offre une face de la lune, tu sais :
Mon visage est le visage dévoré
Par des années de maladie et de faim,
Le visage d’un enfant qui est mort
Il y a cinquante ans.

 

∗∗∗

I am Persephone. Only flowers here still recall the dead, Nina Kossman.

 

La main gauche de l’obscurité est lumière qui recule.
L’absolu est l’odeur en fuite d’une pluie antique.
La bouche que l’on baise n’est pas la bouche sur laquelle on mise son destin.
Regarde : la vibration de la lumière est fraîche brise des jours à venir.

La rive du détachement est loin des algues dormantes.
Les poings sont ouverts pour lâcher prise sous la caresse de l’air.
Rien n’est moins nôtre que les cendres emportées par le vent.
Regarde : le soleil et le corps s’élancent tous deux vers la lumière.

La veille est le rêve familier de la face sèche de la toile.
La veille : l’attente ainsi comblée par les ondulations de la lumière,
elle ne connaît plus la frontière entre le mot et le silence
et la traverse calme comme un nageur fend une vague hypothétique.

∗∗∗

A Child Dreams of a Bright Future, Nina Kossman.

 

PSYCHE A EROS

Je te t’exhorte mais tu es endormi.
Je t’éveille mais tu n’entends pas.
Ton souffle de dormeur se déploie d’ici à là-bas
En un arc majestueux jeté par-dessus les rives.
Quand je suis près de toi, je suis près d’un océan :
des voix, comme des vagues, se brisent à l'oreille
de l’Esprit qui semble seulement endormi.
L’intelligence du sommeil que tu m’as donnée,
la vertu d’une pensée issue
                 d’une paix plus profonde,
de sous la statique qui plisse la surface.
Pour apaiser la surface, je t’exhorte.

 

∗∗∗

DAPHNE PARLE

Je me ferai pousser de discrètes feuilles
dans le silence difficile de la chasteté.

Je me cacherai dans l’immense anonymat
bien que chaque arbre lui murmure mon nom.

Je suis le lit de feuilles qu’il ne pourra jamais brûler
pas même avec ses yeux de feu.

Je suis le visage nu de la fleur ; une croix.
Il ne peut s’échapper en m’atteignant.

Le dieu et le dessein ; l’amant et l’aimé ;
la poursuite et la fuite, entremêlés.

Bien que dieu, il mourra dans les profondeurs de mon écorce.
Je ferai briller sa face sur mes feuilles.

Chaque aigle aura ses paupières.
Chaque événement – sa vitesse.

Chacun des mille soleils
me poursuivra comme il a chassé.

Chacun des symboles du silence
apprendra son nom que je refuse de porter.

Je suis lui : le soleil, son bol immense
déversant les soi comme d’une fontaine de chasteté.

Il est moi : le chant persistant en fuite,
le soleil me poursuivant à jamais.

∗∗∗

He Who Holds His Head in His Hands, Nina Kossman.

 

INCANTATION

Sois en moi tel un chant silencieux
      qui ne cesse jamais, et non
comme sont les paroles prononcées –
      arrogantes et braillardes.
Cache-moi dans une langue sans artifice
      de vérités qui dorment
dans un esprit non dispersé.
      Laisse le non-dit nous faire un bouclier
parmi les phrases clinquantes.
      Rochers empoisonnés du silence,
Gardez-nous.

∗∗∗

The Soon To Be Extinct, Nina Kossman.

Refroidi par la neige,
trempé de pluie,
irrité par l’immobilité
comme si c’était un crime,
les yeux mi-clos,
les mains séparant
les anémones des asphodèles,
tige par tige, 
pétale par pétale...
Et n’oublie pas la petite-herbe-de l’eau,
comment elle s’est nourrie de l’asphodèle,
fleur des morts,
symbole de la mémoire,
et ce bref éclat du soleil
dans la vallée des morts-à-venir,
tandis que tes mains douloureuses
continuent de séparer
le pétale de la tige,
l’oubli de la mémoire
dans la tombe des dieux
qui ne règnent plus sur nous

                             ***

J’ai enfin trouvé une cité
dans laquelle ma mère vit encore.
Vieille, mais vivante,
vieille, mais marchant
toute la nuit dans mon sommeil.

 

Translator Nina Kossman reads from her translations of Marina Tsvetaeva, one of the greatest Russian poets of the last century.

Présentation de l’auteur

Nina Kossman

Nina Kossman, née à Moscou, est un écrivain bilingue anglais-russe, poète, peintre et dramaturge. Ses peintures ont été exposées à New York et à Philadelphie. Parmi ses travaux publiés figurent trois recueils de poèmes en russe et en anglais, deux volumes de traductions de poèmes de Marina Tsvetaïeva, deux recueils de nouvelles, une anthologie qu’elle a composée et fait paraître aux Presses universitaires d’Oxford (Oxford University Press) et un roman. Certains de ses ouvrages ont été traduits en grec, japonais, hébreu, espagnol, persan et danois. Lauréate de nombreux prix, elle vit à New York. La poésie de Nina Kossman est marquée par l'expérience de l'exil tout en étant ancrée dans les fondements de la culture classique par sa référence constante à la mythologie grecque qui tisse avec le présent de nouvelles représentations des territoires de l’homme. Elle donne à entendre une voix de la modernité, inscrite dans l'historicité.

Poèmes choisis

Autres lectures

Six poèmes de Nina Kossman (Etats-Unis)

Nina Kossman a quitté l’Union soviétique enfant, avec ses parents et son frère, en 1972, pendant les années Brejnev. A cette époque, la décision d’émigrer était très risquée, l’Union soviétique étant un pays [...]

Six poèmes de Nina Kossman (Etats-Unis)

Nina Kossman a quitté l’Union soviétique enfant, avec ses parents et son frère, en 1972, pendant les années Brejnev. A cette époque, la décision d’émigrer était très risquée, l’Union soviétique étant un pays [...]




La Fabrique de levure : Choix de poèmes de Jakub Kornhauser

Passeuse de pépites littéraires, la poète Isabelle Macor a traduit La fabrique de levure de Jakub Kornhauser, qu’elle a présentée en édition bilingue, aux éditions LansKine, en mars 2018. 

 

Le poète (lui-même traducteur, essayiste, éditeur, critique littéraire et critique littéraire…), né en 1984, a obtenu en 2016 le très prestigieux prix "Wislawa Szymborska", lors du festival international de poésie de Cracovie, "Festival Milosz".

Invitée par l'Institut polonais en tant que spécialiste de poésie polonaise pour prospecter et voir quels seraient les poètes à traduire en français, Isabelle Macor découvre cet auteur et nous fait partager le pain poétique produit par le levain de ses mots,  dont elle déclare : « J'ai adoré travailler sur cette poésie, la traduire, l'écrire et la réécrire...Réminiscences de la vie juive en Pologne, visions fantasmagoriques inspirées par des tableaux de peintres des avant-gardes européennes de la modernité... comme une nouvelle enfance de l'Europe ». 

La fabrique de levure

 

Dans un vieux bâtiment, niché sous les cheminées, vivait un pivert, sourd comme une souche. Par les carreaux cassés nous lui jetions du pain et des fourmis. Le bois se déglinguait de partout et le crépi du mur rappelait les rouleaux de la Torah. Nous ne savions pas encore que dans les ruines près du fleuve se cachait une petite synagogue. Les feuilles pourrissantes sentaient la levure. Nous observions la pointe de nos chaussures qui prenaient l’eau. Mon père n’a jamais voulu croire que le pivert rit comme un homme. Du reste d’autres oiseaux vivaient là aussi, pas plus gros qu’un pouce. C’était l’automne - la neige n’était tombée qu’en mars.

 

Jakub Kornhauser, La fabrique de levure
traduction et introduction d'Isabelle Macor
éditions Lanskine - Catherine Tourné Lanskine,
2018 ; Ailleurs est aujourd'hui, 2018, 104
pages, 14 €.

Drożdżownia

 

W starym budynku, gnieżdżącym się pod kominami, mieszkał zielony dzięcioł, głuchy jak pień. Przez rozbite okna wrzucaliśmy mu chleb i mrówki. Wszędzie walało się drewno, a tynk na ścianach przypominał zwoje Tory. Nie wiedzieliśmy jeszcze, że w ruinach nad rzeką ukrywa się mała bóżnica. Butwiejące liście pachniały drożdżami. Obserwowaliśmy, jak naszym trzewikom namakają nosy. Ojciec nigdy nie chciał uwierzyć, że dzięcioł śmieje się jak człowiek. Zresztą mieszkały tam też inne ptaki, nie większe od kciuka. Była jesień, a śnieg spadł dopiero w marcu.

 

*

 

Zamłynie

 

De l’autre côté du remblai de chemin de fer, là où on avait trouvé le corps sans vie du cordonnier, je contemplais les étoiles. Il fallait contourner le moulin, les flaques d’eau et les lapins, plus loin le chemin vicinal menait à une clairière. Dans le livre que je portais avec moi il y avait un personnage de vendeur de couteaux. L’homme avait une allure débraillée et c’est peut-être pourquoi personne ne le laissait entrer à la maison. Les étoiles étaient mouillées comme des flaques et elles ne tombaient pas du tout. Elles s’en allaient au petit matin avec le roulement des trains perdus.

 

Zamłynie

 

Po drugiej stronie nasypu kolejowego, tam, gdzie znaleziono martwego szewca, oglądałem gwiazdy. Trzeba było obejść młyn, kałuże i króliki, a dalej polna droga wyprowadzała na łąkę. W książce, którą miałem przy sobie, występował sprzedawca noży. Mężczyzna ubierał się niechlujnie i może dlatego nikt nie wpuszczał go do domu. Gwiazdy były mokre jak kałuże i wcale nie spadały. Odjeżdżały wczesnym rankiem wraz z turkotem zagubionych pociągów.

 

*

Carré rouge sur fond blanc (Malevitch)

 

Les dernières maisons rampaient vers la sortie, j’observais leur retraite derrière l’église. Au deuxième étage on projetait un film, chaque jour le même bien qu’avec une nouvelle fin chaque fois. Dans la petite charbonnerie des étagères de livres nous guettaient. Un jour j’en ai volé un, il avait une couverture noire et sentait le rêve encore chaud. Derrière la vitre on voit le tabernacle et une femme qui se coupe les ongles des orteils, sur les étagères – des rangées de livres identiques. Ce jour-là, le film s’est terminé bien plus tôt que d’habitude et j’ai dû errer dans les rues désertes. J’ai inspecté chaque faille, cherchant des portes en fuite, des poignées en exil.

 

Czerwony kwadrat na białym tle (Malewicz)

 

Ostatnie domy czołgały się do wyjścia, obserwowałem ich kryjówkę za kościołem. Na drugim piętrze wyświetlano film, codziennie ten sam, choć z coraz to nowym zakończeniem. W komórce na węgiel czyhały regały z książkami. Kiedyś ukradłem jedną z nich, miała czarną okładkę i pachniała ciepłym snem. Za oknem – tabernakula i kobieta obcinająca paznokcie u nóg, a na regalach szeregi identycznych ksiąg. Tego dnia film kończył się znacznie wcześniej i musiałem wędrować po opustoszałych ulicach. Zaglądałem w każdą szczelinę, szukając zbiegłych drzwi, klamek na emigracji.

 

*

La maison du mélamed I

 

Personne ne se souvient des gels qui crépitaient, des arbustes d’aubépine, des fauvettes qui tissaient leur nid sous le plafond. Les caisses en bois se sont vidées, les martres ont sorti les derniers kaftans et les chemises repassées avec soin. Quelqu’un a essayé de monter sur le toit de la boulangerie mais l’échelle s’est cassée et il n’est resté que quelques photographies sales. Sur l’une d’elles un vieux rabbin se voile la face avec le Livre tandis que la fumée s’élève au-dessus des branches chauves. La neige a fondu sous les bottes et le soleil, dans la maison du melamed les bougies brillaient tard dans la nuit. Chaque année les marchands grattaient les rides bleues des murs, des tapis s’écoulaient le pavot et le sable. Les fauvettes revenaient toujours au printemps bien qu’on ne les voie sur aucune des photographies. Ni les biches et les blocs de glace sur le fleuve. Les pompiers qui arrivaient de localités voisines éteignaient le feu. Ils avaient de grandes mains chaudes et des yeux noirs.

Dom mełameda I

 

Nikt nie pamięta trzaskających mrozów, krzewów głogu, piegż, które założyły gniazdo pod sufitem. Drewniane skrzynie opustoszały, kuny wyniosły ostatnie chałaty i starannie wyprasowane koszule. Ktoś próbował wejść na dach piekarni, ale drabina złamała się i pozostało tylko kilka brudnych fotografii. Na jednej z nich stary rabin zasłania twarz Księgą, a dym wznosi się ponad łysymi konarami. Śnieg topniał pod butami i słońcem, w domu mełameda do późna płonęły świece. Każdego roku handlarze wydrapywali błękitne zmarszczki w ścianach, z dywanów sypały się mak i piasek. Piegże zawsze wracały wiosną, chociaż nie ma ich na żadnej fotogra i. Ani saren i lodowych kier na rzece. Ogień gasili strażacy, którzy przyjechali z okolicznych miejscowości. Mieli duże, ciepłe dłonie i czarne oczy.

 

 

*

La cabine de bain (Ensor)

"Vivre dans une maisonnette au bord de la mer, une grande cabine de bois sur roulettes. Les crabes, qui entrent par le hublot sans vitre, apportent les restes du vent et de grosses moules. La plage est vide, on n'entend que les grands-gravelots fouiller les algues colorées. Le sable coule parmi les nuages, le bois crépite sous le soleil. Dans la maison se sont cachées des silhouettes maigres masquées, squelettes déguisés, et une vieille flûte. Quand on pose l'oreille contre le mur, les vagues deviennent bleues et les nuées se cachent entre les chalutiers. Vivre dans une maisonnette au bord de la mer, s'enterrer dans le sable."

 

 

 

James Ensor, "La cabine de bain", 1876




Ewa Sonnenberg : Poèmes extraits de Hologrammes/Hologramy, traduits et présentés par Isabelle Macor

C’est dans une langue riche, variée, issue d’une recherche personnelle tout à fait originale que les poèmes de ce recueil s’offrent à notre lecture. Il y est question du monde, de soi, de l’amour, de la finitude, du mystère de la vie dans une poétique emprunte de sensualité. Le poète s’étonne, ne proclame rien, partage avec le lecteur cet étonnement, qu’il soit émerveillement ou déception, ravissement ou désespoir, qui constitue le socle de sa réflexion existentielle. 
La richesse de la langue repose sur des jeux sémantiques, grammaticaux, syntaxiques d’inspiration surréaliste autant que catastrophiste ou postmoderniste. Un ancrage solide dans les traditions poétiques et intellectuelles européennes contribue à créer une langue poétique singulière propre à rendre compte de l’expérience du poète, de son rapport intime et complexe au monde. Les métaphores audacieuses, non dépourvues d’un sens de la dérision en maints poèmes, les comparaisons surprenantes évoquent les démêlés du poète avec le réel. Lorsqu’il est absent, ce réel, elle l’invoque avec passion pour le faire advenir, et quand il est envahissant, elle le tient à distance grâce à l’ironie ou l’auto-ironie pour faire contrepoint au tragique, à la désespérance.
La solitude et la perte, le manque, ce qui dévaste renvoient par contraste au désir, aux possibles. C’est donc dans cet incessant mouvement d’une écriture de l’inassouvissement que naît et s’accomplit la parole poétique chez Ewa Sonnenberg.