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Lire Baudelaire

On ne peut logiquement aborder l’œuvre de Charles Baudelaire sous l’angle de la « désespérance » ou de « l’exhalation émotionnelle », même si la tentation est grande de trouver en lui, la parole détournée de la Rédemption. Nulle rédemption (le Dieu de Baudelaire est avant tout vengeur, guerrier, et justicier) , et nul rachat ! (La vengeance jamais ne rachète les fautes). Le poète ne l’a d’ailleurs jamais suggéré ni évoqué clairement dans son œuvre  poétique y compris dans sa prose détonante.

Aussi bien qu’Il n’y a pas forcément de sentimentalisme outrancier dans cette œuvre là en raison de sa très grande complexité provenant de ses nombreuses sources d’inspiration qui valent aussi pour ses nombreuses contradictions. A ce titre, Il n’est pas considéré comme un poète romantique.   Poète de la modernité certes ! Mais également celui de l’anti-modernité. Quelle ressemblance ou analogie à établir entre les poètes latins de l’antiquité (Virgile, Ovide, Horace, Catulle, Lucrèce, mais aussi grecs, Sappho, Sophocle, Eschyle etc.  ) Et un Joseph de Maistre ? Dont il a pu dire qu’il était son maitre entre autres, (on songe aussi évidemment à Théophile Gautier, Pétrus Borel et Aloysius Bertrand) …… Aucune cela va de soi.  (Il oppose l’urbain à l’exotique, il oppose le chrétien au païen, le moderne à l’antique) Et cependant que Baudelaire fin latiniste était aussi un lecteur convaincu de Robespierre, même s’il s’est toujours tenu à l’écart du politique. (Relire cependant le Reniement de Saint-Pierre) Et si l’on peut parler d’une tentative de sublimation dans son œuvre, et plus particulièrement les Fleurs du mal, (le beau  dépasse la seule forme, ni préciosité, ni néo paganisme) ; n’y voyons pas là une recherche implicite de la transcendance.
On y verra toutefois et inversement « la trace de Satan », « le plus savant et le plus beau des anges », mais comme un double jeu jubilatoire : « Échapper aux enfers, comme aussi bien les raviver au gré du temps ».

Seul moyen pour le poète de surseoir à son Mal, son ennui et sa mélancolie, pour ne pas dire sa dépression. Il n’en demeure pas moins le Maitre (maitre de son imagination, maitre de ses mots, maitre de son existence et de son destin et bien évidemment de son infortune). Les Fleurs du mal, montrent d’ailleurs à cet égard, qu’il existe plusieurs portes d’entrée pour « assoir sa douleur » (Dans les flammes ?) comme aussi bien la dominer (caractère probant de l’élévation) alors que ces portes se referment aussi vite qu’elles se sont ouvertes par souveraine et salvatrice nécessité, afin de ne pas faire croire au lecteur dormant, qu’il puisse obtenir quelques clés aussi facilement. Aussi l’homme exalté, conquis, peut-il trouver sans aucun doute quelques faits innovants ayant plus trait aux goûts de l’époque, qu’à la servitude du poète lui-même, (son improbable Dandysme) aussi bien que le lecteur « désespéré » trouvera-t-il dans Baudelaire quelques motifs à son trouble journalier, sans jamais toutefois pouvoir le résoudre et encore moins le dépasser. Ainsi l’approche et la compréhension de l’œuvre pourraient s’arrêter, là, la matérialité terrestre étant une véritable enclume. Et soyons certain aussi, que la métaphore ne rend pas la vérité explicite – si bien que le sens originel (le péché ?)  demeure toujours un peu caché, ou du-moins ombrageux. (« Tinté d’une douce brume »). Ainsi est-ce tout là le génie de Baudelaire : apprendre à trans-former le temps ; du dicible à l’indicible, du connu à l’inconnu, du fini à l’infini et de la terre au ciel ; mais sans jamais y adhérer pleinement. 

Ainsi et pour poursuivre, lire Baudelaire, c’est pouvoir à un moment donné s’acheminer vers une « impossible lumière », (la clarté n’est jamais tout-à-fait ce qu’elle désigne), mais vers un chemin épars (éparpillé ?) où la voix parfois s’élève sans jamais vraiment délivrer d’écho (tel le Cygne qui ne peut s’échapper ou bien encore les femmes damnées vouées aux pires tourments). La délivrance n’est pas accessible chez Baudelaire, alors qu’elle le contraint entièrement dans son corps malade. Stigmate, d’une biographie pesante et dispersée, (père voué à dieu, et qui le répudie) comme on répudie une femme infidèle. Mais dont le poète se sera soulagé en invoquant ses Muses.  (sa mère tout particulièrement) Froideur (impuissance ?) d’un temps révolu (déchu), le poète trouve à la fois son ancrage de manière à la fois Réaliste et fictionnelle, où la hantise prévaut sur le fond (les tréfonds de l’âme corrompue) supposant que le Mal alors est bien présent, et que jamais la Beauté, ne puisse se montrer sous ses véritables attraits. A moins qu’une Révélation (le rêve ?) subitement ne se « fasse jour ». Pourtant ne rien attendre, surtout ne rien attendre d’un tel accès (excès) sauf si l’Esprit ne s’y perde, en témoignant d’une grande fugacité d’intention. Le poète lui, sait que tout est vain, y compris dans son imagination solitaire, on est loin des « Illuminations » Rimbaldiennes, « O les énormes avenues du pays saint, les terrasses du Temple ! «. Pour Baudelaire le pays n’est pas forcément saint, pourra-t-on dire tout au plus qu’il est étourdissant, pas tout-à-fait intemporel, (sauf peut-être dans les fumées vaporeuses des cabarets, et aux senteurs multiples, hallucinogènes), c’est pour cela d’ailleurs et à cause de cela, qu’il n’existe pas vraiment d’échappatoire cohérente, dans sa vision du monde, qu’il aime et qu’il n’aime pas, mais dans lequel il se fond, avec une justesse inouïe, à tel point que ses descriptions du monde journalier dégagent une certaine odeur, fuse t - elle passagère et lunaire. Il en restera toutefois une trace ! Mais quelle trace ? Car de fait le poète ne s’immisce pas pleinement dans les joutes quotidiennes, il ne fait que fleureter avec elles, « Un éclair… puis la nuit ! – fugitive beauté /Dont le regard m’a fait soudainement renaitre/ Ne te verrais-je plus dans l’éternité ? » (A une passante). Mais quelle éternité qui ne soit d’ores et déjà solidaire de la mort ? Ô Limbes !




Mylène Besson

Dès l’aube des temps, le corps fascine les artistes…  Ainsi depuis la découverte des grottes de Chauvet (33 500 ans avant notre ère), de Lascaux (21 000 – 25 000 ans), Chauvet (33 500 ans), Chabot (20 000 ans) avec ses milliers de peintures, gravures, regroupées sous l’appellation art pariétal ou rupestre, dessinées ou gravées à même la roche – le corps au gré des époques et des modes n’a cessé d’être un réservoir inépuisable pour l’imaginaire humain. Au Moyen âge, à la Renaissance, (La Vénus de Botticelli, La Belle jardinière de Raphaël ou bien encore l’Hérodote de Michel-Ange),  au XVIIIème siècle ( Jean Honoré Fragonard, Johan Heinrich Fûssli, Etienne Falconnet, Donat Nonnote), puis au XIXè, ( Edouard Manet, Paul Cézanne, Auguste Rodin) et au XXè (Fernand Léger, Pablo Picasso,  Edward Hopper,  Balthus) ;  ses multiples représentations n’ont cessé d’évoluer, avec souvent pour perspective, et sans guère d’apriori, « sa mise en valeur », qu’elle soit de nature  figurative ou abstraite.

Aussi, se re-présenter le corps, confirme une modélisation de son existant non seulement de manière organique (fait de chair et de sang), mais également apologique – corps transcendant – (Le Christ mort au tombeau, Hans Holbein Le Jeune). Or cette formulation est d’une certaine manière source d’ambigüités. Pourquoi le corps fascine t-il autant les artistes, et dans quelle mesure lui échappe t-il ? Car en effet la seule motivation de re-produire, même si elle part d’une bonne et juste intention, n’est jamais et dans de nombreux cas, que la reproduction à l’identique du – Même- féminin ou masculin. Le corps sujet du MOI, est aussi son contraire (son siège) agissant comme une condition sous-jacente à l’acte de création, comme si la seule représentation « corporelle » suffisait à réduire la distance entre le Réel et l’irréel, la vérité et le beau, le factice et le laid, le représentable et l’irreprésentable, chaque trait représentant une part de connu ou d’inconnu. Comme en témoignent par exemple à travers les siècles les nombreuses représentations du couple singulier d’Adam et Eve (Albrecht Dürer, Lucas Cranach l’ancien, Jan Bruegel), corps originellement pur, protégés dans le Jardin d’Eden, et soudain entachés du péché, corps souillés par la tentation (le délit). 

Mylène Besson est présente à la Biennale de Cachan du 11 mai au 1er juillet 2023.

Dès lors la nudité devient taboue, interdite au regard de l’Autre (la déchéance et le déni) ; le corps rentre alors dans une longue période d’agonie, en reniant ce qu’il EST, pour laisser place et logiquement à la figure du Martyr (Gabriel François Doyen, Henri Daumier). Corps lacéré, torturé, souffrant en somme, pour finalement être élevé (la grâce) et transcendé, l’un ne pouvant symboliquement fonctionner sans l’autre. Or cette juxtaposition des contraires qui n’a rien d’anodin, peut également induire en erreur le sujet regardant, « Ce qu’il voit face à lui », est-il bien « ce qui se montre « (dans tout son état) ou bien n’est-ce pas là, comme une fatalité, une déformation de son esprit, une hallucination en somme de la conscience en devenir, qui ne laisse guère de place à la sublimation, ou bien encore, la sublimation, appelle-t-elle de nouveaux paramètres de lecture, (à l’endroit comme à l’envers) susceptibles d’engager l’admiration, aussi bien que le rejet mais produisant et après coup : le ravissement intérieur. L’œil voit bien ce qu’il veut voir, sans aucun filtre, se libérant de ses entraves, et ce jusqu'à l’extase possible, (la Piéta de Van Gogh,) qui attribue à l’œuvre un puissant ascendant…

Au cœur du sujet : Le sujet lui-même…

Saluée par de nombreux écrivains et poètes de renom (Bernard Noël, Michel Butor, Arrabal, Pierre Bourgeade, Annie Ernaux entre autres) avec lesquelles elle a souvent eu de fructueuses collaborations « livresques », Mylène Besson poursuit depuis presque un demi-siècle une œuvre singulière et puissante entièrement vouée au Corps et en sa subtile mise en scène hors des sentiers battus, ne se souciant guère des règles du marché, et des tendances acquises de l’art contemporain. Œuvre intègre et intégrale, dépassant les modes, sans jamais renier ses propres aspirations et ses contingences originelles (originaires). Œuvre principalement figurative qui justifie sa raison d’être – ETRE comme socle éprouvé de l’intime conviction, réservoir atypique de l’originalité temporelle se mesurant à l’ordre du vivant ; rarement à son désordre occasionnel, qui pourrait laisser croire en amont que l’artiste ne maîtrise pas ses troubles en les refoulant. Le corps intégral : c’est dans ce sens (et dans cette direction) que l’expression picturale prend tout son sens, en restituant dans un temps différé aussi bien que présent, sa liberté, et ses contraintes d’être au Monde. Cependant que le Réel, (ce que l’on voit ou croit voir) est une indication supplémentaire, à la croisée des chemins – le décryptage de l’œuvre, dans ce qu’elle recèle d’étrangeté et de sens caché. Toute œuvre digne de ce nom, ne se laisse jamais complètement possédée, et même si le mystère n’est pas toujours présent, le retrait qu’elle opère, la nécessaire distanciation, est aussi le gage d’une possible plénitude qui définit son « cadre » - « Qui est là devant vous, avec assez d’apparence pour nous faire croire à sa soudaine venue ? Ce que l’on reconnaît tout de suite n’a pas encore été touché par le regard qui attend que quelque chose émerge de la forme ». Ainsi s’exprime Bernard Noël à propos de l’artiste. Ainsi l’apparence que le poète signifie, contingente à sa soudaine venue, interroge et presque logiquement (qui n’est pas une pirouette), la re-semblance. Ce qui semble ou ressemble n’est pas un simple fait (la réalité picturale), mais plutôt son envers, comme dans la série des Fusains (2004) qui non seulement d’occuper l’espace, mais quel espace au juste ? Susceptibles là encore d’éveiller les sens (le sens). Il n’est pas certain cependant que l’artiste ait voulu satisfaire à la vertu, qui consiste à libérer ses pulsions en laissant intact ses émotions, à moins qu’il ne s’agisse d’une vertu sacrificielle où les corps étreints, étouffants parfois, définissent plus précisément un « espace clos », dans lequel chaque corps s’aligne, et s’allonge, sans jamais vouloir se dévoiler….

Le corps Miroir et le corps Mystère….

Autrement symbolique de l’œuvre en cours, cette formidable fulgurance à déjouer les pièges qu’elle a elle-même consciemment ou inconsciemment posés. Et il y a de fait une sourde pesanteur dans l’œuvre de Mylène Besson, difficilement discernable. « L’attrait de la figure et de ce qu’elle peut revendiquer de sens au-delà de sa forme physique est toutefois pondéré par l’inclusion de détails incongrus au regard des usages ». (Patrick Longuet). Tel semble le piège en effet qui n’est pas forcément niché dans le détail incongru, car ici le détail n’est qu’une parade, un artifice – mais au-delà (ou en-deçà) des usages, l’œuvre se développe librement. Et de ce point de vue Mylène Besson, n’a cure des usages, elle les défie même, contre toute apparence académique. L’enjeu se situe ailleurs, montrer plus que démontrer, que le corps existe, pour ce qu’il EST, et non pour ce qu’on suppose qu’il soit. Et c’est toute la force intérieure de cette artiste peu conventionnelle, et qui n’aime guère se plier aux faciles convenances. Pour Mylène Besson, l’au-delà cher au critique, se traduit également par l’En-soi, en dépit des conjonctures. Ainsi d’épouser le réel à condition qu’il s’immisce dans un ailleurs à découvrir et où le corps, les corps, se meuvent sans inutile explication, sans pour autant tomber dans la « marque de fabrique » qui relève souvent de l’imposture. Mieux vaut privilégier l’authenticité, quitte à provoquer l’infortune : Alors l’Epoux, le tendre aimé, à son tour, ne veut pas disparaître, car il a déjà disparu, même s’il revient sans cesse comme un fantôme bienveillant, dont l’artiste seule face à elle-même s’est finalement accoutumée. Le deuil s’exprime toujours en filigrane. L’artiste peint le corps disparu – nu – Elle lui exprime sa gratitude d’être « toujours là ». On comprend alors que pour Mylène Besson, il n’y a pas de désenchantement, le souvenir est bien ancré, il lui subsiste… Ô mystère du dépassement.




A propos d’Yves Bonnefoy : entretien avec Jérôme Thélot

Yves Bonnefoy, (1923-2016) est à juste titre considéré comme l’un des poètes majeurs de la moitié du XXe siècle et du début du XXIe. D’abord proche des Surréalistes, il s’en détachera très rapidement pour mener une œuvre personnelle et exigeante, avec notamment la parution en 1953, « Du mouvement et de l’immobilité de Douve », unanimement salué par la critique de l’époque. Il vient de rentrer tout récemment dans la prestigieuse collection de la Pléiade, chez Gallimard. Une consécration amplement méritée. Rencontre avec Jérôme Thélot, professeur des universités, essayiste, auteur d’une quarantaine d’ouvrages. Et coéditeur des « œuvres poétiques », du poète dans la Pléiade.

En préambule de votre ouvrage intitulé La poésie précaire, vous écrivez : « Il y a longtemps que nous ne croyons plus aux enfers ni aux dieux ni aux prières, et c’est au point que nous ne croyons plus trop les poètes, ni qu’il soit nécessaire de comprendre au juste ce qu’ils font, quel rôle ou quel espoir leur reste depuis qu’il semble qu’ils ne prient plus ». Une formulation reconnaissons-le fort pessimiste, mais les poètes ont-ils vraiment besoin d’être crus. Et dans quel sens ?
Il ne me semble pas que la formule que vous citez soit « pessimiste » : elle est seulement inquiète du changement d’époque que nous vivons depuis le commencement de la « modernité », disons depuis Shakespeare, dans laquelle les représentations des religions héritées ne sont plus trop admises par la plupart des Européens, et en tout cas plus susceptibles de fonder encore les rites et les pratiques qui organisaient jadis le quotidien des sociétés. Comme les poètes d’autrefois adossaient souvent leur parole à ces représentations aujourd’hui largement surannées, le désenchantement de notre monde moderne affecte aussi la relation que nous pouvons avoir avec la poésie. Celle-ci en effet ne repose plus guère sur l’expérience d’une transcendance qui en cautionnait et en justifiait la recherche, laquelle est donc réduite à elle-même, sans autre légitimité que son vouloir propre, vulnérable et incertain de soi. Pourtant, ce vouloir persiste : les poètes misent toujours sur leur pratique paradoxale des mots pour donner un sens à l’existence, pour fonder la dignité de notre séjour, pour rendre aux hommes et aux femmes de notre temps de détresse leurs possibilités réelles. C’est en cela qu’ils demandent à être « crus » : que par eux nous soyons avertis de cette fonction de la poésie, c’est-à-dire non pas seulement que nous goûtions le charme esthétique des poèmes, mais que nous nous engagions à en reconduire, dans nos vies, l’intense promesse.

La prière que vous nommez semble relever du symptôme et ce, précisément, parce qu’elle a disparu, bien plus que de sa genèse, au sens théologique du terme. Est-ce un « fait » de notre époque, où les grandes Espérances ont presque disparu ? Car finalement Espérer, c’est empêcher en quelque sorte, « la disparition » ou « le désastre ». Qu’en pensez-vous ?
La poésie comme la veulent les grands poètes de notre temps est aussi, comme disait Bonnefoy, une « tâche d’espérance ». L’un des premiers essais de cet auteur en a d’emblée donné la définition suivante : « Je voudrais réunir, je voudrais identifier presque la poésie et l’espoir. » Et Jaccottet de son côté écrivait ceci : « La Poésie ne serait-elle pas justement ce qui nous empêche de croire tout à fait à l’absurde ? » Dès lors que la parole poétique ne se connaît plus de destinataire transcendant, son adresse à autrui ne passe plus par aucune divinité, et si une plainte infinie ou une louange extrême, ou encore une protestation ou une réclamation non moins exigeantes lui sont parfois aussi nécessaires qu’elles l’étaient jadis dans la forme traditionnelle de la prière enseignée, tout de même ces traces inéludables de la précarité humaine sont rabattues chez les poètes sur le seul plan d’immanence où a lieu notre destin.

Jérôme Thélot, La Poésie précaire (Perspectives littéraires), PUF, 1997, 150 pages.

Ce plan est un monde désert, certes, mais c’est tout de même un monde : et comme tel celui-ci est assez riche de ressources et d’abord de beauté pour encourager le poète à persévérer dans sa conviction fondamentale, qui est qu’à parler autrement, à laver les mots quotidiens de leur aliénation économique, l’amour pourra — comme disait Rimbaud — être réinventé, les énergies salvatrices pourront s’associer et le sens se reformer.
Et plus précisément chez Yves Bonnefoy, souvent qualifié de « gnostique ». Cette expression vous parait-elle juste le concernant ?
Non, elle est fausse et exprime un contre-sens. La « gnose », c’est d’une part la représentation selon laquelle le réel est une vallée de larmes, qu’ici-bas est un abîme de faute et de non-sens, et, d’autre part, l’idée qu’un Dieu caché, absent de ce monde, pourra répondre à la fine pointe de l’âme si celle-ci s’arrache enfin aux ténèbres du concret. La gnose est ce dualisme spéculatif auquel toute la pensée et l’expérience de Bonnefoy sont profondément contraires — lui qui aimait le réel, l’ici, qui adhérait de tout son être aux phénomènes sensibles et ne voyait aucun mal à la substance terrestre, à la nature telle qu’elle se donne, à la beauté de l’immanence. Seulement, c’est vrai qu’il a compris qu’à peine on prononce un mot, quoi qu’on dise, et c’est l’ordre tout entier du langage qui tend à se substituer aux choses pleines, à restreindre celles-ci à l’image qu’il en forme, et c’est du coup de l’irréel qui occupe la conscience, du factice, du chimérique qu’il a précisément appelé une « gnose ». Mais la poésie, c’est ce qui lutte contre cette chimère, contre cette abstraction préférée à ce qui est. La poésie ne veut pas l’irréalité, elle refuse que les présences concrètes soit dévaluées par les illusions du langage. Aussi est-elle selon Bonnefoy un combat incessant contre la dépréciation gnostique du monde, contre la fantasmagorie conceptuelle. Il s’agit donc, a-t-il dit, d’« être parole malgré les mots » : d’être présent au monde, malgré les représentations. Un admirable essai sur cette dialectique est reproduit sous le titre « La poésie et la gnose » parmi ses Œuvres poétiques dans la collection de la Pléiade.
Vous dites aussi qu’Yves Bonnefoy « troue son œuvre par l’hypothèse d’un dieu à naître », et pourquoi pas un dieu mourant dont on pleure l’agonie, ou un dieu déjà mort ? N’y a-t-il pas dans ce cas, une recherche impossible de la transcendance, comme principe « primordial », de l’élévation ?
Ces questions sont si grevées d’ambiguïtés qu’elles exigent des clarifications terminologiques. Au reste, c’est le rôle de la poésie de nous désencombrer des notions préconstruites et de l’usage convenu des mots. « Dieu », Bonnefoy n’a pas refusé d’en prononcer le nom. Par exemple, dans l’un de ses plus grands livres, Dans le leurre du seuil : « Tu peux nommer Dieu ce vase vide, / Dieu qui n’est pas, mais qui sauve le don, / Dieu sans regard mais dont les mains renouent. » Mais il s’agit là d’un nom désignant l’Unité de l’être quand celui-ci est rejoint en son absolu. Il ne s’agit donc pas d’une « élévation », mais, au contraire, d’une participation ici à l’être même du monde, d’une approbation réciproque du sujet et du réel tels qu’ils sont, dans leur finitude aimée. Ce « Dieu » n’est donc certes pas celui qui agonise ni celui qui est déjà mort : il n’a plus rien de sacrificiel, et il est toujours à recommencer par une pratique du langage qui dissipe les leurres de celui-ci, qui émancipe l’esprit des fictions idéologiques ou religieuses. Bonnefoy disait volontiers à la fin de sa vie : « La poésie, c’est ce qui reprend à la religion son bien ».
Le factice, le chimérique, que vous inventoriez si justement n’annoncent-ils pas finalement une société du désastre, qui n’aurait plus rien de spirituel ?
Que notre temps soit souvent ou même structurellement désastreux, Bonnefoy le dirait ou l’a dit en effet, comme l’avait dit Hölderlin prenant conscience du retrait des formes traditionnelles du sacré. Mais ce désastre est selon Bonnefoy l’une seulement des conséquences du langage, qu’il a mise en balance avec une autre, dont il convient aussi de tenir compte. La première conséquence du langage, c’est, nous venons de le dire, le déploiement du chimérique dans la conscience aliénée, c’est l’assujettissement de celle-ci à l’empire des concepts qui substituent aux réalités évidentes leurs exériorités partielles et fragmentées, et c’est donc la séparation de l’homme d’avec le monde réduit au rang d’objet exploitable — et tel est, de toujours, le « désastre ». Mais l’autre conséquence du langage est qu’il autorise un emploi des mots non pas pour leur seule valeur conceptuelle, mais aussi pour leur musique, et qu’il encourage que soit ranimée dans les vocables leur matérialité sonore : or celle-ci permettant aux mots de se réassocier à la matière du monde leur donne de se faire non pas des concepts mais des symboles, non pas seulement des représentations mais des participations unitives à la plénitude du sensible. Disons que le langage ne condamne pas la conscience à l’aliénation, il lui permet aussi d’inventer dans la langue une utopie qui la désencombre de ses illusions la rouvre à l’unité. En face du « désastre », se tient toujours le possible. Et le possible, c’est la réserve de sens inédit dont les mots sont porteurs quand ils sont rendus à leur musique native — à leur puissance poétique. Les sociétés contemporaines ne sont pas privées de ce que vous appelez le « spirituel », peut-être même ne sont-elles pas beaucoup plus abandonnées au désastre que les sociétés de jadis et de naguère : car elles disposent — par-delà toute croyance héritée et tout rêve d’arrière-monde — de l’esprit d’utopie dont le poète prend la responsabilité en ceci qu’il décide de parler autrement. Autrement que selon le savoir ; autrement que selon la nostalgie des métaphysiques épuisées ; autrement que selon le concept. C’est l’utopie en acte telle qu’elle se lève dans la musique verbale, dans la prosodie, dans les rythmes de la parole poétique, que d’inventer par ses symboles un nouvel être-au-monde qui émancipe l’humanité et lui donne un vrai lieu. Bonnefoy, en tout cas, n’a jamais cessé de revendiquer cette sorte de « foi » : non pas un catalogue de croyances adossées à des représentations douteuses et souvent désastreuses, mais, par le son des mots, la réinvention de l’homme nu, et la retrouvaille de chaque chose non comme objet mais comme visage.
Cependant la connaissance et le savoir permettent de mieux connaître le monde dans lequel nous vivons – mais il y a aussi l’inconnaissable, et l’irrévélé : « Non pris, non dit, non communicable », comme le suggère Saint-Jean-Chrysostome par exemple, et que certains poètes essaient de révéler. La métaphore poétique est-elle une justification du « sens caché » ?
Vous avez raison de suggérer que le concept n’est pas non plus le seul responsable de tous nos maux ; et Bonnefoy disait comme vous sa valeur irremplaçable dans le travail de la compréhension, en particulier le travail des sciences. La critique du concept chez Bonnefoy, comme chez Bergson, n’est nullement un irrationalisme, nullement une défiance à l’endroit de la raison : c’est seulement le premier moment critique pour reconquérir une raison élargie.
D’autre part, oui, l’expérience d’un surcroît du connu et d’un excès par rapport à toute communication, est celle que le poète donne à mémoriser et à relever dans ses poèmes. Il l’appelle quant à lui l’expérience de la « présence ». Et ce dernier mot s’entend chez Bonnefoy non pas comme l’entendent les philosophes (non pas comme un fondement ou une substance qui serait l’origine de toute réalité), mais simplement comme l’apparaître à la fois singulier et absolu de l’être même de ce qui est — un apparaître qui est abîme, et dont les mots employés poétiquement gardent la trace et relancent la promesse. Le poème selon Bonnefoy ne célèbre donc pas un sens « caché », et il n’est nullement ésorérique : il vise l’ouvert même de l’apparaître, la donation première de ce qui se donne. Sauf que cet ouvert est ordinairement trahi par l’empire des concepts. Parler poétiquement, ce n’est que démembrer cet empire et réhabiter l’ouvert.

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A propos de Jérôme Thélot

Jérôme Thélot, ancien élève d’Yves Bonnefoy au Collège de France, disciple aussi de René Girard et de Michel Henry, est essayiste et traducteur, et professeur de littérature française à l’Université de Lyon. Ses écrits portent sur la poésie romantique et moderne, sur la philosophie de l’affectivité, et sur les conditions de l’image. Il développe auprès des auteurs qu’il interroge, en particulier Baudelaire, Rousseau, Dostoïevski, Sophocle, une poétique générale qui remonte à la fondation de la parole et de la représentation dans la violence originelle. Ses travaux sur la photographie ont d’abord décrit les conséquences de l’invention de celle-ci sur la littérature (Les inventions littéraires de la photographie, PUF, 2003), puis les caractères propres de sa phénoménologie (Critique de la raison photographique, Les Belles Lettres / Encre marine, 2009). Ses « Notes sur le poétique » (Un caillou dans un creux, Manucius, 2016) explicitent les attendus de sa recherche.




Amir Parsa, Littéramûndi

Né en Iran en 1968, Amir Parsa, appartient à cette génération d’auteurs particulièrement rares, pour lesquels un monde meilleur est encore possible et que l’on aime arpenter, en dehors de tout préjugé ou de chapelle convenue. Il réside actuellement à New-York où il est professeur et directeur des études interdisciplinaires au Pratt Institute.

D’expression américaine, française, persane et espagnole, ainsi que des combinaisons hybrides ; il mène une œuvre patiente et méthodique qui met en perspective toute forme d’appartenance nationale, culturelle et poétique. Ensemble polyphonique et polysémique, son entreprise littéraire et poétique façonne de nouvelles formes structurantes, en portant la trace de nouveaux itinéraires d’écriture. Il a publié tout récemment deux ouvrages pour le moins novateurs et audacieux, intitulés Lïtteramûndi (prolégomènes à une Nouvelle Littérature Mondiale)

Qu’est-ce que la littérature mondiale ?

On doit la fameuse expression à Goethe, sous l’appellation usitée, de Weltliteratur, que l’on retrouve à plusieurs reprises dans son journal intime daté de 1827. Depuis l’eau à couler sous les ponts, et il faut reconnaître que ladite expression si elle demeure emblématique d’un certain idéal n’en demeure pas moins quelque peu confuse, voire inaudible pour un grand nombre de lecteurs et de locuteurs avertis. Pour les chercheurs Christophe Pradeau et Typhane Samoyault, « la notion de littérature mondiale, aussi, n’est pas la détermination interne, où l’adjectif viendrait dire l’attachement variable de l’œuvre au monde ou les usages du monde en littérature », mais encore : « L’idée d’une littérature mondiale serait-elle venue d’une culpabilité à l’endroit de la pluralité et du divers, comme une rétroversion du mythe de Babel ? » Bonne question en effet !

Amir Parsa, Littéramûndi (prolégomènes à une Nouvelle Littérature Mondiale) Volumes I et II. Editions Caractères.

Babel quand tu nous tiens ?

Comme en témoignent les œuvres immenses et magistrales de Dostoïevski,

Tolstoï, Virginia Wolf, Robert Musil, Franz Kafka, Thomas Mann, Jorges Luis Borges, mais aussi James Joyce avec son Finnegans Wake, et plus proche de nous, Louis Calaferte, avec Ourobouros, dont les œuvres coïncident parfois avec l’accès presque désespéré d’un imaginaire de nature universelle, capable de marquer et d’engendrer de nouveaux territoires et logiquement de transgresser les frontières littéraires.

Pour Amir Parsa, là réponse est assez claire bien que quelque peu simplifiée :

« La vérité est autre, et pourtant tout est simple : tu écris en français, parce que tu dois respirer, comme tu viens de le dire. Pareil en anglais. Une question de souffle, mais aussi d’intérêt, de besoin de reformuler à travers ces langues qui font partie de ton être – qui t’ont conditionné et te constituent. Comme tout écrivain, tu écris aussi pour comprendre pourquoi tu écris, pour créer une réalité, pour percevoir, pour construire. »  (P.17) L’entreprise est périlleuse avouons-le car elle induit ou oblige plusieurs portes d’entrée, qui n’ont pas forcément la même serrure et signification, dont la lecture « linéaire » de l’œuvre quelle qu’elle soit est naturellement exclue. Dans ce cas précis l’exclusion vaut pour « forclusion », suggérant « le retrait du monde » ou à l’inverse le recours à la mise en scène en quelque sorte qui coïncide avec le martèlement des genres, mais toujours susceptible d’entrevoir « une réalité ». Une parmi tant d’autres, cela va de soi, comme un miroir à multiples facettes ou un kaléidoscope, jonglant adroitement avec ses masques. Mais l’auteur affirme également que la vérité est autre. Or restons terre à terre, quelle vérité hypothétique à conquérir, et qui plus est sous le régime de la transgression, peut (pourrait) s’accoutumer d’un sort incertain, y compris sur le plan sémantique et linguistique. Là encore une réponse est donnée : « L’écrivain polyglotte à son tour n’est pas moins sensible, ni moins maitre d’une langue, mais hyper-conscient des paramètres stylistiques, structurels et formels qui permettent les opérations. » (P.29). Ainsi l’écrivain, le poète, peuvent-ils être selon les circonstances, des « manipulateurs », parfaitement conscients d’une destinée toute autre où l’imaginaire foisonnant pose ses « marques » ici et là, comme une bête sauvage. Mais laquelle ? – « tout en restant chez soi ». (Page 29). A ce stade, on peut toujours imaginer que la littérature agit comme un « caméléon » parfaitement méthodique qui est capable de changer fréquemment de « masques » et de couleurs, pour s’adapter à toutes les circonstances. « Une rupture avec les rythmes de la vie, une rupture avec ses habitudes, une rupture avec les conventions », (P.30). Mais pas sûr justement ! En vertu d’une liberté dépassant les cadres et se mesurant au quotidien avec la force de l’intention et de la novation.

Un pari audacieux : Le dé-travestissement des langues-territoire !

On songe dans un même ordre d’idée au fameux Bodner Lab, initié par Jérôme David, professeur à l’université de Genève qui vise à offrir à plusieurs types de publics, une bibliothèque numérique de la littérature mondiale à partir de la Bibliotheca Bodmerania, et qui constitue une numérisation intelligente opérée via un flux opérationnel rigoureux en regroupant en « constellations », proposées, comme autant de portes d’entrées induisant l’imaginaire littéraire. « Des écrits d’auteurs dont les œuvres constituent maintenant (pour le meilleur et pour le pire), les classiques dans une certaine langue et un certain contexte, des histoires d’enfants, aux contes et aux grandes épopées nationales, tout un fil intertextuel traverse les écrits. A travers le perpétuel passage d’une littérature à l’autre… » (P.112), « L’authentique création de nouveaux mondes à travers les osmoses de mondes existants ». (P.112). Ainsi l’œuvre littéraire peut franchir la limite, toutes les limites de son propre imaginaire (décloisonné) en exploitant autant de paysages géographiques, que de paysages symboliques dont la régulation interne s’effectue par le seul mouvement dynamique de l’œuvre. « Esthétique et éthique du masque qui nous amène, poète des marges et des disparitions, à une liberté absolue ». (P.117). Et cette liberté si souvent contredite par les itinéraires empruntés, que vaut-elle au regard d’une liberté plus grande qui ne soit pas que « un support » écrit, et reproductible à l’infini, combinant toutes sortes de hasards ? On comprend alors, que la littérature ne prend sa liberté qu’au travers des manifestes et des théories qu’elle produit elle-même pour justifier d’un manquement normatif. Et si l’on ne peut parler ici d’anarchie, on peut toujours valider l’ide de déraison. « Tenter d’imaginer, ou même d’étudier, ce que l’auteur aurait fait dans la langue cible – tout en reconnaissant qu’il n’y a vraiment aucune manière de le savoir ou le vérifier. (P.124) »La traduction comme écriture imaginaire et projétante »  (P. 124). La traduction devient alors, une échappatoire sans risque, du-moins en apparence ou l’œuvre exerce son pouvoir d’attraction avec la langue de l’autre et en signifiant un public divers ouvert à toutes les propositions sémantiques, sans jamais être en mesure de filtrer les écueils pourtant inévitables de ce type d’entreprise au point de s’enivrer malicieusement d’une phraséologie immortelle, mais sans aucun dessein providentiel. Peut-on dire pour autant que la littérature mondiale est une parade insouciante du désir universel, sans autre objectif que d’activer certaines transmissions (ou simulations). La réponse semble moins évidente qu’elle n’y parait : « La littérature doit demeurer aussi ouverte que la sensation que génère le lac au milieu du désert ». (P. 182). En ce sens Amir Parsa, a su habilement démêler le vertige de l’impossible en bâtissant une œuvre complexe, que n’est pas qu’un simple exutoire mais une volonté puisant sa source au sein des grands Humanismes, sans jamais déconsidérer la force de l’abîme.

                                Le rythme m’emporte et le feu m’atteint
                                              Et je brûle dans les cendres
                                   le sang le sort de
                                               de la longue marche sans traces
                                  du poète glissant sur les parois
                                                invisibles… (page.184)

A lire absolument…….

Présentation de l’auteur

Amir Parsa

Né à Téhéran, Amir Parsa a fréquenté les écoles internationales françaises en Iran et aux États-Unis, a étudié à Princeton et à Columbia, vit actuellement à New York et dirige des initiatives trans/néodisciplinaires au Pratt Institute.

Écrivain, poète, traducteur, nouvelliste, concepteur culturel et commissaire d'exposition de renommée internationale, il est l'auteur de plus de vingt œuvres littéraires, dont Kobolierrot, Feu L'encre/Fable, Erre et L'opéra minora, un livre multilingue de 440 pages qui fait partie de la collection de livres d'artistes de la bibliothèque du MoMA et de la collection de livres rares de la Bibliothèque nationale de France.

Son œuvre littéraire - écrite directement en anglais, français, farsi, espagnol et divers hybrides - constitue une entreprise polyphonique radicale qui remet en question les attaches nationales, culturelles et esthétiques tout en façonnant des genres, des efforts discursifs et des types d'artefacts littéraires novateurs.

Bibliographie 

Lancée en 2016 avec Le Chaise (Oui, Le), les "clandestins" sont des œuvres caractérisées par leur diffusion clandestine.

En 2015, deux de ses livres ont été réédités par UpSet Press, Tractatüus Philosophiká-Poeticüus et Drive-by Cannibalism in the Baroque Tradition. La même année, il a lancé Seasons of the Manifestoes Global Barnstorm, un projet pluriannuel de conférences et de performances qui se produisent dans différents lieux géographiques et qui concernent un certain nombre de disciplines et de domaines émergeants. Il a été invité à donner la conférence annuelle Samuel H. Kress sur l'éducation muséale à la Frick Collection en juin 2015, tandis que The Multilingual Literature Manifesto a été présenté dans une véritable grange lors de sa résidence Marble House Project à Dorset, dans le Vermont, en août 2015. D'autres manifestations concernent des pratiques muséales innovantes (Museo Equis), des œuvres d'art radicales (les fondements théoriques de Le Chaise et de The Complete NothingDoings), des parcours artistiques aventureux (RiDE : On, le catalogue des trois premières années de la série Risk/Dare/Experiment qu'il a créée et conservée au Pratt Institute), ainsi qu'une nouvelle littérature mondiale et une nouvelle épopée littéraire.

Parsa a dirigé des conférences, des ateliers et des playhops plus traditionnels sur la poétique d'avant-garde, des projets d'innovation littéraire/artistique, et une réflexion sur la praxis de l'éducation critique et le design culturel dans des musées et des organisations du monde entier, notamment en Norvège, au Mexique, en France, au Brésil, en Inde et en Espagne. En tant que conférencier et éducateur au Musée d'art moderne, il a développé et dirigé des programmes, des projets et des expériences d'apprentissage pour un large éventail de publics, notamment les partenariats communautaires, Wider Angles, Double Exposures et l'expérience éducative singulière (EES) intitulée 1913 : That Year This Time - un cours multidisciplinaire qui s'est déroulé pendant douze heures dans les galeries et les salles de classe du MoMA. Il a également conçu et créé le programme PinG (Poets in the Galleries) au Queens Museum en 2007, le programme Rooftop Roars & Riverside R.

Avec des collègues, des étudiants et des amis, il a lancé ces dernières années le BookPub et le Translation Innovation Ensemble, entre autres initiatives, tout en menant des actions et des changements d'avant-garde dans les musées et l'enseignement supérieur à différents niveaux. Il dirige et orchestre également sa propre troupe trans/néo disciplinaire et littéraire/artistique/performative, The Elastic Circus of the Revolution.

Il travaille actuellement sur plusieurs séries et suites, dont La Pentalogia del Delirio, The Micro-Epic Decalogy et ¡ôwhatarevolution ! une suite projetée de onze pièces explorant, interrogeant et analysant la "révolution" politique par le biais de divers supports, langages, stratégies et discours. Il a été artiste en résidence au Musée d'art moderne de Bologne en juin 2015 et juin 2016, où il a travaillé avec un groupe de participants sur les cantos d'ÉPÏKÂNÕVÀ, son épopée littéraire polylingue en cours.

Les collaborations curatoriales, les performances, les pièces conceptuelles et les subversions de Parsa, ainsi que les projets photographiques, participatifs et d'exposition ont eu lieu dans un grand nombre de galeries, d'espaces publics et d'environnements. Dans l'ensemble et au fil des ans, ses livres, ses œuvres littéraires transgressives, ses fusions artistiques et ses interventions et perturbations néo-disciplinaires ont ébloui et déconcerté, enchanté et énervé, attiré les louanges et le mépris, et crevé les ballons de nombreux empereurs. Il a également opéré et s'est engagé dans divers théâtres artistiques, culturels et politiques sous plusieurs pseudonymes.

Poèmes choisis

Autres lectures

Amir Parsa, Littéramûndi

Né en Iran en 1968, Amir Parsa, appartient à cette génération d’auteurs particulièrement rares, pour lesquels un monde meilleur est encore possible et que l’on aime arpenter, en dehors de tout préjugé ou [...]




La liberté d’expression ou la liberté avant tout !

Fondé en Grande Bretagne, par la dramaturge Catherine Amy Dawson Scott et John Galsworty, qui recevra le Prix Nobel de Littérature en 1932 et ce au lendemain de la Première Guerre Mondiale, alors que l’Europe pleure encore ses Martyrs, LE PEN CLUB INTERNATIONAL  a pour objectif entre autres de défendre la liberté d’expression des écrivains à travers le monde.

Cette organisation mondiale, désormais reconnue en Cat A, auprès de l’UNESCO, et par le Conseil économique et social des Nations Unies, a très vite pris son essor avec l’éclosion parfois simultanée de nombreux Centres à travers la planète, comptant parmi ses membres des écrivains, des poètes, des auteurs dramatiques etc. souvent de grande renommée. En France, pays des Droits de l’Homme, Le PEN CLUB verra le jour à Paris, avec un premier Président,  en la personne du célèbre écrivain ANATOLE France, (1921-1924) suivi par PAUL VALERY (1924-1934), JULES ROMAIN (1934-1939), JEAN SCHLUMBERGER (1946-1951), et bien d’autres encore, dont le très regretté GEORGES EMMANUEL CLANCIER (1976-1979) disparu en 2018 et dont le fils SYLVESTRE CLANCIER, marchera sur les traces de son père, puisqu’il  fut à son tour Président à deux reprises, 2009-2012 et 2016 -2018, succédant à JEAN BLOT et JEAN ORIZET. Actuellement et ce depuis 2020, après une courte période de turbulence, c’est l’écrivain et journaliste ANTOINE SPIRE qui assure désormais la présidence, avec il faut le dire beaucoup de dynamisme et de conviction !  

Le PEN CLUB FRANÇAIS a 100 ans !

Belle longévité pour une organisation dont certains avaient malencontreusement prédit la disparition. Certes elle demeure discrète, et sans tapage médiatique outrancier, il n’empêche que le Centre français, promet dans les années futures une belle vitalité ! 

 Pour la liberté d’expression, livre du centenaire du PEN Club français, 343 pages, 18 euros, éditions Le Bord de l’eau.

Occasion pour les éditions Le Bord de l’eau,  de publier un ouvrage important sous la houlette d’Antoine Spire, Sylvestre Clancier, et Laurence Paton, intitulé, « Pour la Liberté d’expression, Livre du Centenaire du Pen Club Français », qui se veut rendre un hommage appuyé aux actions menées par le Centre depuis sa création, lors de périodes de l’histoire, souvent tumultueuses et tout autant dramatiques pour certaines d’entre elles, et qui témoignent de l’engagement de nombreux écrivains et poètes français en faveur de la liberté d’expression et de la liberté tout court.

On songe bien évidemment à la Seconde Guerre Mondiale, avec son cortège de monstruosités où nombre de compatriotes perdirent la vie, afin de lutter contre une idéologie mortifère et destructrice. Paix à leur âme !

 Le Pen Club français conforte l’idée de laïcité !

Dans sa longue introduction, ANTOINE SPIRE semble vouloir lever des doutes quant à l’idée de laïcité, un sujet qui demeure toujours sensible. « De ce fait ceux qui méprisent les croyants et stigmatisent leur adhésion à une foi quelle qu’elle soit, ne sont pas en accord avec notre conception de la laïcité ». (P.8). « Au Pen Club, la diversité des engagements nous conduit  à prendre en compte plusieurs conceptions de la laïcité » (P.8), un message particulièrement clair et qui ne souffre d’aucune ambiguïté…

 La censure sociétale : Qu’est-ce à dire ?

Au même titre que la censure sociétale qui égrène de manière fort sournoise, notre civilisation occidentale à bout de souffle. Une censure pouvant conduire dans certains pays, jusqu’à l’intimidation, la pression, l’emprisonnement, voire la torture. Engager la peur sur le chemin de l’Humanité est malheureusement une constante universelle depuis l’aube des temps, et qui dans bien des cas mène aux guerres et pire encore à l’extermination. « La censure n’est plus l’exclusivité d’Etats autoritaires elle est devenue le fait de fractions de la société civile qui veulent interdire l’expression de ceux qu’elles jugent engagés, consciemment ou non, réellement ou non, dans une prétendue caution donnée au racisme et au sexisme ». (P.9) Et l’on voit bien aujourd’hui où certains discours mènent, vers une discrimination permanente des enjeux prioritaires, et qui tentent de masquer les réalités qui nous entourent, sous le prétexte de la pacification des intentions, et qui de fait nourrit une société précisément  devenue sans enjeu, et sans discernement. Or il s’avère également exact, que nos grands intellectuels ont fait le choix de se taire, et il est à craindre que le terme même d’intellectuel soit remis en cause, pour laisser la place à un brouhaha informationnel, dans lequel la pensée s’épuise, afin de céder la place « aux inquisiteurs exclusifs du droit à la parole », comme en témoignent les dérives quotidiennes de certains médias et réseaux sociaux.

Quid de la censure économique !

Antoine Spire évoque également la censure économique ;  vaste sujet en effet !  Bien plus difficile à appréhender celle-là, car plus pernicieuse et larvaire mais dont les dégâts sont tout aussi probants. « Sur ce point le Pen Club, provoque des alertes et un débat, à partager parce que la France est désormais l’objet d’une manipulation d’envergure de l’opinion qui étonne à l’étranger ». (P.13) en favorisant une certaine élite artistique dévouée au système et qui profite à bien des égards de ses largesses, et en nuisant à une création plus intègre mais mal soutenue. Les pouvoirs publics en sont-ils pour tautant responsables ; certes non ! Il existe tout de même certains cadres législatifs auxquels se référer, le danger vient certainement d’ailleurs, lié à une mondialisation vorace dont le capital est le seul moteur de croissance au détriment de moyens économiques plus respectables. Est-ce une fatalité pour autant ? On pourra toujours considérer que les modèles sociétaux déclinent au moment de leur apogée. Et parfois disparaissent comme ils sont venus,  comme laissant apparaître une civilisation meilleure. On peut toujours espérer dans ce sens !

Outre ces nombreuses actions le Pen Club français délivre chaque année des prix littéraires importants qui défendent une littérature de qualité.




Dominique Sampiero reconvertit l’espace intime de la dissidence !

« CE QUI EST TROP CLAIR en poésie relève d’un défaut technique. »  D’emblée que faut-il entendre ou comprendre par cette apostrophe singulière presque vindicative, lancée volontairement sur la page par l’éminent critique Alain Borer dans sa préface vertigineuse du dernier recueil de Dominique Sampiero intitulé superbement, INVENTAIRE DU VIDE COMME NEIGE ET FLEURS NON REPERTORIEES dont le titre circulaire autant que dynamique laisse entrevoir une nouvelle tonalité dans l’œuvre déjà considérable de l’écrivain-poète.

« CE QUI EST TROP CLAIR » en effet n’exerce pas la fascination, sauf d’une luminosité transcendante mais de toute évidence hypothétique  – et qui laisse entrevoir parfois une véritable fragilité verbale dont l’inspiration est souvent fautive et grandement  fugitive, qui vient corroborer l’idée, (dans un autre sens cette fois-ci) qu’il existe en amont une « poésie au ras des pâquerettes », une fleur pourtant fort jolie et avenante, ce que je confirme d’ailleurs par l’expérience critique, qui est la mienne depuis de nombreuses années. Mais Alain Borer dont on connaît les subtilités linguistiques autant que les tours de passe passe, et qui ne s’attache guère aux présupposés rétablit aussi –là – une part de vérité ! « Dominique Sampiero écrit en état d’ivresse ». Là encore la formule pourrait se révéler accablante si elle n’était pas sous-tendue ou superposée à un imaginaire fécond et fécondé par quelques astres cachés ; magiques ? Pour celles et ceux qui connaissent un tant soit peu l’œuvre de Dominique Sampiero, de nombreux écueils devront être évités. On pourra toujours affirmer que l’œuvre de Sampiero, mais de manière tout de même un peu facile, puise aux confins d’un certain lyrisme tardif tant la valeur ajoutée de la syntaxe poétique, partiellement vécue comme une incursion/conversion, délimite l’idée d’une poésie réfractaire à toute sortes « d’endormissement » et qui n’est nullement « le jeu rédhibitoire », d’une humanité « souillée » par le destin, dont le poète se fait fort depuis des lustres de recouvrir les traces. 

Dominique Sampiero, Inventaire du vide comme neige et fleurs non répertoriées, Editions Corlevour144pages, 18 euros.

Nul travestissement en vérité, Dominique Sampiero est un poète « cash ». « Il transgresse savamment mais innocemment. Le langage est un vaisseau et le poète son pirate, son pire acte. » (P.8) De quoi en effet tomber à la renverse ! Tant l’intrusion du critique engage à la plus grande prudence de lecture. « Que je sois vivant ou mort, je suis en face d’un réel qui organise mes absences passées et à venir ». (P.9) Je reprendrais cette formule plus tard tant elle me parait essentielle dans la compréhension du présent ouvrage.

Chez Sampiero, vouloir vivre est une contradiction différée !

Ainsi le ton est-il donné, d’un « Homme Habité », qui se fiche pas mal « du vouloir vivre », à l’inverse de courir après une mort qu’il connaît trop bien. Car le poète semble éprouver la vie comme une mort presque certaine ou bien alors d’écrire fortuitement et discrètement que la mort elle-même est plus réelle que la vie. Non qu’il faille croire que toute mort, détruit toutes formes d’illusions secondaires et passagères, mais plutôt qu’elle trouve la vie ridicule parfois et soudainement obsolète, dès lors que l’on côtoie allègrement ses « propres cadavres ambulants ». « Le Réel est une croyance – jusqu’au jour où il cogne ». (P.9) Et lorsqu’il se met à cogner (dur), c’est tout un monde, le monde, qui s’étiole et se fracture... Aussi envers et contre tout, le poète n’est jamais dupe, « son Réel », ne ressemble à aucun autre, il est LUI – et même « si le vaste reste simple » ; pourquoi en serait-il être autrement d’ailleurs ? Nul besoin de clôture factice et inutile afin de trouver le bon refuge à la survie. « L’inachevé respire entre les cailloux d’un repos imaginaire ». (P.13) Belle contradiction une fois de plus, qui se veut à la fois remède et poison, re-commencement et pourrissement. Or Dominique Sampiero a appris a dompter les éléments, au « cœur » d’une sagesse impénétrable, celle qui ne trompe pas sur le sens du monde, probable et improbable, ouvert et fermé, mais jamais vraiment tout-à-fait-amical. Ici on ne se souvient que des cailloux, érigés maladroitement en « pierre tombale », mais méfions-nous là encore de ce qui ressemble à une sombre invitation ! « Ici on se souvient des voyages sous le ciel et du corps archaïque du désir ». (P.15) Car chez LUI, le corps reste un absolu à conquérir ; par le désir alors ? Fut-il volontairement archaïque. Eh bien pas sûr justement ! Pour Sampiero, le désir n’est pas nécessairement une juste révélation de l’entendement Hégélien, oserais-je dire, mais plutôt le contraire admissible d’un faux consentement « qui se pose sur les mains ». A ce stade on pourra toujours penser que « Par ce ralenti de l’invisible et du cri, le ciel et la boue se marouflent l’un contre l’autre puis, médités à l’envers, se souvient de quelque chose sans arriver à le nommer ». (‘P19), car si l’approche encombrée de l’Autre ne semble pas très loin, les références sont nombreuses dans ce recueil de la présence humaine même intelligemment camouflée, le dehors dans le dedans semble vouloir faire exception. « Le chant est resté figé sur place, ahuri de lucidité.» (P.20) et plus loin encore, « J’ai vécu un mot qui a crevé mon espace d’un trou noir. Que je sois vivant ou mort, je suis en face d’un réel qui organise mes absences passées et à venir ». (P.21) On peut alors considérer sans guère de contre-sens que le fameux trou noir considère le Réel comme une accidentation intentionnelle de la pensée toujours solitaire et sans pour autant prétendre à une vacuité magistrale, Ainsi il semble presque évident, « qu’une brèche dans l’écart se fissure pour apparaître ».  Nous y sommes arrivés finalement ! « La fissure », est bien le « lieu de la mémoire » du poète – mais un tiers lieu.  Une friche qui ne demande qu’à être habitée, réhabilitée sans contrainte. Les espaces naturels ont besoin d’une grande liberté pour exprimer leurs désaccords.  « Figure insoupçonnée, invérifiable, dont nous sommes harcelés par l’intuition ». (P.25) Et cette intuition là n’a rien de vraiment solvable, car elle agit en surimpression. Elle, ne fait que glisser lentement, afin de donner naissance au risque. Et la réponse est donnée de manière presque brutale, « Quel démon mal foutu nous fait croire que les cailloux de l’invisible nous lapident à chaque fois que nous doutons ? » (P.26) 

Toute grâce même révélée demeure abstraite et insondable !

Et Sampiero, connaît bien tous ces démons, il en a fait l’inventaire laborieux tout au long de son œuvre, à tel point que l’on peut croire naïvement que le poète ne doute de plus rien comme « une grâce du psaume blanc » (P.27)  écrit-il comme une sorte d’avertissement et de pleine certitude. Qu’est-ce donc que cette grâce là, dont le sens originel n’est pas complètement révélé et encore moins en adéquation avec le ciel ? La grâce pour Sampiero est un artéfact ou tout bonnement une vitre sans tain, « sans rédemption ». « Mettre debout un champ ne prouve rien d’autre que le passage qu’il ouvre dans son format », (P.28) « On l’éventre jusqu’au suintement, on attend de voir perler le goutte à goutte de l’instant » (P.29). Ou bien encore, « En lacérant le papier, on se libère de tous les livres écrits en trop »  (P.29) - un sacrifice en quelque sorte « sans le regard de Dieu ». Ici la conscience s’avère fulgurante, car elle finit par cogner dur dans l’imaginaire du poète. Elle ne le lâche pas ! Le poète devient la proie de sa propre hantise compulsive et rongeuse de l’intérieur comme de l’extérieur, il peut à peine la nommer, encore moins la dissoudre dans l’oubli. « Comme d’une phrase capable de nous guérir de la carnation » (P.30), « ce tutoiement en forme de miroir, vers l’inconnu, cette deuxième peau que l’infini a déposée ici pour nous, en attendant d’en savoir plus définitivement » (P.34). Comme « une grâce réfractaire aux évangiles » (P.34). Sampiero lui n’a jamais connu la grâce, elle ne lui a jamais été promise ou accordée, au même titre que ce tutoiement presque indicible, dans lequel le poète aimerait se réconforter, ou du-moins se conforter un peu face au monde qui lui échappe encore et encore ! Un monde qui parfois prend l’apparence de la traitrise, car il n’a rien à offrir de clairement apparent, « Ni ange, ni dieu, juste une couleur cherchant un centre, le révélant à l’intérieur de celui qui la scrute. » (P.35). Or cette couleur, n’est pas clairement donnée, elle fait défaut à l’adhérence du poète à son monde, une couleur finalement qui se cherche dans un trou noir, sans être capable à un moment donné de la quête d’exprimer « sa pleine puissance », car de l’existant, elle ne sait rien d’autre que « la sortie du corps avant le corps » (P.37), le  corps impossible à expulser, qui va du dehors au-dedans et du dedans au dehors, presque inconsciemment ; rivé à toute forme d’enfermement.

Cette fois-ci le tour est joué presque malencontreusement !

Aussi toute la complexité du présent recueil vient du fait qu’il ne révèle rien d’autre qu’un existant inachevé, que le poète a lui-même souhaité pour se dédouaner de son ivresse perpétuelle et inassouvie. Une drôle  de mise en scène de l’inconscient poétique, où la métaphore joue inévitablement un double jeu. Une métaphore presque sournoise, qui a elle-même choisi son format, sans se soucier du réceptacle. « Si nous. Si seuls » (P.40) affirme encore le poète qui a fini par renoncer. « Nous sommes infirmes, et infinis. Nous boitons entre le néant et le ciel, le monstre et le saint, la flaque et l’étoile » (P.41). Or le boiteux, n’est-il celui pas cet être maudit dans le monde d’avant et dans celui  d ‘après, et qui porte en lui le revers de l’existence malchanceuse, comme un sombre artifice, auquel le poète ne peut pas donner de nom. Et même si l’œuvre nous épuise et nous façonne » (P.42) nous permet –elle finalement de rester debout, dans la plus « élégante  dignité » ? On peut en effet en douter….

Présentation de l’auteur

Dominique Sampiero

Dominique Sampiero est né dans l’Avesnois, région de prairie, de forêt, de bocage du Nord de la France, l’hiver où l’abbé Pierre lance son appel pour les sans-logis, quelques jours après la mort de Matisse et le même mois que la démission de Marguerite Duras du Parti Communiste.

Instituteur et directeur en école maternelle à partir de 1970 et pendant une vingtaine d’années, militant des pédagogies Freinet, Montessori, Rudolph Steiner et de la pensée humaniste de Françoise Dolto, il démissionne de l’Education nationale en 2000 pour se consacrer entièrement à l’écriture.

Poète (Prix Ganzo 2014 pour La vie est chaude, éditions Bruno Doucey et pour l’ensemble de son œuvre), romancier (Le rebutant, Gallimard, prix du roman Populiste 2003), auteur de livres jeunesses (P’tite mère, Prix sorcière 2004) mais aussi scénariste (Ça commence aujourd’hui, Prix international de la critique à Berlin, et Holy Lola, deux films réalisés par Bertrand Tavernier) auteur de théâtre (TchatLand / Le bleu est au fond) et réalisateur de courts métrages (La dormeuse / On est méchant avec ceux qu’on aime), il reste profondément attaché à sa région natale et une grande partie de son écriture parle de la lumière des paysages et des vies minuscules en lutte avec leur propre silence et l’oubli.

Son dernier roman Le sentiment de l’inachevé paru en Avril 2016 chez Gallimard est une plongée dans l’enfance à travers laquelle il raconte une histoire d’amour qui laissera une empreinte forte dans son élan vers l’écriture. La petite fille qui a perdu sa langue (Gallimard jeunesse Giboulées. Illustrations Bruno Liance ) a été écrit avec des enfants en difficulté scolaire. Les éditions de la Rumeur Libre ont publié le premier tome de l’ensemble de ses textes poétiques.

Photo de Jacques Van Roy.

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Le verre, on voit à travers, au point de ne plus le voir, tant il est immergé dans le quotidien. Matériau banal, usuel, utile, sa transparence se double d'invisibilité. Pourtant, on peut  voir [...]




Gabrielle Althen, La fête invisible

Arpenter un ouvrage de Gabrielle Althen révèle parfois bien des surprises. Poétesse reconnue au sein de la petite galaxie poétique chloroformée, elle a été notamment professeur des universités (Paris X Nanterre) sous le nom romancé de Colette Astier. Membre de l’Académie Mallarmé et du jury du Prix féminin Louise Labé, avec à son actif une vingtaine d’ouvrages dont certains propices à la promenade intérieure.

« Je n’ai jamais reçu de prix littéraire hormis un je crois » affirme- t-elle, mais ce n’est  pas une fatalité en soi lorsque l’œuvre est solide. La quête des glorieux lauriers est souvent l’expression d’un manque ou d’un mal-être profond, la reconnaissance passe bien souvent par des chemins plus subtils et plus durables fort heureusement d’ailleurs…Dans son nouveau recueil intitulé majestueusement « La fête invisible », un titre éloquent sinon flamboyant, la poétesse dont on connait l’exigence et la rigueur verbales nous entraine dans un monde à la fois visible et invisible dans lequel la mémoire instaure un compromis volontaire, entre un réalisme engagé, et une rêverie palpable, oserais-je dire féérique où la Beauté à venir semble déjà présente et s’imposer pleinement. Une Beauté spontanée qui se livre intégralement et intrépidement, sans masque. Une Beauté délicate, élégante,  qui définit l’instant présent –fugace (sans jamais renier la charge du passé préexistant).

Gabrielle Althen, La Fête invisible, Gallimard, 128 pages, 14, 50 euros.

Une centaine de courts poèmes, alliant verticalité et horizontalité dans un jeu transversal et qui délimitée un parcours ou plutôt une cartographie insondable (toute cartographie est un lieu transitoire, inachevé) dans laquelle l’inexprimable côtoie habilement le révélé, à tel point que l’on se demande, s’il n’y a pas derrière ces mots « ouverts » à une plénitude engageante, comme un artifice singulier qui se déploie et se déplace ici et là dans une langue  abrupte et  lisse  à la fois et qui convoite une instance plus souterraine:

Depuis les friches du moment
Car
(L’œil cherchant l’œil où s’inscrire)
J’erre où tu me manques
Bien que je ne sache au juste qui manque (P.13)

Une lumière aussi dont il faut cependant se prémunir de l’incertain éclat qui parfois là encore peut se révéler retors, voire dévastateur, car la poétesse qui tantôt se veut sereine, ou tantôt tourmentée, sait pertinemment que les rayons invisibles du soleil sont parfois meurtriers. A trop vouloir sonder certains objets impalpables pour en percer je ne sais quel étourdissant mystère, on finit par devenir aveugle. Or Gabrielle Althen a toujours été une femme un peu secrète, mais également obstinée. Il n’est donc pas étonnant que :

Le silence a encore les dents jaunes (…) Qui donc avait.. (P.12)

Qui donc avait éteint le jour en se trompant de manque ? (P.13)

Et qui résonne dans le cas présent comme une sorte d’alerte. L’imprévisible est au cœur d’une parole toujours en devenir,

Et le vent fait sonner la couleur de ce vide (13)

Fulgurant cependant et cheminant lentement à travers les masques de la nuit qui corrompent l’âme et la chair en toute impunité. Et on l’aura compris, cette Beauté (est-elle fatale au juste ?) qui semble en apparence explicite et transparente, peut également contenir des aspects plus sombres que la poétesse se garde bien de révéler et d’infléchir au risque de tromper son Esprit.  Or ce manque qui s’est naturellement établi dans la conscience (ou l’absence de conscience) se distingue lui –même comme un simple exercice- d’ordre linguistique ? – et mental ; une hyperbole catalysée en quelque sorte,  mais d’une plus grande plénitude lorsqu’on va le chercher, Amour ! Ö Amour ! Est-ce bien de toi dont il s’agit lorsque,

Des enfants jouent sous le ciel fastueux (P.27)

Il n’est plus alors certain (mais ?) que le langage comble un vide plus grand encore – comme si la fluidité des mots n’était que le pâle reflet d’un abîme refoulé. Aussi la poétesse se garde bien une fois de plus et ce vraisemblablement pour se protéger (mais de qui ?) de dire et d’écrire, le CORPS qui l’occupe et qui d’une certaine manière la traverse, mais cette fois-ci sans laisser de béantes cicatrices. Gabrielle Althen a force d’efforts et de patience conjugués, a appris au cours du temps à maîtriser le mauvais sort. Comme « l’éclat rétractile » elle ne se confond (se meut) ni dans le bleu du ciel, ni avec le sommet de la montagne, et encore moins dans leur excavation.  Tout se joue ailleurs, dans un ailleurs fécond qui fait que « le ciel reste ciel »,  et que la montagne peut parfois s’effacer  miraculeusement;

Le ventre du ciel racle encore la montagne et les points
cardinaux continuent de se taire : (P.35)

Ainsi,

Dans le jardin qui enlaidit
La chose déjà fanée se pose et se repose (P.37)

La chose ? Voilà donc où le regard s’évide (P. 41),, en se perdant vraisemblablement dans un tumulte plus ancien où l’œil n’a plus vraiment de prise sur le dicible/indicible, avec en arrière plan, la folie de croire que la fusion instantanée recouvre l’AMOUR perdu dans les méandres de la terre, ou bien encore dans l’espace/temps,

Falloir ! Mais qu’il y faille, qu’il y faille mériter le désir ! (P.45)

Une véritable et implacable injonction. La poétesse, qui soudain se réveille après une longue  et âpre insomnie,  entend bien dès lors, ne plus se laisser pervertir, engloutir, par toutes sortes de fadaises, (« La sincérité est une escroquerie »), au contraire elle entend bien lutter contre ce qui depuis tout temps l’obsède :

Beauté : le ciel a forcé les fenêtres. Les phrases sont dissoutes (P.59)

Beauté., nue comme une lame, pur lys de ciel, - et ordre de couteau ! (P.72)

Ainsi toute la force du présent recueil repose t-il principalement et paradoxalement sur cette fragilité acquise au cœur de l’expérience personnelle, et intime, aussi bien que fortement maîtrisée depuis le début d’une longue aventure poétique. Les mots n’ont pas « dévié» de leur lieu originel, et ne s’offrent guère plus à la vue, même si :

La tentation n’est guère ordinaire pour beaucoup de savoir que le monde est une chance (P.86)

Avec l’errance qui se brise contre la promesse, pour finalement s’exclamer :

Suis-je heureuse ?  (P.114)

 

 

Présentation de l’auteur

Gabrielle Althen

Gabrielle Althen, habite à Paris et dans le Vaucluse. Professeur émérite de Littérature comparée de l’Université de Paris X-Nanterre, elle se consacre désormais à l'écriture. Outre sa création propre, (poèmes, nouvelles et un roman), elle mène une réflexion sur la poésie et sur l’art et se livre à ce qu’elle considère comme des essais de critique méditative. Elle s’intéresse à la musique dont elle a une pratique privée et à la peinture. Elle a écrit sur l’œuvre d’un certain nombre de peintres ( Lorris Junec, ou la décision de la lumière, Edouard Pignon : Catalogue de l’exposition qui s’est tenue de février à avril 1985 aux Galeries Nationales du Grand Palais, Javier Vilato, Jean-René Sautour-Gaillard etc.) Elle est membre du jury du prix Louise Labé.

Bibliographie

Poèmes

  • Le Cœur solaire, Rougerie, 1976.
  • Midi tolère l’ovale de la sève, Rougerie, 1978.
  • Présomption de l’éclat, Rougerie, avec une eau-forte de Lorris Junec, 1981, Prix Louis-Guillaume.
  • Noria, Rougerie, 1983.
  • Le Sourire antérieur, Les Impénitents, 1984.
  • La Raison aimante, Sud, Eau-forte d’Edouard Pignon, 1985.
  • Hiérarchies, Rougerie, 1988.
  • Le Pèlerin sentinelle, Le Cherche midi, 1994.
  • Le Nu Vigile, dessins de Javier Vilato, La Barbacane, .
  • Sans preuves, Dune, 2000.
  • Cœur fondateur, illustrations de Pierre Mézin, Voix d'encre, 2006.
  • La belle mendiante, suivi de Lettres à Gabrielle Althen de René Char, L'Oreille du Loup, 2009.
  • Vie saxifrage, Éditions Al Manar / Alain Gorius, 2012.
  • Soleil patient, collection "Les Cahiers d'Arfuyen", Éditions Arfuyen, Paris-Orbey, 2015 (ISBN 978-2-845-90218-3)

Nouvelles

  • Le Solo et la cacophonie, Contes de métaphysique domestique, Voix d’encre, 2000.

Roman

  • Hôtel du vide,  éd. Aden, 2002.

Essais

  • Proximité du Sphinx, recueil d’essais, Intertextes, 1991.
  • Dostoïevski, le meurtre et l'espérance, Le Cerf, 2006.

Anthologies

  • Anthologie de la poésie française du xxe siècle, édition de Jean-Baptiste Para, nrf, Poésie/ Gallimard, 2000.
  • Un certain accent, Anthologie de poésie contemporaine, Bernard Noël, l’Atelier des Brisants, 2002.
  • 49 poètes, un collectif, Flammarion, collection poésie dirigée par Yves di Manno, 2004.

Publication en revues

  • Jointure (revue littéraire), figure de proue des numéros 56, hiver 1998, et 88, automne 2008
  • Les Hommes sans épaules, cahiers littéraires, fronton "Les Porteurs de feu" du numéro 32, second semestre 2011

Poèmes choisis

Autres lectures

Gabrielle Althen, La fête invisible

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Anthologie mondiale de la poésie…

« Plaisir de lecture »

C’est un pari audacieux, voire hautement risqué que nous propose les éditions CARACTERES, sous la houlette de sa directrice Nicole Gdalia, également poétesse et universitaire. Docteure en Sciences de l’art et des religions, elle a été notamment responsable de la chaire UNESCO, pour le dialogue interculturel. - dans le cadre du 71èmeanniversaire de la fondation des éditions Caractères par Bruno Durocher. Une maison d’édition discrète implantée au 7, rue de l’Arbalète dans le cinquième arrondissement de Paris, mais qui a fait ses preuves depuis quelques décennies,  grâce à son important catalogue dans le domaine étranger.

Une anthologie de la poésie mondiale, en deux volumes, sous un luxueux coffret, qui ne tardera pas, soyons-en certains, à devenir « collector ». 372 auteurs répartis sur  96 pays avec d’étonnantes surprises. Un travail titanesque réalisé en collaboration avec Sylvestre Clancier et Jean Portante, et avec le concours la Région Ile de France. Un graphisme particulièrement singulier et soigné, il faut le souligner, avec de nombreuses illustrations couleurs et des photographies d’auteurs.

Perdurer la mémoire de son fondateur…

Occasion aussi de rendre hommage à son fondateur le poète Bruno Durocher ou Bronislaw Kaminski, né à Cracovie (Pologne) en 1919.  Sa mère médecin le confie très tôt pour sa scolarité, à l’institution des frères Piaristes, ou Ordre des frères des écoles pies, fondé au VIIème siècle par Saint José de Calasanz, où il se révèle être un élève particulièrement brillant et précoce avec un fort attrait pour le mysticisme, une qualité rare d’ailleurs qui ne le quittera jamais et  qui de fait ne sera jamais contestée par la suite. Vers la fin de sa vie, on le qualifiera même de « Prophète », un qualificatif réputé insondable car « non révélé » au commun des mortels (non pris, non-dit, non communicable).

Ainsi, très jeune adolescent, il se révolte contre les injustices sociales, contre la vie littéraire figée, contre tous les aspects conventionnels de la société, en déclarant ouvertement sa liberté de parole et de ton.

Anthologie de la poésie mondiale, (sous la direction de Nicole Gdalia, Jean Portante, Sylvestre Clancier). Pack en 2 volumes A-L ; M-Z, 55 euros, éditions Caractères.

A l’âge de 17 ans, il publie un premier recueil de poèmes qui fera date et qui lui vaut le surnom fort enviable de « Rimbaud Polonais », de quoi bien débuter dans le monde des lettres. Malheureusement au cours de l’été 1939, l’Allemagne nazie envahit la Pologne et le poète n’échappera pas à l’arrestation. On l’enregistre comme jeune intellectuel. Il est ensuite interné successivement aux camps de Struthof et Sachsenhausen.  Il passera ensuite cinq longues années dans le camp de Mauthausen endurant le froid, la malnutrition dans des conditions hygiéniques épouvantables et inhumaines. Il survit néanmoins par miracle. Lorsqu’il est enfin libéré en 1945. Il est alors conduit à Paris par la Croix-Rouge française où une nouvelle vie va pouvoir enfin commencer malgré la disparition de toute sa famille. Il rêve alors de fraternité et de langue universelle. Il apprend l’Espéranto, se consacre à la lecture et à l’écriture avec une fougue inhabituelle. Le poète malgré les souffrances n’a pas perdu de son désir de vivre en montrant au monde, que la dignité retrouvée est porteuse de tous les espoirs. Mais il faut continuer à se battre enfin de pouvoir se regarder en face dans un miroir sans rougir « d’être ce que l’on est ». Et il est clair que le poète, lui, le rescapé des camps de la mort, n’a pas à rougir d’avoir ainsi survécu à l’infamie troublante des hommes sans cerveau. Pourtant et paradoxalement il ne leur voue aucune haine manifeste. L’Homme aurait-il pardonné à ses bourreaux ? Là encore c’est tout un mystère !  Et c’est au cours de cette période qu’il fonde avec quelques amis poètes, Jean Follain, Jean Tardieu, André Frènaud, la Revue Caractères qui publiera les plus grands noms de l’époque, puis les éditions Caractères qui à leur tour révéleront de jeunes talents. Il fait d’ailleurs l’acquisition de sa propre imprimerie artisanale qui finit par devenir célèbre avec le temps.  Pour ceux qui ont eu la chance de le connaitre, on se souvient d’un personnage effacé derrière son petit bureau, à peine éclairé presque en contre-jour.  Un homme au regard lumineux, aimant, mais portant les stigmates d’une souffrance encore présente. Un homme à la parole quasi silencieuse, souvent douce et mesurée, parlant rarement de lui mais plus facilement de l’AUTRE. Et très à l’écoute des jeunes poètes de son temps, il s’amusait parfois d’ailleurs d’écouter ces jeunes « trublions » utopistes et impatients voulant refaire le monde à leur manière, non sans quelque naïveté toutefois, mais certainement sincère…. Après sa disparition Nicole Gdalia reprendra le flambeau avec l’enthousiasme qu’on lui connait, ne parle-t-elle pas d’ailleurs elle-même, souvent de Fraternité. Ainsi « Le Prophète » ne disparaitra-t-il pas….

 

« Quand le silence fut sur les cendres de mon monde j’ai tâté mon corps sans croire qu’il existe car il était composé des os et de la peau comme un squelette habillé d’un drap »

« Langue de mon pays natal végétait en moi comme une mauvaise racine comme un souvenir qui revenait à la réalité »

A l’image de l’homme

Editions Caractères 1975-1976

Des choix judicieux et éclairants …

Les anthologies de poésie font actuellement légion, mais admettons-le toutes n’ont pas le même attrait et la même vocation. Souvent thématiques et répondant le plus souvent à une ligne éditoriale bien définie, permettant de mettre en valeur des auteurs de tout bord, et c’est tant mieux, elles n’en demeurent pas moins éphémères, voire vite oubliées, maladroitement rangées dans les rayons des rares librairies qui les accueillent. De même que le choix des auteurs proposés s’avère souvent aléatoire et très ciblé, chaque éditeur ayant ses petites préférences littéraires, ce qui somme toute semble assez logique. Certes l’on retrouve certains d’entre eux dans de nombreuses publications avec une belle visibilité à force de patience et de temps. Mais leur nombre demeure fort limité, sorte de loterie implacable propre à générer des frustrations et des rancœurs chez » les oubliés de l’histoire littéraire », mais il est assez rare qu’une grande œuvre passe inaperçue.

Une poésie qui se veut bien vivante et au-delà des frontières !

Qui permet au lecteur de se faire une idée assez précise de la production poétique et littéraire d’une période donnée. Et c’est tout le mérite de cette anthologie où l’on côtoie inlassablement des poètes disparus, mais qui ont marqué leur temps, Antonin Artaud, Claude Aveline, jacques Bens, Luc Bérimont, Michel Butor, Jean Cassou, Georges Emmanuel Clancier, Juliette Darle, Pierre Emmanuel, Isidore Isou, Pierre-Jean Jouve, Jean Laugier, Joyce Mansour,  Bernard Noel, Jean  Rousselot, Raymond Queneau, et tant d’autres encore que  nous ne nous lassons pas de lire ou relire ; et les vivants , Jacques Alyn, Jacques Ancet, Ben Vautier,  Sylvestre, Clancier, Michel Deguy, , Jacques Jouet, Nelly Kaplan, Nohad Salameh,, Vénus Khoury- Ghata etc… Et puis bien sûr des poètes de tous les continents pour n’en citer que quelques-uns.  Frederico Garcia Lorca, (Espagne), Edouard Glissant (Martinique), Vahé Godel, (Suisse), Ossip Mandelstam, (Russie), Edouard Maunick (Île Maurice), Paula Meehan, (Irlande), Czeslaw Milosz (Pologne), Géo Norge (Belgique), Erza Pound (Etats-Unis)  Bejan Ratour (Turquie), Yannis Ritsos (Grèce) etc…

En clair une publication rare qui tombe à pic, dans une période désabusée, où chacun se regarde en chien de faïence, sans trop savoir quelle direction prendre faute de marqueurs probants - où les rapports humains apparaissent parfois disloqués, voire mortifères, où la parole et les mots ne semblent plus avoir de réelle importance -où l’on confond la fragilité du sable et du vent, avec la force du granit et du fer, multipliant les confusions du genre humain. La poésie s’affirme alors, comme le meilleur rempart de notre liberté. Merci à toi Nicole, et nous n’en attendions pas moins de toi, pour ce rappel pour le moins salutaire…




Carole Marcillo Mesrobian, De Nihilo Nihil ou la simulation des origines….

Dans un précédent opuscule intitulé secrètement Nihil (éditions Unicité 2021), Carole Carcillo Mesrobian avait surpris par la direction nouvelle et singulièrement inédite que prenait son œuvre poétique.

Un tournant semble t-il nécessaire à la poétesse performeuse pour nourrir une interrogation plus profonde et disons –le, plus extensible à la croisée de nombreux chemins dont l’inclinaison « scripturaire » marque désormais un positionnement se voulant  clarifiant presque visionnaire au sein d’une expérience dépassant les limites de la matérialité. Avec la même verve, l’auteur qui vient de faire paraître De Nihilo Nihil, nous invite dans un même prolongement à nous profiler au sein d’un MONDE étrangement circulaire qui d’une certaine manière corrobore un ensemble de principes énoncés antérieurement. Ici le NOUS se substitue au IL avec une incroyable précision sémantique, cherchant « ici ou ailleurs », « ailleurs et maintenant », de nouvelles bases plus propices à l’immersion souterraine, celle qui plonge chaque personnage dans la nuit tardive et absolue dans un décor certes irréel mais dont les contours se dessinent progressivement.

Nos pas mesurent la profondeur d’une immatérialité théâtrale.  (P.9)

Nos personnages tournent autour d’un vide scriptural… (P.9)

Nous regardons l’absence des spectateurs parce que nous avons enfermé le visage de nos rôles dans le mutisme d’une lecture itérative. (P.9-10)

Carole Carcillo Mesrobian, De nihilo nihil, couverture Sergio Schmidt Iglesias, Tarmac éditions, 2022, 51 pages, 12 €.

Le ton est ainsi donné dans l’exploration soucieuse d’un nouveau monde qui coïncide adroitement avec une mise en scène théâtrale, mais comme dématérialisée de sa propre substance organique (éternellement vivante)  et dans laquelle l’essence originelle s’est littéralement volatilisée comme par magie ou enchantement. Une plongée abyssale dans l’abstraction soudaine mais calculée, où le langage ne ressemble plus qu’à un artifice tronqué - réduit à l’état de poussière cosmique. Dans un contexte si singulier autant que surprenant (car il faut tenir la distance), c’est bel et bien le personnage qui désormais fait la Loi – façonne sa propre Loi, sans tenir compte des contingences funestes d’une telle entreprise. A partir de  RIEN, et c’est un paradoxe,  d’engendrer un autre  RIEN  (de valeur opposée),  qui vient soudainement suppléer à l’inconnaissance de ses intentions initiales ; car il y a bien dans cette folle tentative  – une radicalité expiatoire – à peine dissimulée, mais qui se veut aussi une barrière protectrice sur la mainmise des croyances et des origines. D’ailleurs :

 

Une résonnance manichéenne soutient la durée de notre représentation. (P.10)

 

Mais de quelle résonnance alors,  qui ne soit pas l’envers d’un décor muet,  où précisément l’aveuglement et la surdité restent de mise ?  On peut alors gager que la re-présentation qui la sus tend, est également un leurre qu’il convient de circonscrire afin de se protéger (Ô tumulte des éléments ! ), où « Nos gestes s’identifient sur la résistance de l’air. » (P.10). Résonnance, résistance assimilables à toute forme d’incarnation qui jamais ne prend racine.

Là où  « Une mythologie événementielle détourne l’évidence de l’absurde vers une théogonie arbitraire. » (P. 11) oserais-je dire en ce qui me concerne, pour le moins «  suicidaire ». Théogonie, cosmogonie qui s’affrontent  comme dans un mauvais jeu de rôle, où la victoire n’est jamais complètement assurée. Et si la référence à Hésiode, n’est pas immédiatement perceptible, on peut cependant considérer, sous réserve cependant d’une réponse viable, que la poétesse, habituée des parcours sinueux, n’ignore nullement le « Caprice des Dieux et des Hommes ».

 

Les Dieux logés au ciel firent premièrement
L’humaine race d’or, lors du gouvernement
Qu’avait Saturne au ciel ; or ses hommes sans peine,
Sans travail, sans souci, vivaient une âge pleine
A l’aise comme Dieux… 

                                        (Les travaux et les jours, vers 139 à 164)

 

Ainsi

 

Notre scène mesure la distance de notre effacement.  (P.13)

L’effigie de nos figures dessine un portrait de nos masques.  (P.13)

 

Et à condition toutefois que le masque vienne bien se greffer « après », dans « l’après » d’un quelque chose qui reste plus à définir qu’à démontrer, comme si alors, le jeu inexplicable par nature n’en valait plus la peine.

 

Un nombre métaphorique situe l’emplacement de nos rôles dans un espace perpendiculaire au vide.  (P.17)

 

Et si l’on sent bien que la poétesse est la maitresse d’œuvre de sa propre histoire inventée (revisitée pour la scène finale), il n’en demeure pas moins que les traces, elles, demeurent enfouies ; comme « un chant apocryphe » (P.20). Tout le danger se situant alors dans la confusion des termes (du terme) où chaque pas fait preuve d’éloignement, comme, « Nous traçons un territoire tribal autour d’un décor théâtral. » (P.20) en guise de prosodie. Il n’est donc pas étonnant que, « Nos personnages existent dans la dimension de leur impossibilité. » (P.22) ou plutôt de leur négation, volontaire ou involontaire. À ce stade, cela  importe peu finalement, pourvu qu’ « Une épopée édifie notre scène contre notre spectacle. » (.P.23) . Et c’est donc bien « contre » que le MONDE,  s’intensifie  dans sa propre vacuité, lequel soyons en certain n’a plus rien de céleste.

 

Une fois de plus notre scène édifie un lieu improbable. (P.25)

 

Et cette fois-ci, mais il fallait s’y attendre, sans réplique authentique. Le masque a fini par tomber.

 

Le nom de nos personnages deviendra légendaire, dès que nous cesserons de ne pas exister. (P.27)

 

Le spectacle reste donc bien omniprésent dans lequel chaque tentative de représentation reste rivée à une fiction ancienne, illusoire qui « façonne la légende constitutive de notre histoire. » (P.29). On peut alors se demander à juste titre, si cette histoire en pointillés n’est pas le contraire de ce qu’elle affirme. Un personnage reste un personnage. Une scène s’apparente à une autre scène. Tous deux sont toujours éphémères dans leur simulation inaudible, dès lors que le chapitre de la représentation spectaculaire s’avère moins ordonnée. Et de cela une fois de plus, la poétesse est bien consciente, elle connaît ses limites, et ne se risque pas à se fourvoyer dans un feu trop intense qui lui brulerait les ailes. Elle a appris au détour de la « densité du néant » à reconnaître « le possible de l’impossible »,  « de l’infiniment petit contre l’infiniment grand ». A l’inverse « d’une hypothétique révélation », mais dont « un courant bestial révèle l’impossibilité charnelle de nos personnages ». (P.32). On pourrait alors et dans ce cas précis faire référence au psychanalyste Sigmund Freud, afin de décrypter ce qu’il en est de la charge (surcharge) des rêves (l’imaginaire) à contrario d’une réalité plus acceptable et supportant la traduction de son propre entendement, qui vaut aussi pour une sédentarisation de l’inconscient dans « une démesure du chaos ». (P.29). Or là encore rien de plus incertain de croire à ce qui n’existe pas ou du moins, « contre notre impuissance ». (P.29)

 

Un personnage onirique se détache de notre mémoire dès que nos personnages se déplacent parce qu’ils se taisent avec des gestes incontestables.  (P.37-38)

 

Une fois de plus la puissance des mots fait Loi au cœur du MONDE irremplaçable et incompressible avec l’ultime prétention de déjouer les pièges tendus à l’Homme – pièges qui valent pour « finitude de nos rôles » qui finissent par devenir pesants, exaspérants même. Et si Carole Carcillo Mesrobian refait (retisse) l’Histoire à l’envers ;  elle-même semble persuadée que son propre personnage peut également disparaître derrière un rideau noir, derrière lequel les spectateurs n’ont plus audience, privés de métaphores et d’alphabet. Et pour quelle « invention utopique » (P.39). A ce niveau d’écriture diurne, « le théâtre de notre liberté s’écroule sous la disparition d’une chronologie coercitive. » (P.41)

 

Du reste pas plus alors qu’aujourd’hui les hommes n’abandonneraient au milieu des gémissements la douce lumière de la vie 

                                                                      Lucrèce,  De natura rerum

                                                                      V,v, 988 – 1010)

 

Nec nimio tum plus quam nunc mortalia saccla dulcia linquebant lamentis lumina vitae.

 

Fin de partie….

 

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Carole Carcillo Mesrobian

Carole Carcillo Mesrobian est née à Boulogne en 1966. Elle réside en région parisienne. Professeure de Lettres Modernes et Classiques, elle poursuit des recherches au sein de l’école doctorale de littérature de l’Université Denis Diderot. Elle publie en 2012 Foulées désultoires aux Editions du Cygne, puis, en 2013, A Contre murailles aux Editions du Littéraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sursis en conséquence, Qomme questions, à Jean-Jacques Tachdjian par Vanina Pinter, Carole Carcilo Mesrobian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Florence Laly, Christine Taranov,  Editions La chienne Edith, 2018.

Parallèlement paraissent des textes inédits sur les sites Recours au Poème, Le Capital des mots, Poesiemuzicetc., , ainsi que des publications dans les revues Libelle, et L’Atelier de l'agneau, Décharge, Passage d'encres, Test n°17, Créatures , Formules, Cahier de la rue Ventura, Libr-critique, Sitaudis, Créatures, Gare Maritime, Chroniques du ça et là, La vie manifeste.

Elle est l’auteure de la quatrième de couverture des Jusqu’au cœur d’Alain Brissiaud, et de nombreuses notes de lecture et d’articles, publiés sur le site Recours au Poème.

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ESTHER TELLERMANN : Divine prophétie ! Ou l’essence de l’indicible !

Pénétrer par mégarde dans l’œuvre poétique d’Esther Tellermann peut présenter un risque conjugué à l’instance d’une violation « non autorisée » de l’ensemble des procédés qui habitent cette œuvre rare et pour le moins déterminée. Née le 28 juin 1947 à Paris, normalienne, agrégée de lettres, mais également psychanalyste, profession qui n’a rien d’anodin ; auteur d’une trentaine d’ouvrages, Grand Prix de poésie de l’Académie Française en 1996, et Prix Max Jacob en 2016 – au-delà de l’aspect purement biographique, dont la pudeur s’avère certaine, il y a chez elle, une complexité de tous les instants dont le langage est en quelque sorte le soubassement intime.

Une intimité inavouée cela va de soi, presque refoulée dans les profondeurs de l’indicible comme si la vie de l’auteur avait imprimé par inadvertance, une frontière entre ce qui peut être dit, et ce qui jamais ne peut l’être ; à défaut d’une confrontation profonde entre le MOI de la réalité quotidienne (au fil des années) et l’expérience d’une déflagration intérieure qui en constituerait l’ossature, cependant tue.  Et à condition toutefois que cette déflagration soit à un moment donné partiellement révélée et que l’ossature elle-même conduise à l’édification d’un langage nouveau au sein d’une sphère cognitive plus perceptible. Certes en lisant Esther Tellermann, on songe souvent à l’empreinte non dissimulée d’André Du Bouchet, ou de Paul Celan. Verticalité structurelle autant qu’économie des mots qui n’ont rien ici de parallèle, plutôt écrire que la verticalité même, la précision des termes, renvoient à une essence d’ordre symbolique juxtaposant des épisodes distincts d’une mémoire se cherchant au-delà du factice ou de l’artificiel.

Esther Tellermann, Sous votre nom, 256 pages,
18 euros, Editions Flammarion, 2015.

Un mot encore
fut notre temps
et nous étions
pourtant les écorces
au-dessus et en
      dessous.
Dans les métamorphoses
et les césures
   à   rebours
des peuples muets
inscrivions
    dans les craies
le rythme des
    royaumes.
Aujourd’hui vint
Un son de cordes
Sur les 3 univers.
Derrière tes doigts
je vis monter
    la fugue
valses  lentes
transfigurent
     la douleur.

(Sous votre nom. Editions Flammarion. 2015)   

 

Et de ce point de vue, et c’est là tout l’intérêt de cette poésie qui n’a rien de didactique ; ses aspects originels, dont il faut là encore aller chercher le sens, relève à bien des égards de ce que je qualifierais d’érosion mentale. Erosion mémorielle, mais aussi érosion sémantique dont les contours linguistiques définissent une toute autre appréhension du SUJET, vécu comme un ajout supplémentaire à la quête. Le sujet en effet n’est pas la quête elle-même, il n’en est que le complément indirect qui s’est perdu quelque part dans la mémoire du silence, que l’auteur ne cesse de malmener au fur et à mesure de son avancée dans sa propre obscurité. Le rythme des royaumes devient ainsi une échappatoire à l’informulé où le temps s’est arrêté au sein d’une contrée passagère. Les époques, ainsi, se succèdent-elles aux prises avec (sous) le joug du langage forcé – raboté – et qui n’est pas ici un simple exercice conventionnel, mais plus encore – affairant au rythme des nécessités – dès lors que « sous le nom » puisse apparaitre un « autre nom » qui ne soit pas précisément celui de l’écrivant. Peut-on alors parler de négation du sujet ? Certes non ! Le sujet demeure bien au coeur du débat, comme une ultime condition, où bien que L’OBJET de la quête, insuffisamment promu conduise à faire surgir une simple métaphore, parabole syntaxique de l’inconscient « vaincu » (déshabillé) à force de patience et de souffrance.  Il n’est pas certain cependant que l’auteur au travers ses nombreux ouvrages ait souhaité prendre un risque supplémentaire au –jeu d’écriture – en jouant sur des variations déjà connues (verticalité, horizontalité) mais plus justement en intimisant – le jeu des profondeurs -, à la manière d’un « coup de dé » dont les voyages seraient le seul réceptacle avoué. Fuir alors ? Une fois de plus restons prudent sur le sens à donner à la presque évidence, car finalement elle n’en est pas une. Ce qui est donné à lire, n’est pas forcément ce qu’il faut comprendre d’emblée.  Il faut aller chercher ailleurs, dans l’ailleurs insatiable, une pensée plus souterraine en phase avec ses multiples réalités.   A cet égard Freud reste impuissant, il n’est pas le meilleur recours à l’explication des schèmes existants et volontairement visibles, ceux-là ne lui ressemblent pas. Lacan peut-être ?

 

 

Dans l’épaisseur qui rejoint
        le trait enfoui
longtemps tu fis
surgir du lieu
       grand ouvert
espace      entre
la syllabe  défont
les brûlures de
la chaux       coulées tout à coup chassent
l’aigu de la
parole      en amont
de l’érosion. 

 

Esther Tellermann, Corps rassemblé, 128 pages, 21 euros, Editions Unes, 2020.

Et puis plus loin encore, entre ouverture au monde et surgissement de l’instant, l‘altérité en profondeur regagnant le vide, tout en comblant les marges d’un trop plein brûlant – l’espace n’y est pour rien ; c’est la syllabe qui commande à la «  ré-flexion » (réfection), comblant les limites en amont ou bien encore au-delà des frontières verbales, il existe de fait, de nombreuses pistes à suivre et à explorer qui ne soient pas seulement « le regard de l’habitude », mais aussi et plus certainement la tentative de sortir de l’interrogation abyssale – celle là même qui ne dit plus rien, hormis la hantise de son émergence et de sa vacuité dans le règne de l’humain. Et toute la difficulté consiste alors pour le lecteur patient, de trouver un pont viable, entre « ce qui EST, et ce qu’il y PARAIT » et ce sans se brûler précisément les ailes : La chaux          coulées tout à coup… comme un ultime rempart perceptible entré le dit et le non-dit fécond.

Voix        voix
dans la marge qui
se dérobe
aura sur
        je ne respire tu
        soulignes
        l’écorchure
glaciers entre les matières confondues
                             un même mot noyé
dans la couleur
qui se disperse
        chaque fois plus

        retenue 

(Carnets à bruire. Europe. Juin-Juillet 2011. n° 986-987. Editions La Lettre volée, 2014)

 

Esther Tellermann, Carnets à Bruire, 104 pages, 17 euros, La Lettre volée, 2014.

D’ailleurs, dans son dernier ouvrage intitulé « Corps rassemblé », au singulier, Esther Tellermann rentre en quelque sorte dans le vif du sujet, mais cette-fois au travers de l’œuvre de Claude Garache, artiste-peintre, né le 20 janvier 1930 à Paris, et où il fréquenta les ateliers de Fernand Léger et André Lhote avant de devenir ami avec Alberti Giacometti qui rappelons-le était proche d’André Du Bouchet. Aussi il n’est pas innocent, que la poétesse se soit penchée sur cette œuvre plastique au « pouvoir certain » » comme l’écrira Raoul Ubac. « Corps rouges, estompés, rappelant la couleur du sang – comme un suaire inachevé, toujours en extension. Féminité hachée et toujours en trompe l’œil – l’empreinte des corps, malmenés, torturés ». On imagine alors qu’Esther Tellermann n’ait guère eu de difficulté à s’immerger intégralement au sein de cette plasticité peu commune. Car si les images jamais ne remplacent vraiment les mots, on peut supposer qu’il existe un apport profitable à ces deux disciplines (art et poésie), sans que l’une ou l’autre ne soit oblitérée dans leur substance même, comme en témoigne le style utilisé par l’auteur. Un long poème qui n’en finit pas de se mouvoir à l’intérieur et à l’extérieur de lui-même, sans cesse se cherchant et sans cesse se fuyant, mais plus encore (se) martelant de manière elliptique, « dans un grand espace blanc » où les limites ne sont pas encore connues, invitant à la fugue silencieuse et au temps renversé – en chute libre – « Il est impossible de percer certains secrets malgré un nombre incalculable d’enquêtes, on est simplement frappé par l’étroitesse des circonstances. »

 

Puis je revins
   dans le cadre
   vous laisse
         peindre
         un présent
corrompu par
l’odeur des aisselles
des sueurs âcres
Ariane
j’avais rapporté
          ta douleur
          et ton poids