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Michael Crummey : poèmes tirés de Hard Light

Originaire de Terre-Neuve, le romancier, poète et nouvelliste canadien Michael Crummey est né à Buchans en 1965 et vit présentement à Saint-Jean de Terre-Neuve. Il est l’auteur de nombreux livres, souvent récompensés par des prix littéraires canadiens et internationaux. Après Les voleurs de rivière (2004), Du ventre de la baleine (2012) et Sweetland (2017), Les innocents est son quatrième roman traduit en français (août 2020). Le livre a paru en août 2019 dans sa version anglaise (Doubleday Canada) et reçu un très bel accueil de la critique. Il a notamment été en lice pour le prestigieux Scotiabank Giller Prize : « Le roman de Crummey a la capacité de changer la manière dont le lecteur envisage le monde. » Comme l’écrit aussi Mario Cloutier : « L’écrivain […] possède un imaginaire marqué par l’influence de la géographie sur le caractère des habitants. Le territoire comme personnage, le paysage bousculé par les vents et trempé par les larmes océaniques. » (« Michael Crummey, tout homme est une île », 5 juillet 2018, La Presse). En 2022, il a publié un nouveau recueil de poésies, Passengers, et son dernier roman, The Adversary, vient de paraître. Tous les textes présentés ici sont tirés du recueil Hard Light (Brick Books, 1998), livre qui a reçu un excellent accueil critique. Comme l’écrit R. G. Moyles au sujet de Hard Lightdans Canadian Book Review Annual : « [...] C’est un brillant styliste : jamais obscur et rarement pédant. [...] Crummey nous emmène dans des voyages extérieurs et intérieurs dont nous pouvons revenir avec une compréhension des forces éternelles trop puissantes pour être conquises mais qu’il est toujours nécessaire de défier. » Et John Steefler d’affirmer : « [...] Les voix anonymes de Lumière crue nous parlent en tant qu’individus distincts. Ce qui ressort encore et encore au premier plan de leurs courts récits, c'est leur détermination et leur conscience [...] une histoire sociale concise et poignante de Terre-Neuve. » Hard Light a inspiré le documentaire LUMIÈRE CRUE (2003) réalisé par Justin Simms, qui y trace le portrait de Michael Crummey en quête de ses racines (https://www.youtube.com/watch?v=D8IQ6c048aM).

9 textes  tirés de Hard Light

Traduits et présentés par Jean-Marcel Morlat

[Water/Eau]

 

EAST BY THE SEA AND WEST BY THE SEA

I, Abraham LeDrew of Brigus in the District of Port de Grave, in consideration of the sum of Sixty Dollars ($60.00) in hand paid to me, have bargained, sold, and delivered unto Arthur Crummey of Western Bay, District of Bay de Verde: a Fishing Room with Dwelling House, Stage, and Store House at Breen’s Island, Indian Tickle, Labrador, on land bounded as follows: North by Tobias LeDrew, South by Henry LeDrew, East by the Sea and West by the Sea.

To have and to hold the aforesaid premises unto the said Arthur

Crummey, his heirs, executers, administrators and assigns forever.

In witness whereof I have herewith set my name and seal this 16th day of January, 1934, at Brigus, Newfoundland.

À L’EST DE LA MER ET À L’OUEST DE LA MER

Je soussigné, Abraham LeDrew de Brigus dans le District de Port de Grave, en contrepartie de la somme de soixante dollars (60 $) payée de la main à la main, ai négocié, vendu et remis à Arthur Crummey de Western Bay, District de Bay de Verde : des bâtiments de pêche avec maison d’habitation, un chafaud et une remise à Breen’s Island, Indian Tickle, Labrador, sur une terre bornée de la façon suivante : au nord par Tobias LeDrew, au sud par Henry LeDrew, à l’est par la mer et à l’Ouest par la mer.

Ledit Arthur Crummey, ses héritiers, ses exécuteurs testamentaires, ses administrateurs et ses bénéficiaires sont investis de la saisine des lieux susmentionnés.

En foi de quoi j’ai ci-joint apposé mon nom et mon sceau en ce seizième jour de janvier 1934, à Brigus, Terre-Neuve.

 

[Earth/Terre]

 

HUSBANDING

I kept the animals until Aubrey got sick, there was no one to help with the haying after that. Everything else I could do myself, cleaning the dirt out of the stalls and milking in the morning, getting the cows in from the meadow before supper, it was something to get up for.

Spent a good many nights out in the barn too, waiting for the cows to calve in the spring. Sometimes you’d have to get your hands in there, the legs tangled behind a calf’s head that was already hanging clear, a foot above dry straw, the tongue sticking out like a baby trying to get itself born from the mouth.

Only lost one cow in forty years of husbanding. Sat out there with her for hours that night and I knew things weren’t right, the cow shifting on her legs in a queer way like a lady with a stone in her shoe, and shaking her head when she moaned. Around midnight she still hadn’t started into birthing but she was bellowing loud enough to wake half of Riverhead, and trying to kick around her big belly. I sent Aubrey after Joe Slade to have a look at her, he came into the barn with his shirttail out and boots not tied; he didn’t say much, just went away and brought back his gun and a knife. You can save the calf, he told me, or you can stand aside and lose them both.

     I couldn’t shoot her, but I used the knife after she fell, cutting away the belly to haul out the calf and rub her clean with straw. Aubrey brought a pail of milk he’d warmed on the stove and I fed the calf with an old baby bottle, the jerk of her head when she sucked almost enough to pull it from my hand. The blood, now that was something I’ll never forget, we had to rake out the stall and burn the straw in the garden next morning.

Too much for one person though, the haying, three or four weeks in the fall to cut it and get it into the barn after it dried. Sold off the cows a couple of years before Aubrey died. I was sixty-one years old the first time I bought a carton of milk from a store.

ÉLEVAGE

J’ai gardé les animaux jusqu’à ce qu’Aubrey tombe malade, il n’y avait personne pour aider aux foins après ça. Je pouvais faire tout le reste moi-même, nettoyer la saleté dans les stalles et traire le matin, rentrer les vaches du pré avant le souper, c’était une bonne occasion de se lever.

J’ai aussi passé pas mal de nuits dans la grange, au printemps, à attendre que les vaches vêlent. Parfois, il fallait y plonger les mains, les jambes emmêlées derrière la tête d’un veau déjà sorti, un pied pendant au-dessus de la paille sèche, la langue sortant comme un bébé essayant de naître par la bouche.

Je n’ai perdu qu’une seule vache en quarante ans d’élevage. Je suis restée assise avec elle pendant des heures cette nuit-là et je savais que quelque chose clochait, l’animal tenant sur ses jambes d’une étrange manière comme une femme avec une pierre dans sa chaussure, et secouant la tête lorsqu’elle gémissait. Vers minuit, elle n’avait toujours pas commencé à mettre bas, mais elle beuglait suffisamment fort pour réveiller tout Riverhead, lançant des coups de pieds autour de son gros ventre. J’ai envoyé Aubrey chercher Joe Slade pour qu’il l’examine, il est entré dans la grange avec son pan de chemise qui dépassait et des bottes délacées ; il n’a pas dit grand-chose, il est juste sorti et a rapporté son fusil et un couteau. Tu peux sauver le veau, m’a-t-il dit, ou tu peux t’écarter et perdre les deux.

Je n’ai pas pu la tuer, mais j’ai utilisé le couteau après qu’elle est tombée et lui ai découpé le ventre pour sortir le veau et la nettoyer en la bouchonnant. Aubrey a apporté un seau de lait qu’il avait fait réchauffer sur le poêle et j’ai nourri le veau avec un vieux biberon, la saccade de sa tête lorsqu’il en suçait presque assez pour le tirer de ma main. Le sang, eh bien ça c’est quelque chose que je n’oublierai jamais, on a dû ratisser la stalle et brûler la paille dans le jardin le lendemain.

Beaucoup trop pour une personne cependant, le foin à l’automne, trois ou quatre semaines pour le couper et l’engranger après qu’il avait séché. J’avais vendu les vaches deux ou trois ans avant la mort d’Aubrey. J’étais âgée de soixante-et-un ans la première fois que j’ai acheté une brique de lait dans un magasin.

STONES

A lot of it was learning to live with cruelty. To live cruelly.

We always had a couple of cats in the house, and the males you could do something with yourself. Father cut a hole in a barrel top, pushed the cat’s head into it and had one of us hold its legs while he did the job with a set of metal shears. With females though, you had kittens to deal with once or twice a year. I drowned them in shallow water once, I didn’t think it would make any difference, but I can still see that burlap sack moving like a pregnant belly only two feet out of reach; and I had to force myself to turn away. Those kittens were barely a week old but they took a long time dying.

The worst I ever saw was the horses. You’d get a strap around their waist with a ring underneath, and tie the fore and back legs to the ring with ropes. Then you’d back the animal up nice and slow so it would fall over in sections like a domino set, hind end first, then the belly, shoulders, head. Once it was on the ground you’d wash the bag with a bit of Jeye’s Fluid, slit the sac open and snip the balls right off.

    The cats bawled and screamed through the whole thing, but the horses never made a sound, they were too stunned I guess. Their legs made those ropes creak though, like a ship’s rigging straining in a gale of wind. It would be a full day before they came back to themselves, standing out in the meadow like someone who can’t recall their own name. Their wet eyes gone glassy with shock, as blind as two stones in a field.

PIERRES

C’était surtout une question d’apprendre à vivre avec la cruauté. De vivre cruellement.

Nous avions toujours deux ou trois chats à la maison, et les matous, on s’en occupait soi-même. Papa faisait un trou dans le couvercle d’un tonneau, y poussait la tête du chat et faisait tenir les jambes à l’un d’entre nous pendant qu’il accomplissait la tâche à l’aide d’une paire de pinces en métal. Avec les femelles cependant, il fallait s’occuper des chatons une ou deux fois par an. Une fois, j’en ai noyé dans de l’eau peu profonde ne pensant pas que ç’aurait de l’importance, mais ce sac en toile de jute, je le vois toujours bouger comme un ventre de femme enceinte à seulement deux pieds de moi ; et j’ai dû me forcer à tourner la tête. Ces chatons avaient à peine une semaine, mais ils ont mis du temps à mourir.

Le pire que j’aie jamais vu, ce sont les chevaux. On mettait une sangle autour de leur taille avec un anneau en-dessous, puis on attachait les pattes avant et arrière à l’anneau avec des cordes. Ensuite, on soutenait l’animal tout doucement, afin qu’il bascule en sections comme un jeu de dominos, le derrière tout d’abord, puis le ventre, les épaules, la tête. Une fois à terre, on nettoyait le sac avec un peu de fluide Jeyes[1], on fendait la poche et on coupait les couilles directement d’un petit coup sec.

Les chats braillaient et hurlaient tout du long, mais les chevaux ne produisaient jamais un seul son, ils étaient trop effarés j’imagine. Leurs jambes faisaient grincer ces cordes pourtant, comme le gréement d’un bateau tendu dans un coup de vent. Ça prenait une bonne journée avant qu’ils ne retrouvent leurs esprits, se détachant dans le pré comme quelqu’un qui n’arrive pas à se souvenir de son propre nom. Leurs yeux devenus vitreux à cause du choc, aussi aveugles que deux pierres dans un champ.

 

[Fire/Feu]

 

BONFIRE NIGHT

Guy Fawkes tried to blow up the English Parliament Buildings with a basement full of explosives and got himself hanged for his trouble. Burned in effigy on the anniversary of his death in every Protestant outport in Newfoundland. No one remembers who he was or what he had against the government, but they love watching the clothes take, the straw poking through the shirt curling in the heat of the fire and bursting into flame.

The youngsters work for weeks before the event, gathering tree stumps and driftwood, old boxes, tires, and any other garbage that will burn, collecting it into piles on the headlands or in a meadow clearing. The spark of fires up and down the shore like lights warning of shoals or hidden rocks. Parents losing their kids in the darkness, in the red swirl of burning brush; teenagers running from one bonfire to the next, feeling something let loose inside themselves, a small dangerous explosion, the thin voices of their mothers shouting for them lost in the crack of dry wood and boughs in flames. They horse-jump an expanse of embers, their shoes blackened with soot, dare one another to go through larger and larger fires, through higher drifts of flankers: their young bodies suspended for a long moment above a pyre of spruce and driftwood, hung there like a straw effigy just before the flames take hold. Guy Fawkes a stranger to them, though they understand his story and want it for themselves.

Rebellion. Risk. Fire.

LA NUIT DES FEUX DE JOIE

Guy Fawkes a essayé de faire exploser les édifices du Parlement anglais avec un sous-sol rempli d’explosifs et s’est fait prendre pour sa peine. Brûlé en effigie le jour de l’anniversaire de sa mort dans chaque village protestant isolé de Terre-Neuve. Personne ne se rappelle qui il était ou ce qu’il avait contre le gouvernement, mais tout le monde adore regarder les vêtements prendre feu, la paille pointer à travers la chemise, monter en volutes dans la chaleur du feu et s’enflammer soudainement.

Les jeunes travaillent durant des semaines précédant l’événement, ramassent des souches d’arbre et du bois flotté, de vieilles boîtes, des pneus, et n’importe quel déchet qui brûle, rassemblant tout ça pour en faire des tas sur les promontoires ou dans une clairière. Les étincelles des feux sur tout le littoral telles des lumières mettant en garde contre les écueils ou les rochers cachés. Les parents perdent leurs gosses dans l’obscurité, dans le tourbillon rouge de la broussaille qui brûle ; les adolescents courent d’un feu de joie à l’autre, sentant quelque chose se libérer en eux, une petite explosion dangereuse, les voix fines de leurs mères appelant ceux qui sont perdus dans le crépitement du bois sec et des branches enflammées. Ils sautent par-dessus une étendue de charbons ardents, leurs chaussures noires de suie, se défient de franchir des feux de plus en plus grands, de plus hauts tas de braises brûlantes : leurs jeunes corps suspendus pendant un long moment au-dessus d’un bûcher d’épinette et de bois flotté, pendus là telle une effigie de paille juste avant que les flammes ne prennent le dessus. Guy Fawkes un étranger pour eux, bien qu’ils comprennent son histoire et qu’ils veuillent se l’approprier.

Rébellion. Risque. Feu.

BONFIRE NIGHT (2)

They’ve swiped a cupful of gasoline – my father and Johnny Fitzgerald – doused a spruce branch and shoved it beneath the mound meant for burning. A match is struck and tossed: the suck of flame taking hold, the fire eating its way up through the overturned palm of driftwood and boughs, a cap of white smoke shifting over the crown of the bonfire.

     Everyone takes a step back from the scorching heat, the crackle and spit of spruce gum burning. Night falls. Adults pass flasks of whiskey or moonshine, the flicker of silver making its way from hand to hand like the collection plate at church.

The boys have spent weeks hauling trees and branches across the barrens, scavenging rags and bits of scrap wood, but they aren't satisfied somehow with the innocence of the fire, its simple appetite. They stand restless in the dark light, their heads full of mischief: something they can’t articulate is eating at them, burning its way from the inside out.

Match Avery steps up beside them like an answered prayer, breathing alcohol, nodding drunkenly toward the flames. “Some fire,” he tells them. “Nice bit of fire.” He blows soot into the crook of his palm, wipes the hand on the seat of his pants. “All boughs though, she won’t last long.” He nods again, emphatically. He’s an adult, he’s drunk, he knows everything there is to know about anything. “Needs a bit of solid wood to keep her going,” he tells them.

The boys disappear into darkness, running a narrow dirt path worn through meadows. At Match’s house they head straight for the root cellar like spilled gasoline rushing toward an open flame. They dump a summer’s worth of vegetables onto damp ground, carry the empty wooden barrels back to the fire.

Match turns them in the red and yellow flicker, amazed by the boys’ luck, by their resourcefulness. “Now these,” he announces, “are lovely barrels.” While my father and Johnny Fitzgerald look on Match stamps them flat himself, heaving the splintered sticks atop the blaze, throwing up a shower of sparks. “Nice barrels,” he says again when he’s done, and then wanders off toward another circle of light.

LA NUIT DES FEUX DE JOIE (2)

 Ils ont raflé un récipient d’essence à toute volée — en ont aspergé une branche d’épinette et l’ont fourrée sous le tas destiné à brûler. Une allumette est grattée et lancée : la succion de la flamme qui prend le dessus, le feu qui grignote un passage à travers le palmier retourné de bois flotté et de branches, un bouchon de fumée qui se déplace sur la couronne du feu.

Tout le monde fait un pas en arrière loin de la chaleur torride, le crépitement et le grésillement de la gomme d’épinette en train de brûler. La nuit tombe. Les adultes font circuler des flasques de whiskey et d’alcool de contrebande, l’éclat d’argent qui se taille un passage de main en main comme le plateau pour la quête à l’église.

Les garçons ont passé des semaines à traîner des arbres et des branches à travers les landes, récupérant des haillons et du bois de rebut, mais d’une certaine façon ils ne sont pas satisfaits de l’innocence du feu, de son appétit simple. Ils se tiennent là, impatients, la tête remplie d’espièglerie ; quelque chose qu’ils n’arrivent pas à exprimer les ronge, les consume de l’intérieur.

Match Avery s’avance près d’eux comme une prière qui a été entendue, respirant l’alcool, faisant un signe de la tête en titubant vers les flammes. « Quel feu, leur dit-il. Un beau p’tit feu. » Il souffle sur de la suie qui va se loger dans le creux de sa paume, s’essuie les mains sur le fond de son pantalon. « Que des branchages pourtant, il ne durera pas longtemps. » De nouveau, il opine du chef, catégoriquement. Soûl et adulte, il sait tout ce qu’il y a à savoir sur n’importe quoi. « Il faut un peu de bois solide pour l’entretenir », leur dit-il.

Les garçons disparaissent dans l’obscurité, empruntant un étroit chemin de terre percé à travers les prés. Chez Match, ils se dirigent directement vers le caveau à légumes comme de l’essence renversée se ruant sur une flamme nue. Ils se débarrassent des légumes qui représentent le travail de tout un été sur du terrain humide et emportent les tonneaux de bois vides jusqu’au feu.

Match les tourne dans la lueur rouge et jaune, stupéfait de la chance des garçons, de leur débrouillardise. « Alors ça, annonce-t-il, ce sont des tonneaux magnifiques. » Pendant que mon père et Johnny Fitzgerald continuent de regarder, Match les aplatit lui-même d’un coup de pied, soulevant avec effort les bouts de bois fendus en éclats au-dessus des flammes, qui vomissent une pluie de tisons. « Des tonneaux magnifiques », répète-t-il lorsqu’il a fini, puis s’éloigne vers un autre cercle de lumière.

Les garçons restent ensemble dans la chaleur effrayante, multipliée maintenant par le bois sec, les flammes se dressant comme l’herbe des prés face aux faneurs. Le feu de joie continue de brûler pendant des heures à côté d’eux, sombres étincelles postillonnant sur les étoiles.

SOLOMON EVANS’ SON

The graveyard in the Burnt Woods was being fenced in the year 1890. The first person buried there was Solomon Evans’ son.

The new school on the South Side was built in the summer of 1894 beside the church. First prayers were held on January 12th, 1895.

The first church bell for the South Side arrived on March 25th, 1908, and it rang for the first time on March 27th, the peals as clear as the blue sky, the gulls put to wing by the sound of it, their brief racket like an echo rusting into silence.

The first time the bell tolled a death was for Mrs. Ellen Kennel. The school was closed for the afternoon, the children standing in the balcony of the church to watch her funeral, and some of them followed the coffin to the graveyard in the Burnt Woods. A hedge of people stood around the hole in the earth. The minister threw a handful of dirt on the wooden lid. “Ashes to ashes,” he intoned, the October wind stealing the words from his mouth as he spoke.

The mourners filing out past the plain wooden cross marking the grave of Solomon Evans’ son. Darkness of spruce trees, maples scorched by the coming of winter. And no one could recall the boy’s name, or what it was he died of.

LE FILS DE SOLOMON EVANS

En 1890, on clôturait le cimetière des Brûlis. La première personne à y avoir été enterrée, c’est le fils de Solomon Evans.

La nouvelle école de South Side a été construite durant l’été de 1894 à côté de l’église. Les premières prières ont été organisées le 12 janvier 1895.

La première cloche de l’église, arrivée le 25 mars 1908, a sonné pour la première fois le 27 mars, les premières volées aussi claires que le ciel bleu, le son faisant s’envoler les mouettes, leur bref vacarme tel un écho rouillant dans le silence.

La première fois qu’on a sonné le glas, c’était pour Mrs. Ellen Kennel. L’école a été fermée durant l’après-midi, les enfants se tenant debout sur le balcon de l’église pour assister aux funérailles, et certains d’entre eux ont suivi le cercueil jusqu’au cimetière des Brûlis. Une haie de gens était rassemblée autour du trou creusé dans la terre. Le pasteur a jeté une poignée de terre sur le couvercle de bois. « Tu n’es que poussière », a-t-il entonné, le vent d’octobre volant les paroles de sa bouche tandis qu’il parlait.

Les parents du défunt passant l’un après l’autre devant la simple croix en bois marquant la sépulture du fils de Solomon Evans. Obscurité des épinettes, érables roussis par la venue de l’hiver. Et personne ne pouvait se rappeler le nom du garçon, ou de quoi il était mort.

PROCESSION

Mary Penny was twenty-one years old and almost nine months pregnant when she died of fright. A clear Saturday morning, wind off the ocean. Her husband away, fishing on the Labrador. She was carrying a bucket down to the brook for water, a hand on her belly, the child moving beneath her fingers like a salmon in a gill net.

From the bank above the brook she could see the United Church on the south side below Riverhead, the new school beside it. She kept her hand to her belly as she walked down the steep slope, balanced herself on stones over the surface. The bucket floated for a moment, then dipped and dragged with the weight of the water. She grunted as she pulled the full container clear of the brook. A stitch in her side moved slowly across her back, a thin flame licking at muscle.

At the top of the slope again she set the weight down in the grass, straightening with her hands on her hips, lungs clutching at the salt air. The sky was perfectly clear. She stared out across the mouth of the harbour, lifted a hand to shade her eyes. Her eyebrows pursed. There was a spot moving toward her, a peculiarly metallic smudge on the horizon that was becoming larger, more spherical. No, not a cloud, it was too uniform, too intent somehow.

Carried off course to the eastern coast of Newfoundland by a south-westerly wind over the Atlantic, the airboat was about to turn and begin a journey along the coast of the United States. In New York, a baseball game between the Yankees and the Brooklyn Dodgers would be interrupted as it passed overhead, the players and the crowd of fifteen thousand standing to stare at its nearly silent procession above the city.

It came closer to the spot where Mary stood alone, a cylindrical tent as large as the church, now larger, the sun lost behind it.

Her heart leapt in her chest, a panicked animal kicking at the stall door. The baby turned suddenly, dropped, like a log collapsing in a fireplace. She began running awkwardly, holding her stomach. She tried to call for her mother, her younger sister, but no sound came from her mouth; the shadow of the Zeppelin chasing her across the grass. Halfway along the path to her house she fell on her stomach, the pain pulling a cry from her throat. She lifted herself and began running again, the stitch across her back like a hook attached to a tree behind her.

Another two hundred yards.

By the time she reached the house she was already in labour. Bleeding through her clothes.

PROCESSION

Mary Penny avait vingt-et-un ans et était enceinte de presque neuf mois lorsqu’elle est morte d’effroi. Un samedi matin dégagé, le vent soufflant de l’océan. Son mari parti pêcher au Labrador. Elle transportait un seau pour aller chercher de l’eau au ruisseau, une main sur le ventre, l’enfant bougeant sous ses doigts comme un saumon pris dans un filet maillant.

Au bord du ruisseau, elle pouvait voir l’Église unie au sud en bas de Riverhead, la nouvelle école à côté. Elle gardait la main sur le ventre en descendant la pente escarpée, se tenant en équilibre sur des pierres au-dessus de la surface. Le seau a flotté un instant, puis il est descendu et a été emporté par le poids de l’eau. Elle a poussé un grognement en tirant le contenant hors de l’eau. Un point de côté lui a traversé lentement le dos, une mince flamme lui léchant le muscle.

En haut de la pente, elle a de nouveau posé le poids dans l’herbe, se redressant avec les mains sur les hanches, ses poumons se cramponnant à l’air salé. Le ciel était parfaitement dégagé. Elle a regardé fixement de l’autre côté du port, a mis une main sur ses yeux pour s’abriter du soleil. Ses sourcils se sont retroussés. Un point dans le ciel s’avançait vers elle, une tache bizarrement métallique à l’horizon qui grossissait et devenait plus sphérique. Non, pas un nuage, c’était trop uniforme, trop intense curieusement.

Dévié de son itinéraire vers la côte orientale de Terre-Neuve par un vent sud-ouest au-dessus de l’Atlantique, le navire aérien était sur le point de faire demi-tour et de commencer un voyage le long de la côte des États-Unis. À New York, un match de baseball entre les Yankees et les Brooklyn Dodgers serait interrompu tandis que le dirigeable passerait au-dessus, les joueurs et la foule composée de quinze mille personnes se levant pour regarder fixement sa procession presque silencieuse au-dessus de la ville.

L’aéronef s’est rapproché de l’endroit où Mary se tenait seule, debout, une tente cylindrique aussi grande qu’une église, maintenant plus grande, le soleil perdu derrière.

Son cœur s’est élancé dans sa poitrine, animal paniqué ruant contre la porte de la stalle. Le bébé s’est retourné soudainement, est tombé, comme une bûche s’effondrant dans un âtre. Elle a commencé à courir maladroitement, se tenant le ventre. Elle a essayé d’appeler sa mère, sa petite sœur, mais aucun ne sortait de sa bouche ; l’ombre du Zeppelin la pourchassant dans le jardin. À mi-chemin sur le sentier la menant chez elle, elle est tombée sur l’estomac, la douleur lui tirant un cri de la gorge. Elle s’est soulevée et a commencé à courir de nouveau, le point dans le dos tel un crochet attaché à un arbre derrière elle.

Plus que deux-cents mètres.

Au moment où elle est arrivée à la maison, elle était déjà en train d’accoucher, saignant à travers ses vêtements.

OLD WIVES’ TALES

Except it wasn’t a wife talking, or a woman for that matter. It was Charlie Rose at the house to see Father. I was only five or six years old and not even a part of the conversation, sitting under the kitchen table with the dog, listening to the men talk. Charlie said you had to get one before it learned to fly and split its tongue. Right down the middle, he said, and when the crow found the use of its wings it would be able to speak, Arthur, the same as you or I at this table.

You know how a child’s mind works. The dog was just a pup then, three or four months old, a yellow Lab. A hot summer that year, we were sitting outside the day after Charlie’s visit, her mouth open, panting, the thin tongue hanging there as pink and wet as the flesh of a watermelon. I loved that animal, I just wanted to hear her speak is all. Went in the house and brought out Mother’s sewing shears, held one side of the tongue between my thumb and forefinger. The line down the centre like a factory-made perforation meant as a guide for the scissors.

What a mess that dog made when she drank, water slopping in all directions, her tongue split like a radio antennae, the separate leaves flailing as she lap-lap-lapped at the bowl. And not a word in her head for all that.

CONTES DE VIEILLES FEMMES

Sauf que ce n’était pas une épouse qui parlait, ou une femme d’ailleurs. C’était Charlie Rose venu voir Papa à la maison. Je n’avais que cinq ou six ans et ne faisais même pas partie de la conversation, assis sous la table de cuisine avec la chienne, écoutant les hommes parler. Charlie a dit qu’il fallait s’en procurer un avant qu’il apprenne à voler et lui fendre la langue. Juste au milieu, a-t-il dit, et lorsque le corbeau découvrirait l’utilisation de ses ailes il parviendrait à parler. Arthur, tout comme toi et moi à cette table.

Tu sais comment fonctionne l’esprit d’un enfant. La chienne n’était qu’un chiot alors, trois ou quatre mois, un Labrador jaune. Un été chaud cette année-là, nous étions assis dehors le jour après la visite de Charlie, sa gueule ouverte, haletante, la fine langue pendant là aussi rose et mouillée que la chair d’une pastèque. J’adorais cet animal, je voulais juste l’entendre parler, c’est tout. Je suis allé dans la maison et j’ai sorti les ciseaux de couture de Maman, j’ai tenu un côté de la langue entre mon pouce et mon index. La ligne au centre était comme une perforation fabriquée en usine et censée guider les ciseaux.

Quelle pagaille cette chienne faisait lorsqu’elle buvait, renversant de l’eau dans toutes les directions, sa langue fourchue comme une antenne de radio, deux feuilles séparées battant l’air tandis qu’elle lap-lap-lappait le bol. Et pas une parole dans la tête en dépit de ça.

TWO VOICES

My uncle sits beside the wood stove in the kitchen, between two voices. On his left the varnished radio, on the daybed to his right his baby sister, squalling. Look, the radio begins, up in the air, it’s a bird, it’s a plane … it’s Superman! His sister screams into her red fists, a single unappeasable cry. My uncle leans toward the radio, the words distorted or lost beneath the baby’s wail, like mice scurrying beneath a wood pile: … aster … ana … ding bull … He cannot hush her or make her stop. Able … eap … build … gle bound, the program is about to begin, his mother is elsewhere.

He stands over the child, stares down at her face, at the round open mouth like an entrance to a rabbit hole, a hidden creature crying from inside. He fingers a peppermint knob in his pocket and his hand suggests a plan, the candy about the size of the voice that will not stop: he drops it into the hole like a stone into a well, the soft plop echoing in the sudden, sickening silence.

Silence. He does not even hear the radio now as his sister’s face begins to swell to the colour of a partridgeberry, a bright painful red, and panic enters him like a voice from the stars as the cheeks become blueish, then blue, and the eyes bulge in their sockets like snared animals. The entire episode of suffocation taking place in absolute silence, my uncle immobilized and staring stupidly at his sister, while behind him Superman goes on saving another world in silence.

     And behind him his mother claps through the door, pushing him away and lifting the girl into the air by her heels, she is shouting something he cannot hear as she slaps the baby’s back, and a wet peppermint candy falls to the floor, nothing, nothing, he hears nothing at all until the first cry, his sister’s voice returning, the sound of her squall returning him to the world, to his mother yelling curses on his head, and the radio’s bland conversation going on and on like a long sigh of relief in the background.

DEUX VOIX

Mon oncle est assis près du poêle à bois dans la cuisine, entre deux voix. À sa gauche, la radio vernie, sur le canapé-lit à sa droite sa petite sœur, qui braille. Regarde, commence la radio, en l’air, c’est un oiseau, c’est un avion … c’est Superman ! Sa sœur hurle dans ses poings rouges, un cri unique et inapaisable. Mon oncle se penche vers la radio, les paroles déformées ou perdues derrière les gémissements du bébé, comme des souris qui détalent sous un tas de bois : … astre .... ana … timent … brut … Il n’arrive pas à la faire taire ou à l’arrêter. Able … auter … édi … gle bond, le programme est sur le point de débuter, sa mère est ailleurs.

Il surveille l’enfant, baisse les yeux vers son visage, vers la bouche ronde et ouverte comme l’entrée d’un terrier de lapin, une créature cachée criant depuis l’intérieur. Il touche un bonbon à la menthe dans sa poche et sa main suggère un plan, la sucrerie environ la taille de la voix qui ne veut pas s’arrêter : il la laisse tomber dans le trou comme une pierre dans un puits, le doux floc résonnant dans le silence soudain et écœurant.

Silence. Il n’entend même pas la radio maintenant tandis que le visage de sa sœur commence à prendre la couleur d’une airelle en gonflant, un rouge vif et douloureux, et la panique pénètre en lui comme une voix des étoiles tandis que les joues deviennent bleuâtres, puis bleues, et que les yeux sortent de leurs orbites tels des animaux pris au piège. L’épisode entier de suffocation se produisant dans le silence absolu, mon oncle immobilisé dévisageant bêtement sa sœur, tandis que derrière lui Superman continue de sauver un autre monde en silence.

Et derrière lui, sa mère franchit la porte comme le tonnerre, le repoussant et soulevant la fille en l’air par ses talons, elle crie quelque chose qu’il n’arrive pas à entendre pendant qu’elle tape dans le dos du bébé, et un bonbon à la menthe mouillé tombe par terre, rien, rien, il n’entend rien du tout jusqu’au premier cri, la voix de sa sœur revenant, le son de son braillement le ramenant au monde, aux cris et jurons de sa mère sur sa tête, et la conversation molle de la radio continuant indéfiniment comme un long soupir ou soulagement à l’arrière-plan.

 

Note

 

[1] Ce type de fluide est utilisé par les jardiniers pour différents types de nettoyage et se débarrasser des mauvaises herbes. Il a été inventé par un Anglais, John Jeyes en 1877.

Présentation de l’auteur

Michael Crummey

Originaire de Terre-Neuve, le romancier, poète et nouvelliste canadien Michael Crummey est né à Buchans en 1965 et vit présentement à Saint-Jean de Terre-Neuve. Il est l’auteur de nombreux livres, souvent récompensés par des prix littéraires canadiens et internationaux. Après Les voleurs de rivière (2004) et Du ventre de la baleine (2012), Sweetland est son troisième roman traduit en français. Son dernier roman, The Innocents, a paru en août 2019 (Doubleday Canada) et reçu un très bel accueil de la critique. Il a notamment été en lice pour le prestigieux Scotiabank Giller Prize : « Le roman de Crummey a la capacité de changer la manière dont le lecteur envisage le monde. » Comme l’écrit aussi Mario Cloutier : « L’écrivain […] possède un imaginaire marqué par l’influence de la géographie sur le caractère des habitants. Le territoire comme personnage, le paysage bousculé par les vents et trempé par les larmes océaniques. » (« Michael Crummey, tout homme est une île », 5 juillet 2018, La Presse). Tous les textes qui suivent sont tirés du recueil Hard Light (Brick Books, 1998), qui a d’ailleurs inspiré le documentaire LUMIÈRE CRUE au réalisateur Justin Simms en 2003, qui y trace le portrait de Michael Crummey en quête de ses racines. D’autres textes tirés du même recueil (Cerf-volant, Caveau à légumes, Pain et Rouille) et traduits par Jean-Marcel Morlat ont été publiés par la revue québécoise Cahiers littéraires Contre-jour (no 48, « Soif de romanesque! », août 2019). Un autre texte, Le souper Jiggs, paraîtra dans le no 95 (printemps 2020) de la revue littéraire belge Traversées.

Bibliographie 

Il est l’auteur de nombreux livres, souvent récompensés par des prix littéraires canadiens et internationaux. Après Les voleurs de rivière (2004), Du ventre de la baleine (2012) et Sweetland (2017), Les innocents est son quatrième roman traduit en français (août 2020). Le livre a paru en août 2019 dans sa version anglaise (Doubleday Canada) et reçu un très bel accueil de la critique. Il a notamment été en lice pour le prestigieux Scotiabank Giller Prize : « Le roman de Crummey a la capacité de changer la manière dont le lecteur envisage le monde. » Comme l’écrit aussi Mario Cloutier : « L’écrivain […] possède un imaginaire marqué par l’influence de la géographie sur le caractère des habitants. Le territoire comme personnage, le paysage bousculé par les vents et trempé par les larmes océaniques. » (« Michael Crummey, tout homme est une île », 5 juillet 2018, La Presse). En 2022, il a publié un nouveau recueil de poésies, Passengers, et son dernier roman, The Adversary, vient de paraître. Tous les textes présentés ici sont tirés du recueil Hard Light (Brick Books, 1998), livre qui a reçu un excellent accueil critique. Comme l’écrit R. G. Moyles au sujet de Hard Light dans Canadian Book Review Annual : « [...] C’est un brillant styliste : jamais obscur et rarement pédant. [...] Crummey nous emmène dans des voyages extérieurs et intérieurs dont nous pouvons revenir avec une compréhension des forces éternelles trop puissantes pour être conquises mais qu’il est toujours nécessaire de défier. » Et John Steefler d’affirmer : « [...] Les voix anonymes de Lumière crue nous parlent en tant qu’individus distincts. Ce qui ressort encore et encore au premier plan de leurs courts récits, c'est leur détermination et leur conscience [...] une histoire sociale concise et poignante de Terre-Neuve. » Hard Light a inspiré le documentaire LUMIÈRE CRUE (2003) réalisé par Justin Simms, qui y trace le portrait de Michael Crummey en quête de ses racines (https://www.youtube.com/watch?v=D8IQ6c048aM).

De nombreux autres textes tirés de Hard Light (32 Stories) et traduits par Jean-Marcel Morlat ont été publiés dans des revues au Québec, en France et en Belgique:

  • Cerf-volant, Caveau à légumes, Pain et Rouille ont paru dans la revue québécoise Cahiers littéraires Contre-jour (no 48, « Soif de romanesque ! », août 2019).
  • Ce dont nous avions besoin (« What We Needed ») et Sa croix (« Her Mark »), Récit-page, 1er décembre 2020, <http://www.litteraturesbreves.fr/index.php/m-crummey>.
  • La revue Phoenix (Marseille) a publié Actes de Dieu, Dominion, Bay de Verde et Infrarouge dans son numéro 33 (février 2020).
  • Le souper Jiggs et Le moment est venu ont paru dans la revue littéraire belge Traversées (no 95, printemps 2020 et no 96, été 2020).
  • Grâce (« Grace », <https://www.lecrachoirdeflaubert.ulaval.ca/2020/08/grace/>) et L’ancien Noël (« Old Christmas Day », <https://www.lecrachoirdeflaubert.ulaval.ca/2021/01/lancien-noel/>) ont paru dans la revue québécoise Le crachoir de Flaubert le 13 août 2020 et le 7 janvier 2021.
  • Flamme, 32 historiettes, Contes de bonne femme et Ton âme, ton âme, ton âme ont paru dans le numéro 1104 (avril 2021) de la prestigieuse revue Europe.
  • Cinq poèmes de Michael Crummey : La loi de l’océan (« The Law of the Ocean »), La dernière chanson de Stan (« Stan’s Last Song »), Ainsi allait la vie (« The way Things Were »), Les Brûlis (« The Burnt Woods ») et Années cinquante (« Fifties ») ont paru dans Recours au poème, no 207, mars-avril 2021, <https://www.recoursaupoeme.fr/cinq-poemes-de-michael-crummey/>. Traduction française des textes de Michael Crummey, « The Law of the Ocean », « Stan’s Last Song », «The way Things Were », « The Burnt Woods », « Fifties », tirés du recueil Hard Light (Brick Books, 1998).
  • Quatre textes de Michael Crummey : Flamme, 32 historiettes, Contes de bonne femme, Ton âme, ton âme, ton âme (« Flame », « 32 Little Stories », « Old Wives’ Tales » « Your Soul, Your Soul, Your Soul »), Europe, no 1104, avril 2021, pp. 229-233.

Poèmes choisis

Autres lectures

Cinq poèmes de Michael Crummey

32 historiettes (32 Little Stories), ensemble qui compose la première partie de Hard Light (Lumière crue), dont sont tirés les textes présentés ici, s’inspire de récits réels qui ont été contés à l’auteur [...]

Michael Crummey : poèmes tirés de Hard Light

Originaire de Terre-Neuve, le romancier, poète et nouvelliste canadien Michael Crummey est né à Buchans en 1965 et vit présentement à Saint-Jean de Terre-Neuve. Il est l’auteur de nombreux livres, souvent récompensés par [...]




Lorna Crozier, de Vancouver au monde

Lorna Crozier (https://www.lornacrozier.ca/) est née en 1948 à Swift Current, en Saskatchewan, où elle a passé son enfance. Elle a étudié aux Universités de la Saskatchewan et de l’Alberta. Avant d’entamer sa carrière de poétesse, elle a enseigné l’anglais à l’école secondaire et a été écrivaine résidente dans de nombreuses universités canadiennes. Officière de l’Ordre du Canada, elle est reconnue pour son immense contribution à la littérature canadienne et est la lauréate de cinq doctorats honorifiques, plus récemment des universités McGill et Simon Fraser. Professeur émérite à l’Université de Victoria, elle a lu sa poésie, qui a été traduite en plusieurs langues, sur tous les continents et a animé de nombreux ateliers d’écriture, particulièrement à Wintergreen et à Naramata, et aussi enseigné au Banff Centre for Arts and Creativity. Elle vit sur l’île de Vancouver.

Son premier recueil Inside in the Sky a été publié en 1976. Elle est l’auteure de 16 recueils de poésie dont The Garden Going on Without Us, Angels of Flesh, Angels of Silence, Inventing the Hawk (qui lui a valu le Prix du Gouverneur général en 1992), Everything Arrives at the Light, Apocrypha of Light, What the Living Won’t Let Go, Whetstone, The Blue Hour of the Day: Selected Poems, Small Mechanics, The Book of Marvels: A Compendium of Everyday Things, The Wrong Cat et What the Soul Doesn’t Want. Elle a aussi publié un récit biographique, Small Beneath the Sky, et trois livres pour enfants : Lots of Kisses, So Many Babies et More Than Balloons. En 2015, elle a collaboré avec le photographe de renommée mondiale Ian McAllister dans le cadre du livre The Wild in You: Voices from the Forest and the Sea. Elle a aussi dirigé deux ouvrages : Desire in Seven Voices et Addiction: Notes from the Belly of the Beast. Avec son mari le poète Patrick Lane (1939-2019), elle a dirigé les recueils Breathing Fire: Canada’s New Poets (1994) et Breathing Fire 2 (2004)

Lorna Crozier, pour le projet Planet Earth Poetry Poets Caravan. Si vous souhaitez explorer les archives d'une carte interactive des poètes : www.shorturl.at/hAEJ7

Elle a également compilé et dirigé Best Canadian Poets, 2010. Ses poèmes ont paru dans de nombreuses anthologies et ont été traduits en plusieurs langues. En 2018, elle a reçu le George Woodcock Lifetime Achievement Award. Dans Through the Garden: A Love Story (with Cats), publié en 2022 (Toronto: McClelland & Stewart), elle évoque sa vie avec le poète et écrivain Patrick Lane.

Les vilains enfants

Une institutrice a fait ramper le vilain enfant
sous son bureau et l’a forcé à y rester
jusqu’à la récréation. Cela lui semble étrangement sexuel 
à présent, cette senteur sombre et musquée.
Une autre a obligé le vilain enfant à se tenir debout
dans une corbeille à papier, a enfoncé 
de la gomme à mâcher sur le bout de son nez.
Il est resté planté là jusqu’à ce qu’il s’évanouisse, jusqu’à ce qu’il chavire 
avec fracas. Une institutrice a frappé la vilaine enfant
avec la baguette lorsque celle-ci a mal épelé un mot durant le tournoi d’orthographe. 
Une autre a obligé la vilaine enfant à se lever,
pour montrer à la classe qu’elle s’était mouillée,
une flaque jaune autour de son pupitre.
Une autre institutrice a fait manger ses mots au vilain enfant,
jusqu’à ce que celui-ci s’étouffe avec le papier, la bouche bleue à cause de l’encre.
Un instituteur a touché l’enfant, tellement mal,
là où il n’était pas censé le faire,
Une autre a cassé les orteils de la vilaine enfant,
lorsque celle-ci a refusé d’arrêter de sauter à la corde,
une autre a coupé les doigts du vilain enfant
parce qu’il n’arrêtait pas de tambouriner sur son pupitre.
Une autre a coupé en morceau le vilain enfant.
Nous l’avons regardée enterrer le corps
sous la cage à écureuil
là où chaque hiver sur le métal froid
les vilains enfants laissent leur langue. 

The Bad Child1

One teacher made the bad child
crawl under her desk and stay there
till recess. It seems strangely sexual
to him now, the dark, the musky smell of her.
Another made the bad child stand
in a waste-paper basket, pushed
wet gum on the end of his nose.
He stood there till he fainted, keeled over
with a crash. One teacher hit the bad child
with the pointing stick when she spelled a word wrong in the spelling bee.
Another made the bad child rise,
show the class she had wet herself,
a yellow pool around her desk.
One teacher made the bad child eat his words
till he gagged on paper, mouth blue from ink.
One touched the child, so very bad,
where he wasn't supposed to,
another broke the bad child's toes
when she wouldn't stop skipping,
one cut off the bad child's fingers
because he drummed and drummed his desk.
One chopped the bad child into bits.
We watched her bury the body
beneath the monkey bars
where every winter on the cold metal
bad children leave their tongues.

 

Concombres

Les concombres se dissimulent
                        dans un camouflage feuillu,
surgissant
quand on s’y attend le moins
tels des exhibitionnistes au parc.

En vérité,
ils font tous une fixation
anale. Attention
lorsque vous vous penchez pour les ramasser.

Cucumbers2

Cucumbers hide
                          in a leafy camouflage,
popping out
when you least expect
like flashers in the park.

The truth is,
they all have an anal
fixation. Watch it
when you bend to pick them.

 

LES VARIATIONS GOLDBERG

Jamais je ne me suis sentie aussi déconnectée
de tout. La lumière et son absence.
La pluie. Le chat sur le rebord de la fenêtre qui attrape des mouches.
Glenn Gould interprétant les Variations Goldberg,
pour la dernière fois.
      Les variations infinies de toi,
faisant du café, commandant des semences pour le jardin,
m’appelant pour que je vienne faire l’amour à l’étage. Près de notre lit,
dans Equinox la photo d’un astronaute,
silhouette solitaire
   flottant dans le bleu froid
de l’espace, relié à rien, ne touchant
rien. Les doigts de Gould sur les touches d’ivoire.
Ce n’est pas du Bach qu’il joue
depuis sa tombe, le cœur arrêté.
Si libre de la gravité, l’esprit s'élève
telle une graine ornée de plumes, seule
simplement retenue par une fine coquille d’os.
Pas Bach, mais la musique avant qu’elle ne soit devenue
un tantinet humaine.
         Est-ce l’extase,
cet étrange éloignement ? La pluie tombant
de si loin. Les Variations
Goldberg de Gould. Tes mains. Le bleu
froid froid. Ma peau.

The Goldberg Variations3

Never have I felt so unconnected
to everything. Light and its absence.
Rain. The cat on the windowsill catching flies.
Glenn Gould playing the Goldberg Variations
his last time.
The endless variations of you,
making coffee, ordering seeds for the garden,
calling me upstairs to love. By our bed,
in Equinox a photo of the astronaut,
solitary figure
floating in the cold blue
of space, connected to nothing, touching
nothing. Gould's fingers on ivory keys.
It isn't Bach he's playing
from the grave, the stopped heart.
So free of gravity the mind lifts
like a feathered seed, only
a thin shell of bone holding it in.
Not Bach, but music before it became
the least bit human.
         Is this ecstasy,
this strange remoteness? Rain falling
from such a distance. Gould's Goldberg
Variations. Your hands. The cold
cold blue. My skin.

La vie au jour le jour

Je n’ai pas d’enfants, mais lui en a cinq, dont trois sont grands et deux sont restés avec leur mère. Cela n’avait nulle importance lorsque j’avais trente ans et que nous nous sommes rencontrés. Il n’y aura pas d’enfants, a-t-il lancé, la première nuit où nous avons couché ensemble et je m’en fichais, je pensais que nous ne durerions pas de toute façon, ces terribles disputes, lui et moi nous battant pour être le premier à faire les valises, le premier à mettre les voiles. Une fois, je suis arrivée à la voiture avant lui, je me suis enfermé à l’intérieur. Il a sauté sur le capot, puis a donné un coup de pied dans les phares. Nos amis disaient que nous nous entretuerions avant la fin de l'année. Aujourd’hui, nous sommes dix ans plus tard. Aucun de nous ne veut partir. Nous sommes de la même famille, nous sommes un foyer l’un pour l’autre, la voix dans l’embrasure de la porte, criant « Entre, entre, la nuit tombe ». Pourtant, on me demande souvent si j’ai des enfants. Parfois, je réponds oui, parfois nous avons tellement de choses que nous formons une autre personne, je peux la sentir dans la nuit se glisser entre nous, raconter à mes rêves comment elle a passé sa journée. Bonne nuit, dit-elle, bonne nuit, petite mère, et elle part avant que je ne me réveille. Sur les pelouses, elle danse dans sa robe blanche, ses cheveux de rêve volent.

Living Day by Day4

I have no children and he has five, three of them grown up, two with their mother. It didn't matter when I was thirty and we met. There'll be no children, he said, the first night we slept together and I didn't care, thought we wouldn't last anyway, those terrible fights, he and I struggling to be the first to pack, the first one out the door. Once I made it to the car before him, locked him out. He jumped on the hood, then kicked the headlights in. Our friends said we'd kill each other before the year was through. Now it's ten years later. Neither of us wants to leave. We are at home with one another, we are each other's home, the voice in the doorway, calling Come in, come in, it's growing dark. Still, I'm often asked if I have children. Sometimes I answer yes, sometimes we have so much we make another person, I can feel her in the night slip between us, tell my dreams how she spent her day. Good night, she says, good night, little mother, and leaves before I waken. Across the lawns she dances in her white, white dress, her dream hair flying.

Nommer la lumière

Nommer la lumière comme l’Inuit la neige. La lumière autour des mains de mon père mourant dans son lit, ses doigts usés et recroquevillés. Les animaux à naître, endormis. La lumière de l’utérus et la lueur des rêves, elles vous ralentissent comme l’eau. Le corps de mon père s’est envolé en fumée, des cendres sous mes ongles. Dix lunes ont surgi de mes doigts au-dessus du lac où nous l’avons dispersé, la rive lumineuse d’alcali et de pierres éclaboussées de lichen. Sa brève brillance dans l’air, je la porte à moi maintenant, dans ce lieu où les nuits hivernales sont les plus sombres parce qu’il n’y a pas de neige.

Naming the Light5

Naming the light as the Innuit the snow. The light around my father's hands as he lay dying, his worn fingers curled. Unborn animals, sleeping. Womb-light and the glow of dreams, they slow you down like water. My father's body flew up in smoke, ashes under my nails. Ten moons rose from my fingers above the lake where we scattered him, the shore luminous with alkali and lichen-splattered stones. His brief shining in the air I hold to me now in this place where winter nights are darkest because there is no snow.

Notes

[1] Le poème « The Bad Child » est tiré de  Everything Arrives at the Light. Toronto: McClelland & Stewart, 1995.

[2] Le poème « cucumbers » est tiré de Sex Lives of Vegetables: A Seed Catalogue, 1990, Transformer Press.

[3] Le poème « The Goldberg Variations » est tiré de Before the First Word: The Poetry of Lorna Crozier, selected with an introduction by Catherine Hunter, Wilfrid Laurier University Press, 2005.

[4] Le poème « Living Day by Day » est tiré de The Long Poem / Remembering bp Nichol. Spec. issue of Canadian Literature 122-123 (Autumn/Winter 1989), pp. 92-92.

[5] Le poème « Naming the Light » est tiré de Marx & Later Dialectics. Spec. issue of Canadian Literature 147 (Winter 1995), p. 10.

Présentation de l’auteur

Lorna Crozier

Lorna Crozier est née à Swift Current, en Saskatchewan. Ayant grandi dans une communauté des Prairies où les héros locaux étaient des joueurs de hockey et des joueurs de curling, elle "n'a jamais pensé une seule fois à devenir écrivain". Après l'université, Lorna a enseigné l'anglais dans le secondaire et travaillé comme conseillère d'orientation. Au cours de ces années, Lorna a publié son premier poème dans le magazine Grain, une publication qui a orienté sa vie vers l'écriture. Son premier recueil Inside in the Sky a été publié en 1976. Depuis, elle a écrit 16 recueils de poésie, dont The Garden Going on Without Us, Angels of Flesh, Angels of Silence, Inventing the Hawk (lauréat du Prix du Gouverneur général en 1992), Everything Arrives at the Light, Apocrypha of Light, What the Living Won't Let Go, Whetstone, The Blue Hour of the Day : Selected Poems, Small Mechanics, The Book of Marvels : A Compendium of Everyday Things, The Wrong Cat, What the Soul Doesn't Want, God of Shadows et The House the Spirit Builds. Elle a également publié des mémoires, Small Beneath the Sky, et trois livres pour enfants, Lots of Kisses, So Many Babies et More Than Balloons. En 2015, elle a collaboré avec le photographe de renommée mondiale Ian McAllister pour l'ouvrage The Wild in You : Voices from the Forest and the Sea. Son livre le plus récent, Through the Garden : A Love Story (with Cats) a été lancé pendant la pandémie. Nommé pour le Hilary Weston Writers' Trust Prize for Nonfiction, il s'agit des mémoires, avec des poèmes, de sa vie avec le poète Patrick Lane. Que Lorna écrive sur les anges, le vieillissement ou le sandwich à la truite de Louis Armstrong, elle continue de séduire les lecteurs et les écrivains du Canada et du monde entier par sa grâce, sa sagesse et son esprit. Elle est, comme l'a écrit Margaret Laurence, "un poète dont il faut être reconnaissant".

Depuis le début de sa carrière d'écrivain, Lorna est connue pour son enseignement inspiré et son mentorat auprès d'autres poètes. Aujourd'hui professeur émérite à l'université de Victoria, elle anime des ateliers de poésie dans tout le pays, notamment à Wintergreen et Naramata, et a enseigné au Banff Centre.

Outre ses poèmes, Lorna a également édité deux recueils de non-fiction - Desire in Seven Voices et Addiction : Notes from the Belly of the Beast. Avec son mari et collègue poète Patrick Lane, elle a édité en 1994 le recueil Breathing Fire : Canada's New Poets ; en 2004, ils ont coédité Breathing Fire 2, présentant à nouveau plus de trente nouveaux écrivains au monde littéraire canadien. Elle a également compilé et édité Best Canadian Poets, 2010.

Ses poèmes continuent de faire l'objet de nombreuses anthologies, paraissant dans 15 Canadian Poets et 20th Century Poetry and Poetics. Son œuvre a été traduite en plusieurs langues. Une édition espagnole de ses poèmes, La Perspectiva del Gato, a été publiée à Mexico. Elle a lu dans le monde entier, sur tous les continents à l'exception de l'Antarctique, et elle est la poète itinérante officielle du magazine primé Toque and Canoe. Officier de l'Ordre du Canada, elle a reçu de nombreuses distinctions, dont cinq doctorats honorifiques et un prix du Gouverneur général pour la poésie. En 2005, elle a donné une prestation de commande pour la reine Élisabeth II.

Sa réputation d'artiste généreuse et inspirante s'étend de sa passion pour l'art de la poésie à son enseignement, en passant par son engagement dans diverses causes sociales et environnementales. Fréquemment invitée à la radio de la CBC, elle a animé une édition spéciale sur la pauvreté dans le cadre de l'émission "The Current".

 

Bibliographie

Poésie

  • Inside Is the Sky – 1976 (as Lorna Uher)
  • Crow's Black Joy – 1979 (as Lorna Uher)
  • Humans and Other Beasts – 1980 (as Lorna Uher)
  • No Longer Two People: A Series of Poems (with Patrick Lane) – 1981
  • The Weather – 1983
  • The Garden Going on Without Us – 1985 (nominated for a Governor General's Award)
  • Angels of Flesh, Angels of Silence – 1988 (nominated for a Governor General's Award)
  • Inventing the Hawk – 1992 (winner of the Governor General's Award for Poetry and the Pat Lowther Award)
  • Everything Arrives at the Light – 1995 (winner of the Pat Lowther Award)
  • A Saving Grace: Collected Poems – 1996
  • What the Living Won't Let Go – 1999
  • Apocrypha of Light – 2002
  • Bones in Their Wings: Ghazals – 2003
  • Whetstone – 2005
  • Before the First Word: The Poetry of Lorna Crozier (selected by Catherine Hunter) – 2005
  • The Blue Hour of the Day: Selected Poems – 2007
  • Small Mechanics – 2011 (nominated for the Pat Lowther Award)
  • The Wrong Cat – 2015 (winner of the Pat Lowther Award)
  • The Wild in You: Voices from the Forest and the Sea (with photographs by Ian McAllister) – 2015
  • What the Soul Doesn't Want – 2017
  • God of Shadows – 2018
  • The House the Spirit Builds (with photographs by Peter Coffman and Diane Laundy) – 2019

Anthologies

  • A Sudden Radiance (with Gary Hyland) – 1987
  • Breathing Fire (with Patrick Lane) – 1995
  • Desire in Seven Voices – 2000
  • Addicted: Notes from the Belly of the Beast (with Patrick Lane) – 2001
  • Breathing Fire 2 (with Patrick Lane) – 2004
  • The Best Canadian Poetry in English 2010 – 2010

Récits

  • Small Beneath the Sky – 2009
  • The Book of Marvels: A Compendium of Everyday Things – 2012 (nominated for the Pat Lowther Award)
  • Through the Garden: A Love Story (with Cats) – 2020

Poèmes choisis

Autres lectures

Lorna Crozier, de Vancouver au monde

Lorna Crozier (https://www.lornacrozier.ca/) est née en 1948 à Swift Current, en Saskatchewan, où elle a passé son enfance. Elle a étudié aux Universités de la Saskatchewan et de l’Alberta. Avant d’entamer sa carrière [...]




9 poèmes de Patrick Lane

Le poète Patrick Lane (http://www.patricklane.ca/), l’un des écrivains canadiens les plus renommés, est né à Nelson, en Colombie-Britannique le 26 mars 1939 et décédé le 7 mars 2019. Il  vivait avec sa compagne, la poétesse Lorna Crozier, près de Victoria. Lane, qui a grandi dans une famille ouvrière de cinq garçons et une fille, a commencé à publier ses premiers textes dans les années soixante, alors qu’il travaillait dans les camps de bûcherons, les petites villes et les mines du nord de la Colombie-Britannique (autodidacte, il a exercé mille métiers).

Pour lui, c’est alors une époque de nomadisme. Durant cette époque, il est marqué par de rudes épreuves et des traumatismes profonds (la mort en 1964 de son frère, le poète Red Lane, d’une hémorragie cérébrale, à l’âge de vingt-huit ans, ainsi que le meurtre par balle de son père en 1968). Il s’installe à Vancouver en 1965 où il se joint à d’autres artistes et écrivains pour donner naissance à une poésie canadienne qui ne répond pas aux diktats du monde universitaire. En 1966, dans cet état d’esprit, il crée la maison d’édition Very Stone House avec Bill Bissett et Seymour Mayne. En 1968, il dirige le recueil des œuvres de son frère, Collected Poems of Red Lane. Durant cette décennie, il publie aussi Letters from the Savage Mind (1966) et Separations (1969). En 1971, il décide de se dévouer entièrement à l’écriture et part pour l’Amérique du Sud où il vit durant deux ans. À son retour, il s’installe sur la côte ouest du Canada dans le petit village de pêcheurs de Pender Harbour. En 1978, il travaille à l’Université du Manitoba dans le cadre d’une résidence d’écriture, puis c’est la consécration avec Poems New and Selected, qui remporte le prix du Gouverneur général la même année. Il sera ensuite écrivain en résidence et professeur dans différentes universités canadiennes.
On lui doit de nombreux recueils de poésie : Poems, New & Selected (1978) ; The Measure (1981) ; Old Mother (1982) ; A Linen Crow, A Caftan Magpie (1984)  ; Selected Poems (1987) ; Milford & Me (1989), a collection of children’s poems; Winter (1990) ; Mortal Remains (1991) ; Too Spare, Too Fierce (1995) ; Selected Poems 1977-1997 (1997) ; The Bare Plum of Winter Rain (2000) ; Go Leaving Strange (2004) ; Witness: Selected Poems 1962–2010  (2010) et Washita (2014). Son récit biographique consacré à la méditation, à l’art et à la poésie, There is a Season: A Memoir in a Garden a paru en 2004 et ses deux romans, Red Dog Red Dog et Deep River Night, ont paru respectivement en 2009 et 2018. Il a également co-édité (avec Lorna Crozier) Breathing Fire (1995) et Breathing Fire II (2004), deux anthologies de poèmes écrits par de nouveaux poètes canadiens et Addicted: Notes From the Belly of the Beast (2001), une anthologie d’essais personnels consacrés à la dépendance à la drogue et à l’alcool. En 2011, Harbour Publishing, l’éditeur de poésie de longue date de Lane, publie l’énorme volume de 540 pages The Collected Poems of Patrick Lane, ouvrage qui figure parmi la demi-douzaine de livres de poésie canadienne les plus importants publiés au cours du dernier quart de siècle.

Patrick Lane est le récipiendaire de nombreux prix et a voyagé dans de nombreux pays pour présenter son œuvre : Angleterre, France, Tchécoslovaquie, Italie, Chine, Japon, Chili, Colombie, Yougoslavie, Pays-Bas, Afrique du Sud et Russie. Il a été nommé officier de l’Ordre du Canada en 2014 « pour ses réalisations en tant que voix influente de la poésie canadienne et pour avoir servi de mentor à la prochaine génération de poètes canadiens » (Le Devoir, 9 mars 2019).

Dans son récit biographique de 2004, There Is a Season, Lane confesse que c’est la poésie qui l’a aidé à survivre : « Je pense que c’est la poésie qui m’a empêché de me tuer ou de tuer les autres. » Un autre élément rédempteur dans sa vie est très certainement sa relation avec Lorna Crozier, sa compagne (après deux divorces dans ses jeunes années) et sa première lectrice. « J’ai toujours su que je vivais avec un poète », explique-t-elle. « Nous avons modelé nos vies autour de cette chose folle qui était le centre de notre existence et que vraiment peu de gens comprennent ou valorisent.1 »

 

Lorna Crozier, poète et lauréate du Prix du Gouverneur général, et Patrick Lane, lauréat du Prix de poésie Dorothy Livesay et du Prix du Gouverneur général reçoivent des doctorats honorifiques (Docteur en lettres) le 1er juin 2015 à l'Université McGill à Montréal.

La poésie de Lane se caractérise par un style imagé, direct et descriptif et traite de la rudesse des rapports de l’homme avec son environnement et ses semblables. Comme le déclare le romancier et écrivain de la Saskatchewan Guy Vanderhaeghe : « Bien qu’on se souvienne probablement mieux d’un homme qui a façonné certains des poèmes les plus magnifiques jamais écrits dans ce pays, [Lane] était également un brillant mémorialiste et romancier qui a exploré des terres inconnues, les endroits sombres du cœur humain, dans une prose parfaite. » Et Howard White, l’éditeur de Patrick Lane, d’ajouter : « Les gens parlent toujours des poèmes violents et des poèmes brutaux. [Mais] il a écrit certains des plus beaux poèmes d’amour de la poésie canadienne. Et il a également écrit une énorme quantité de poésie contemplative, en particulier dans ses dernières années, la seconde moitié de sa carrière.2 » Steven W. Beattie évoque aussi une facette de Patrick Lane qui résume parfaitement l’écrivain :

Vanderhaeghe se souvient d’une après-midi de 1982, lorsque Lane et Crozier lui rendirent visite peu après la publication de son premier livre. « Ce dont je me souviens le plus, c’est que Patrick a parlé des livres qui avaient compté pour lui. Au début, c’est son érudition qui m’a étonné, à quel point il avait lu et avec quelle profondeur. Mais peu à peu, j'ai eu l’impression qu’il essayait de me dire quelque chose d’important, que doucement, obliquement et généreusement, Patrick me faisait remarquer, jeune écrivain que j’étais, que ce dont je devais me souvenir, c’était que le poète sert le poème de manière désintéressée et que le romancier sert le roman avec altruisme3.

Patrick Lane est une voix importante de la poésie canadienne, comme l’écrit Steven W. Beattie : « C’est l’une des figures permanentes de la poésie canadienne, affirme l’éditeur de Harbour, Howard White. Il se tient aux côtés d'Al Purdy et Earle Birney et Margaret Atwood et P.K. Page. » Comme le dit Patrick Lane lui-même : « Mon pays n’existait pas dans les livres. J’ai dû l’imaginer.4 » Il suscite d’ailleurs toujours un très grand intérêt : des poèmes posthumes ont paru dans le volume 43.3 du magazine littéraire Exile (2020). On lira aussi le récit bouleversant de Lorna Crozier, Through the Garden, A Love Story (with cats), dans lequel elle raconte la vie qu’elle a eue avec Patrick Lane. De nombreuses traductions de textes de Patrick Lane (réalisées et présentées par Jean-Marcel Morlat) ont paru dans différentes revues au Québec, en Belgique et en France :

  • Histoire naturelle, Les Écrits (de l’Académie des lettres du Québec), no 154, Hiver 2019, pp. 27-33.
  • « Octobre », « Montagne blanche », «La prison de Calgary », « Le peu qu’il reste », Beauté (2000)), Europe, no 1103, « Jean Genet-Cédric Demangeot », mars 2020, pp. 273-275.
  • « Hiver de caribou », « Les enfants de Bogotá », « Montagne », « Conversation avec un poète de Huang-Chou », Les Cahiers de poésie (Collection dirigée par Joseph Ouaknine & Laurent Fels), Éditions Joseph Ouaknine, no 65 (mars 2021), pp. 77-86.
  • « L’artiste », « Chinook », « Langue des signes », « Au-dessus des lentes rivières », « L’enseignement de la poésie », Traversée, no 101, automne 2021.
  • « Le cri de la scierie », Le Sabord, no 119, septembre 2021.

∗∗∗

Des lettres

 

Je suis assis dans la solitude des lettres.
Les mots ne ralentissent pas le soleil.
Le ciel est dégagé à l’ouest.
Les nuages sont passés au-dessus de moi.
Leur soie filée pend
sur les os des montagnes Monashee.
Une pie vole dans le soleil.
Sa longue queue écrit trop vite
pour que je puisse interpréter. Sur mon bureau
une guêpe que j’ai tuée la semaine dernière
après qu’elle m’a piqué. Qui
rédigera son poème ?
J’avance vers ma quarantième année.
Les lettres restent sans réponses.
Le soleil glisse vers l’ouest
et à l’est les nuages s’effondrent
drapant de cristal
les bras ouverts des arbres. 

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, p. 122.

 

Of Letters

 

I sit in the solitude of letters.
Words do not slow the sun.
The sky is clear in the west.
Clouds have passed over me.
Their spun silk hangs
on the bones of the Monashee.
His long tail writes too swiftly
for me to interpret. On my desk
a wasp I killed last week
after it stung me. Who
will write its poem?
I move toward my fortieth year.
Letters remain unanswered.
The sun slides into the west
and in the east clouds collapse
draping with crystal
the waiting arms of the trees.

 Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, p. 122. 

 

Gare du Canadien-Pacifique — Winnipeg

 

Tu es assis et tes mains sont croisées
sur toi. Le café est triste, noir. Cette
catacombe est éclairée par la pâle mort
C’est une vieille chanson. Ce pays.
Ce pays était encore un espoir. 
C’est la gare du Canadien-Pacifique de Winnipeg,
11 h 30 et personne ne repart.
Les trains sont en retard. Les passagers attendent
que les marchandises de la nation passent.
Les gens se sont transformés en pierre, ne peuvent être
déplacés. Le café est noir. La nuit est loin
au-dessus de nous. L’acier défile dans le grondement
que l’on nomme destinations. Les barrières sont sombres.
Personne ne peut passer ici.
Il n’y a nul désir de passer. Quelqu’un
avec une lanterne hésite et poursuit son chemin.
La rivière de marbre blanc tourbillonne froide
au-dessous de nous. Elle est usée, usée par les pieds
d’une nation. Tes mains lourdes. Tes
doigts sont énormes, enflés par le 
fret des années. Ce pays
t’a traversé. L’homme à la
lanterne est assis à l’autre bout, attendant.
Si tu pouvais lever la tête je pourrais
sortir dans la nuit avec grâce. Diantre,
tu es vieux. L’hiver est au-dessus de nous. Roues
d’acier. Si tu pouvais lever la tête.
Triste noir. Marbre blanc.
Et les trains, les trains défilent.

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, pp. 157-158.

 

CPR Station — Winnipeg

 

You sit and your hands are folded in
upon you. The coffee is bleak, black. This
catacomb is lighted with the pale death
our fathers called marble in their pride.
This is an old song. This country.
This country was still a hope.
It is the CPR station in Winnipeg,
11:30 and no one is leaving again.
The trains are late. The passengers wait
For the passing freight of the nation.
The people have turned to stone, cannot be
moved. The coffee is black. The night is far
above us. Steel passes over in the rumbling
called destinations. The gates are dark.
There is no passing here.
There is no desire to pass. Someone with
a lantern hesitates and moves on.
The river of white marble swirls cold
beneath us. It is worn, worn by the feet
of a nation. Your heavy hands. Your
fingers are huge, swollen with the
freight of years. This country has
travelled through you. The man with the
lantern sits in the far corner, waiting.
If you could lift your head I could go
out into the night with grace. O hell,
you are old. Winter is above us. Steel
wheels. If you could lift your head.
Bleak black. White marble.
And the trains, the trains pass over.

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, pp. 157-158.

 

Nuit

 

Dans la pièce lumineuse où l’adagio d’Albiboni
joue ses infinies variations, mes amis,
les quelques personnes qui savent ce qu’est le silence
et connaissent la musique ressentie par
Alden Nowlan5 tandis que celui-ci avançait vers la mort
en trébuchant
seul, racontant des énormités contre les murs, je garde
le netsuke en ivoire et le fragment de carreau
bleu des thermes de Caracalla.
Lorsque je leur parle du musc de la fleur
qui a éclos durant une courte nuit estivale
ils comprennent. Le cactus chante pour moi.
J’ai ces choses à partager. L’éphémère
se meut parmi nous, aussi délicat que l’expression de Cavafy :
comme une musique qui s’éteint, au loin, dans la nuit.
Je pense à cette expression dans mon bureau, comment
elle se déplace parmi les choses qui m’appartiennent :
le lion de jade balafré que j’ai acheté pour rien à Xi’an,
la photographie silencieuse de mon père, celle prise en 1943
lorsqu’il était jeune,
et mes poèmes morcelés, ceux que l’on ne verra
jamais. Ceux-là, je les garde pour moi. Ils sont
l’autre silence, celui qui chante pour moi
lorsque mes amis sont partis et que la nuit
se déplace avec une extrême lenteur dans mes mains.

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, pp. 265-266.

 

Night

 

In the bright room where Albiboni’s adagio
plays its endless variations, my friends,
the few who know what silence is
and know this music is the pain
Alden Nowlan felt as he stumbled toward death
alone, blundering against the walls, I keep
the ivory netsuke and the fragment of blue
tile from the baths of Caracalla.
When I tell them of the musk of the flower
that bloomed for one short night in summer
they understand. The cactus sings to me.
I have these things to share. The ephemeral
moves among us, delicate as Cavafy’s phrase:
like music that extinguished far-off night.
I think of that phrase in my study, how
it moves among the things that are mine:
the scarred jade lion I bought for nothing in Xian,
the photograph of my father, the quiet one taken
when he was young in 1943,
and my poems, the broken ones that will never
be seen. These I keep for myself. They are
the other silence, the one that sings to me
when my friends are gone and the night
moves with great slowness in my hands.

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, pp. 265-266.

Le rêve dans le pavillon rouge6

 

Je ne puis trouver le symbole de la grue sur les boîtes d’encre
argentées. Ternies par la poussière elles gisent parmi
les chauve-souris de jade abimées et les lions éparpillés.
Aux murs pendent des robes des Qing.
Leurs coutures révèlent la danse
ternie des chrysanthèmes. Je cherche l’ancien
dans le fatras des dynasties. Une vieille femme
marche avec lenteur parmi les bibelots.
Elle a les pieds bandés. C’est la dernière illusion
d’un monde qui ne croit plus qu’une telle douleur est
belle. Ce que je veux rapporter de Chine
ne se trouve que dans mon rêve de la chambre rouge.
Honteux, je marche au milieu des foules dans la rue
où les jeunes femmes, aussi gaies que des oiseaux,
courent en riant parmi les arbres wutong.

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, p. 235.

 

The Dream of the Red Chamber

 

I cannot find the symbol of the crane on the silver
ink boxes. Tarnished with dust they lie among
the scarred jade bats and scattered lions.
On the walls hang dresses from the Ch’ing.
Their stitching reveals the faded
dance of chrysanthemums. I search for the ancient
in the clutter of dynasties. An old woman
walks with slowness among the curios.
Her feet are bound. They are the last illusion
in a world that no longer believes such pain is
beautiful. What I want to take back from China
is found only in my dream of the red chamber.
Ashamed, I walk into the crowds on the street
where young women, bright as birds,
run laughing among the wu t’ung trees.

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, p. 235.

 

Fragilité

 

Elle venait de Normandie, l’un de ces
villages de la basse Seine
où ils fabriquent le bon Calvados, de la sorte
que l’on trouve seulement là-bas. Elle était très petite.
Il se rappelle cela, les os de ses pieds
fragiles dans ses mains. Ils se sont rencontrés à Cuzco, la cité en pierre taillée,
et se sont quittés à la Carthagène avant 
l’arrivée des touristes, là où,
si on fermait les yeux et qu’on la humait
on pouvait se souvenir de Drake et de ses pillages,
de sa reine et de sa gloire. Elle avait les cheveux roux
et cette peau claire et pâle à travers laquelle on pouvait voir
la nuit dans la dernière des chandelles.

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, p. 305.

 

Fragility

 

She came from Normandy, one of those
villages on the Lower Seine
where they make the good Calvados, the kind
you can only find there. She was very small.
He remembers that, the bones of her feet
fragile in his hands. They met in Cuzco, the city of cut stone,
and parted in the Cartagena before
the tourists came, the one where,
if you closed your eyes and smelled it
you could remember Drake and his plundering,
his queen and glory. She had red hair
and that fair clear skin you can see through
at night in the last of the candles.

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, p. 305.

 

La boîte blanche

 

Dans la boîte blanche
que tu dissimules
une salamandre blanche
attend avec une flamme
dans ses menottes
Que le feu est brillant !
Que de temps son souffle
l’a entretenu !
Mais la boîte est fermée.
Pourquoi la gardes-tu fermée ?

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, p. 329.

 

The White Box

 

In the white box
you keep hidden away
a white salamander
waits with a flame
in his small hands
How bright the fire!
How long his breath
has kept it alive!
But the box is closed.
Why do you keep it closed ?

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, p. 329

  

La première fois

 

La première fois
que j’ai vu un poulet
courir sans tête
dans le jardin
j’ai voulu
le faire moi aussi
je désirais
tuer une chose
d’une manière si parfaite
qu’elle puisse vivre

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, p. 337

 

The First Time

 

The first time
I saw a chicken
Run headless
across the yard
I wanted
to do it too
I wanted
to kill something
so perfectly
it would live

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, p. 337

Le chant des macaronis

 

Je me souviens des macaronis
de la fin du mois
de la dernière semaine
lorsqu’il y avait si peu
J’ai inventé
Un chant pour les enfants
Le chant des macaronis !
Nous tournions
autour de la table,
riant et chantant.
Macaronis, Macaronis !
Maintenant je n’arrive pas
à faire fonctionner ce chant sur la page,
souvenez-vous juste
que nous riions tant.
Ma femme se tenait debout
au-dessus du métal gris
là où bouillaient les macaronis.
Elle ne chantait jamais ce chant.
Il était six heures du soir.
Les enfants criaient :
Chante-nous le chant des macaronis !
Et je chantais.
Un soir
j’ai chapardé trois tomates
dans le jardin de Monsieur Sagetti
et les ai laissé tomber
dans les volutes d’eau.
Ma femme.
Elle m’aimait.
Nous travaillions si dur
pour nous faire une vie.
Trois tomates.
J’en rêve toujours.
Nous étions, ce que l’on
appellerait maintenant, pauvres.
Mais lorsque nous dansions
autour de table,
mes fils et ma fille
unique dans mes mains
et que nous chantions le chant
des macaronis, mon Dieu, durant ce moment,
que nous étions heureux.
Et ma femme à la cuisinière grise
à l’aide de la cuillère déposait les boucles pâles et nues
dans chaque assiette
et ce soir-là
les fins fils
des trois tomates.
j’en rêve toujours,
Monsieur Sagetti, mort,
où que vous soyez,
je veux vous dire
que ce poème est pour vous.
Je suis désolé d’avoir chipé
vos tomates.
J’étais pauvre et je
désirais, pour mes enfants,
un peu plus.

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, pp. 357-359.

 

The Macaroni song

 

I remember macaroni
the end of the month
the last week
when there was so little
I made up
a song for the children
The Macaroni Song!
Around the table
we would go,
laughing and singing.
Macaroni, Macaroni!
I can’t make the song
work now on the page,
just remember we
laughed so hard.
My wife stood
over the grey metal
where the macaroni boiled.
She never sang the song.
It was always six o’clock.
The children would cry:
Sing the Macaroni Song !
And I would sing.
One night
I stole three tomatoes
from Mister Sagetti’s garden
and dropped them
in the curl of water.
My wife.
She loved me.
We worked so hard
to make a life.
Three tomatoes.
I still dream of them.
We were, what you
would call now, poor.
But when we danced
around the table,
my sons and my one
daughter in my hands
and sang the Macaroni
Song, God, in that moment,
we were happy.
And my wife at the grey stove
spooned the pale bare curls
onto each plate
and that one night
the thin threads
of three tomatoes.
I still dream of them,
Mister Sagetti, dead,
wherever you are,
I want to say
this poem is for you.
I’m sorry I stole
your tomatoes.
I was poor and I
wanted, for my children,
a little more.

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, pp. 357-359.

 

Le scellage

 

Ceci n’est que pour tes yeux. J’ai plié
le papier avec précision, un tiers et puis un autre,
et placé le parchemin dans son enveloppe. Ici
j’appose mon sceau. Je chauffe la cire mielleuse et la regarde,
goutte à goutte, jusqu’à ce qu’une mare liquide se forme sur le sceau,
puis je prends ma main pour en faire un poing
et, debout, appuie de tout mon corps
jusqu’à ce que ma maison se forme, mon sceau, mon insigne,
ma signature, ma marque de fabrique. Ce sont mes mots.
Tu es la seule pour laquelle je les
ai composés, dans le silence de ma chambre,
en pleine nuit, un mot et puis un autre,
et maintenant nulle autre que toi ne peut la décacheter.

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, p. 401.

 

The Sealing

 

This is for your eyes alone. I have folded
the paper precisely, one third and then another,
and placed the parchment in its envelope. Here
I place my seal. I heat the honeyed wax and watch it
drip by drip until it forms a liquid pool on the seal
and then I take my hand and make it into a fist
and, standing, press my whole body down
until my house is made here, my seal, my insignia,
my mark, my making. These are my words.
You are the one I have made
them for, in the quiet of my room,
in the dead of night, one word and then another,
and now no one can break it but you.

Patrick Lane, The Collected Poems of Patrick Lane, 2011, Harbour Publishing, p. 401.

 

 

 

 

[1]Poète canadien (1933-1983). Auteur de Bread, Wine and Salt (1967) pour lequel il a obtenu le Prix du Gouverneur général.

[2]Le titre de ce poème est une allusion au roman du XVIIIe siècle, Le Rêve dans le pavillon rouge, de Cao Xueqin, l’un des chefs d’œuvre de la littérature chinoise. Son cinquième chapitre raconte le rêve du narrateur d’un pavillon rouge où est révélé le destin de nombre des personnages. Le symbole de la grue est associé à des traits positifs : bonheur, succès, chance, etc. La dynastie Ch’ing a pris fin en 1911. L’arbre wutong – connu en Amérique du nord comme Le Parasol chinois – est d’une beauté délicate et est associé à la chance et à la bénédiction. Le Rêve dans le pavillon rougedans une traduction de Jacqueline Alézaïs et Li Tche-houa (révisée par André Hormon) a été publiée dans la Pléiade (no 294), Gallimard, 1981.

Notes

[1] Steven W. Beattie, 2019, « “I think it was poetry that saved me from killing myself or killing others”: remembering Patrick Lane, 1939–2019 », Quill & Quire, 11 mars 2010. Récupéré sur https://quillandquire.com/omni/i-think-it-was-poetry-that-saved-me-from-killing-myself-or-killing-others-remembering-patrick-lane/

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] « Patrick Lane, Canadian Literature: A Quarterly of Criticism and Review. Récupéré sur https://canlit.ca/canlit_authors/patrick-lane/

[5] Poète canadien (1933-1983). Auteur de Bread, Wine and Salt (1967) pour lequel il a obtenu le Prix du Gouverneur général.

[6] Le titre de ce poème est une allusion au roman du XVIIIe siècle, Le Rêve dans le pavillon rouge, de Cao Xueqin, l’un des chefs d’œuvre de la littérature chinoise. Son cinquième chapitre raconte le rêve du narrateur d’un pavillon rouge où est révélé le destin de nombre des personnages. Le symbole de la grue est associé à des traits positifs : bonheur, succès, chance, etc. La dynastie Ch’ing a pris fin en 1911. L’arbre wutong – connu en Amérique du nord comme Le Parasol chinois – est d’une beauté délicate et est associé à la chance et à la bénédiction. Le Rêve dans le pavillon rouge dans une traduction de Jacqueline Alézaïs et Li Tche-houa (révisée par André Hormon) a été publiée dans la Pléiade (no 294), Gallimard, 1981.




Cinq poèmes de Thomas Krampf

Diplômé du Dartmouth College, Thomas Krampf a animé de nombreux ateliers d’écriture auprès d’enfants, de toxicomanes, ainsi qu’en milieu carcéral, et présenté son œuvre dans les écoles secondaires, les universités et à la radio (National Public Radio, à Buffalo et New York). À Olean, il a durant de nombreuses années organisé des événements littéraires avec de prestigieux invités (Wendell Berry, Gregory Corso, Peter Matthiessen, entre autres).

En 2001, il a été écrivain en résidence au Linenhall Arts Centre de Castelbar en Irlande. Il a également été l’un des premiers poètes américains à avoir participé au festival littéraire d’Eden Mills (Ontario, Canada). En 2006, il a aussi participé au festival littéraire « Le printemps des poètes », à la Rochelle (France). En 2011, il a participé à un récital avec la compositrice Sun Mi Ro au Houghton College, dans l’État de New York. Lui et son épouse Françoise, ingénieure à la retraite, après avoir vécu à New York et à Hinsdale dans l’État de New York (pendant 40 ans), résident maintenant près de La Rochelle. Comme l’écrit la poétesse américaine Margaret Gibson : « Il est temps que les lecteurs et le monde de la poésie découvrent les poèmes de Tom Krampf. Ce dernier est plus sensible aux subtilités de l’esprit et du cœur que la plupart. Sa compassion est rare, et sa capacité à entendre la musique qui relie chaque mot à un autre dans un poème est sans faille. Cette sélection de poèmes est pointue, courageuse et sincère. » 

Et Neil Baldwin, de confesser : « Depuis plus de trente-cinq ans, j’éprouve une profonde admiration pour la trajectoire enchanteresse des poèmes de Thomas Krampf. Celui-ci est le frère post-millénaire sage et dérangé de Blake et de Whitman, qui répond à l’exigence de Pound que poésie = condensation, mais qui reste pourtant toujours le maître du vers chantant et traînant. Depuis sa retraite rurale et montagneuse, Krampf persiste à envoyer des paroles pour nous rappeler à quel point nous sommes chanceux d’être vivants dans ce monde beau et fracturé. »

Ma rencontre avec Tom Krampf remonte à l’automne 1996. Je venais d’obtenir un poste de lecteur de français à l’Université Saint-Bonaventure, aux États-Unis. J’avais tout juste terminé un mémoire de maîtrise consacré au moine trappiste et écrivain Thomas Merton (1915-1968), l’auteur de La nuit privée d’étoiles, et souhaitais poursuivre mes recherches dans cette université qui se trouve à Olean, dans l’État de New York. Avant de rejoindre l’abbaye de Gethsemani en 1941, Merton y avait enseigné l’anglais. Cette université regorge d’archives et je comptais bien approfondir ma connaissance de cet écrivain. C’est lors d’un événement, dont j’ai oublié la nature, que j’ai rencontré l’épouse de Tom, Françoise, qui m’a alors invité à venir les voir dans leur maison d’Hinsdale, à 12 kilomètres d’Olean. Je me souviens notamment de quelques photos au mur : l’une avec Allen Ginsberg (1926-1997) et l’autre avec Robert Lax (1915-2000), poète et ami de Thomas Merton. Le poêle crépitait joyeusement en cette fin d’automne, la table était succulente et la discussion délicieuse. Je suis resté à Saint-Bonaventure deux ans avant d’aller vivre au Japon. L’année où j’ai quitté les États-Unis, Tom venait tout juste de publier ses Shadow Poems et j’avais été hypnotisé par ses vers lors d’une lecture publique. La poésie de Tom m’a accompagné de pays en pays, et puis le moment de les traduire est venu, naturellement, comme dans un état de transe, de contemplation : ce fut une révélation, une nécessité. Tous les poèmes qui suivent sont tirés de l’édition Selected Poems (Salmon Poetry, 2013). Astarté (Astarte), Carte de la Saint-Valentin (Valentine) et L’automne s’en vient (Autumn Comes Calling) ont paru originellement dans Poems to My Wife and Other Women, tandis que La médaille The Medal) et À ma fille, Cécile (To My Daughter Cecile) sont tirés de The Subway Prayer and Other Poems of the Inner City.

 

 

Astarté

En pénétrant dans les montagnes
elle me dit, comme elle est très passionnée,
de faire attention à elle, et
de ne pas lui tenir la main si fermement,
car ça lui fait mal.

Parmi les poutres qui tombent, le visage d’Astarté
apparaît à la fenêtre.
Je ne suis pas sûr de pouvoir faire ni l’un ni l’autre.

 

Astarte

Entering the mountains
she tells, as she is very passionate,
to be careful with her, and
not to hold her hand so tightly,
because it hurts.

Among the falling beams, Astarte’s
face appears at the window.

I am not sure I can do either.

 

∗∗∗

Carte de la Saint-Valentin

Si gentil
j’avais pensé à t’écrire
le jour de la Saint-Valentin

Une lettre ou un poème
adorable, ç’aurait été au sujet
d’un cœur vivant

Un oiseau rouge et dodu
mangeant une graine
dans la neige

 

Valentine

If sweet
I had remembered to write you
on Valentine’s day

A letter or a poem
sweet, it would have been about
a living heart

A plump red bird
eating seed
in the snow

 

 

∗∗∗

L’automne s’en vient

Toute la nuit
j’ai rêvé, nos lèvres se touchant à peine,
j’étais étendu près de toi.

Ce matin, ton corps flamboyant
toujours obscurément, dans cette chaleur
inaccoutumée, et maintenant si lointain

Attendant de festoyer
j’étais un insecte, prenant le soleil,
sur la chair brune et mûrissante
d’une citrouille

Autumn Comes calling

All night long
I dreamt, our lips barely touching,
I was lying next to you.

This morning, your body still
glowing darkly, in this unseasonable
warmth, and now so far away

Waiting to feast
I was an insect, sunning itself,
on the dark ripening flesh
of a pumpkin

 

 

∗∗∗

La médaille
à ma fille, Franny

Je suis une enfant et suis étendue dans un lit-cage.
Je joue avec mes orteils et parfois avec ma tortue verte.
Il y a une médaille qui pend au cou de mon père
et je tends le bras pour l’attraper.
Je suis une enfant et joue avec une médaille.

Je suis une enfant et suis debout dans le jardin.
Je suis plus grande que les mauvaises herbes et tends le bras pour saisir la libellule.
Le jardin s’incline jusqu’à une barrière et jusqu’au bruit d’une usine.
C’est un monde que j’entends mais dont je ne sais rien.
Je suis une enfant et joue avec les libellules.

Je suis une enfant et suis parti à la découverte du monde.
Je cherche la porte qui mène au jardin
mais je n’en trouve aucune.
Il me faut pas mal de temps avant de comprendre que je dois continuer.
Je suis une enfant et je cherche une porte.

Je suis une enfant et je suis un homme.
Je me penche au-dessus du lit-cage et la main cherche ma médaille à tâtons.
il y a des inscriptions dessus et les doigts se referment
sur l’histoire.
Je suis père et je suis très attaché à cette enfant.

The Medal
To my daughter, Franny

I am a child and I lie in a crib.
I play with my toes and sometimes my green turtle.
There is a medal hanging from my father’s neck
and I reach for it.
I am a child and I play with a medal.

I am a child and I stand in the garden.
I am taller than the weeds and I stretch for the dragon-fly.
The garden slopes away to a fence and the noise of a factory.
It is a world I hear but That I know nothing about.
I am a child and I play with dragonflies.

I am a child and I have gone out into the world.
I search for the door back to the garden
But I can find none.
It is a long time before I realize that I must go on.
I am a child and I search for the door.

I am a child and I am a man.
I bend over the crib and the hand gropes for my medal.
There are inscriptions on it and the fingers close
over the story.
I am a father and I care for the child.

[Subway Prayer and Other Poems of the Inner City] Thomas Krampf, Selected Poems, Salmon Poetry, p. 86.

 

∗∗∗

À ma fille, Cécile

Nombreux sont les miroirs de mon âme
que je fixe du regard
et si boiteux que je sois
je ne pourrais t’aimer davantage
tandis que tu suis ton cours de danse classique
derrière ta professeure
et que tu te tords les pieds
de la même manière que je trébuche sur les mots.

To My Daughter, Cecile

Many are the mirrors of my mind
in which I stare
and lame as I am
I could not love you more
as you go through your ballet lesson
behind your instructor
and twist your feet
the same way I trip over words.

 

Présentation de l’auteur

Thomas Krampf

Thomas Krampf est l’auteur de huit recueils de poésie: The Divine Genome (Guernica, 2017), Selected Poems, avec l’essai Perfecting the Art of Falling (Salmon Poetry, 2013), Poems to My Wife and Other Women (Salmon Poetry, 2007), Taking Time Out: Poems in Remembrance of Madness (Salmon Poetry, 2004), Shadow Poems (Ischua Books, 1997), Satori West (Ischua Books, 1987) et Subway Prayer and Other Poems of the Inner City (Morning Star Press, 1976). Sa nouvelle collection de poèmes, Sea of Perpetuity, vient de paraître, avec des illustrations d’Edith Feuerstein Schrot (qui a déjà illustré les Shadow Poems et Satori West) sous la forme d’un chapbook.

Poèmes choisis

Autres lectures

Cinq poèmes de Thomas Krampf

Diplômé du Dartmouth College, Thomas Krampf a animé de nombreux ateliers d’écriture auprès d’enfants, de toxicomanes, ainsi qu’en milieu carcéral, et présenté son œuvre dans les écoles secondaires, les universités et à la radio [...]




Cinq poèmes de Michael Crummey

32 historiettes (32 Little Stories), ensemble qui compose la première partie de Hard Light (Lumière crue), dont sont tirés les textes présentés ici, s’inspire de récits réels qui ont été contés à l’auteur par des membres de sa famille ainsi que par quelques autres anonymes.

Comme l’explique Michael Crummey : « Ma propre imagination hyperactive est responsable d’un nombre de morceaux complètement fictifs. Plus que toute autre, cependant, c’est la voix de mon père et ces histoires qui m’ont donné l’envie d’écrire tout cela. [...] Une grande partie de ce livre est une collaboration entre moi-même et les Terre-Neuviens du passé et du présent. Certaines des personnes qui parlentn’étant plus parmi nous pour discuter de la manière dont ils sont représentés, je devrais donc dire dès le départ que certaines libertés ont été prises. »

Le travail de traduction a été multiforme, comme c’est le cas pour tout texte : il a fallu trouver le moyen de rendre la voix et le ton de ces personnes, leurs singularités, leurs individualités. Nous sommes ici dans un monde de pêcheurs, de mineurs et de paysans. La langue Terre-Neuvienne est très marquée d’un point de vue géographique (ce qui m’a amené à utiliser des régionalismes : pouding de pois, sous, piasses, câler les danses carrées) mais aussi technique (langue de la pêche à la morue, métiers de la mine et du bois, par exemple) : le chafaud, les pêcheries, stationnaire, pêcher à la turluttte, épinette. Mon choix traductionnel a été de favoriser une langue nord-américaine pour éviter de gommer cette réalité et ne pas avoir recours à une langue beaucoup trop franco-centrée qui me rebuten d’autant plus que je vis en Amérique du Nord. J’ai été amené à compulser l’incontournable Dictionary of Newfoundland English de G.M Story, W.J Kirwin et J. D. A Widdowson, mais aussi nombre d’ouvrages liés à la pêche à la morue en France et au Canada, sans oublier Saint-Pierre et Miquelon. Michael Crummey a répondu à toutes mes questions, ce qui est un avantage car les auteurs ne sont pas toujours disponibles à ce point.

Il faut enfin préciser que l’auteur éprouve beaucoup d’affection pour ce livre qui parle d’un monde disparu. Michael Crummey évoque cette relation avec beauté : « J’ai perdu ce sentiment enivrant d’être à l’intérieur de la matière, de la porter comme une couche de peau qui bouge et respire avec moi. Et l’éclat s’est terni par endroits, bien sûr. [...] Cependant, j’aime toujours ce petit livre. [...] Pour le vacillement de sa vie intérieure qui réussit à donner l’impression d’être toujours quelque chose de réel en moi, au bout de vingt ans. » Mon travail de traducteur était justement de retrouver cette immédiateté, de transmettre ces voix émouvantes qui font revivre un univers marin et rustique et qui rendent compte de vie certes laborieuses mais toujours nobles et fières. Le travail initial de traduction de ces textes s’est fait, en quelques mois, dans un envoûtement total tant j’avais été séduit par la beauté, la poésie et le réalisme de ces textes qui parlent d’un monde éloigné mais tellement proche. 

Le 19 novembre 2014, Michael Crummey devant une salle comble au Centre de littérature canadienne, où il a lu Sweetland, Galore et Under the Keel.

∗∗∗∗

 

1

Ainsi allait la vie

Pour la première fois, le garçon voyage jusqu’au Labrador en tant que membre de l’équipage de son père. Ils ont charrié leur équipement jusqu’à Spaniard’s Bay en passant par Harbour Grace pour s’assurer un amarrage ; ils ont chargé filets, malles, gros sel et tonneaux dans la cale du Kyle, installant des habits et des filets sur leur amas d’affaires pour s’aménager un endroit pour dormir. Au moment où le navire quitte Carbonear, plus de deux cents hommes et garçons sont descendus dans la cale pour la traversée, ressac constant de conversations désincarnées dans la faible lumière, fragments de chanson s’élevant d’un coin à l’autre.

Une demi-douzaine d’Américains de Boston et de New York dorment sous des draps de coton dans les couchettes de première classe. Ils boivent du scotch de douze ans d’âge au salon, cuivre poli autour du bar, tache sombre de bois d’acajou sur les murs. Vêtus de manteaux de laine, appuyés sur la rambarde, pour regarder des cathédrales de glace dériver lentement vers le sud, un nuage d’esquimaux venant à la rencontre du navire à Rigolet et à Makkovic. Ils regardent attentivement à l’intérieur de la cale l’enchevêtrement de pêcheurs et de matériel, des mouchoirs pressés contre leurs nez pour se protéger de la puanteur qui monte. Ils peuvent à peine comprendre un mot prononcé par ces hommes. Un homme de la Nouvelle-Angleterre demande au garçon de poser pour une photo, un banc d’îles du Labrador en arrière-plan. Ses mains, tels des oiseaux piégés au bout de ses manches, raides, pas naturelles, il ne s’est jamais fait prendre en photo auparavant. La cravate du photographe est en soie.

Le garçon revient sur le pont autour des heures de repas, se plante près des hublots de la salle à manger pour observer les garçons aux vestes blanches porter des plateaux jusqu’aux tables, mains immaculées et fourchettes en argent fin, bouchées de rosbif et purée de pommes de terre, louches de jus de viande, gâteaux et tartes pour le dessert. En trois jours, il n’a mangé que des biscuits de mer et du thé, son estomac lui fait mal comme une dent qui devrait être arrachée. Ses yeux larmoient tandis qu’il regarde la nourriture disparaître, les assiettes renvoyées à moitié pleines. Les serveurs apportent des cafetières argentées, des digestifs ; les clients repoussent leurs chaises, allument des cigarettes, lèvent un doigt désinvolte pour se faire servir plus de sherry ou de whiskey.

Ainsi va la vie, le garçon n’en sait pas assez pour ressentir de la colère, il aimerait bien que les choses soient différentes, vaguement, sans attentes ; il se tourne vers le mouvement de l’eau, se coupant les paumes à l’aide des ongles de la main pour moins ressentir la faim. Il a trois ans de moins que le scotch sur les tables.

The Way Things Were

 

The boy is travelling to the Labrador as part of his father’s crew for the first time. They have carted their gear down past Harbour Grace to Spaniard’s Bay to be sure of a berth, loading nets, trunks, curing salt and barrels into the hold of the Kyle, settling clothes and twine over the mound of their belongings to make a place for sleeping. By the time the ship leaves Carbonear, more than two hundred men and boys have descended into the hold for the voyage, a constant undertow of disembodied conversation in the dim light, fragments of a song rising from one corner or another.

Half a dozen Americans from Boston and New York sleep under cotton sheets in the first-class berths. They drink twelve-year-old scotch in the saloon, brass polished around the bar, the dark stain of mahogany wood on the walls. They stand at the ship’s railings in woolen coats to watch cathedrals of ice drift slowly south, a cloud of Eskimos coming down to meet the boat in Rigolet and Makkovic. They peer into the hold at the tangle of fishermen and gear, handkerchiefs pressed over their noses against the rising stench. They can barely understand a single word these people speak. A man from New England asks the boy to pose for a photograph, a school of Labrador islands in the background. His hands like snared birds at the ends of his sleeves, stiff, unnatural, he has never had his picture taken before. The photographer’s tie is made of silk.

The boy comes above deck around mealtimes, stands near the dining room windows to watch white-coated waiters carry trays to the tables, spotless hands and sterling silver forks, mouthfuls of roast beef and mashed potatoes, ladles of gravy, cakes and pies for dessert. In three days he has eaten only hard tack and tea, his stomach aches like a tooth that should be pulled. His eyes water as he watches the food disappear, plates sent back half-full. The waiters carry in silver pots of coffee, after-dinner drinks; the guests push back their chairs, light up cigarettes, lift a casual finger for more sherry or whiskey.

The boy doesn’t know enough to be angry with the way things are, wishes they could be otherwise in a vague unexpectant fashion; turns toward the motion of the water, cutting his palms with his fingernails to feel the hunger less. He is three years younger than the scotch on the tables.

 

∗∗∗

Années cinquante

 

Après la mort de père, j’ai monté un équipage et je suis descendu au Labrador moi- même. J’avais tout juste seize ans alors et d’ailleurs les pêcheries battaient de l’aile, il ne m’a fallu que deux saisons pour me retrouver avec un trou de deux cents piasses.

J’ai décroché le boulot à la mine dans l’intention de rembourser ma dette et de me remettre aussi sec à la pêche. Un des autres pêcheurs stationnaires de Breen’s Island m’a écrit cinq ou six ans après mon départ, pour me demander mon bateau et mon chafaud, il a dit qu’ils étaient en train de pourrir. Je lui ai dit d’en faire ce qu’il voulait et je n’en ai plus entendu parler. De toute façon, à ce moment-là, je savais que c’était fini pour moi.

Mon premier Noël, de retour de la mine, je suis allé voir le vieux Sellars. Il m’a offert un whiskey et une tranche de gâteau, et m’a dit d’oublier ce que je lui devais. Mais il n’en était pas question. J’ai sorti une mince liasse de billets de cinquante piasses et j’ai compté deux cents piasses dans sa main. Des billets neufs, le papier aussi craquant que la première couche de glace sur un étang, à l’automne. Puis j’ai repris un verre de whiskey et je suis rentré chez moi, à moitié soûl et avec l’impression que j’avais perdu quelque chose à jamais.

Fifties

 

After Father died I got a crew together and went down the Labrador myself; I was just sixteen then and the arse gone out of the fishery besides, it only took me two seasons to wind up a couple of hundred dollars in the hole.

I landed the job at the mine intending to work off the debt and go back to the fishing right away. One of the other stationers on Breen’s Island wrote to me once I’d been gone five or six years, asking after the boat and the stage, said they were rotting away as it was. I told him to use what he wanted and never heard any more about it. I knew by then it was all over for me anyway.

My first Christmas home from the mine I’d gone up to see old man Sellars; he had me in for a glass of whiskey and a slice of cake and talked about forgiving some of what I owed him, but I wouldn’t hear of it. Pulled out a slender stack of fifties and counted off two hundred dollars into his hand. New bills, the paper crisp as the first layer of ice over a pond in the fall. Then I had another glass of whiskey and then I went home out of it, half drunk and feeling like I’d lost something for good.

∗∗∗

Michael Crummey évoque la mythologie et les réalités de la vie à Terre-Neuve présentes dans son nouveau roman, Galore. Penguin Random House Canada.

La dernière chanson de Stan

 

Le premier de l’an, les orangistes se réunissaient à la Loge, leurs écharpes drapant leurs poitrines couvertes de chandails et leurs pardessus, les casquettes de laine poivre et sel ou chapeaux melon laissant leurs oreilles dénudées face au froid. À huit heures du matin, ils étaient prêts à partir, marchant au pas dans Riverhead, puis ils traversaient les South Side Hills, remontant chaque ruelle avant de rejoindre le côté nord de Western Bay. Les catholiques restaient dans leurs cuisines lorsqu’ils passaient, trente-cinq ou quarante hommes chantant, les voix embrumées par leurs haleines dans le froid cinglant, les phylactères contenant les paroles des hymnes protestants. S’il y avait un membre de la Loge qui était trop malade pour se joindre au défilé, ils s’arrêtaient chez lui, pour chanter devant leur clôture I Need Thee Every Hour ou Just A Closer Walk With Thee, le malade reprenant le refrain depuis son lit.

Après le défilé, les orangistes retournaient à la Loge où les femmes avaient préparé un déjeuner. Soupe et sandwich pour 25 sous. Puis dans l’après-midi, récitations, chants et saynètes, et Tante Edna Milley arrivait à la moitié de son poème et oubliait le reste, chaque année c’était la même chose, les mots familiers s’effaçant tout comme les visages des proches morts depuis belle lurette. Le soir, un autre repas, suivi d’un discours, le pasteur ou Kitch Williams de l’école, neuf ou dix heures sonnait avant que ça se finisse ou qu’on débarrasse.

C’est alors que débutait le grand moment dans le hall, dans un grand tintamarre, les gens arrivant de toute la côte pour la danse, catholiques comme protestants. Une centaine de personnes dans la Loge, les tables et les chaises poussées contre le mur dans un bruit de raclement, le plancher en bois tanguant et grondant sous les tapements de pieds. Stan Kennedy joue de son accordéon et câle les danses carrées : Faites tourner votre partenaire, Reculez maintenant. Stan était complètement aveugle, mais pour ça, c’était un sacré accordéoniste, le visage levé vers le plafond comme un suppliant implorant le pardon. Il n’avait jamais pris de leçon de sa vie, son corps possédé par la musique, ses mains tirant des airs de l’air tandis que les gens lui criaient leurs requêtes.

C’est ce que tout le monde attendait avec impatience, cette danse-là. Stan jouait jusqu’à quatre heures du matin, il pouvait à peine prononcer un mot au moment où nous lui permettions de s’arrêter. La buée suintant aux fenêtres à cause de la chaleur des corps des danseurs.

Et la lumière grise de la lune indiquant le chemin du retour tandis que les gens sortaient dans le froid, leurs vestes pliées sur leurs bras, le son de la dernière chanson de Stan dérivant vers les étoiles.

Stan’s Last Song

 

On New Year’s Day the Orangemen gathered at the Lodge, their sashes draped across sweatered chests and overcoats, salt and pepper hats or bowlers leaving their ears bare to the frost. By eight o’clock in the morning they were ready to set out, marching down through Riverhead across the South Side Hills, up every laneway, then over to the north side of Western Bay. The Catholics kept to their kitchens when they passed, thirty-five or forty men singing, their voices mapped by clouds of breath in the bitter air, cartoon bubbles holding the words of old Protestant hymns. If there was a lodge member who was too ill to join the parade, they stopped at his home to sing outside the fence, I Need Thee Every Hour or A Closer Walk with Thee, the sick man joining in from his bed.

After the parade, the Orangemen went back to the Lodge where the women had prepared a lunch. Soup and sandwich for a quarter. Then afternoon recitations, songs and skits, and Aunt Edna Milley would get halfway through her poem and forget the rest, every year it was the same thing, the familiar words fading like the faces of loved ones long dead. In the evening another meal, and then an after-dinner speaker, the preacher or Kitch Williams from the school, it was nine or ten o’clock before that was finished and cleared away.

That was when the Time really got started, a clap of movement in the hall, tables and chairs scraped back against the walls, people arriving from up and down the shore for the dance, Catholic and Protestant alike. A hundred people in the Lodge, the hardwood floor pitching and rolling under the stamp of feet. Stan Kennedy playing his accordion and calling out the square dances, Swing your Partner, Now Step Back. Stan was as blind as a stone, but he could play that accordion, his face lifted to the ceiling like a supplicant seeking forgiveness. Never had a lesson in his life, his body possessed by music, his hands pulling tunes from the air as people shouted out requests.

It was what everyone looked forward to, the dance. Stan played until four in the morning, he could barely croak out a word by the time we let him stop. The windows dripping steam from the heat of the dancers.

And the grey light of the moon showing the way home as people stepped out into the cold, their jackets folded across their arms, the sound of Stan’s last song drifting to the stars.

∗∗∗

La loi de l’océan

Domino Run, Labrador, 1943

 

Durant les années de guerre, les Américains avaient des douzaines de bateaux sur la côte, qui effectuaient des relevés des îles et cartographiaient chaque recoin. Ils érigeaient des mâts sur tous les promontoires avec de petits lambeaux de soie au sommet, à quarante, cinquante pieds de hauteur pour certains. Nous n’avions aucune idée de la raison pour laquelle ils étaient là, mais nous volions chaque morceau de soie sur lequel nous tombions, les descendant du mât entre nos dents, ils étaient parfaits pour faire bouillir un peu de pouding de pois, ou à utiliser en guise de mouchoirs.

Un après-midi, nous étions au large en train de pêcher à la turlutte, à la mi-août, le temps suffisamment beau jusqu’à ce que la brise tourne et qu’un vent aussi chaud que des gaz d’échappement de fournaise souffle. Nous avons remonté nos lignes et nous sommes rentrés directement dans la Tickle, sachant à quoi nous attendre derrière. Nous sommes passés devant l’un de ces navires d’exploration sur notre chemin, planqué dans une crique peu profonde et ils n’avaient même pas jeté l’ancre, juste lancé un grappin. Nous nous sommes arrêtés pour les prévenir mais le capitaine nous a plus ou moins ri au nez, et la bourrasque s’en est venue tel que nous l’avions prévu, le vent suffisamment méchant pour décharner une vache.

Le lendemain matin, le petit bateau d’exploration se trouvait sur la terre ferme, emporté à une hauteur de plus de vingt pieds hors de l’eau. Lorsque ça s’est su, chaque bateau dans la Tickle a tout de suite mis le cap vers la crique et ça n’a pas traîné. Nous avons pris tout ce qui n’était pas boulonné, nourriture, argenterie, literie, livres et cartes, boussoles, alcool et vêtements. J’ai mis la main sur l’une de ces horloges mécaniques qu’ils avaient à bord, mais j’étais trop avide de la rapporter au bateau de Papa ; je l’ai cachée derrière un buisson et suis retourné vers le bateau pour prendre quelque chose d’autre. Et pas question que quelqu’un vienne me la voler.

Les Américains étaient plantés sur le côté, mais ils n’ont pas prononcé un mot. La loi de l’océan, vous voyez, objets de récupération. Nous étions comme une meute de sauvages d’ailleurs, soixante-dix ou quatre-vingts hommes et garçons grimpant à l’intérieur par le côté, que pouvaient-ils dire ? On a nettoyé le bateau en quinze minutes, comme si on essayait de sauver des souvenirs de famille dans un bâtiment en feu.

Les Américains ont envoyé un remorqueur plus tard ce jour-là pour le bouger de la terre ferme et nous avons tous aidé là où c’était possible, lançant quelques lignes autour de la tête de mât, le faisant balancer d’un côté et de l’autre jusqu’à ce qu’il se libère en se dandinant et qu’il glisse dans l’eau comme un phoque depuis une plaque de glace.

Nous n’avons pas cessé d’attendre qu’une autre occasion comme celle-là se présente, mais les Américains se sont montrés plus intelligents par la suite ou peut-être ont-ils été plus chanceux. C’est tout un travail de faire la différence entre les deux dans le meilleur des cas.

The Law of the Ocean

Domino Run, Labrador 1943

 

The Americans had dozens of boats on the coast during the war years, surveying the islands, mapping every nook. They had poles erected on all the headlands with little silk rags at the top, forty, fifty feet high some of them. We had no idea what they were there for, but we stole every piece of silk we came across, carrying them down the pole in our teeth, they were perfect to boil up a bit of peas pudding, or to use as a handkerchief.

We were out jigging one afternoon, mid-August, the weather fine enough until the breeze turned and a wind as warm as furnace exhaust came up. Took in our lines and headed straight back into the Tickle, knowing what to expect behind it. Passed one of those survey ships on our way, holed up in a shallow cove and they hadn’t even dropped anchor, just put out a grapple. We stopped in to warn them but the skipper more or less laughed at us, and the squall came on just like we said it would, the wind wicked enough to strip the flesh off a cow.

Next morning that little survey boat was sitting on dry land, blown twenty feet up off the water. When word got out, every boat in the Tickle headed straight for the cove and we made pretty short work of it. Took anything that wasn’t bolted down, food, silverware, bedding, books and maps, compasses, liquor, clothes. Got my hands on one of those eight-day clocks they had aboard, but I was too greedy to take it all the way to Father’s boat; hid it behind a bush and turned back to the ship for something else. And I’ll be goddamned if someone didn’t go and steal it on me.

The Americans were standing alongside but they didn’t say a word. Law of the ocean, you see, salvage. We were like a pack of savages besides, seventy or eighty men and boys climbing in over the side, what could they say? Cleared the boat in fifteen minutes, as if we were trying to save family heirlooms from a burning building.

The Americans sent up a tug later that day to take the ship off the land and we all helped out where we could, throwing a few lines around the masthead, rocking her back and forth until she shimmied free and slipped into the water like a seal off an ice pan.

We kept waiting for another chance like that to come along, but the Americans got smarter afterwards or maybe they just got luckier. It’s a job to say the difference between those two at the best of times.

∗∗∗

Les Brûlis

Imagine-le, si tu peux, l’oncle Bill Rose, arrière-grand-père, mineur à la retraite, homme à tout faire. Fais apparaître une silhouette à partir du peu que tu sais. Pardessus noir descendant jusqu’aux genoux, une canne, la bosse permanente de son dos causée par un accident à Sydney Mines. La scie de menuisier que ton père garde au sous-sol qui porte ses initiales : W.T.R.

Jeune homme, il a participé à la construction de l’Église Unie de South Side, quinze sous de l’heure pour son labeur. Il a fait voile vers le Cap-Breton. Il s’est ruiné la santé dans les mines à ramasser du charbon. Une demi-douzaine d’hommes de Western Bay morts dans l’accident qui lui a endommagé le dos, leurs corps rapatriés et enterrés aux Brûlis des années auparavant.

Il tient un atelier de menuiserie, à quinze minutes de la maison de sa fille, il s’y rend tous les jours sauf le dimanche, ouvre la porte sur une odeur de gomme d’épinette et de sciure de bois. Une famille étendue de ciseaux à bois en rang ordonné sur le mur du fond. Il fabrique des commodes, des bureaux et des bibelots. Un cadre de pin pour son propre cercueil, suspendu au mur, parfaitement aplani et peint des années avant qu’il n’emménage chez Minnie et son mari.

Sa femme est morte depuis plus longtemps que n’a duré leur mariage. Il sera enterré à ses côtés en 1951, à l’âge de quatre-vingt-treize ans, devenu alors un étranger pour elle, son temps dans les mines complètement oublié. L’église de South Side Hills, rasée, une planche gauchie à la fois, le vieux bois disloqué pour être brûlé comme bois de chauffage. Les outils d’une vie, liquidés, à l’exception d’une scie à main que ton père a prise dans l’atelier pour qu’on se souvienne de lui.

L’initiale du milieu, sur le manche, toujours un mystère pour toi.

The Burnt Woods

 

Picture him if you can, Uncle Bill Rose, great-grandfather, retired miner, handyman. Conjure a figure from the little you know. Black overcoat to his knees, a walking stick, the permanent hump on his back from an accident in Sydney Mines. The carpenter’s saw your father keeps in the basement engraved with his initials : W.T.R.

Helped put up the United Church on the South Side as a young man, fifteen cents an hour for his labour. Sailed to Cape-Breton, spent his health in the mines picking coal. Half a dozen men from Western Bay killed in the accident that crippled his back, their bodies shipped home to be buried in the Burnt Woods.

Keeps a woodshop fifteen minutes from his daughter’s home, he goes in every day but Sunday, opens the door on the scent of spruce gum, sawdust. An extended family of chisels in an orderly row on the back wall. He builds dressers, bureaus, knick-knacks. A pine border for his own grave hung in the rafters, planed smooth and painted years before he moved in with Minnie and her husband.

His wife has been dead longer than they were married. He will be buried beside her in 1951, aged ninety-three, a stranger to the woman by then, his time in the coal mines all but forgotten. The church on the South Side Hills torn down one warped board at a time, the old lumber broken up for firewood and burnt. His lifetime of tools sold off but for the one handsaw your father took from the workshop wall to remember him by.

The middle initial on the handle still a mystery to you.

Notes

1 Collines sises sur la rive sud de Saint-Jean de Terre-Neuve.

2 L’hymne I Need Thee Every Hour a été composé par l’Américaine Annie Sherwood Hawks (1835-1918) et mis en musique par Robert Lowry, son pasteur. Just a Closer Walk with Thee est un gospel traditionnel qui a été repris par quantité d’artistes.

Présentation de l’auteur

Michael Crummey

Originaire de Terre-Neuve, le romancier, poète et nouvelliste canadien Michael Crummey est né à Buchans en 1965 et vit présentement à Saint-Jean de Terre-Neuve. Il est l’auteur de nombreux livres, souvent récompensés par des prix littéraires canadiens et internationaux. Après Les voleurs de rivière (2004) et Du ventre de la baleine (2012), Sweetland est son troisième roman traduit en français. Son dernier roman, The Innocents, a paru en août 2019 (Doubleday Canada) et reçu un très bel accueil de la critique. Il a notamment été en lice pour le prestigieux Scotiabank Giller Prize : « Le roman de Crummey a la capacité de changer la manière dont le lecteur envisage le monde. » Comme l’écrit aussi Mario Cloutier : « L’écrivain […] possède un imaginaire marqué par l’influence de la géographie sur le caractère des habitants. Le territoire comme personnage, le paysage bousculé par les vents et trempé par les larmes océaniques. » (« Michael Crummey, tout homme est une île », 5 juillet 2018, La Presse). Tous les textes qui suivent sont tirés du recueil Hard Light (Brick Books, 1998), qui a d’ailleurs inspiré le documentaire LUMIÈRE CRUE au réalisateur Justin Simms en 2003, qui y trace le portrait de Michael Crummey en quête de ses racines. D’autres textes tirés du même recueil (Cerf-volant, Caveau à légumes, Pain et Rouille) et traduits par Jean-Marcel Morlat ont été publiés par la revue québécoise Cahiers littéraires Contre-jour (no 48, « Soif de romanesque! », août 2019). Un autre texte, Le souper Jiggs, paraîtra dans le no 95 (printemps 2020) de la revue littéraire belge Traversées.

Bibliographie 

Il est l’auteur de nombreux livres, souvent récompensés par des prix littéraires canadiens et internationaux. Après Les voleurs de rivière (2004), Du ventre de la baleine (2012) et Sweetland (2017), Les innocents est son quatrième roman traduit en français (août 2020). Le livre a paru en août 2019 dans sa version anglaise (Doubleday Canada) et reçu un très bel accueil de la critique. Il a notamment été en lice pour le prestigieux Scotiabank Giller Prize : « Le roman de Crummey a la capacité de changer la manière dont le lecteur envisage le monde. » Comme l’écrit aussi Mario Cloutier : « L’écrivain […] possède un imaginaire marqué par l’influence de la géographie sur le caractère des habitants. Le territoire comme personnage, le paysage bousculé par les vents et trempé par les larmes océaniques. » (« Michael Crummey, tout homme est une île », 5 juillet 2018, La Presse). En 2022, il a publié un nouveau recueil de poésies, Passengers, et son dernier roman, The Adversary, vient de paraître. Tous les textes présentés ici sont tirés du recueil Hard Light (Brick Books, 1998), livre qui a reçu un excellent accueil critique. Comme l’écrit R. G. Moyles au sujet de Hard Light dans Canadian Book Review Annual : « [...] C’est un brillant styliste : jamais obscur et rarement pédant. [...] Crummey nous emmène dans des voyages extérieurs et intérieurs dont nous pouvons revenir avec une compréhension des forces éternelles trop puissantes pour être conquises mais qu’il est toujours nécessaire de défier. » Et John Steefler d’affirmer : « [...] Les voix anonymes de Lumière crue nous parlent en tant qu’individus distincts. Ce qui ressort encore et encore au premier plan de leurs courts récits, c'est leur détermination et leur conscience [...] une histoire sociale concise et poignante de Terre-Neuve. » Hard Light a inspiré le documentaire LUMIÈRE CRUE (2003) réalisé par Justin Simms, qui y trace le portrait de Michael Crummey en quête de ses racines (https://www.youtube.com/watch?v=D8IQ6c048aM).

De nombreux autres textes tirés de Hard Light (32 Stories) et traduits par Jean-Marcel Morlat ont été publiés dans des revues au Québec, en France et en Belgique:

  • Cerf-volant, Caveau à légumes, Pain et Rouille ont paru dans la revue québécoise Cahiers littéraires Contre-jour (no 48, « Soif de romanesque ! », août 2019).
  • Ce dont nous avions besoin (« What We Needed ») et Sa croix (« Her Mark »), Récit-page, 1er décembre 2020, <http://www.litteraturesbreves.fr/index.php/m-crummey>.
  • La revue Phoenix (Marseille) a publié Actes de Dieu, Dominion, Bay de Verde et Infrarouge dans son numéro 33 (février 2020).
  • Le souper Jiggs et Le moment est venu ont paru dans la revue littéraire belge Traversées (no 95, printemps 2020 et no 96, été 2020).
  • Grâce (« Grace », <https://www.lecrachoirdeflaubert.ulaval.ca/2020/08/grace/>) et L’ancien Noël (« Old Christmas Day », <https://www.lecrachoirdeflaubert.ulaval.ca/2021/01/lancien-noel/>) ont paru dans la revue québécoise Le crachoir de Flaubert le 13 août 2020 et le 7 janvier 2021.
  • Flamme, 32 historiettes, Contes de bonne femme et Ton âme, ton âme, ton âme ont paru dans le numéro 1104 (avril 2021) de la prestigieuse revue Europe.
  • Cinq poèmes de Michael Crummey : La loi de l’océan (« The Law of the Ocean »), La dernière chanson de Stan (« Stan’s Last Song »), Ainsi allait la vie (« The way Things Were »), Les Brûlis (« The Burnt Woods ») et Années cinquante (« Fifties ») ont paru dans Recours au poème, no 207, mars-avril 2021, <https://www.recoursaupoeme.fr/cinq-poemes-de-michael-crummey/>. Traduction française des textes de Michael Crummey, « The Law of the Ocean », « Stan’s Last Song », «The way Things Were », « The Burnt Woods », « Fifties », tirés du recueil Hard Light (Brick Books, 1998).
  • Quatre textes de Michael Crummey : Flamme, 32 historiettes, Contes de bonne femme, Ton âme, ton âme, ton âme (« Flame », « 32 Little Stories », « Old Wives’ Tales » « Your Soul, Your Soul, Your Soul »), Europe, no 1104, avril 2021, pp. 229-233.

Poèmes choisis

Autres lectures

Cinq poèmes de Michael Crummey

32 historiettes (32 Little Stories), ensemble qui compose la première partie de Hard Light (Lumière crue), dont sont tirés les textes présentés ici, s’inspire de récits réels qui ont été contés à l’auteur [...]

Michael Crummey : poèmes tirés de Hard Light

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