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Deux heures avec Edgar Hilsenrath

C’est au cours d’une tournée en 2015, que je découvre l’œuvre foisonnante, crue(lle) et pourtant pleine d’espoir d’Edgar Hilsenrath. Le Nazi et le barbier constitue ma première lecture. Je ressens un vertige dès les premiers chapitres. Audace, Inventivité, Excès… 

 

A la fin du roman, je me précipite chez le libraire et trouve Fuck America. Je me consume en le lisant et décide, non seulement d’acquérir le reste de son œuvre en français comme en allemand et de m’y jeter à corps perdu, mais prends également la décision de demander les droits d’adapter Fuck America pour la scène. Quelques mois plus tard, après avoir travaillé avec trois de mes comédiens à l’adaptation, je mets en scène avec mon équipe le texte, nous sommes en juillet 2017 dans la chaleur avignonnaise. Depuis le moment où j’ai refermé le premier de ses romans, j’ai toujours rêvé de rencontrer cet homme. Cette occasion me sera donnée le 8 novembre 2018, grâce à Eva Requena et Frédéric Martin. Nous nous rencontrons au siège de sa maison d’édition française, Le Tripode, rue de Charlemagne. Le ciel est bas et gris. Nous passons ensemble deux heures que je n’oublierai jamais dont voici une tentative de restitution, extraite du recueil Deux heures avec Edgar, écrit les jours qui ont suivi notre rencontre. Je ne savais évidemment pas qu’il disparaitrait quelques semaines plus tard, ni bien sûr en envoyant début décembre un extrait à l’équipe de Recours au Poème. Je ne serai jamais assez redevable au destin de m’avoir permis de le rencontrer in extremis.

 

 

A l’évocation du monde d’aujourd’hui

une feinte de non recevoir

un visage qui se détourne

ses yeux se perdent de nouveau

cherchant un abri cette fois

une cave une poubelle

Etrange sarcasme du destin

 

 

∗∗∗∗

 

 

Les paupières s’affaissent par instants

mais les yeux plantent leurs griffes dans les miens

tandis que les mains s’agitent pendant les quelques mots

on dirait qu’il gravit une paroi

ignorant le vide

à chaque réponse

 

 

∗∗∗∗

 

 

Jadis en Bucovine dit-il

il connut la paix

après les brimades des enfants aryens

la Roumanie alors somnolait

avant le grand cauchemar

Le visage d’Edgar s’empubère

le temps d’un battement de cils

 

 

∗∗∗∗

 

 

Sous le verni du visage se sédimente

la multitude des autres

Edgar est palimpseste

A tant avoir parlé de soi

on ne se dissimule que mieux

 

 

∗∗∗∗

 

 

Du balcon des jours

il continue ses doigts d’honneur

sale gosse de la littérature

N’a jamais cherché à plaire

et poursuivra même après

avec les vers et les limaces

 

 

∗∗∗∗

 

 

la folle exubérance

des vies écrites au fil de ses récits

s’entend dans les tréfonds de son mutisme

quand je l’observe à la dérobée

je perçois un concert

monter d’un chagrin sans larmes

sourd et mutin

sans instrument

 




Fil de lecture MJ Desvignes : Lyonel Trouillot, Emmanelle Imhauser, Michaël Glück

 

C'est avec mains qu'on fait chansons
Anthologie poétique
Lyonel Trouillot
Editions Le temps des cerises – 2015

 

« C'est quand on essaie de l'écrire que se pose à nous la question de savoir ce qu'est la poésie … Affronter la poésie, c'est vivre dans le doute ».

 

De cette incertitude, de ce doute persistant et commun à tous ceux qui écrivent à la marge du poétique, dans une langue toujours belle et renouvelée, Lyonel Trouillot confie qu'il a donné pour cette anthologie quelques textes qui courent sur une trentaine d'années et qui vraisemblablement s'en rapprochent. « Violant une de ses lois secrètes » qui voudrait que celle-ci ne puisse prétendre être ce qu'elle est, il propose un ensemble entre prose et poésie. « J'ose donc partager ce doute sur la poésie avec le lecteur qui le voudra. L'écriture poétique restant pour moi la plus sacrée des fêtes païennes et une entreprise de restitution langagière sans égale, par la blessure, les songes et le rapport au réel individuels et pourtant communs qu'elle interpelle ».

Une centaine de pages forme cet ensemble qui s'ouvre sur un poème intitulé sans surprise : « Il n'y a pas de poème » et qui d'emblée se refuse tel en effet. Répondant à la demande d'un ami de participer à une anthologie, Lionel Trouillot écrit :

 

« A Y.L.M qui m'avait demandé un poème pour son anthologie,
Je ne t'enverrai pas de poèmes mon ami
Que te dirais-je
Sinon que la nuit est la même sur Port au Prince et Saint-Malo ».

 

Et, se faisant, il écrit sa réponse au poète sous la forme d'un texte qui s'apparente bien à de la poésie. Quelle plus belle façon de dire que la poésie n'est pas un genre avec des codes stables et définitifs mais bien un état dans la langue que possèdent certains écrivains, que ceux-ci écrivent sous cette forme reconnaissable ou qu'ils écrivent plus généralement des romans et qu'ils soient de magnifiques conteurs comme Lyonel Trouillot. C'est qu'avec cette réponse en forme de lettre poétique, l'écrivain donne de ses nouvelles et des nouvelles du monde qu'il habite, questionne le devenir général du monde, de l'homme sans pour autant alourdir sa phrase d'une rhétorique philosophique, avec une légèreté des questionnements, une économie de mots, un afflux d'images fantastiques ou oniriques, où la forme donnée au texte (mais les retours à la ligne sont-ils les signes les plus visibles de la poésie ?) suffirait à rendre le propos du poète, le fond de son âme et prouve qu'il est bien poète.

 

« Je ne t'enverrai pas de poème mon ami
Comment dire la présence de la mort dans la vie ?

Longtemps j'avais gardé un morceau de lune dans ma poche

Tout ce que je peux t'offrir
De l'autre côté de la mer

C'est un silence qui fait naufrage »

 

Suivent ensuite d'autres textes poétiques, c'est-à-dire contenant une réelle poésie qui dit le monde, le mal, l'injustice, le devenir de l'homme, mais aussi des mots engagés qui mis bout à bout expriment une colère contre l'hypocrisie d'un monde qui dit vouloir aider (en réalité pour sa seule gloire). Et on se souvient des reproches de Lyonel Trouillot après le séisme en Haiti en janvier 2010, son désarroi à voir le monde occidental s'exprimer sur Haïti en oubliant de laisser la parole aux Haïtiens. Car le souci constant de l'écrivain haïtien est de veiller (de sa place et par ses écrits) à perpétuer cette nécessité de redonner une « autorité discursive » (terme employé par Lyonel Trouillot lors d'une interview pour Jeune Afrique) à ce peuple, une reconnaissance et une identité.

C'est une poésie où se mêlent la violence des hommes faite à d'autres hommes, la force de la nature, la beauté des femmes, l'amour simple et innocent, la nostalgie de l'enfance, la violence et l'indifférence, parts dominantes de ce monde qui, en elles-mêmes, sont déjà des sujets suffisants pour ce conteur qui écrit au plus près du réel.

 

« Tu sais, je suis venu à fond de cale, j'ai survécu.
On m'a inventé des dettes que j'ai payées, j'ai survécu.

On a assassiné mes frères : Péralte, Alexis, beaucoup d'autres. J'ai salué leur légende et pleuré leur absence, j'ai survécu. La terre a tremblé et s'est couchée sur moi. Sous des tentes et des hangars. j'ai survécu. »

 

Haranguant l'homme, son ami, son proche, il questionne nos certitudes et nos petits conforts. La douceur d'un peuple à « l'extrême gentillesse » ne signifie pas soumission ou résignation. « Tu t'es trompé mon frère. Même un mouton pelé a droit à la colère. » Lyonel Trouillot porte cette espérance d'une reconnaissance un jour de ce qu'il appelle dans un de ses romans « la belle amour humaine » (cf son roman au titre éponyme).

Et c'est d'ailleurs ce que l'on retrouve majoritairement dans cette anthologie, des textes qui disent le plus souvent, l'amour pour une femme, l'amour de l'humain, les choses du monde mais surtout la vie.

 

« Ecrire ce n'est pas supposer qu'il n'y a pas d'être sans mystère »

 

La poésie se trouve encore dans les souvenirs, dans l'enfance, dans l'amitié, elle arrive dès lors qu'on convoque le temps passé à rire et à aimer. Elle est là aussi quand Lyonel Trouillot décline en un « je me souviens » très pérecquien le désir et l'amour encore.

 

« Avec des mots d'amour cassés comme un crayon

Avec nos paniers d'enfance
Et mes mains brûlées par le vent

Je t'ai parlé une langue d'aube, d'alcool et de lumière
une langue de routes »

 

Que les poèmes soient une prose poétique, ou ordonnés comme un poème, tout révèle l'excellent conteur quand la poésie très narrative rapporte un souvenir, une amitié, une femme aimée, chaque texte possède le même souffle exalté que dans ses romans :

 

« Est-ce une fleur
est-ce le deuil
est-ce le rire qui fait l'enfance
le sable qui fait l'éternité. »

 

C'est une poésie sensible où l'écrivain de La belle amour humaine ou encore L'Amour avant que j'oublie, se révèle fragile, nostalgique et doux quand il dit :

 

« Je veux mourir de mon enfance et que ne
souffrent pas les humains et les libellules

Je veux mourir de mon enfance
Dans une ville sans casques bleus

sans « oui-blanc »
« Plaît-il blanc »
« Merci blanc »

 

Avec le long poème de La petite fille au regard d'île, nous entrons dans le mystère fait d'innocence et d'amour encore d'une poésie qui se tient seule par l'effet sans cesse renouvelé d'un langage inventif et libre.

 

« Par édit de vertiges
J'hirondelle en be-bop

sur les quartiers marins ».

 

Les dernières pages sont deux longues proses poétiques qui convoquent Rimbaud et sa légende. Si tristes fussent-elles, les rues de Port-au-Prince, «  il y a presque autant de femmes que d'oiseaux qui ne chantent pas. »

Et dans cette tragédie en deux actes, sorte de synopsis d'un moment de vie tragique, le poète pourtant attend toujours son aimée,

 

« Un soir de désespoir, je me suis arrêté dans une rue où passaient des poètes et des étudiants.

Rue Magloire, je t'ai attendue. Il tombait des balcons une odeur de murmure, l'odeur des choses qu'on n'ose pas.

Rendons l'homme à l'amour et il guérira. »

 

*

 

Romancier et poète, intellectuel engagé, acteur passionné de la scène francophone mondiale, Lyonel Trouillot est né en 1956 dans la capitale haïtienne, Port-au-Prince, où il vit toujours aujourd’hui.

Son œuvre est publiée chez Actes Sud.
Récemment :
La Belle Amour humaine (Actes Sud, 2011, Grand Prix du roman métis 2011) et Parabole du failli (2013).

 

*

 

 

Intempéries
Emmanuelle Imhauser

L'atelier de l'Agneau Editeur, 2015
Préface Jeanine Baude /Postface Fanny Danglade

 

La préface de Jeanine Baude annonce un « recueil tout en douceur »  et on n'est pas déçu !

Intempéries d'Emamnuelle Imhauser qui aurait pu s'appeler « Moments », pour ces moments volés au temps des mères, ou « Biographie du jour » pour sa suite de jours, de semaines, d'années célébrant la vie, les enfants, les saisons, est un ensemble d'une grande sensibilité, une écriture musicale et riche de tendresse et de fraîcheur.

Intempéries dit le réel d'une femme et de toutes les femmes quand elles se consacrent aux couleurs de la création : enfants, art, écriture. Ces traces des parcours jalonnés de joies et d'épreuves, les douces et les pénibles, traces noires de l'encre sur le papier, traquant l'instant, dans

 

« l'attente d'un moment propice pour livrer à tout vent
le souffle du plaisir ».

 

Intempéries dit l'amour et les saisons de l'amour,

 

« les vagues
l'eau
le miel
le melon sur la table
la chaleur d 'un été en plein mois de septembre

les lèvres d'une bouche qui ne songe qu'à rêver »

 

Mêler l'encre des doigts et le goût des baisers, ceux d'enfants qui courent insouciants et sereins,

 

« quand doit-il arriver
un papier qui se froisse
un enfant qui fredonne et me pince l'épaule
la bouche souriante de ses lèvres mouillées
un peu de temps gagné »

 

La page se fait plage où le poème s'écrit, espace de nos corps traversés par le geste.

Devant le temps qui passe, les amis, les parents, au milieu des bonheurs «  je suis gourmande d'écriture, lui dit-elle »

 

« j'ai nettoyé la cave
les pavés et les murs
ma chambre embaume l'herbe qui vient d'être
coupée
mon lit sent le shampoing le pain chaud la farine
et on est en novembre

j'ai écrit tout à l'heure...
j'ai avalé du vin pour que ma peau rosisse 

 

il faut viser au centre
crier si nécessaire

grimacer s'il le faut
surtout ne pas se laisser pendre à l'arbre qui vous
manque »

 

Au milieu des bourrasques de la vie, du climat,

« qui parle de chanter par ce froid sibérien »

Il faut continuer, trouver les notes douces qui s'écriront chaleur,

« choisir d'avoir chaud quand on parle de gel »

Chercher réassurance dans les mots qui sont là, bien au chaud, en dedans, prêts à combler les manques et le givre l'hiver

 

« allons
pas d'inquiétude
le petit est couché et rêve à ses jeux
les autres se préparent aux songes délectables
longues nuits d'hiver »

 

Abolir la distance entre soi et le poème,

Au creux de la fatigue, déposer certitude, continuer malgré tout, malgré les cernes et le vide des nuits sans sommeil

 

« est-ce si difficile
parler de l'outre creuse infinie des saisons

des blés mûrs et dorés qui poussent dans les rues
de l'effluve des mers au nom vert exotique
des pistes de langage aux agrumes bleutés »

 

Continuer même s'il faut tâtonner dans le noir, avancer verticalement, dans les saisons d'écrire.

 

*

 

De nationalité belge, Emmanuelle Imhauser naît en 1959 à Bukavu (province du Kivu, ex Congo-belge).

Après des études de français, de théâtre et de communication, elle entreprend une thèse en anthropologie à l'université de Liège.

Proche de l'écrivain Jacques Izoard (1936-2008), passionnée de poésie, elle publie en 2012 son premier livre : Mise en pages à l'Atelier de l'Agneau.

Elle travaille aujourd'hui à la Bibliothèque Ulysse Capitaine, à la conservation des Fonds patrimoniaux de la Ville de Liège.

 

*

 

 

Tournant le dos à
Mickaël Glück

Editions Lanskine – 2014

 

Affronter le peu à dire, renoncer, recommencer...

tourner le dos à... la conscience d'être... ou pas, quelque chose ou quelqu'un.

Donner corps ou se perdre dans les mots, accueillir leur érosion, celle des faux-semblants, « mots jetés dans le vide » dans l'illusion toujours d'un autre quelque part, dans la vacuité parfois de nos échanges, du faire-semblant, de la joie, et... attendre...

Se tenir debout quand même et de guerre lasse, épuiser tous les savoirs, s'épuiser en errance, se tuer au labour...

Dans les accents beckettiens des poèmes de Tournant le dos à, on lit la course du monde, inutile, ténue, si fragile....

 

finir, bien sûr finir,
en viendra le temps
ce sera bout de course
bout de cœur
sans gaieté ni tristesse
ce sera ainsi le temps venu...

 

Alors, chacun, chaque « tourne le dos à tout ce ressac d'images »

mais

 

 dit qu'il y a lumière
qu'avec elle on peut faire
clarté contre l'enfer
des nuits et des déserts...

 

Et s'il fallait choisir ? Dormir ou écrire, pour fuir ce temps illusoire, cette vie faite de jours ajoutés à essayer de ne pas renoncer...

Au fil du texte, le lecteur plonge et remonte, s'essaie lui aussi à tenir la tête hors de l'eau, cherche dans la poésie, comme Orphée, à ne pas se retourner.

Pourtant chacun est libre, de tourner le dos aux horloges, de se persuader que tout va bien...

Et le poème... quand même lui n'y peut rien...

« Le poème nage dans la merde du monde ».

 

*

 

Michaël Gluck est écrivain, poète, dramaturge et traducteur, il est traduit en italien, espagnol, catalan, allemand, chinois.
Il fut enseignant (lettres, philosophie) de 1969 à 1983, lecteur et traducteur dans l’édition (Flammarion, éd. Jean-Michel Place 1980-1982), directeur du Centre Culturel Municipal puis du théâtre la Colonne à Miramas (1985-1989).
Il a multiplié les collaborations artistiques :
avec le théâtre – Théâtre-Narration (Gislaine Drahy), Théâtre de la Jacquerie (Alain Mollot), Théâtre de la Chrysalide (F. Coupat, D. Pouthier), Cie le Temps de dire (P. Fructus), Cie Juin 88 (M. Heydorff), Cie Adesso e sempre (J. Bouffier), Cie Anabase (M. Baylet), Cie L’Atalante (C. Hugel), Cie Amédée (Flavio Polizzi), Cie Labyrinthes (J-M. Bourg)
avec la Danse – Cie Raphaël Djaïm, Cie M. Ettori, Cie Artefact (M. Vincent)
les Marionnettes – Cie Eidolon (Pupella /Nogues), Cie À ciel ouvert (Catherine Humbert)
les Arts plastiques – Anik Vinay & Emile-Bernard Souchière (Ateliers des Grames), J. Brianti, D. Friedrich, Riba, D. Givry, C. Hugel, J. Clauzel, A-P. Arnal
la Musique – Frank Royon Le Mée, Barry Schrader, Albert Tovi, Serge Monségu, Eric Guennou, Maguelonne Vidal

 

 

 




REVUE INTRANQU’ÎLLITÉS, Hors-série 1&2

 

Luxuriante et lumineuse, IntranQu'îllités, la revue dirigée par James Noël (poète/écrivain) et Pascale Monnin (artiste plasticienne), consacre ce numéro double à Haïti et porte à son sommaire un bel hommage à Jacques Stephen Alexis, ainsi que des contributions de nombreux auteurs : Frankétienne, Dany Lafferrière, Lyonel Trouillot mais également H. Haddad, Carole Zalberg, Vénus Khoury-Ghata, Jacques Lacarrière, René Depestre, etc....

Cette belle revue, tant esthétiquement que par son contenu fait aussi une place majeure à la poésie lui consacrant une grande section intitulée « De la poésie avant toute chose ». On trouvera d'ailleurs à l'intérieur de cette section un texte du regretté Henri Poncet qui nous a quitté cette année, intitulé Comment se préparent les révolutions :

 

Les hommes
retroussent les manches
regardent le vin la femme
et l'automne qui rougit la fenêtre... »

 

ou encore Jacques Taurand, Bernard Noël, René Depestre, parmi près d'une trentaine de propositions.

On lira avec un plaisir évident le magnifique texte de Frankétienne dont toute l'oeuvre est une ode au langage, langage au centre de son œuvre et de sa théorie du « Spiralisme », dont voici par exemple, un extrait tiré de Mûr à crever (Hoëbeke, 2013) :

« Chaque jour j'emploie le dialecte des cyclones fous. Je dis la folie des vents contraires. Chaque soir j'utilise le patois des pluies furieuses. Chaque nuit je parle aux îles Caraïbes, le langage des tempêtes hystériques. Je dis l'hystérie de la mer en rut. Dialecte des cyclones. Patois des pluies. Langage des tempêtes. Déroulement de la vie en spirale. »

Dans un dossier consacré à Borges, où plus exactement, il a été demandé à quelques auteurs de parler de leur première rencontre avec ce grand homme, on lira par exemple sous la plume de Dany Laferrière que « Borges est un livre » qui ne le quitte pas, qui ne quitte pas sa table de chevet : « Quand je l'ai assez lu, je le remplace par un autre du même Borges ».

On lira avec curiosité et plaisir la « Conversation avec Borges » entre Ramon Chao et Ignacio Ramonet, un ensemble plein d'humour et de bonne humeur.

Un autre dossier consacré au « Che comme métaphore » dans lequel Gary Victor confiera les origines de sa « véritable compréhension » du Che :

« Entre les murs, mon Che, tu es la brise qui anime les vagues. Entre les murs, mon Che, tu resteras l'étoile traquée par les navigateurs perdus en pleine mer, en proie à toutes les bourrasques ».

Quant au dossier consacré à l'immense figure de Jacques Stephen Alexis, il était basé sur une invitation faite à plusieurs écrivains et poètes d'écrire une lettre à un de leurs enfants réel ou imaginaire sur le modèle de J. Stephen Alexis, celle qu'il avait écrite à sa fille Florence :

« Je n'aurais pas beaucoup de temps hélas ! Pour continuer, du lointain où je me trouve, mon imprescriptible tâche paternelle... Je puis te donner vois-tu, ma petite fille, quelque chose que je connais bien, pour l'avoir éperdument cherché et trouvé, tout en continuant à le chercher, c'est le sens de la pureté du cœur, de l'amour de la vie, de la chaleur des hommes... Oui, j'ai toujours abordé la vie avec un cœur pur. C'est simple, vois-tu, Florence... ».

 

En fin d'ouvrage une belle galerie de portraits complète un ensemble déjà riches en images, entre autres portraits, ceux de : Frankétienne, Dany Laferrière, Arthur H., Ernest Pignon Ernest, Michel Lebris, Gary Victor, Yanik Lahens, Ananda Devi....

« Ce présent hors-série réunit les meilleurs moments des deux premiers numéros qui sont épuisés ou presque » nous dit James Noël dans son éditorial.

Un numéro assurément qu'il m'était destiné de tenir entre les mains, tant pour Haïti et ses auteurs dont Frankétienne, qui depuis longtemps m'accompagne, que pour les thématiques poétiques et/ou révolutionnaires qui le composent.

« Ecrire, dessiner, penser, dire, peindre, rêver, en prose ou en poème sont un régime qui conduit au fonde à une forme d'exigence du regard ». James Noël.

 

 




Fil de lecture de M‑J Desvignes sur : S.Marot, JB Pedini, L Raoul

LISIANTHUS

Sylvie MAROT

Editions de la Crypte – 2015 – 70p – 12 euros

 

Sous-titré « Fragments », Lysianthus, publié aux Editions de la Crypte est le premier recueil de Sylvie Marot. Un recueil en forme de fragments poétiques disposés sur la page en haut et en bas laissant place à un grand vide au milieu comme celui qui emplit le cœur de la narratrice et que raconte cette histoire de « désunion ».

Un vide que creuse l'absence avec son désir douloureux non de remplir le creux mais bien de s'y engloutir.

Ce qui frappe dès les premiers mots, et avec ce titre recherché, c'est la richesse de vocabulaire, la beauté de la langue, l'amour du mot juste et coloré. Comme dans l'écriture où l'élagage se fait par suppression successif, de collage en juxtaposition, le corps épouse cette nécessité. « Il allait falloir effectivement amputer, couper, enlever, retrancher, sectionner, supprimer, trancher ».

Au fil des jours et des nuits, au milieu des mots et des maux, tenter de s'abstraire de cette souffrance que provoque toute rupture, par tous les moyens jusqu'à l'obsession.

« Elle veut colorier tout le vide quitte à dépasser les bords ».

Le style décalé émeut par la sincérité du propos qui, au début fait sourire : « Elle plonge la tête dans le tambour de la machine à laver. La ressort. Rien ».

Il y a une douceur dans l'évocation de tout ce silence qui se fait autour de la narratrice qui nous entraîne dans son observation du monde comme si elle-même était hors de ce corps qui souffre.

« Dans le jardin un hérisson vagabonde. La lumière de la ville découpe ses doux piquants ». Le hérisson est métaphore de ce qui pique, gratte à l'intérieur du cœur. Tout pique, tout gratte, tout est froid et inconfortable. La présence de ce corps au milieu des autres est éclatée, c'est un éparpillement, une dispersion dans l'espace. Elle n'est pas en dehors de son corps, c'est son corps qui est éparpillé dans l'espace, se retrouve dans les piquants du hérisson, sur le rebord des rails, qu'elle imagine jonchés de débris si...

Les nuits sont les fantômes des jours. « Nocturne/adossée à un arbre/du lierre m'enserre/mon cœur se comprime/ma peau devient écorce//diurne/adossée à toi/ ton bras m'enserrait/le cœur argenté/ta main droite se posait sur mon épaule gauche. »

S'installer dans ce rêve de suicide, attendre et explorer chaque possible, sous les rails, ou par le poison, ou bien encore « attendre que quelqu'un veuille bien la suicider. Et que les tortures cessent. »

 

Le vocabulaire lié au corps se fond dans celui de la biologie végétale partout présente. Lisianthus c'est « une fleur à couper de la famille des gentianacées », une description nous en est donnée sur le revers de la quatrième de couverture. « Son bouquet rappelle le souvenir ou la promesse d'un tendre baiser, il livre également un message de gratitude ».

La narratrice précise cet état de déhiscence qui la contient. En biologie végétale, nous explique-t-elle, c'est l'explosion ou la dissémination des graines. En biologie humaine, la médecine parle d'ouverture ou rupture anormale d'un muscle, d'une cicatrise en cours de cicatrisation. Quelle plus juste image que celle de la déhiscence pour dire l'impossible guérison du cœur.

« Oui il l'aimait. Mais il ne voyait plus en elle, le réceptacle de ses rêves ».

Dans le silence des déplacements, il y a toujours le corps des autres, compatissants et un temps ça apaise quand s'exprime cette gratitude de la compassion fraternelle. Mais la déliquescence de l'amour est celle des corps. On perd d'abord le corps de l'autre, puis on se perd en perdant l'amour et le corps ne sait plus se diriger. Le rouge est alors la couleur de cet incendie que l'amour a d'abord allumé, puis celui du corps supplicié. Toutes les nuances du rouge se crée alors dans l'énumération progressive et langagée, dans l'éclatement des veines, dans l'éparpillement des mots dans toute leur brutalité martiale.

Les errances se ternissent de rouge, « en touchant le vermillon on se salit de rouge », peut-être celui de la folie où conduit la passion. Ce n'est pas elle qui se tue de cet amour perdu, c'est lui qui « se tient là à chaque coin de rue pour cogner son âme. Il est là à chaque angle pour l'étrangler. »

Il y a dans ce récit-poème, toute une recherche dans l'évocation d'images. Ainsi par exemple, la géographie des lieux laisse une place majoritaire à la capitale. Elle traverse Paris au rythme de son cœur vagabond, vide, vidé, qui se fatigue de tant de silence mais Paris traverse le récit plaquant comme un motif récurrent, le visage de l'amant.

Et par exemple, l'émotion du souvenir se lit dans l'image de la Tour Eiffel et du Sacré cœur qui « s'ombrent et s'embrasent... juste avant que tout s'embrase et sombre ».

L'animal comme la fleur ou l'arbre a sa place privilégiée dans le récit, la nature est partout présente au milieu des « belles choses » qu'il faut savoir trouver et regarder. Le corps épouserait volontiers une autre forme pour s'extraire de cet envahissement de la douleur. « Si elle était un animal, elle serai un okapi » ou encore « elle serait un zèbroïde. Un croisement entre un zèbre et une jument. Elle serait zhorse ».

 

Après le rouge, le noir, on passe ainsi de la colère à la dépression, du noir « pennage du corbeau, noir animal » à  « l'oxyde de fer, la suie ». L'énumération chromatique de la souffrance n'en finit pas de colorer ses jours et les pages.

Et puis le temps a passé, remontent alors les souvenirs, peut-être ceux de l'enfance, pêle-mêle. Elle fait le décompte de ce qu'elle aimait chez lui, « elle désirait qu'il l'épanouisse et imaginait son ventre arrondi ».

S'égrainent encore et encore les couleurs, le rouge, mais aussi le vert, le jaune, le bleu, le noir omniprésent dans les mots, mais finalement le blanc aussi, ce blanc solaire « celui de la neige, du coton, du lait, de sa peau », mais aussi celui du silence.

« ...son œil se fixe sur cette résistance lumineuse d'un objet amoureux qui n'existe plus ».

 

Dévisser. Se laisser glisser. Attendre « quelqu'un qui ne viendra pas », en s'abreuvant à la fraîcheur des fruits, note de couleur et de saveur qui envahit le texte par la grâce d'une sensualité omniprésente. Et dans le flux de la vie, se laisser emporter par la vitesse, le mouvement du train.

On est embarqué dans ce corps immobile qui respire, qui souffle, qui lâche prise par moment, s'oubliant dans la douleur mais qui s'absente surtout à lui-même et absorbe le monde autour.

 

Promettre l'oubli, promettre d'aller mieux, remonter encore dans les souvenirs de lui, ceux que la joie a inscrit en creux dans sa rétine, dans ce va et viens du bonheur et du malheur, de l'objet conquis puis perdu. Toujours et encore se prêter aux jolies choses, s'accrocher au réel.

« Elle rêve de ses baisers brasiers », elle n'est plus qu'un rêve, une ombre portée du désir. Sa fragilité se lit sur ses traits diaphanes, mais elle ne sait qu'une chose : « elle a perdu sa gourmandise ».

Pourtant, alors qu'elle perd son éclat, que son teint s'affadit, se déploie dans le poème la multitude kaléidoscopique des couleurs, celles que son regard capte, et qui illumine le texte, ce texte qui s'écrit quand le texte du corps s'éteint et se fond dans le silence. « Se taire. » Difficile.  « Comment imposer le silence à la douleur intérieure ? »

« Dans la chambre sourde, sa solitude se cogne mollement contre les mousses triangulaires ».

 

Le Japon est cet autre lieu du désir, contenu dans le déploiement métaphorique de la fleur, dans le kaléidoscope du malheur, dans cette fleur, le« lisianthus » nommée aussi « rose japonaise en mémoire du pays de ses premières hybridations ». Lisianthus, c'est donc bien cette fleur à la grâce intemporelle qui domine le récit. Alors que la douleur est omniprésente, la douceur de la pluie, la caresse du vent, les odeurs de cake aux épices ou les senteurs des jardins envahissent l'espace de ces fragments à la recherche de la joie. L'ombre s'allie à la lumière de la vie partout recommencée et bientôt le silence assourdissant du corps se métamorphosera. « Sans s'en rendre compte, l'amour se terrera comme une note sourde ».

 

Ce récit extrêmement dense d'une dissolution, d'une fracture du cœur, de l'âme et du corps que les mots recomposent dans un kaléidoscope de rouge, de noir et de blanc est une tentative de recréer de la vie, de rematérialiser l'espace de l'absence à l'autre qui demeurera toujours, en suspension, comme une blessure qui ne se referme pas.

 

Sylvie Marot est née en 1976. Elle vit et travaille à Paris. Lisianthus est son premier recueil.

 

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Pistes noires

Jean-Baptiste Pedini

Editions Henry – oct 2014 – 8 euros – 30 p

 

C'est un hors-monde plein de lumière, celui de la poésie, plus exactement d'un poème en prose que Jean-Baptiste Pedini, dans ces Pistes noires, nous propose.

Immobile, dans une observation muette et silencieuse du monde, dans « les bruits sourds de minuit », « on » se poste quelque part à l'écoute du temps, « on » le laisse passer « sans se soucier des braises ».

« On est vidé » sous la description fine et distanciée, des bruissements du monde que la neige étouffe, pourtant on est à fleur de peau, « on découvre des glaçons contre la peau, des nuits comme prises au dépourvu ».

 

Tout bouge, tout frémit, là perceptible à « quelques degrés à peine ». Le froid gagne.

Rejoindre où il fait chaud, la maison.

C'est une lumière aveuglante qui rejoint l'obscurité dans cette écriture aux franges du réel et du rêve... une obscure clarté...

A l'écoute, en agonie de soi, à l'écoute, les « voix nouées entre elles, comme un écho qui pousse à l'intérieur », à l'écoute des saisons qui avancent, à l'écoute toujours. Quand tout se réchauffe un peu, on se sent « moins friable peut-être ». Partout on grelotte. Dedans. « Dehors, ce n'est pas mieux ».

 

Dans tout ce silence et toute cette neige, les pistes noires ne sont peut-être pas celles que l'on croit. Les sens en éveil, on capte les objets immuables, l'odeur du chocolat chaud, la nature paisible, le mouvement de l'air qui épouse celui des saisons et celui de la rue. On tente de fixer quelque chose, tracer des pistes (noires) par ce simple regard immobile, peut-être à l'encre de nos vies.

Mais d'un hiver à l'autre, la neige fond, la lumière aussi passe, ses quelques éclats non plus, on ne les retrouvera pas. On n'est rien. Pas même des traces de pas noires sur la neige. « On voit à peine une silhouette, la fumée d'un soupir. C'est déjà trop ».

On croit qu'on y échappera mais « la mort nous suit depuis le premier jour ».

 

Ça aurait pu s'appeler « Neige » mais ça aurait renvoyé trop immédiatement à la blancheur, à la pureté, à la lumière. Ça s'appelle «Pistes noires» peut-être parce qu'il y a plus de noir que de blanc dans tout ce silence et aussi parce que le blanc, la neige s'efface toujours, disparaît, ne laissant que des traces noires, et la solitude. « L'isolement ce n'est que ça. Un ciel en friche, un instant contre soi ».

 

Une poésie d'un seul souffle aux phrases simples, sans fioritures, qui disent l'essentiel. Quel regard poser sur nos vies ? Où fait-il encore chaud quelque part ?

 

« Quand l'angoisse est trop vive. Trop blanche. Saisonnière ».

 

 

Jean-Baptiste Pedini est né en 1984 à Rodez. Vit et travaille en région toulousaine. Publications dans de nombreuses revues dont Décharge, Voix d'encre, Arpa., N4728.. Des livrets publiés chez Encres Vives, Clapàs, – 36° édition et La Porte. Recueils parus: Prendre part à la nuit (Polder, 2012), Passant l'été (Cheyne éditeur, Prix de la vocation, 2012) et Pistes noires (éditions Henry, 2014).

 

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Louis Raoul – Poèmes du visage derrière la fenêtre

Editions de la Crypte –

collection : Les voix de la Crypte – 2013

 

 

Dans les Poèmes du visage derrière la fenêtre de Louis Raoul domine l'élément eau, eau du ciel et des pluies de printemps, eau mouvante, transformatrice « eau qui meurt/avec le souvenir d'une pierre d'enfance/ou d'une grenouille de Bashô »

La fenêtre ou la vitre, motif récurrent dans chaque poème, comme autant de reflets dans l'eau de ce visage en attente, celui du poète qui contemple depuis l'autre côté de la vitre, au matin ou le soir, d'une saison l'autre, perdu dans la chanson de l'air, dans l'attente, la solitude des jardins :

 

« D'ici
Je vous devine
Femme à venir
vous n'avez d'enfant
que la parole
je vous devine
cachée sous l'orage »

 

« J'ai des choses à vous dire »nous annonce le poète dès le début, mais ce sont les jours qu'il apostrophe « ces jours à venir », tout autant que cette mémoire qu'il convoque à chaque recueil, lui qui oublie tout et si souvent. Il semble justement qu'il soit question de ne pas oublier, le poète s'exerçant par l'écriture à fixer le temps, la mémoire et les paysages si nombreux et si différents. Il ne faut rien oublier...

 

« Il ne faut pas oublier les portes
Celle qu'on entr'ouvre
Pour faire respirer la chambre
Et cette autre où le dehors s'inquiète
De ne pas nous voir sortir
Et pousse du vent
Fraisant craquer le bois
comme un souvenir d'arbre balancé.... »

 

Dans la fragilité du soir et des jours recommencés, Louis Raoul nous rappelle notre vulnérabilité, et nous installe dans sa rêverie, nous transporte dans ses eaux.  L'être voué à l'eau est un être en vertige. Il meurt à chaque minute, dit Bachelard. L'un et l'autre poètes, savent combien nos vies sont pénétrées de cet élément.

 

Les fenêtres du soir sont les plus silencieuses mais  quand sa mémoire se fait sensorielle, passant du je au tu pour se donner le change, et mieux éprouver sa solitude, alors le poète se souvient :

 

« Alors tu tiens le bol
comme d'un visage
ses deux joues
et se rompt à tes lèvres
le silence du lait
s'efface le blanc
dans ta gorge »

 

Le besoin de se souvenir se mêle à la nécessité de retenir ces petits bonheurs si fragiles et fuyants qui traversent nos vie, renvoie à ces pertes dont on ne peut se remettre...

 

« Il ne me reste plus
Qu'à quitter la fenêtre
Et aller m'asseoir parmi les morts
Dans les cimetières
Les bancs n'ont pas la même façon
De nous accueillir 
Ils savent ce surplus de poids
Du manque
Et il y aura ce grand silence
Dans l'automne
Jusqu'à sentir le jour peser
Sur les feuilles de l'allée »

 

On pense alors à Bachelard, qui dit que la peine de l'eau est infinie*(L'eau et les rêves), le rêveur silencieux près de sa fenêtre observe le dehors, replié en son dedans, perdu dans ses songes d'eau.

 

C'est d'une écriture concise, ciselée, où chaque mot trouve sa place dans la sobriété et le dépouillement, que le poète convoque l'enfance, la solitude, la femme, la maison des souvenirs, tout derrière la fenêtre remonte dans la lueur du soir, dans « l'air léger », « dans le rectangle  d'un paysage », « dans la nuit d'une chambre à venir » ou « dans le plein jour d'un midi/passant sur les vitres. »

 

Biographie de Louis Raoul

Louis Raoul est né en 1953 à Paris où il réside toujours.
Il a publié une vingtaine de recueils et a obtenu en 2008 le Prix de la Librairie Olympique pour son livre Logistique du regard publié chez N&B/Pleine Page.
Depuis peu, vous pouvez découvrir son nouveau recueil qui s’intitule ; Poèmes du visage derrière la fenêtre, publié aux Éditions de La Crypte.

Bibliographie :

 

L’ombre heureuse

1992

Encres Vives

Le lieu où le soir a versé

1993

Encre Vives

Les prénoms de la mémoire

1997

La Bartavelle

Un front rêvant sa neige

1998

La Bartavelle

Au plus court

1998

Encre Vives

Par peur de l’équilibre

2000

L’Harmattan

Le sens éclaté

2005

L’Harmattan

Préface aux confins

2006

Opales/Pleine Page

L’accompagnant

2007

Le Manuscrit

Logistique du Regard

2008

N&B/Pleine Page

Reconnaître le corps

2008

Clapàs

La robe passante

2009

Chloé des Lys

Sources du manque

2010

Ex Aequo

Des rues sous la mer

2011

Le chasseur abstrait

Démantèlement du jour

2011

Eclats d’encre

Feuille de l'air

2011

Editions de l’Atlantique

Triptyque du veilleur

2012

Cardère

Les beaux suivants

2012

Editions de l’Atlantique

Le bleu des veines

2012

Citael Road Editions

Le bleu où je suis

2013

Editions de la matière noire

Poème du visage derrière la fenêtre

2014

Editions de La Crypte

 

On peut aussi lire Louis Raoul chez Recours au Poème éditeurs :

Echantillons de parole  nov 2014 Recours au poème Editeurs

 




FIL DE LECTURES DE M‑J DESVIGNES : Diab, Fenzy, Salzarulo, Furci, Motard-Avargues

 

J'ai visité ma vie
poèmes traduits  par Annie Salager et l'auteur
Saleh Diab
Editions Le Taillis pré – 2013
Prix Thyde Monnier – SGDL -2013

 

 

C'est une poésie narrative aux confins des drames amoureux que nous offre Saleh Diab dans cette anthologie de ses poèmes réunissant trois recueils lumineux. Une poésie amoureuse qui dit l'impossible de la relation, implore le Seigneur seul juge de ses erreurs, et où la tendresse « habite [ses] mots ». Éternel amoureux de la vie, du printemps et des femmes-fleurs, le poète évoque ici dans une langue limpide et belle la disparition, la perte (de soi, de l'autre) l'évanescence de l'être qui se perd dans chaque relation idéalisée, dit l'absente chaque fois nouvelle et renouvelée.

Elle, est toujours lointaine, perdue dans l'air du temps, inaccessible étoile, « son silence est ton écho », « l'odeur de [son]nom à peine un soupçon ». S'accroche « à l'orée de sa jupe » comme le rai de lumière ou « le raisin sur le toit ». C'est un homme seul, aux abords des lucarnes, des étoiles, des cieux qui, nous dit-il,  « d'un seul coup/ dans l'absence/[j'ai] gaspillé ma vie ».

Mais quelqu'un veille, quelqu'un ou quelque chose veille sur sa vie même si :

« dans mes yeux
les absences vont et viennent
telle des barques
sur l'eau »

 

Pourquoi est-il là ?

Lui aussi veille, surveille, ses regards se déportent du souvenir au réel de cette vie plus lumineuse entre rêves éveillés et réalité,

«mes yeux
font l'inventaire de l'obscurité »

Il faut bien éteindre le remords, ne pas laisser de place à l'obscurité, au doute, à la culpabilité.

« Aujourd'hui
il fait beau
le ciel est clair
au-dessus de la douleur ».

La prière, seule vérité, pour ce pays où les amis sont restés, «se recueillir autour des chagrins » et les parer de lumière, celle de la neige, peut-être parce qu'elle porte le silence et la paix.

 

« que faire sous un ciel étranger
à part écouter l'oubli
broder mes années
comme la dentelle
pâtir de nos regrets
à l'air libre
tarir
en lisant des livres ».

 

Le poète exilé semble se brûler à chaque nouvelle rencontre, tel un papillon aspiré par la lumière du soleil, à cet exil où il a « déplacé sa nostalgie/vers la lumière/comme on expose une plante/ d'intérieur au soleil ».
Les souvenirs existent, omniprésents, se mêlent, se rassemblent et volent en éclat au quatre coins du  livre. Il pourrait s'en nourrir, les couver jalousement. Non, « une touche de bleu/sèche sur sa vie. »
Il faut tromper la solitude, la perte, les « absences aveugles », cultiver « des kyrielles d'amitiés » et se nourrir des livres pour remplir sa solitude, marcher, courir, espérer dans le silence blanc de l'âme,  trouver celle qui remaillera « la fenêtre brisée de mon âme ».

 

« Tisseuse

Qui réparerait
la fenêtre brisée de mon âme
qui rebâtirait
les auvents démolis de mes mains
est-ce qu'une tisseuse
à la porte du jour
tisserait une tendresse
pour mes mains humides... »

 

Le lexique de la caresse et de la nature se mêlent, l'élément liquide est très présent ( « mes mains flottent  sur les adieux », eau,  mer, menthe, fleur, jardins, oiseaux)...

« dans ma main
le poids des erreurs pèse
et je n'ai pas su que le jardin
était indifférent à l'oiseau ».

 

Dans l'Oud blanc, déposer son silence, y laisser couler la joie,  la nostalgie d'un amour disparu, perdu aux  regrets infinis

« chaque fois que je ferme/mes yeux  sur ton odeur/je vois la petite main/ de la rose ».

Départs, regrets encore, nostalgie des moments à jamais perdus. D'une perte l'autre, d'un exil identitaire à celui de l'amour déçu, il n'y a qu'un pas qui laisse indéfiniment la même blessure, et le même mouvement de fuite, une fin et un recommencement, partir toujours à chaque fois, d'un endroit à un autre, d'un cœur l'autre, et regarder sa vie passer, la voir chuter, il écrira la nuit « jusqu'à l'aube », il laissera couler la douleur, laissera monter la prière

« mes yeux
sont rivés sur le fleuve
qui rue sans espoir de retour »

 

Dans la douleur et le sang versé, indifféremment, regarder et attendre ce qui sortira de cette attente. Poèmes de l'errance, de la déambulation oublieuse, de la vacation vide, « j'avais un futur dans tes mains/ il s'est perdu »

De l'impossible fixité des choses, de l'exil du cœur, de l'âme, d'un corps à la dérive, J'ai visité ma vie pourrait se lire comme un voyage circulaire d'un point autour duquel on tourne et où l'on retourne, d'un exil de l'être perdu en lui-même, celui d'un voyageur qui ne sait où poser ses bagages.

Un exil est toujours plus ou moins forcé, plus ou moins bien vécu dans la grâce ou dans l'abandon, dans le désir de bonheur et son impossible accès. Ne restent pour le supporter que les livres et mieux peut-être, celui qu'il écrira.

Pourtant, c'est encore à la recherche de l'amour, seule vérité à cueillir pour le poète que le dernier volet nous convie, dans ce voyage amoureux d'une femme passionnément aimée, on retient d'innombrables phrases passionnées qui laissent entrevoir un espoir. « Je m'imprègne de ton regard» ; « ensemble nous traversons la cruauté » et c'est alors une grâce, une pause dans le temps et l'espace, un point d'arrimage, on est peut-être arrivé à bon port... « nos mains effilochent des vagues », « la douleur /est en trêve/l'azur/ouvert à deux battants », alors que jamais la nostalgie ne le quitte car « longtemps les rapaces/voleront au-dessus de ta vie ».

L'homme dont la destinée a inscrit au fond de lui la perte (d'un pays, de racines, d'êtres) ne croit pas dans l'immuabilité des choses « la nuit toujours grogne dans le sommeil de l'étranger. »

« d'en bas
le jour me regarde
avec des yeux de noyés »

 

L'absence de l'autre ou la peur de le perdre chaque fois réactive la douleur inscrite au creux de l'âme blessée et c'est peut-être dans la recherche désespérée de l'amour, dans la multiplication des rencontres que se tissent son unique espoir et son besoin d'exister.

L'errance se poursuivra donc, une errance amoureuse qui recompose indéfiniment la dernière perte. Perdu dans la ville ou sur le front de mer « je croise ma vie pour la première fois ».

La dépression est là : « je me pousse toute la journée comme une brouette ». Les souvenirs, les meilleurs, les plus simples sont réactivés (les amis du sud-ouest, la confection du confit de canard, une certaine adaptation à la vie en France) et après quinze années de cet exil, une véritable installation en France et cette nouvelle rupture qui a duré toute une semaine, se retrouver seul avec ses livres de Pessoa, dans une « traversée nocturne dont je me réveillerai sain et sauf », quand    remonte cependant encore et encore la même question : « A quoi bon rester dans ce pays. »

Les souvenirs s'inscrivent dans le fil des jours amoureux, les bons et les mauvais, avec une certaine tendresse pour l'incompréhension et la difficulté de l'autre à prendre toute la place dans le questionnement de l'exilé.
Le déracinement empêche quelquefois de nouvelles racines, il est de ces âmes qui ne se réimplantent nulle part.

 

« Je m'éloigne
Je suis loin très loin
je m'éloigne de plus en plus
d'hier 
le réveil s'est enrayé et mon rendez-vous
chez le coiffeur est tombé à l'eau
j'ai couru pour acheter des croissants
ils sont de plus en plus petits
leur prix continue d'augmenter
j'ai pris mon petit déjeuner
ouvert la boutique
balayé le trottoir devant le pas de la porteAboulkacem est passé
Il m'a fait un compte rendu de la situation du
monde arabe
j'ai appris le suicide de mon ami écrivain
par un appel téléphonique de sa sœur
je suis sorti
pour aller chercher des sacs d'aspirateur
j'ai rencontré la petite vieille anticonformiste
je la croyais morte depuis des années
j'ai visité mon ami malade
il regardait la messe à la télé
je suis rentré chez moi
j'ai cuisiné une épaule d'agneau
j'ai mangé
puis fait l'amour et la sieste et je me suis levé
j'ai attendu l'orage à la fenêtre
sans ouvrir le roman qui stationne
sur la table depuis plusieurs jours
je me suis coupé les cheveux
je suis ressorti pour acheter du pain
des cigarettes et des préservatifs
j'ai fait le plein d'essence
je suis loin très loin
je m'éloigne de plus en plus
d'hier »

 

Continuer sa vie et tenter de retrouver le dernier amour perdu, garder l'idée du bonheur, « c'est comme ça, ça ne vaut pas la peine de se prendre la tête », tenter l'acceptation philosophique, et en même temps, vivre en essayant de retrouver chaque objet, chaque chose qui a marqué la vie de l'autre, son roman préféré, reprendre deux chats comme les siens, sa marque préférée de stylo,  sa salle de cinéma  la marque de son champagne, s'abandonner près de l'arbre où elle s'arrêtait,  son silence et sa colère...  s'apercevoir que tout est là encore, intact. Il se fond, « se décompose /comme l'automne », dans cet amour inconsolable, un amour-passion destructrice parsemé de vifs échanges, de propos violents « tu envoies  un couteau/je t'envoie un poignard/ tu me renvoies un couteau/ je te renvoie un poignard ».

Mis à la porte à trois heures du matin, s'apercevoir que ce qui lui fait de la peine c'est de devoir ramasser une à une les feuilles de son calepin dans lequel sont consignés tous les numéros de téléphone de ses maîtresses....

 

La pluie

 

Depuis une semaine elle tombe abondamment
elle détraque mon sommeil
embrouille mes rêves
elle a failli dépasser les limites
qu'est-ce qu'elle veut me dire en frappant avec
cette insistance sur la fenêtre
et cognant sur mes pensées

je me faufile dans un café voisin
tourne le dos aux baies vitrées
je discute avec le serveur
je bois un double pastis
je remets ça
j'ai les mots trempés
mes phrases sont inondées
elles coulent dans toutes les directions 

 

 

 

Saleh Diab est né en 1967 en Syrie. Il a éét journaliste littéraire à Beyrouth. Il est chargé du monde arabe au festival Voix Vives à Sète. Il vit en France depuis l'année 2000. Il est docteur en littérature arabe contemporaine.

Autres publications :

-                   Une lune sèche veille sur ma vie, Editions Comp’Act, Chambéry, 2004
-                   Qamarun yabisun ya‘tani bihayati, Editions Dar Al Jadid, Beyrouth, 1998
-                   Un été grec (non traduit), Editions Merit, Le Caire, 2006
-                   Sayf yunani; Tursulina Sikkinan arsilu khanjaran (Tu m’envoies un couteau je t’envoie un poignard- non traduit), Editions Sharqiat, Le Caire, 2009.

Traduction de l'arabe au français :
- Chemin de Damas de Nouri Al Jarrah
(Edition Voix Vives, Al-Manar, Paris) 2014

Annie Salager a publié plusieurs livres de poèmes et de nombreux livres d'artistes. Elle a reçu le Prix Mallarmé en 2011. Elle a aussi publié trois récits, un roman et des traductions de l'espagnol.

 

 

*****

 

 

Chut
(le monstre dort)
Estelle Fenzy
Editions La Part commune – 2015
ISBN 978-2-84418-298-2 - 10euros

 

 

 

C'est un texte émouvant et fragile que nous offre Estelle Fenzy avec Chut (le monstre dort), un texte dédié à son père et à « ma passante qui depuis toujours m'accompagne »...

Une date... le 10 août, « une vie suspendue » à l'annonce, fatale (?), la maladie, celle d'un être qu'on aime...

Les mots nous arrivent, syncopés, avec la peur, l'envie de hurler, le manque.... à dire.

« Penser vif
écrire simple
crier grand

puisque la vie
ampute »

Le silence s'exprime dans le vide, dans l'absence au monde dont on se déleste, quand tout s'effondre et que même pleurer est impossible. Tenir.

« Lequel des deux soutient l'autre »

 

L'impuissance d'un géant est-elle à la hauteur des mots ?
Gagner sur la vie, le temps qui reste, aux horloges

« forcer la marge

à coups de pioche
dans le plus jamais

trouver l'antidote

au définitif »

 

Garder au cœur la lutte intacte, tant que... et quand seul l'amour demeure, l'insurrection dans l'âme, il faut aller... au combat, du juste s'associer

« tu tiens debout
sur le quai »

 

Le monstre tapi dans les ravines de leurs peurs, ils voleront au temps

« le galop des jours
et la surprise de vivre »

« les bottes de l'espoir
ont des semelles
d'acier »

 

Douce présence muette d'une fille -« Cendrillon naïve », à son père quand au fil des saisons s'avancent les questions et que « moins bien ce matin »...

et que tous les remèdes même les plus improbables d'aucun secours, il faut traverser

« à bout de bras
l'aube incertaine »

Espérer dans ce fil tendu du jour que la bête ne se réveille pas

 

« Dors la bête dors
ne te réveille pas
encore ».

« Pas trop vite
les jours beaux
pas trop vite »

 

On ne peut trop de mots derrière ceux-là, derrière la pudeur et la fragilité d'une écriture si légère pour un sujet si grave, peut-être se tenir dans l'innocence et la grâce de cette lecture aux éclats de vie suspendus dans l'air, un arrêt du temps à  compter (avec) les jours heureux au plus difficile de nos existences.

 

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Dans la continuité du précédent, « Sans » est un petit opuscule publié aux Editions La Porte qui énonce une souffrance, celle de l'autre. Cet autre dont le visage … comme aspiré de l'intérieur s'efface progressivement, hors les mots, ceux de la poète, les nôtres, les siens.  « Chaque lettre-une falaise à gravir ».
Les mots de l'autre, ce sont ceux du père, "reste près de moi", le cœur, l'âme, oiseaux envolés où il y a toujours trop de mots, là où il en manque tant déjà. Les phrases se disloquent, les mots arrivent dans le désordre, « mes yeux sur le libre espace de ton jardin Tu veilleur de corolle guetteur d'été », et voilà l'hiver déjà là.
Tout devient dérisoire, jusque dans la tenue d'apparat « talons hauts-dans le gravier, allez savoir pourquoi cette élégance » se questionne-t-elle.
Il faut avancer dans ce gravier inconfortable qui restera toujours accroché au talon. « Croire au cristal à l'intérieur du corps ».
Il faut avancer et continuer, dormir et rêver jusque dans la présence de celui qui manque. Le rêver pour Le sentir vivant encore

"Que jamais tu     mort "

Et faire sans donc.
Faire sans c'est constater alors que « l'avenir s'apprivoise dans la férocité des pages tournées des mots derrière le verrou ».

 

Estelle Fenzy est née le 15 janvier 1969. Après avoir vécu près de Lille puis à Brest, elle habite en Arles où elle enseigne.

Publications en revues : Europe, Secousse, Remue.net, Ce qui Reste, Ecrits du Nord (éditions Henry), Microbe. Nouvelles contributions programmées dans Europe et Recours au Poème.

CHUT aux éditions de La Part Commune (avril 2015)
SANS aux éditions La Porte (printemps 2015)
ROUGE VIVE aux éditions AL Manar (automne 2015)
ELDORADO LAMPEDUSA aux éditions de La Part Commune (printemps 2016)

 

 

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En attendant Hypnos
Piero Salzarulo
Editions Passages d'encres
coll. Trait court – sept 2014

 

Neuropsychiatre, Piero Salzarulo est un des plus grands spécialistes mondiaux de la médecine du sommeil. Auteur de nombreux livres scientifiques et  publications de référence, il aborde dans ces quelques pages de la collection Trait Court chez Passages d'encres, l'insomnie versant attente poétique, plutôt que scientifique avec cette question : Quand cesse-t-on d'attendre le sommeil ? Est-ce la même chose que d'attendre le réveil ? Qu'est-ce que cette attente si souvent expérimentée « façon d'être, selon Cioran, exclusive de l'humain  » ?

Quelques pages de réflexions sur le sommeil donc ou son absence, ou plutôt sur l'attente, cette immobilité représentée souvent par les peintres à une fenêtre, une porte, le regard au loin et de bien d'autres façons par les écrivains et les poètes.

Car l'attente du sommeil s'installe quand l'insomnie a trouvé sa place. La véritable attente est plutôt celle d'un objet extérieur à nous, comme celle de l'attente amoureuse si bien développée dans Fragments d'un discours amoureux de Barthes ou celle de la poésie d'Aldo Merini, « soupirante » quand elle est longue et mêlée d'anxiété. De l'absence au manque, « le corps suit l'attente pas à pas, parfois il nous prend ».

Hors cas médical, « le sommeil, de mode de fonctionnement de l'organisme qui appartient au sujet lui-même, peut devenir alors un objet qui ne leur appartient plus,  cherché à l'extérieur, qu'ils espèrent qu'on leur apporte », il devient cet objet qu'on a perdu et qu'on veut retrouver, comme chez Proust ou le poète Valerio Magrelli.

Convoquant la littérature, de nombreux exemples illustres dont un des plus grands insomniaques en la personne de Gide, l'auteur évoque l'éventail de réaction et d'interprétation propres à chacun, obsession grandissante pour tous, elle est « un calme » pour Fizgerald, « une hébétude d'ivrogne » pour Bruckner. Conscience ou pas ? Temps subi quand on l'attend, inertie, sidération, « rumination », dont se plaignait Pessoa, « regarder dans le vide », mais aussi « sensation de » « signification profonde de l'être » (Oates).  Révolte chez Kafka, vécue dans et par le corps, arpenter la chambre ou selon Céline et Cioran, propice à la création. « Nothomb écrit dans sa tête, Hugo, éveillé dans la nuit s'en va « dans ces grands horizons subitement », » Louise Bourgeois dessine, Lewis Caroll fait des puzzles mathématiques...

 

 

 

Piero Salzarulo, neuropsychiatre, professeur de psychologie générale, a été présiden de la Sociétà Italiana di Ricerca sul Sonno et vice-président de la European Sleep Research Society. Membre du comité de rédaction des revues Journal o Sleep Research et Médecine du Sommeil, il est l'auteur de plu sde 200 publications scientifiques et de plusieurs livres en anglais et en italien, et a notamment publié :

-The experimental stydy of human sleep (avec G.C. Lairy), 1975
-Dreaming and culture (avec P. Violi) 1998
-La fine del sonno, 1999
-La sbadiglia dello struzzo, (avec G. Ficca) 2002
-L'attesa, 2010
-L'anziano e il sonno (avec F.Giganti) 2011

Il travaille avec H. Shulz sur l'histoire de la médecine du sommeil au 19e et 20e siècle.
Piero Salzarulo a coordonné par ailleurs le n°43 de la revue Passages d'encres, « Représentation du sommeil » 2011
Autres traits courts de Piero Salzarulo  chez Passages d'encres : Les soupirs d'un mammifère
et Un chien qui bâille

 

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Asinus in fabula
Guido Furci
Cardère Editeur – 2015
66 pages, 12euros

 

 

« Le cousin de Marion s'appelait Nicolas ». L'incipit de ce long poème composé comme un chant ou une ritournelle, se découpe en quatre parties de 24 strophes, séparées en deux groupes par un intermède-une fable en italien.

L'incipit est un leit-motiv martelant l'espace comme pour inscrire la perte au creux de l'existence du poème. Donner vie ou redonner vie à l'enfant de trois ans parti d'une maladie rare comme le souligne le passage en italien :

« E invece no. Il bambino che c'é stato fino a quando non c'é più sussurra in silenzio parole d'amore. Ho deciso di raccoglierle e di  fare una poesia, perché insieme possiamo abitarne le stanze ».

 

Ce long poème lancinant traduit l'angoisse de la perte, tout autant que la peur chevillée au corps de ceux qui restent, peur pour les descendances futures, celle que pourra donner le poète, celle de ceux qui survivent au désastre.

Exorcisme par la parole écrite : « Le cousin de Marion s'appelait Nicolas. Il est mort à l'âge de trois ans. Il avait les cheveux blonds ».

Ritournelle du malheur qu'on veut oublier, taire : « je n'ai pas envie d'en parler » répété et répété comme pour conjurer le sort, mais tellement inconcevable et prégnant qu'il est difficile de l'enfouir. Tout en retenue et en labilité. Sourd pourtant de ce poème la culpabilité liée à l'absence mais plus encore celle liée au fait d'être en vie quand l'autre est mort... si jeune.

Les paragraphes se succèdent et tournent, tournent tels une ritournelle. Pourquoi Marion n'est pas morte à trois ans ? Des questions sans réponse, des réponses qui ne satisfont pas, jamais.

Puis dans un revirement, le poète dément tout, « le cousin de Marion s'appelle Nicolas, il n'a que trois ans et demie. Il n'est pas malade. » Mais dire ne suffit pas à rompre le sortilège et il n'a toujours pas envie d'en parler ?

Marion, on l'aura deviné, mais il le dit, est sa femme, la femme de celui qui dit, chante, déploie son angoisse, quand elle n'est pas là, quand Nicolas n'est pas là.

Faire des films peut-être. En noir et blanc parce que la vie, elle, est en couleurs, mais le cinéma c'est du noir et blanc...

Au bout de 24 poèmes on repart dans une autre ritournelle qui vient mettre  un éclairage supplémentaire à la longue litanie d'angoisses qui parcourt le texte. Le père de Nicolas, les juifs d'Europe hantent le récit.

Protéger Nicolas, le couvrir, le laisser marcher sur « mon »ventre.

Le père et la fille tout entiers tournés vers leur destin, leur histoire, celle des juifs d'Europe.

Hanté par cette histoire, le poète livre des pans de sa vie, de sa naissance dans les années 80, de sa peur, cette peur au ventre qui l'obsède...

« Les autres... Ils ne peuvent pas savoir tout ce qu'il y a dans ma tête .

Tant mieux ».

 

Au milieu du texte, un conte en italien, una fabula, et sa traduction, un intermède, le conte d'un âne avec des oreilles en forme d'hélice...

 

Tout est tentative de comprendre, de saisir « la peur d'aujourd'hui », la peur qui n'a presque rien à voir avec les fils d'Europe. Dire la peine, le froid, qui a saisi Nicolas, qui saisit le poète.

Envie d'en finir.... avec la peur...

 

Et enfin barrer. Tout ce qui a été dit, barrer les mots coupables, la vie coupable « ce n'est pas ma faute si »..., la faute.

Barrer.

Et ainsi jusqu'à la fin, recommencement du texte, du dire impossible, rayer tout ce qui a été dit, dans une tentative ultime d'annihiler la peur, de refouler ce qui a été, de l'effacer pour mieux le graver, l'inscrire encore, l'incruster dans la page du poème.

« Avant que la nuit tombe
avant de tomber par terre... »

 

 

La présentation qu'en donne l'éditeur Bruno Msika (Cardère Editions) signale un parallèle pastoral tentant et d'inspiration gionesque « que me souffle mon ami Guillaume Lebaudy : « Il [le troupeau ensonnaillé] agit comme une ritournelle qui, se répétant à l'infini, avec très peu de variations, crée un territoire sonore. En venant s'opposer au chaos inquiétant produit par le silence de la montagne, il est un point de son bourdonnant témoignant d'un ordre qui contraste avec le désordre extérieur ; il délimite un territoire en mouvement. » Asinus in fabula est un troupeau ensonnaillé... »

 

Humour et comptine, légèreté et innocence parcourent le texte, l'espace se dilate, l'écriture se diffracte pour laisser au temps qui passe une possibilité de garder la trace.

Texte à lire, mais texte à dire et redire, à écouter et réécouter pour que jamais rien ne s'efface. Ni la douleur, ni la vie, ni le temps d'une vie si courte fût-elle. Ou pour qu'au contraire, dans ce refrain barré dans le dernier quart du livre, se perpétue la trace de Nicolas.

Voici ce qu'en disait l'auteur à son éditeur à propos de  « l'énigme de cette partie barrée » :
"La dernière partie du texte est un refrain, par lequel j’essaie de dilater le temps de l’écriture pour que celle-ci puisse couler, comme le nez de Nicolas, encore et encore, encore et à nouveau. Elle est barrée comme la plupart des répétitions. Et pourtant elle est là pour résister, entre autres, à toute tentative d’effacement conçu en tant que tel."

 

 

Guido Furci (1984) a fait ses études à l'université de Sienne et à l'université de Paris3-Sorbonne Nouvelle. Il a également été élève de la sélection internationale à l'Ecole normale supérieure de Paris (section Lettres et Sciences Humaines) et visiting scholar au département de littérature française de l'université de Genève. Actuellement boursier de la FMS (Fondation pour la mémoire de la Shoah), il poursuit son travail de thèse entre la France et les Etats-Unis.

 

 

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Je de l'Ego
narration entaillée
Vincent Motard-Avargues
Editions du Cygne-2015
92 p – 12 euros

 

"au creux d'un jour

 au sommet d'une nuit
entre deux heures floues

             quand je suis
            tempo dysharmonique

                        quand je renais tu »

 

Le sous-titre de ce petit recueil intitulé Je de l'Ego signale donc une « narration entaillée » et le découpage en huit ensembles laisse apparaître en effet une narration sous la forme de huit longs poèmes tous titrés  dont les mots semblent s'échapper sur la page parfois en s'isolant dans un coin.

La syntaxe disloquée dit l'égarement des corps ou plutôt du corps de celui qui s'interpelle à la seconde personne du singulier, s'égarent dans l'espace où tous ceux-là s'agitent, là où « toi qui traces tu/en contours internes », s'inscrit autour c'est à dire en creux en soi. Il s'agit sans doute de s'opposer au mouvement du monde quant « tout/est/une/vérité/percutante », rechercher cette immobilité digne d'un Siddhartha, titre du premier poème, un Siddartha (ou presque) nous signale le poète.

 Siddhartha (ou presque) dit ainsi cette volonté de n'être rien, dans un lâcher-prise conscient.

Et même,  peut-être s'agit-il d'aspirer à nêtre qu'un murmure « je suis/ton murmure/je suis ton coeur », quand Matriochka se fait fuyante alors que « parfois/c'est toi qui gagnes ». Il faut fuir toujours plus loin de ce je encombrant  et en recherche «  de la joie/ô/de la joie »

Pour échapper à ce qu'on est, aux souvenirs mêmes, d'autres ailleurs, d'autres cieux, d'autres gens vous aspirent, dans cette fuite en avant qui dit que rien ne dure. Tenter de fixer ce qui est sur la page ou dans l'air du poème sans se laisser enfermer par le poème. Prison  inaugure alors cette notion d'enfermement, sommes-nous enfermés en nous-mêmes ou est-ce le poème qui nous tient dans sa prison de mots ?

Le Je de l'Ego, titre du cinquième poème, dit l'hésitation, les mots se heurtent, les mots se cherchent une existence, à défaut de donner une existence à l'être, être, avoir une identité... de toute façon si c'est pour finir seul ou à plusieurs, que sommes-nous sinon rien. Rien. Fuir, se fuir, fuir sa vie, fuir l'autre en soi.

Le je alors oblitère la page à la recherche de ce qu'il est.

Et si Demain (titre du sixième poème) est lointain, il faut continuer, bouger, danser et même avec le huitième poème donner de la voix. En dans l'absence de l'autre qu'on n'a trouvé ni en soi ni à l'extérieur, retrouver la paix finalement, n'atteindre qu'au silence.

La quatrième de couverture nous avait pourtant avertis, ce texte syncopé, a été écrit par un personnage « sous l'emprise d'un acide »,  « quand le vide se fait, dans son plein creux. La suite, on la connaît déjà. »

 

 

Vincent MOTARD-AVARGUES, né à Bordeaux où il vit et travaille, pratique peinture, photo et musique en amateur. Il a créé la revue en ligne Ce qui reste ; publié trois livres :

-Recul du trait de côté, Editions de la Crypte, 2014,
-Si peu, tout. Editions Eclats d'encre, 2012
-Un écho de nuit, Editions du Cygne, 2011...
ainsi que quatre plaquettes ; puis une trentaine de participations à des revues/anthologies/sites collectifs.

 

 




Maël Guesdon, Voire

 

Nous sommes en présence d'un récit en cinq parties, sans véritable rupture malgré le décousu des phrases, une fiction morcelée où le langage achoppe et draine son aporie à rendre exactement ce que sont ces fragments de mémoire, une fiction qui dit l'obsession déformée des souvenirs, l'aliénation qui leur est rattachée et déborde la mémoire, posant sur l'esprit le filtre des émotions et des sensations. La mémoire devient ce lieu où se forment en cercles concentriques qui emprisonnent les images, des motifs obsédants, les débordent et même peuvent les annuler.

« Toutes choses creuses, méconnaissables,
par cercles ouverts sous l'action du vent »

 

Magnifique partition qui avance à la recherche de ces choses impalpables, inatteignables, assurément fragmentaires et disparates, dispersés en mille morceaux, éclatés, elles obstruent l'espace de la conscience sans jamais disparaître complètement, empêchant même de respirer : « Disent à qui les porte : nous sommes ce cri hors circonstances ».

 

Aucun ordre dans cette profusion d'images mais une progression douce vers le but, aucune matérialisation possible, sauf à chercher une tentative de retranscription peut-être de l'émotion, la perception sensible d'une douceur que l'on caresse dans l'écriture : « Elle pose sa main ».
Il faudra tacher de percer le mystère derrière le miroir, ouvrir la porte, partager ce monde, connaître la musique de « toutes choses vivantes », "souvenirs des sons – ne voulaient cesser de brûler poitrine dos. »
Hallucination des visages, chair, yeux fixes, tout bouge et s'anime dans une géométrie fantasmée, un réel réinventé comme si la mémoire cherchait à faire surgir chaque instant collé au fond de l'âme. Ce qui avait été amour peut-être « elle ne pouvait peut-être se lever les bras tendus et dire ».
S'oublier dans ce fouillis qui inonde l'espace « sauf habitable » et porter l'insaisissable au dehors.
Dans la transcription fragile des mots cherchant à dire en s'écartant toujours plus d'un dire à retranscrire, au milieu d'une syntaxe hachée, incomplète qui se cherche une issue aussi, trouver une langue avec les mots les plus simples, les plus justes.
« Elle » est omniprésente et indéchiffrable. « il avance hors cours au milieu des arbustes figés qui dansent à leurs pointes ».
Entendre son écho, celui qu'il porte en lui, goûter à sa voix, au souvenir de sa voix encore, oublier jusqu'au nom mais l'entendre encore. « Elle répète : les images filmées ou la mer »
Dans la perte, lorsque l'image chavire et qu'il croit la tenir, « Lorsqu'il découvre. Qu'il ne voit plus ce que voient ses yeux. S'arrête, dehors là il s'effondre. »
C'est une écriture déroutante, jalonnée de ruptures brusques au milieu de la phrase « comme mettre », de distorsions de la syntaxe, « s'elle – ne me faites pas dire. », d'omissions de sujets récurrentes, et une ponctuation inattendue « Emarge. De dire il y a dimension ».... , qui tend un miroir au cheminement difficile de la parole pour s'inscrire dans la fragmentation de la mémoire.
Le titre lui même « Voire » laisse passer une insistance comme une évidence, une assertion à la langue en même temps qu'un doute de par son emploi isolé ou initiant ce qui vient ensuite. Que renferme ce récit aux allures hallucinatoires qui délivre une narration douce et simple sans jamais dire précisément ce que sont ces morceaux éclatés que l'on cherche à reconstituer dans le puzzle de la mémoire ? On va suivre lentement le déroulement de ces images/partition musicale, se laisser porter et chercher à voir dans le recours aux sensations, ce qui se tient dans le feu de l'âme, en apesanteur toujours, sentir le froid « oublie, la mort vient toujours. Du dehors. »
Rester immobile dans le brouillard et la peur, dans l'opacité des mots, leurs fantômes, les mots des autres, de l'autre, « vous m'avez parcouru. Je vous reconnais ».
Descendre encore au puits des images « où le feu retourne bâtit planche à planche ».
Là où le sang affleure, une mise en demeure de trouver soudain le bleu apaisant d'une reconnaissance, où l'on entend comme un murmure «Dis-moi où les choses n'ont pour ailleurs que leur envers ».
Elle. Sa remontée docile au miroir des souvenirs, « en elle », mais sans corps elle le voit.
Sa présence est silence même dans la pièce noire de la mémoire. Le bruit est extérieur, étranger à soi, « sortons. Il n'y a pas de refuge, pas de souvenirs connus. Sortons de tes bras- le sol. Jamais ne recommence. »
Omniprésence d'une figure féminine remontée de l'enfance dont il n'a plus que l'ombre et les gestes, la voix, mais existent-ils vraiment, ont-ils existé ? Quelques souvenirs encore s'accrochent comme cette robe perdue au bord de.

 

"Le monde se lit dans l'eau ».
« Son corps est froid malgré l'été – il y a
Peut-être vingt-quatre images à l'intérieur de lui »

 

« Juste avant ton départ », tout a disparu, pourtant, pas de flux en ces lieux, il demeurera toujours toutes ces choses qui dorment et bougent de temps en temps.
Elle revit peu à peu dans l'évocation fragmentaire et recomposée d'une mémoire en déréliction, on la voit bouger, hurler, s'asseoir. On le voit, lui avancer, prendre sa main, « marcher avec elle ».

 

« Nos régions dites fantômes jamais ne se présentent.
Et cela doit suffire puisque le vent a lieu.

Il se tait. Habite qui en dessous. Tient nos gestes
Sous la ligne, les plus arrachés – qui nous ont précédés ailleurs. Un silence peut-être calme.

Partant d'elles puisqu'elles viennent, et de ce qui les voit. »

 

 

 

Maël Guesdon est né en 1983, à Paris. Il est actuellement doctorant au sein du Centre de Recherche sur les Arts et le Langage, à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Il a publié dans de nombreuses revues. Voire est son premier recueil publié.

 

 




Raymond-Jean Lenoble, Mémoires de l’oubli

 

Ces mémoires que nous livre Raymond-Jean Lenoble, sauvées de l'oubli, toutes dédiées sans doute à la vie, à l'ami, aux amis et à tous ceux qui un jour, s'en sont allés, sont souvenirs pêle-mêle gravés au cœur des survivants. Le poète, ici, fait appel à sa mémoire pour convoquer le souvenir de chacun de ses amis et proches, avec une invitation au lecteur à passer la porte de l'amertume, celle d'une vie qui vous met au monde et vous oublie à peine êtes-vous nés.

Tantôt prose poétique : « une vaste zone de perturbations s'étend sur l'enfance et menace nos amours »

Tantôt très classique, très rythmée, alexandrins avec rupture à l'hémistiche, bouts rimés (ab/ab) : « Pour habiller le rêve/Une envie suffirait/Si l'envie qui se lève/Emportait le regret... », cette poésie déconcerte et trouve en même temps tous les thèmes qu'aborde une poésie intemporelle.

Parfois encore très moderne, un brin moqueur, proche d'une poésie sonore : « Quiz, Big, Buzz, Blog, Bug/Web, iphone, ipod, ipad,/ Smartphone, Blackberry...
Allo ?.... Allo ?...
Je voudrais parler à la /Langue française, s'il vous plait ! »

Une poésie qui ne se prend pas au sérieux mais qui use de mots simples, de pensées délicates,  pour une réflexion sur la vie qui passe...

 

« Chaque peau se destine au parfum qui l'honore.
L'un s'y ferme et s'y noie, l'autre s'épanouit.
Tous ils voudraient ouvrir de nouvelles aurores
Mais chacun porte en lui l'essence de l'oubli.
De la sauge scarlée au santal de Mysore
En pasant par le musc, la rose et l'ambre gris
Ayez pour ces parfums le respect de vos pores.
Laissez-leur une chance au moins pour une nuit. »

 

Au milieu de cette grande disparité, on trouve encore quelques moments de grâce avec ce très beau poème par exemple :

« La neige
         Elle éblouit son image, son miracle. Merveilleusement illisible, elle n'imprime que sa fugacité. On reste piégé, captif de l'éphémère, de l'indicible, condamné la défaite, à l'abandon.

         Au mieux peut-on parfois -mais si peu- échapper à soi-même. Ainsi, la neige du bonheur quand elle fond sous nos pas.

         Et puis, surtout, cette blancheur, cette insupportable blancheur, quand elle a cessé d'être. »
In mémoriam Louis Daubier (14-03-1924/30-11-2000)

 

 

 

Né à Charleroi le jour des Saints-innocents 1940, Raymond-Jean Lenoble, futur médecin gynécologue, a succombé au virus poétique dès l'âge de 11 ans. Il publie son premier recueil (prix Marin) à 18 ans. De poète, il devient revuiste, auteur de théâtre et auteur compositeur de plusieurs albums de chansons poétiques. 




Attila Jozsef, Le mendiant de la beauté

 

En 2005 Attila Jozsef avait été désigné selon l'Unesco, comme poète de l'année mondiale. A cette occasion, les Editions Phébus lui avait consacré un très beau livre (intitulé : Aimez-moi) réunissant la totalité de son œuvre complété d'articles.

Aujourd'hui, ce sont les éditions Le Temps des cerises qui le mettent à l'honneur par un choix de poèmes réunissant les thèmes majeurs abordés par Attila Jozsef, la misère, l'amour, le désespoir.

La préface de Francis Combes rappelle la biographie de ce poète hongrois du Xxe siècle, sans doute l'un des plus importants d'Europe, né dans une famille très pauvre, élevé par une famille d'adoption à la campagne et qui publie son premier recueil : Mendiant de la beauté, à l'âge de 17 ans, ce titre repris ici pour le choix de poèmes représentatif de l'ensemble de son œuvre.

Proche de Villon, il fréquenta à Paris Tzara, Seuphor et subira l'influence de l'expressionnisme allemand et de la poésie française.

Son œuvre reproduit à la fois sa vie et celle de son pays, la Hongrie, une période sombre de son histoire entre pauvreté, première guerre mondiale et menace du fascisme.

Engagé aux côtés des communistes, sa poésie s'en ressent, mais malgré de nombreux désaccords, il restera marxiste et révolutionnaire jusqu'au bout de sa courte vie.

Poète engagé, novateur, poète de la  nature et de l'amour, il écrit :

« La raison essentielle, pour laquelle on a besoin du poète c'est sans doute qu'il est capable de trouver une forme à des réalités contradictoires ».

Poète de la misère, celle qu'il a connue, mais aussi celle de tous les hommes, exaltant le désespoir de vivre et l'amour de la vie, c'est dans les interstices de sa poésie du désespoir que s'intercalent les odes à l'amour et à la vie, comme une tentative désespérée de croire encore et malgré tout, en Dieu, en l'homme, en un possible bonheur.

C'est une poésie lyrique et musicale, au rythme doux et sensuel, mais une poésie de la solitude pour ce mal aimé de la vie :

 

 «  Mon mal ne s'aggrave passionnées
C'est en mon âme qu'il se tient
et pour toujours je vivrai
idiot et abandonné ».

 

Francis Combes a traduit quelques poèmes autour du thème de la misère ouvrière et paysanne, montrant les hommes réduits à des « machoires qui mastiquent, mangent, mangent, mangent, parlent et mangent », soumis à la rigueur du capitalisme, mais aussi du froid de l'hiver, souvent fatigué, de cette fatigue lasse, de vivre toujours sous le joug. La fatigue c'est aussi celle du paysan qui rentre chez lui, qu'il regarde, le poète et qu'il imagine, malgré son propre « fardeau des soucis » : 

 

« étendus côte à côte, le fleuve et moi
sous mon cœur s'endort l'herbe tendre »

 

L'innoncence de l'enfance, celle de la fillette de huit ans, ou de l'enfant au berceau, contre la puissance ne peut rien si l'enfant est pauvre. Révolte de l'homme, du poète qui a connu la faim, s'identifie et trouve, lui, sa consolation dans les mots.

« Ce n'est pas moi qui crie, c'est la terre qui gronde »

Les hommes qui volent ou se volent pour calmer leur faim, il les entend, les comprend :

« moi j'entends tout et je me tais.
La vermine qui geint dans les os des mendiants
Les femmes qui flairent
Mais moi qui viens de très loin,
Je m'assois sur mon seuil accueillant
Et je me tais
C'est un  beau soir d'été. »

 

Dans le poème qui porte son nom, il interpelle le monde, l'impuissance de chacun

 

« Nos âmes vraies, il faut en prendre
soin comme d'habits du dimanche, afin qu'elles soient prêtes
pour les jours de fête »

 

C'est aussi une poésie exaltée et confiante où la nature partout présente adoucit sa présence au monde. Il la célèbre autant qu'il peut  comme dans ce poème intitulé : Berceuse

« Tantôt bercé par les roseaux
tantôt par le clapotis
le serein baiser
du lac bleuté »

Se sentant souvent rejeté, la nature sera la grande consolatrice :

« pour un instant seulement ils m'ont exclu
Gronde camarade forêt ! J'ai l'impression
que je craque
A peine pour un instant, exclu ! »

 

C'est une poésie tourmentée, plus intériorisée, une écriture intimiste, tournée vers l'amour, qu'a traduit Cécile A. Holdban, dans le second volet de poèmes. On y entend de nombreux appels à l'aide, implorant l'amour de l'aimée, secours qu'il a recherché aussi dans la psychanalyse :

« Sauvez-moi des abîmes
prends cette volupté, plonge le filet
de tes yeux au fond de moi »

Ce sont aussi de nombreuses déclarations sous forme de poèmes-blasons, à l'adresse de l'aimée :

« Tes grands yeux profonds rayonnent, sombres/vers moi... »
 

ou encore dans celui intitulé justement « Poème d'amour » :

« Je prendrai la lumière de tes beaux yeux si grands »...

Parfois se mêlent nature et amour qui donnent une tonalité mélancolique et romantique au lyrisme des mots. Quand la femme et la nature s'accordent à le rendre plus beau pour parler « la langue des baisers », il écrit :

« Le crépuscule brun des vestiges de l'automne
soupire doucement sur un duvet de neige »

Invoquant sa mère, c'est encore l'amour bien sûr pour cette mère pauvre qui a travaillé dur toute sa vie, qui le laissa orphelin à douze ans, mais aussi la misère et la mort qu'il convoque, jetant la glace  au milieu de cet océan d'amour, délivrant son désespoir le plus profond, son impuissance et le nôtre : « Qu'attendons-nous ? »

Invoquant Dieu ou le Christ, remuant ciel et terre, pour garder l'amour, malgré tout il écrit : « donne-nous du blé mais ne nous ôte pas la rose »

Enfin la dernière section de poèmes présentés par Georges Kassai, rassemble des poèmes de jeunesse, déjà très prometteurs et annonçant le grand poète qu'il sera, ils sont déjà imprégnés de mort, de ténèbres et de désespoir.

Comme dans ce poème prémonitoire :

« Un homme ivre est couché sur les rails

Au loin se propage le lent grondement de la terre », écrit en 1922, alors que quinze ans plus tard, à l'âge de trente-deux ans, le poète se donnera la mort en se jetant sous un train.

Ecrits entre 1921 et 1925 (le poète a alors entre 16 et 20 ans), ils rappellent, comme dans ce titre d'un des poèmes : « l'éternel dépérissement » ,que :

« Rien sur cette terre n'est éternel
La chenille tombe, l'oiseau aussi,
Et le siècle ne proteste pas. »

 

Rejeté parfois par ses camarade du parti qui ne comprennent pas toujours sa poésie,   démuni et pauvre, portant le  manque d’amour jusque dans ses désillusions amoureuses, confronté à la solitude et  à la folie qui le pousseront au suicide, il demeurera le poète de la lucidité, défenseur des causes perdues et justes, de la condition ouvrière, de la beauté et de l'amour.

 

Ma mère est morte...

 

Ma mère est morte, à présent je ne sais plus
comment me comporter avec elle,
Elle rapiécerait mon manteau, me regarderait
nu et me trouverait beau,
Personne encore ne m'a jamais vu nu !
Les paysans ont terminé la moisson, assis sur de
petits bancs, ils attendent la mort –
Les punaises rongent nos rêves, nos assiettes
vides ne servent qu'à décorer les murs,
Donnez-moi rien qu'un peu de beurre  sur mon
pain.
Mais si nous voulons un meilleur repas, c'est
pour devenir meilleurs,
Nous voulons plus de souliers au pied du lit
pour être plus nombreux :
Lentement, le pont émerge de la brume, sur la
rive d'en face, les baïonnettes attendent –
Ici sont les ciseaux, là-bas l'étoffe reste à tisser –
Qu'attendons-nous ?

Avril 1926 (traduction Cécile A. Holdban)

 

 

 

 

Attila József est né en 1905, à Ferencváros, un quartier pauvre de Budapest. Fils d'Áron József, ouvrier dans l'industrie savonnière, et d'une paysanne Borbála Pőcze.  Il est mort le 3 décembre 1937 à l'âge de 32 ans, à Balatonszárszó, en se jetant sous un train.

Autres traductions françaises de son œuvre :

-Le Miroir de l'autre, trad. Gábor Kardos, bilingue, collection Orphée, La Différence, 1997.
-Aimez-moi, L'Œuvre poétique, sous la direction de G. Kassai et J.-P. Sicre, Phébus, 2005
-À cœur pur, Poésie rock, livre-cd, trad. de Kristina Rady / CD : voix de Denis Lavant et Zsolt Nagy sur des musiques de Serge Teyssot-Gay, Le Seuil, 2008
-Ni père ni mère, trad. Guillaume Métayer, Sillage, 2010

 




Cécile Guivarch, Renée en elle

« Renée, mon aïeule », ce sont les premiers mots du récit bouleversant que nous livre Cécile Guivarch et déjà avec ce titre Renée, en elle, toute la présence puissante de cette aïeule dans le corps de l'auteur. C'est une aïeule, c'est toute une généalogie qui est rappelée avec elle, avec dates et lieux, celle d'un début XIXe siècle, « une époque où l'on mourrait facilement de maladie, de dysenterie, de froid ou de faim » et où la mort, sur laquelle on ne devait pas s'attarder, était banalisé.

Depuis les visites nocturnes répétitives de son aïeule, Cécile Guivarch va recomposer les plaintes, les murmures, les sanglots, la vie de cette aïeule qui pourrait être aussi la nôtre.

« De sa bouche s'écoule la rivière de son corps, de ses peines, de ses souffrances ».

Renée lui parle dans son patois breton que Cécile ne connait pas, toutes les nuits elle l'exhorte de s'appuyer sur sa langue à elle, le français et de l'aider à déchiffrer ce qu'elle a à dire.

Elle va refaire le chemin jusqu'à elle, reconstruire, réinventer une vie au plus près de celle qu'a du être celle de Renée, lui donner l'épaisseur qu'elle n'a pas eu, et que du fond des âges elle est venue réclamer.

Peu à peu dans l'ombre vont se dessiner toutes les « couleurs de Renée », du rose qui lui colorait les joues, au rouge et noir du sang qu'elle a sacrifié, à chacune de ces naissances.

Plusieurs enfants sont nés de Renée, beaucoup  n'ont pas eu cette chance, et « ont dévalé les rivières de son sang ». Inscrits au régistre « Anonyme G ». Dans cette époque où se sont succèdées les naissances, d'un enfant à l'autre, parfois portant le même prénom pour « remplacer » celui qui n'avait eu le temps de voir le jour, il fallait oublier et si possible oublier vite, ces enfants morts-nés qui n'avaient pas même droit au registre civil. (Faut-il rappeler que c'était encore valable jusqu'en 2001!)

Les femmes ont toujours perdu des enfants, les femmes ont toujours eu peur de perdre leurs enfants.

Cécile Guivarch décrit ici la douleur de ces pertes dont les mères restent inconsolables. « Je me souviens de ces visites où elle ne me parlait que de la page « funérailles » du journal local. Je ne comprenais pas pourquoi ma grand-mère parlait uniquement de ceux qui étaient morts ou de de ceux qui se mourraient. »

Les mères restent inconsolables, c'est surtout parce qu'en banalisant ces morts à peine nés, en forçant à oublier, oublier ces morts, et qu'on nous apprenne à oublier,  en ne donnant pas une légitimité à ces naissances, les mères savent, elles, que les hommes qui ont accompli de tels actes, niaient jusqu'au sacré de la vie.

Cécile Guivarch va donner au lecteur dans un récit halluciné et détaillé, la douleur de ces naissances avortées : « C'est sa couche d'un rouge vif que j'entrevois parfois. Elle contraste avec l'ombre de sa demeure. Cela fait un peu comme un film en noir et blanc où le rouge est la seule couleur ».

Renée en elle, c'est l'histoire de toutes les femmes qui ont traversé le temps, des femmes dures au labeur et courageuses dans leurs maternités multiples, encore plus quand elles étaient vouées à donner la mort plutôt que la vie.

Renée en elle, c'est toute la tendresse de l'auteur pour cette aïeule qui sanglote la nuit dans son sommeil, blottie tout contre elle.

Renée en elle, c'est un envoûtement, et une volonté de ne pas mourir, un désir de croire que quelqu'un quelque part un jour vous fera exister à nouveau.

Ces fragments de mémoire posés sur la page disent chacun un bout de l'histoire de Renée, cette aïeule qui habite toujours le cœur de Cécile Guivarch.

« Ce qu'il y a avec Renée c'es qu'elle me vient toute en morceaux, tessons de mosaïques »

et ce qui est troublant dans cette mosaïque reconstituée par petits bouts d'humanité déchiquetée, c'est le regard de la jeune femme sur celle qui devient une figure héroïque. Quand elle la décrit, penchée sur elle au milieu de la nuit ou «  de dos, qui se soulève au milieu des sanglots ». « D'où je suis je ne vois que son dos » précise Cécile et ces images superposées sont d'une réalité prégnante et très émouvante.

On s'attache à la figure de cette mater dolorosa qui « passait ses nuits à se cogner la tête contre le mur, à la fin son front était devenu dur comme de la pierre », dur comme ce ventre qui donnait la vie et la mort une fois sur deux.

Cécile fait revivre son aïeule dans le corps du texte et toutes ces larmes qu'elle ne peut plus retenir à la perte de l'unique fille morte dans son berceau  « elle dit que c'est elle qui aurait dû mourir et pas l'enfant ».

A deux siècles de distance, elle est la fille de cette aïeule qui a pleuré toute sa vie la perte de ses enfants et est devenue folle de chagrin à la perte de son unique fille, dans le berceau.

Le deuil est une réparation quand il ouvre sur une rédemption, Renée a vécu en criminelle ses pertes, elle a cherché une justice parmi les hommes, qui ne l'ont pas cru quand elle a dit qu'elle n'avait pas volé et l'ont jeté en prison, elle a tellement absorbé sa culpabilité que les hommes se sont chargés de l'accuser à tort.

Les toutes dernières pages, Cécile a ce trait de génie de faire parler son aïeule, elle lui rend sa voix deux fois, celle-ci au bout de sa quête est devenue audible. Ces pages diront tout le drame terrible de sa vie et ce qu'elle a laissé derrière elle comme souffrance transmise de génération en génération. Dans la violence des dernières pages nous restons comme tétanisés face à tant d'accablement.

Le texte de Cécile Guivarch devient le suaire de ce corps douloureux, un endroit où inscrire celle qu'on a voulu oublier. 




Fabrice Farre La figure des choses

 

Il faudrait pouvoir se tenir debout immobile, attendre et ne rien vouloir, ne rien souhaiter. Seul, dans l'observation muette du ciel et de la terre, sous l'oeil mobile d'une nature qui nous renvoie sans cesse à notre fragilité.

 

« Je songe infailliblement
à cette coquille de noix perdue
dont nous serions les cerneaux,
tassés par la peur ».

 

L'être seul encore même à deux traverse l'espace de cette prose poétique sensible, dans cette solitude, ce « temps inhabité » où « je fais une tentative d'existence ».

C'est une voix prégnante, qui pense, qui cherche une clé, une réponse en forme d'espoir. Tout dit l'absence, ce cheveu  « arrêté sur la corne brune du peigne », « le vase sur la table toujours transparent » et « la table longue ».

La seule présence toujours est peut-être celle contenue dans ce très beau texte de la page 27 intitulé « Nulla » qui renvoie au néant, à la mort.

 

« Lorsqu'on ne l'attend pas
elle se poste juste derrière le dos
-vigie de l'intérieur. On la sent tout près
mais elle se retourne aussitôt. »

 

Pourtant « tu ne t'es jamais absentée »...

De cette terre où même la neige est veuve, où le peintre absent perd ses couleurs, où le blanc même est « un acompte au noir », nous avons été oubliés.

 

« Novembre avait pris la neige en otage
Les routes ne furent jamais aussi
silencieuses dans l'absence des pas ».
 

En dernier état, dans le souvenir,  demeure :

« tout ce que j'avais prononcé sans jamais
 le dire avait l'épaisseur de
cette nuit tendre ».

 

Et les couleurs reviennent avec la présence de l'autre, même lointaine, « j'étais sûr que tu resterais », avec cette certitude qu'il serait facile de « la retrouver ».

Ce qui frappe d'emblée au fil de « La figure des choses » c'est l'envahissement de l'élément eau, une eau où tout flotte, la mémoire, les pensées, les désirs et les peurs, une eau même peu profonde mais où le noir domine et où tout appelle « depuis l'autre bord ».

 

« Les êtres invisibles ont cette fâcheuse manie
de murmurer comme une langue étrangère
dont je saisis parfois la grammaire, car
je m'autorise à écouter le monde
que je ne vois pas ».

 

 

Fabrice Farre est né le 7 novembre 1966, à Saint-Etienne.

Il a consacré une thèse à la poésie contemporaine (Lettres et civilisations étrangères) et traduit les poètes tels que Lorca, Montale... Ses textes ont paru, en France et à l'étranger, dans près de soixante-dix revues, collectifs ou sites littéraires ( Décharge, Libelle, Comme en poésie, Pyro, Microbe, Traction-Brabant...)

En outre, Fabrice figure dans l'anthologie "Visages de poésie - tome 6" réalisée par le poète et illustrateur Jacques Basse (éditions Rafael de Surtis – 2012).

Dernier recueil paru en juin 2014 : Le chasseur immobile – Editions Le Citron gare