1

Le rôle de la documentation dans Les Communistes de Louis Aragon

Bernard Leuilliot remarque à propos de la documentation utilisée pour la rédaction des Communistes, dans le tome IV des Communistes : « Il s’entoura enfin d’une si vaste documentation qu’Elsa s’en épouvanta. On en retrouve la trace dans la bibliothèque d’Aragon, au Moulin de Saint-Arnoult-en-Yvelines ». Suit alors une liste qui va de Paul Allard pour son ouvrage, L’énigme de la Meuse, publié en 1941, jusqu’à Paul Reynaud pour un tome de ses Mémoires, La France a sauvé l’Europe, publié en 1947 1.

A cette documentation livresque, il faut ajouter la question qu’Aragon posa à Jean Roire : « Où étiez-vous et qu’avez-vous fait le 10 mai 1940 et ensuite ? » Bernard Leuilliot ajoute (p 1361) : « Jean Roire se souvenait  d’y avoir répondu au cours d’un entretien  avec Aragon, son voisin d’immeuble, rue de la Sourdière, à Paris ». Bernard Leuilliot commence son paragraphe, à la même page, par ces mots : « Aragon, en pleine rédaction de ce roman, posait à qui voulait l’entendre  la question »  qu’il posa à Jean Roire.

A quoi, il faut encore ajouter les nombreux voyages que fit Aragon en 1946, 1947 et 1950 dans le Nord de la France  et dans les Ardennes, en janvier 1951, « sur les lieux d’une débâcle qu’il n’avait pas connue directement, celle de la 9ème armée, un voyage de dix jours, enquêtant simultanément auprès des témoins de l’évènement  et aux archives départementales » (B Leuilliot, p 1361, tome IV d’Aragon, Œuvres romanesques complètes)  2.

Aragon, dans son troisième entretien avec Dominique Arban 3, note : «  Qu’en 1966 j’aie entrepris de remanier, pour la prose comme pour le contenu romanesque, ce long roman, ne signifie aucunement de ma part une condamnation de la première version, mais seulement le souci d’apporter à un livre qui joue sur les graves événements de l’histoire de 1939-1940 la lumière que je pouvais difficilement en avoir dix ans plus tôt… ».

Luis Aragon, Les Communistes, Première époque, Novembre 1939 - Mars 1940, La bibliothèque française, 1950.

Voilà qui dit clairement les choses : tant sur les raisons de ce remaniement (on aurait tort d’en chercher d’autres, par exemple un éventuel désaccord) que sur le rôle de l’enquête aussi bien à travers les livres que sur le terrain…

Les voyages d’Aragon de 1946, 1949 et 1950 dans le Nord.

Aragon est à Lille en avril 1946, il est à Lorette (près de Lens) en juillet 1949 et plus tard il est dans le bassin minier. A partir d’une lecture des Mémoires de Léon Delfosse qu’Aragon a sans doute rencontré (alors qu’il était à Lorette pour la journée) et en 1950 alors qu’il se documentait, entre autres,  pour la rédaction de Mai-Juin 1940, je me livre à une comparaison entre ces mémoires et ce qu’il a dû raconter à Aragon qui l’interrogeait alors pour écrire Les Communistes. On me pardonnera cette longue auto-citation mais elle est nécessaire pour bien comprendre comment travaillait Aragon : « Mieux, dans le détail, la comparaison  attentive entre le récit de Léon Delfosse (et je le répète, son texte des années 1983-1986 est à considérer comme la trace écrite du récit qu’il a dû faire à Aragon) montre comment Aragon distribue ce qu’il a recueilli d’un homme (le témoignage) sur ses personnages. Ainsi, à propos de Léon Delfosse, on relève trois utilisations du témoignage : Léon Delfosse devient, sous son propre nom, un personnage (certes secondaire, un figurant pourrait-on dire) du roman (Léon Delfosse dans le stade d’Hénin-Liétard), Léon Delfosse est le pilotis de ce mineur du 3 qu’Aragon décrit comme « un jeune coq  frisé, maigre de visage » et enfin  les informations qu’Aragon tire du témoignage de Delfosse sont attribuées à d’autres personnages du roman (à Gaspard Boquette, par exemple) ou à des points de vue narratifs anonymes ou collectifs (ce que voient les hommes de la colonne en marche  vers Hénin-Liétard…) 4.

Le voyage d’Aragon dans les Ardennes en janvier 1951.

Après avoir rappelé les éléments de la biographie d’Aragon et les débuts de la seconde guerre mondiale, je m’intéresse aux textes relatifs au périple que fit Aragon dans les Ardennes tant françaises que belges. On me pardonnera (bis) cette longue citation : « Le séjour d’Aragon dans les Ardennes en 1951 est donc intéressant à plus d’un titre. Il attire bien sûr l’attention sur un écrivain relativement oublié aujourd’hui, Jean Rogissart. Mais une étude minutieuse de ce séjour montre aussi combien  le recueil d’informations par Aragon sur le terrain, au plus près de la réalité qu’il décrit, influe sur la rédaction du roman, même lorsque celle-ci a déjà été étayée par des sources livresques. Ainsi, pour ne prendre que cet exemple : c’est en lisant aux Archives départementales  des Ardennes  la relation d’un officier qu’il corrigea l’erreur faite dans le premier état du  manuscrit de la version originale des Communistes quant à l’absence de portes métalliques dans les fortins : « Dans les blocs, les fantassins  sont à leur merci (des attaquants allemands) : pas de volets métalliques, pas de portes arrière, ou s’il y en a, l’obligation de la laisser ouverte pour permettre aux gaz que dégage le tir des armes automatiques, et les assaillants tournent les blocs, les prennent à revers, lancent des grenades, à l’intérieur ou par les embrasures fermées avec des sacs de sable, facilement déplacés » 5.

Il est vrai qu’Aragon avait écrit : « Il n’y avait qu’une chose à quoi on n’avait pas pensé : que des éléments avaient pu s’infiltrer en arrière par une sente, et tandis que les quatre hommes surveillaient en avant par les fentes du blockhaus, un Allemand a jeté par une des embrasures arrière une grenade à l’intérieur de la maison forte. Tout a sauté, les hommes sont morts… » 6. Ah, cette obligation de laisser la porte ouverte !

Le remaniement…

On peut s’interroger, outre les raisons que donne Aragon, sur celles de ce remaniement. Il est évident que l’œuvre d’Aragon est en mouvement… Lui-même remarque : « … je considère Les Communistes sous leur forme dernière, comme le parachèvement du Monde réel » 7. Et ce n’est pas seulement parce qu’on retrouve dans Les Communistes certains des personnages du Monde réel de ses ouvrages précédents !

Faisons rapidement un sort à la critique littéraire. Aragon écrit : « Il me semble que la critique n’a pas regard avec le sérieux désirable l’aventure de ce roman récrit, laquelle ne répond, à ma connaissance, à aucun précédent » 8. Après être revenu au déroulement de la soirée de la Grange-aux-Belles (le 17 juin 1949), Aragon entre dans le vif du sujet en abordant les modalités de la récriture des Communistes : « Je me bornerai à dire quelques mots de certaines modifications qu’il supposait et qu’on peut classer sous trois chefs : le style, les personnages, l’esprit de responsabilité » 9.

Passons rapidement sur le style : la modification essentielle de cette Fin du monde réel consiste en le remplacement du passé par le présent défini (d’autres changements de temps vont avec ce remplacement, pour des questions de concordance). Cela crée un contraste entre passé et présent (qu’Aragon caractérise par ces mots : « Cécile quittée, Jean est ramené au petit écran, au train-train de l’imparfait », les souvenirs et l’actualité… A cela, l’auteur ajoute qu’il « allait falloir débarrasser la nouvelle version ce qui lui était désormais inutile, et me décidai à une série d’opérations chirurgicales» 10. Ce qui montre qu’Aragon a  pris la décision d’arrêter son roman à juin 1940… Par contre, l’esprit de responsabilité mérite plus d’explications (d’ailleurs, Aragon consacre à ce thème environ 4 pages ou 8, à peu de choses près, (réservées au réalisme car Aragon a bien l’idée d’écrire un roman réaliste) sur les 27 que compte La Fin du monde réel, soit un peu plus du tiers de l’édition de la Pléiade.  Je ne peux résister  à raconter l’histoire que narre Aragon dans Mai-Juin 1940, à savoir celle de Jean de Moncey et de Raoul Blanchard parlant de L’Histoire du Parti communiste (bolchevique) de l’URSS (dûe à Staline), Aragon se contentant d’ajouter à la version primitive ces termes : « C’est beau la confiance » 11. A quoi il faudrait ajouter l’affrontement verbal entre le communiste Prache et le socialiste Dansette (p 633), les interventions de Blanchard, etc… Ce ne sont pas les exemples qui manquent !

Notes

1.  Aragon, Les Communistes, tome IV de la collection La Pléiade, éditions Gallimard, Paris, 2008, pp 1361-1362.

2. Lucien Wasselin, à lire dans Les Annales de la Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Triolet n° 9 (2007), pp 235-249, Aragon, Léon Delfosse et mai-juin 1940 (sous-titré Une contribution à l’archive des Communistes), dans la même revue n° 10, Aragon et Rogissart en janvier 1951, (2008), pp 134-145 (enrichi d’une carte montrant les localités visitées par Aragon tant dans les Ardennes françaises que belges) et dans le n° 59 de Faites Entrer L’Infini, la revue semestrielle de la Société des Amis de Louis Aragon & Elsa Triolet, La Maison forte, un prétexte romanesque, (juin 2015), pp 24-29, les deux études précédentes. 

3. Aragon parle avec Dominique Arban, Seghers éditeur, Paris,1968, p 153.

4. Les Annales de la SALAET, n° 9, p 248.

5. Les Annales de la SALAET n° 10, pp 142-143.

6. Aragon, Les Communistes (version originale), éditions Stock,  Paris, 1998, p 740.

7. Aragon parle avec Dominique Arban, Seghers éditeur, Paris, 1968, p 154.

8. Aragon parle avec Dominique Arban, Seghers éditeur,  Paris, 1968, p 153.

9. Aragon, Les Communistes, tome IV de la collection La Pléiade, éditions Gallimard, Paris, 2008, p 627.

10. Id, p 630.

11. Id, p 633.

Présentation de l’auteur

Louis Aragon

Textes

Louis Aragon est un poète, romancier et journaliste français, né probablement le 3 octobre 1897 à Paris et mort le 24 décembre 1982 dans cette même ville. Avec André Breton, Tristan Tzara, Paul Éluard, Philippe Soupault, il fut l'un des animateurs du dadaïsme parisien et du surréalisme.

Bibliographie (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

Autres lectures




Julien Blaine, Carnets de voyages

La première critique de Lucien Wasselin publiée en mars 2013, dans le numéro 42 de Recours au poème.

∗∗∗

Il y a comme un paradoxe évident dans la démarche de Julien Blaine : il proclame qu'on n'a plus besoin de livres pour faire vivre la poésie mais il continue à publier des livres inclassables à moins qu'ils ne soient des recueils de ce qu'il appelle la poésie élémentaire…  Carnets de voyages est l'illustration de ce paradoxe. Mais il faut se souvenir qu'il affirme aussi, après avoir dit que le livre n'est pas inutile ou inintéressant, qu'il est résiduel. L'aspect résiduel de ce que le corps (a) fait ? l'aspect résiduel de la performance ? Peut-être. Le livre (de poésie, au sens où l'entend Julien Blaine) serait le recueil de traces de choses vues ou de choses faites que le regard transforme en poésie. Reste une bibliographie impressionnante qui oblige à se poser cette question : comment aborder un livre de Julien Blaine ? Comment aborder ces Carnets de voyages ? Peut-être en se souvenant de cet autre livre, ancien puisque paru en 1972,  Processus de déculturatisation. Dans ce dernier mot, il y a dé…ratisation. Comme si apparaissait un programme d'éradication de la poésie au sens où on l'entend habituellement.

Le livre s'ouvre sur la photographie de l'intérieur d'une tour médiévale percée d'une meurtrière. L'image s'accompagne de ces mots : "Quand la bombarde apparaît pour accompagner l'arbalète, la meurtrière se transforme en point d'exclamation ! (écrit à l'encre couleur ciel)". Et  c'est vrai que la découpe des pierres qui donne sur le ciel a cette forme  que les typographes connaissent bien. On a bien ici une trace de ce qui a été vu ; mais l'interprétation à laquelle elle donne lieu n'est pas neutre. Le voyage est prétexte à recueillir "l'empreinte d'une langue originelle, une langue élémentaire qui remonterait aux racines du verbe, hors de toute révélation divine", comme on a pu l'écrire. Nous voilà loin du mythe de la Tour de Babel… Ce signe apparaît dans une construction humaine, et c'est le regard qui le transforme en figure poétique. De fait, ce volume recueille des signes très divers : photographies, jeux typographiques, croquis, images d'autres cultures… Ainsi la suite qui évoque une culture orientale est-elle construite pour dire le voyage (qui va du km 17 au km 181). L'humour n'est pas absent (puisque l'image est parfois retravaillée) quand Julien Blaine affirme que le soldat Han est "revu et corrigé par Jackson Pollock ou le plâtrier du coin". Propos iconoclastes ? En tout cas le travail qui est mené montre que l'assemblage de signes isolés peut donner naissance à une "phrase", un "texte"… Les jeux typographiques, les ensembles de lettres, la figure du cercle même… s'inscrivent dans la tradition de la poésie spatialiste telle qu'ont pu l'illustrer Ilse et Pierre Garnier (avec Les Poèmes mécaniques par exemple ou des recueils plus récents). Rien n'échappe à l'œil avisé de Julien Blaine qui sait mettre en regard (!) photographie du lieu et panneau dont la signalétique relève alors d'un humour involontaire ou du hasard objectif… Ou des photographies d'objets très différents (mais pas si éloignées matériellement l'une de l'autre que ça !) qui donnent du monde une image très érotique... Même la carte est utilisée comme dans l'ouvrage de 1972, ce qui montre la cohérence de la démarche de Julien Blaine.

    Carnets de voyages ? Oui, car les  lieux auxquels renvoient ces "textes" sont bien ceux traversés, d'une manière ou d'une autre, par le "poète" dont l'œil est toujours à l'affût. Mais aussi, peut-être, voyages dans le temps  car la collecte de signes arrachés au réel n'a pas de fin et peut donner lieu à d'étonnants retours en arrière pour qui connaît un peu le travail passé de Julien Blaine. Ce qui tend à prouver la fécondité de cette originale langue des signes…

Présentation de l’auteur

Julien Blaine

Julien BLAiNE est né en 1942, à Rognac, au bord de l’Étang de Berre, flaque de mer jadis bleu-azur, aujourd’hui marron glacé. Il vit à , Ventabren et à Marseille et nomadise le plus possible.
(Dénommé aussi Christian POiTEViN (patronyme) et d’une ribambelle d’autres noms
ÉDITEUR de Doc(k)s et d’une ribambelle d’autres périodiques
AUTEUR de 13427 poëmes métaphysiques et d’une ribambelle d’autres livres et catalogues
EXPOSANT de du sorcier de V. au magicien de M. et d’une ribambelle d’autres expositions,
a présenté en mai 2009 une importante exposition au [mac] Musée d’Art Contemporain de Marseille : un Tri.
ORGANISATEUR des Rencontres Internationales de Poésie de Tarascon et d’une ribambelle d’autres manifestations
FONDATEUR du Centre International de Poésie de Marseille (C.I.P.M.) et d’une ribambelle d’autres espaces culturels.
CHANTIERS EN COURS : la poésie n’intéresse personne, la 5ème feuille ou l’écriture originelle, le Verssicône, Chom’art, Confidences d’Églantin, Text’art, Ihali, &c.

La vie & la phrase continuent...
Pour en savoir plus :

www.documentsdartistes.org/blaine <http://www.documentsdartistes.org/blaine>

 

© Rue des livres

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Julien Blaine aux éclats du dire !

Aux sources de l'écrire et du dire, La cinquième feuille de Julien Blaine déploie une poésie imprégnée des concepts forgés par Félix Guattari innervant ses écrits des origines, selon l'introduction de Gilles Suzanne à [...]




Eve Lerner, Partout et même dans les livres

Eve Lerner a obtenu le prix Paul Quéré pour ce recueil de poèmes.

Elle commence très fort : elle remet en question la nature dans la pratique de la métrique et de la plastique au nom de l’insolite et de l’étrange. Il y a comme des échos écologiques (à la page 24) « les dessins de sable sur la dune / ou près des îles ». Poésie qui parcourt le monde des USA à la Bretagne, du désert de Mojave à Drancy, du bassin d’Arcachon au Finistère, du Sénégal (dont l’ancien homme qui le présida est un poète qui finit ses jours en France, une terre de poètes), de l’Aveyron à la route de Provins. Et même dans les livres : « Je lis donc je suis » (p 58), écrit Eve Lerner traduisant du latin pour être mieux comprise. Je ne compte pas les poèmes où cette dernière note « Les seins pointés vers le cosmos / elle touche du doigt le cosmos » que la poète, honnête, dit aussi « le lichen, sa dentelle, la fougère à spores / l’odeur des fusains, les buissons emmêlés » car elle est honnête...

Ce prix est largement mérité !

Eve Lerner, Partout et même dans
les livres
, 82 pages, 12 euros. 

Présentation de l’auteur

Eve Lerner

Eve Lerner, poète bilingue, français/anglais, éditrice et traductrice de poésie. Collabore aux revues Hopala !, Spered Gouez et Digor. Vit et travaille à Lorient.

Derniers ouvrages parus (2013-2015) :

Un poème, même petit, peut faire bouger la tectonique des plaques, éd. Encres vives. L’Ame chevillée au corps, récit, éd Dialogues. Le Livre des Chimères, éd L’Autre Rive ; Pour danser un rêve, éd. Sac à mots. Pour qui sait voir et Lumières, livres d’artiste de Marie-France Missir, éd. Carré d’encre ; Graine à feu, éd L’Autre Rive. Elle obtient le prix Paul Quéré 2019/2020.

 

 

 

 

Poèmes choisis

Autres lectures

Eve Lerner, Le Chaos reste confiant

Un cri du cœur. Le monde va mal ! C’est le chaos, nous dit la poétesse Eve Lerner dans un essai percutant dont le souffle poétique fait le grand ménage dans tous nos désordres [...]




Revue Cabaret n° 29 et 30

La revue Cabaret numéro 29 est intitulée « Les mystères de l’Ouest » : il fut entendre ouest par océan et Bretagne…  Pour reprendre le slogan publicitaire (en son temps) de La Corde Raide, j’écrirais« La plus petite des revues, mais non la moindre ! »

Deux femmes que je connais, pour ses sollicitations pour la première et pour la seconde grâce aux notes de lecture que j’écris sur les SP  qu’elle m’envoie, la revue, fidèle à son habitude ne publie que des poèmes de femmes et UN homme, jamais je n’ai lu sous la plume de Nadia Gilard, sous le titre de « Mon démodé », un poème d’amour aussi impatient (« la convulsion d’amour et de mort »). J’aime Marie-Laure Le Berre pour ces vers : « La marche lente des menhirs / Tu folâtres dans leurs rangs /  Homme malheureux » (p 8). J’aime le texte d’Olivia del Proposto qui fait  dire à l’héroïne de son poème qu’elle jettera ses dix ans « demain /  A 9h 53, / ça fera 3650 grandes pensées exactement » : je compte 3656 (ou plus ou moins ?), ça dépend comment on compte les années bissextiles ; je sais, elle écrit pensées

Numéro 30 ; intitulé « Massalia Soul System », je suis étonné par la diversité du paysage éditorial français ou francophone. Il est vrai que les éditions du Seuil ont une autre surface que la revue Cabaret et les éditions du même nom.

Revue Cabaret : abonnement 4 n° annuels, 12 euros

Consacrée à Marseille, les écritures (poèmes ou prose) sont marquées par les inégalités ( il est vrai que Marseille est l’école de la misère !)




Frédéric Tison, La Table d’attente

Où l’on apprend que la table  d’attente désignerait une plaque, une pierre, un panneau sur lequel il n’y a encore rien de gravé, de sculpté, de peint  dont le sens figuré peut se dire d’un jeune homme dont l’esprit n’est pas encore entièrement formé (p 4)… 

C’est un recueil de poèmes d’amour (page 106, « Je ne sais si tu m’aimes, mais mon amour m’appelle — mon amour pour toi… » mais c’est un livre d’ignorance (page 97, « Je suis sur une terrasse, à ne toujours pas savoir » : les questions abondent (sur sa nature, sur son rapport au regard, à la pensée, à l’ombre, à l’écume, au corps). 

Au risque de poser trop de questions, que veut dire l’aube de mon bien (p 24) : le choc d’un terme concret à un mot plus abstrait n’est pas signifiant… Il y a trop d’entretiens un peu longuets comme cette vieillesse qui tourne vers moi  son regard étonné (p 101). Qui est ce tu qui s’en va vers les fables et les splendeurs (p 109), mystère ! Les mots non courants ne sont pas rares, tel ce terme d’oriel (« Un oriel pour mes yeux », page 24)… Ce qui ne va pas sans une certaine gratuité, le pluriel d’yeux n’est-il pas oeuils.

Citons-le encore : « Cette table d’attente, je la dresse dans ces pages ; j’écris dans ses marges, autour d’une image manquante, Je m’y penche, et j’y vois mon ombre ; parfois j’y aperçois celle de quelqu’un qui veille par-dessus mon épaule.  » Ceci explique sans doute cela…

Frédéric Tison, La Table d’attente, Librairie-Galerie Racine, collection Les Hommes sans épaules, 2019, 115 pages, 15 €.

Présentation de l’auteur

Frédéric Tison

Frédéric Tison, né en 1972 à Tarbes, dans les Hautes-Pyrénées, vit et travaille à Paris, au milieu de livres. Il est l’auteur d’une dizaine de livres de contes et de poésie, dont Anuho (Les Quatre Livres) (Larbaud et Cie, 2005), Les Ailes basses (Librairie-Galerie Racine, 2010), Les Effigies (Librairie-Galerie Racine, 2013). Quelques uns de ses textes ont paru dans la revue de poésie Les Hommes sans Épaules. En 2013, il collabore avec le peintre et graveur Renaud Allirand pour un livre d’artiste, Une autre ville, présenté au Cabinet d’arts graphiques du musée des beaux-arts d’Orléans. Il est également l'éditeur de textes rares et oubliés des XIIIe, XVe et XVIe siècles (Jehan Renart, Charles d’Orléans, Maurice Scève, Étienne Dolet…). Il publie encore, en tant que photographe amateur, ses propres albums de photographies, et pratique l’aquarelle et l’encre de Chine.

Son blogue : http://leslettresblanches.hautetfort.com/

 

Frédéric Tison




Eve Lerner, Partout et même dans les livres

Eve Lerner a obtenu le prix Paul Quéré pour ce recueil de poèmes.

 Elle commence très fort : elle remet en question la nature dans la pratique de la métrique et de la plastique au nom de l’insolite et de l’étrange. Il y a comme des échos écologiques (à la page 24) « les dessins de sable sur la dune / ou près des îles  ».  Poésie qui parcourt le monde des USA à la Bretagne, du désert de Mojave à Drancy, du bassin d’Arcachon au Finistère, du Sénégal (dont l’ancien homme qui le présida est un poète qui finit ses jours en France, une terre de poètes), de l’Aveyron à la route de Provins. Et même dans les livres : « Je lis donc je suis » (p 58), écrit Eve Lerner traduisant du latin pour être mieux comprise. Je ne compte pas les poèmes où cette dernière note « Les seins pointés vers le cosmos / elle touche du doigt le cosmos » que la poète, honnête, dit aussi « le lichen, sa dentelle, la fougère à spores / l’odeur des fusains, les buissons emmêlés » car elle  est honnête…

Eve Lerner : « Partout et même dans les livres ». 82 pages, 12 euros. Sur commande chez Marie-Josée Christien, 7 Allée Nathalie Lemel. 29000 QUIMPER.

Ce prix est largement mérité !

Présentation de l’auteur

Eve Lerner

Eve Lerner, poète bilingue, français/anglais, éditrice et traductrice de poésie. Collabore aux revues Hopala !, Spered Gouez et Digor. Vit et travaille à Lorient.

Derniers ouvrages parus (2013-2015) :

Un poème, même petit, peut faire bouger la tectonique des plaques, éd. Encres vives. L’Ame chevillée au corps, récit, éd Dialogues. Le Livre des Chimères, éd L’Autre Rive ; Pour danser un rêve, éd. Sac à mots. Pour qui sait voir et Lumières, livres d’artiste de Marie-France Missir, éd. Carré d’encre ; Graine à feu, éd L’Autre Rive. Elle obtient le prix Paul Quéré 2019/2020.

 

 

 

 

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Un cri du cœur. Le monde va mal ! C’est le chaos, nous dit la poétesse Eve Lerner dans un essai percutant dont le souffle poétique fait le grand ménage dans tous nos désordres [...]




Louis BERTHOLOM, Au milieu de tout

Strophes courtes, vers brefs le plus souvent, ces poèmes sont marqués par l’oralité, ils sont faits pour être dits, pour être chantés. Et ce n’est pas un hasard si Louis Bertholom est par ailleurs chanteur : il a publié une vingtaine de livres, deux CD et deux DVD. 

Dès le début du recueil (quo comprend quatre parties respectivement intitulées Migrants, Ailleurs, Villes et En vrac, ce qui fait que ça a une allure un  peu fourre-tout : je m’intéresserais surtout aux premiers poèmes, et, secondairement, à ceux de Villes), le ton est annoncé : « On ne revient jamais / en pays d’enfance, / la vie serait un exil / au plus profond de soi-même » (p 10). Propos renforcés par ce tercet : « Se réveiller / pour relever l’autre / dans la gratitude » (p 31). Dans ce livre de poèmes, Louis Bertholom interroge le phénomène migratoire, comme le dit la quatrième de couverture, il prend parti… Pour les migrants ! C’est écrit très simplement, sans recherches inutiles. La tonalité se fait volontiers volontariste : « S’ouvrir au divers / Pour mieux l’apprécier » (p 33).  De fait, de nombreux  textes ici regroupés, ont déjà été mis en musique et interprétés sur scène.

Louis Bertholom, Au milieu de tout, Editions Sauvages, collection Askell, 184 pages, 16 euros. En librairie ou sur commande : Marie-Josée CHRISTIEN  7 allée Nathalie-Lemel 29000 QUIMPER.

Le fonds est marqué par séparer le droit de circuler et envahir (la différence est de taille : les hordes nazies ont envahi la France !), revendication du droit de choisir de vivre son particularisme, présent et passé qui se mêlent… Louis Bertholom va jusqu’à proclamer (p 42) : « Qu’importe qu’on me traite de démago, / de gauchiste, de naïf, »,  l’essentiel est  de se montrer solidaires de ceux qui manquent de tout ; solidarité contre les nantis, solidarité avec les misérables ! Je relève trop d’âmes, trop de bénédictions dans les poèmes de Louis Bertholom; mais je rachète le poème de la page 88 pour ce vers « Voyage de vie et de mort ». Le poète semble aimer tout particulièrement le terme voyage(s) qu’il reprend. Mais, page 99, il y a ce poème qui commence par ces vers : «  Seul Dieu ne le sait pas / Qu’il n’existe pas ».  Louis Bertholom est un citoyen du monde, il a beaucoup  voyagé (Ottawa, Timisoara, Belgrade, Alençon où il ne connaît que déboires, Cordes-sur-Ciel où il participe au festival international de poésie, Krasnodar, Bruxelles ou petits villages provinciaux…

Si nous ne voulons pas être Ces obscurs qui refusent / De voir et d’admettre, il nous faut changer d’attitude : combattre aux côtés des migrants.




Christian Monginot, Après les jours, Véronique Wautier, Continuo, Fabien Abrassart, Si je t’oublie

Christian Monginot, Après les jours

Le récent recueil de Christian Monginot est composé de deux suites qui constituent un seul poème : « Un roc affreux » et « Une douceur singulière ». Le lecteur se questionne : qui est ce « tu » auquel s’adresse Christian Monginot ?

À Arthur Rimbaud qui figure avec trois exergues dès les premières pages du recueil ? En deux feuillets, sous le titre d’ « Une Parole Clandestine », Christian Monginot expose clairement les objectifs de ce recueil : « Aller vers le réel ou le fuir. […] La langue veut cela » (p 9). Au-delà de cette contradiction, la poésie peut réconcilier le poète avec l’écriture poétique : telle est du moins la tâche à laquelle s’attelle Christian Monginot. Autrement dit, il semble que Christian Monginot pense que « l’homme réel demeure un trop, un excès pour l’homme de la langue et des discours ». Mais en même  temps, Monginot assigne à la poésie de capter cette parole qui est celle de l’homme réel… Y réussit-il ? La réponse consiste sans doute à lire « Après les jours »… La poésie est multiple : quoi de commun entre Adam de la Halle et Christian Monginot par exemple ? Les deux démarches semble radicalement opposées.

Dès le début, Christian Monginot ne fait que philosopher ; il faut le citer : « élargir cette zone d’affleurement de l’homme réel dans le langage de l’homme ».

Christian Monginot, Après les jours, L’Herbe qui Tremble
éditeur, 134 pages, 14 euros. Encres de Caroline François-Rubino.

Mais le poème n’est jamais bien loin : le titre du poème liminaire (« L’ombilic des innocences ») ne fait-il pas penser à celui d’Antonin Artaud (« L’ombilic des limbes ») ? C’est à une vision promothéenne, marquée par la lutte, qu’est invité le lecteur. Christian Monginot semble relire l’œuvre complète d’Arthur Rimbaud, les indices abondent : les mouches, le roc affreux, l’alchimie du verbe, les transactions, la folie, mettre un pied devant (l’homme aux semelles de vent selon l’expression de Paul Verlaine), etc… Monginot semble se placer dans le sillage de Rimbaud. La poésie est multiple : quoi de commun entre Adam de la Halle (pour ne prendre que cet exemple) et Christian Monginot ? « … tu veux savoir / Ce qui se cache au fond  du puits » (p 20) : pensée complexe qui exige une seconde lecture, voire une troisième…  D’autant plus que Christian Monginot paraît faire le tri entre une poésie qu’il refuse et une autre qu’il accepte. Trop de métaphysique (p 29) :  je n’entre pas dans le poème, et c’est dommage ! À la décharge du poète, il faut dire que la voie est étroite tant elle ressemble à une chicane ; ou alors, je ne sais pas décoder, saisir le rapport entre la problématique et les poèmes. Il me semble que Christian  Monginot a été trop ambitieux dans les poèmes qu’il produit qui n’apportent pas de réponses convaincantes aux questions qu’il (se) pose dans des éclairs lumineux. Les meilleurs moments sont ceux où le lecteur retrouve Rimbaud (pp 46, 72 par exemple) ou cette « Monnaie de singe » ou ces « Mirages publicitaires » ( p 94). À l’appui de ce long poème, je retiens ces accumulations, ces redites, ces constructions ternaires répétés… Le poète essaie de capter « Cette vie qui fuit, qui te déserte et qui t’ignore », semble-t-il remarquer à l’intention du lecteur (p 117). Il tente de faire coïncider, en poète qu’il est, le réel et l’homme.

 

∗∗∗∗∗∗

Véronique Wautier, Continuo

Pourquoi, pour quelles raisons, un vers touche-t-il le lecteur plus qu’un autre ? Et pourquoi tel lecteur plus qu’un autre ? Ainsi ces trois vers (un poème) : « j’ai vu ce matin l’aubépine en fleur / elle soulève chez moi un buisson de joie blanche / c’est peut-être cela ne pas chercher et trouver » (p 18). Est-ce pour la joie blanche, est-ce pour la façon de trouver ? 

Véronique Wautier est attentive à la beauté du monde (mais aussi à sa souffrance) qui, parfois, s’identifie à un rien (le mot revient à plusieurs reprises dans ses poèmes). Les exergues semblent retenir cette double attention car c’est une grande lectrice. Véronique Wautier paraît beaucoup voyager : du sud (Aix-en-Provence) aux bords de la Sambre. Face à la souffrance du monde, elle s’interroge sur le peu que nous sommes : « Je me demande comment j’ose être témoin d’une fleur, comment j’ose parler du silence dans l’abri poésie » (p 35) ; il est vrai que c’est au retour d’une visite à une amie atteinte d’une maladie incurable : « des milliers d’assassins mangent sa lumière » (id). Mais, en même temps, Véronique Wautier médite sur une toile de Nicolas de Staël qui, faut-il le  rappeler (?), s’est défenestré… Ça pour la douleur ? Si un poème brûle la douleur (p 48), car la joie immobile / résiste au feu… Véronique Wautier ajoute « je crois » à la fin de son poème. 

À la fin du vers précédemment cité ! Mais elle ajoute ailleurs (p 37) « certains croient moi pas », le poème commence par ce vers qui met ainsi en lumière la polysémie du verbe croire.

Véronique Wautier, Continuo, L’herbe qui tremble, 2017, 64p., 13€. Peintures d’Anne Slacik.

Véronique Wautier, Continuo, L’Herbe qui tremble
éditeur, 64 pages, 14 euros. Peintures d’Anne Slacik. 

Que faire dans le mystère de la nature qui se suffit à elle-même ? Que faire dans ce monde où les hommes sont égoïstes ? « Écrire à sa solitude » comme elle le note si bien… (p 44).

Véronique Wautier regorge d’amour pour ses semblables : elle s’essaie à saisir au vol « le chant d’être toujours en vie dans ce paysage bancal » (p 51). Et elle y réussit fort bien. C’est ce qui fait le charme incomparable de cette poésie. Si Véronique Wautier vit en poète, elle s’accompagne de la peinture ; ce n’est pas un hasard si Nicolas de Staël ouvre et clôt le livre dont les œuvres furent vues lors d’expositions…

 

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Fabien Abrassart,  Si je t’oublie 

Le titre est élégiaque à souhait mais il ne faut pas s’y fier. J’ai lu « Si je t’oublie » sans rien y comprendre. Est-ce parce que Philippe Lekeuche, dans sa préface, remarque : « Ces poèmes calcinés, loin de nous désespérer, éclairent notre errance au sein de l’absence d’unoù être, notre déréliction constitutive de ne point exister encore… » (p 9). Qu’est-ce qu’écrire de la poésie ? 

Je me le demande de plus en plus souvent … Est-ce ce qu’écrit Fabien Abrassart ? Une voix semble remarquer : « … on existe coûte que coûte, poétiquement, envers et contre tout » (id). J’avoue n’avoir rien entendu. Et pourtant j’ai bien cherché ce lien ontologique entre Jérusalem et Auschwitz et je n’ai rien trouvé. Est-ce parce que je n’ai jamais lu la Bible ? Et ce ne sont pas les références (à) ou les citations de Baudelaire, de Villon ou d’Appolinaire qui changent quoi que ce soit à l’affaire ; ou alors je ne sais plus lire des poèmes ou alors étais-je dans une disposition d’esprit qui m’empêchait d’apprécier ces pièces de vers … Le Poème d’amour (p 39) est le seul que je sauve de cette incompréhension, de ce naufrage. Qui est cette sainte à Rouen ? Je peux deviner ce que sont ces cheveux mais pas ce qu’est ce corps de cire 

Je peux deviner l’horreur des camps d’extermination mais il y a trop de mystères que je ne perce pas… J’arrive même à trouver comme des échos du Roman Inachevé d’Aragon (je ne sais pourquoi  la Chansonnette Madame d’Abrassart me fait penser à La Guerre et ce qui s’en suivit d’Aragon !).

Fabien Abrassart, Si je t’oublie, L’Herbe qui Tremble
éditeur, 66 pages, 13 euros. Peintures de Marie Alloy.

  Et ce ne sont pas les majuscules mises aux mots (pp 48-50) qui sont capables de me faire changer d’avis à la lecture de Si je t’oublie

Présentation de l’auteur

Christian Monginot

Christian Monginot, né en 1947 à Béziers. Famille maternelle d’origine italo-croate venue de Pula, famille paternelle champenoise. Enfance et une partie de l’adolescence à Rabat, Maroc. Vit en Aquitaine. Écrit depuis toujours. Publié beaucoup moins. Sur le tard.

Christian Monginot

Textes publiés aux éditions de L’Atlantique :

Poésie :
Ce que l’on ne peut dire
Voix inverse
Le syndrome d’Orphée
Sous la dictée de l’eau (en écho au Yi King)
Le livre de l’onde et du rocher (en écho au Livre des Psaumes, préface de Pierre Dhainaut)

Aphorismes :
Le livre de la stupeur et du vertige

Contes :
L’idiot et son tourment

 

Textes publiés aux éditions de L’herbe qui tremble :

Poésie :
Le miroir des solitudes (en écho à La Divine Comédie de Dante et illustré par Alain Dulac)
Le dit de l’horizon
Après les jours (en écho à l’œuvre et à la correspondance de Rimbaud et illustré par caroline François-Rubino)
Le radeau d’Ulysse (en écho à l’œuvre d’Homère et illustré par Denis Pouppeville)

 

En préparation aux éditions de L’herbe qui tremble :

Coups de marteau en forme de ciel (en écho à l’œuvre et aux cahiers d’Artaud, illustré par Denis Pouppeville)

 

Inédits :

Poésie :
Le livre du souffle et de l’écho (en écho au Livre de la Genèse)
Le livre de l’innocence et de ses fins
L’avaleur d’échanges et d’usages
Pour un jour d’exercice sur la terre (en écho à l’œuvre de Pascal)

Récit :
Patchwork
Articles publiés ou pas dans des revues et rassemblés en recueil :
L’innocence, l’erreur, l’écho
Publications sur les réseaux sociaux rassemblées en recueil :
Un souffle entre deux pierres, notes rapides au point du jour

Articles, poèmes, aphorismes publiés dans les revues :

Saraswati, Arpa, Nu(e), Poésie/première, Thauma, Rivaginaire, Glyphes, Lieux d’Être, Le Journal des Poètes, Encres Vives, Mange Monde.

 

En cours d’écriture :

Les chroniques de l’inconnaissance (journal de bord depuis les années 70)

L’insecte du placard (Livre entre réflexions et poésie en écho à l’œuvre et à la vie de Kafka)

 

Autres lectures

Christian Monginot, Le miroir des solitudes

      Le miroir des solitudes est rigoureusement construit. : trois parties intitulées Nigredo, Albedo et Rubedo regroupant exclusivement des poèmes du même modèle, cinq huitains de vers libres. Ces trois mots intriguent [...]

Lettre ouverte sur l’avenir de la poésie

Par cette lettre ouverte, je voudrais dire à ceux que l’avenir de la poésie préoccupe qu’aucune raison d’espérer n’est plus forte que celle qui naît de l’expérience même. Ce n’est pas ce qu’une [...]

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur

Fabien Abrassart

Fabien Abrassart est un poète belge.

Poèmes choisis

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Ce nouveau livre de Fabien Abrassart, formé d’un seul long poème, se distribue en quatre chapitres nommés chacun « Rouleau ». Car ce poème, qui esquisse un mythe inconnu ou bien oublié, se déroule [...]




Autour de Christine Girard, Louis Dubost et Jean-François Mathé

 Christine Girard, Ruines

 

« ardoises brisées cassées fracturées, » ; jamais un titre n’a aussi bien évoqué le contenu du recueil… Lecture achevée, il s’agit d’un immeuble tombé en ruines. D’ailleurs, il faut attendre la page 39 pour apprendre que ce travail fut exposé à Albi en 2012 (sans doute sous forme de photographies ???). 

Et c’est parti pour une quarantaine de pages descriptives qui ne disent pas que ces ruines sont consécutives à un incendie : les murs couverts de suie et l’odeur du feu sont parmi les indices.  Maison d’habitation, hôtel, théâtre (mais n’est-ce pas le mot théâtre qui m’amène à penser que ?)… rien de certain ; nul ne sait avec certitude, surtout pas le lecteur !

Christine Girard procède par redites, par répétitions : l’oiseau aux longues ailes, dédales d’eaux, miroirs livides, murs couverts de suie, crissement de câbles, balançoire, plumes ou duvet, grue métallique (sans que l’on sache avec  certitude qu’il s’agit d’un jouet ou d’un outil réel) ; jamais les ruines ne sont parues aussi obsédantes  ! Le long travail du temps vient compléter l’accident ou la folie des hommes : « ça se fissure, se fendille, l’informe gagne défigure les lignes, l’amnésie creuse les sillons, ruine les formes » (pp 32-33). Christine Girard rappelle au lecteur que les ruines vivent :  « …  les cailloux parlent prennent figure deviennent tête, une simple forme l’expression d’une pierre noire … » (p 10). Ce qui contribue aux visions, aux hallucinations…

Christine Girard, Ruines, Editions Faï fioc,
48 pages, 8 euros. En librairie ou sur commande :
15 Rue Haute. 54200 Boucq. (Sur catalogue,
commande en ligne : prévoir le port).

Dans le verbe « s’égarer » (qui termine cette plaquette), il y a comme le résumé de ce qui précède, c’est-à-dire l’impossibilité de distinguer la différence entre une description de ruines et une description d’un vrai paysage, bien vivant.

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Louis Dubost, Diogène ou la tête entre les genoux

 

Manger, c’est philosopher… Non pas parce que Louis Dubost fut professeur de philosophie dans le civil… Mais parce qu’il l’est aussi ! J’en trouve les raisons dans les comparaisons avec l’œuvre de Botero (p 20) ! Parce que l’art est un domaine éminemment philosophique : rendre visible  ce qui s’énonce par des idées… Ou à cause de l’arrosoir voltairien.  

Ou tout simplement et j’aime, cet art de ce qu’il faut bien désigner comme un abécédaire, à savoir (p 9) : cette attaque qui prend modèle sur le Banquet de Platon. Mais ce livre est aussi l’occasion de portraits du grand-père qui valent leur pesant de cacahuètes. Tout comme de recettes pas piquées des hannetons car le jardinier est aussi amateur de bonne chère mais aussi de sagesse : ainsi dans Carotte on trouve cette citation que j’extrais : « Désormais, je récolterai chaque année la graine de mes carottes ouzbèkes  pour retrouver autour de la table ces merveilles de notre histoire commune et cultiver un peu plus d’humanité, tout simplement »  (p 29). De façon générale, Louis Dubost désigne par je ce qu’il faut se résigner à appeler l’auteur. 

Tout le reste est dans la même tonalité, humoristique et distanciée. Ainsi, page 30 à l’article « Cerise », merles et autres choucas bouffent les cerises : « Cependant le merle a eu sa part, et pas la plus mince ». 

Louis Dubost, Diogène ou la tête entre les genoux, 
La Mèche lente éditeur, 118 pages, 16 euros. En librairie.

Si le philosophe Jean-Paul Sartre fait voisiner chou-fleur avec mousse et pourriture dans L’Existentialisme est un humanisme, Louis Dubost ajoute : «  Peut-être le philosophe (…)  garde-t-il un souvenir désagréable de la cantine de la Rue d’Ulm  » (p 33). Au texte « Chenille », Louis Dubost est coquin : « Les chenilles du chou ne supportent pas la foulée d’une jeune femme nue au temps de ses règles » (p 31), mais il attribue la citation à un philosophe démocritéen ! Tout y passe ; la mécréance du jardinier (p 37),  les fantasmes (p 38), même la phrase finale de l’épilogue que je ne résiste pas au plaisir de citer : « Dans la journée, le jardinier prendra  en mains l’outil adapté aux réponses possibles » (p 113) ce qui est un signe de sagesse. 

Les termes métaphysique, existentialiste, philosophe ; l’expression  impératif catégorique indiquent la philosophie. Mais Louis Dubost ne se borne pas à cela : il se réfère aux politiciens (et aux politiciennes), Ségolène Royal et Jean-Marc Ayrault, ça date un peu les textes ! Seul le latin d’opérette (de botanique ou d’entomologie) fait encore sourire : les deux Pyrrhocoris apterus soudés l’un à l’autre font rigoler l’auteur (p 57) : Louis Dubost ne manque pas d’humour ! Ce qui n’empêche pas les grandes questions du style « Les limaces ont-elles une âme ? » (p 67). Et je ne dirai rien des comparaisons avec des chanteurs, des poètes ou des cinéastes (p 81). J’aime cette citation : « La pauvreté partage des richesses que les riches ignorent » (p 90).

Cet abécédaire est placé sous le signe de l’humour. Qui est Diogène qui donne son titre au livre , c’est un philosophe de la Grèce antique, l’un des élèves les plus célèbres de l’école cynique d’Antisthène. Nous passerons allègrement sur le cynisme de Diogène ; disons simplement que Louis Dubost retient le côté provocateur de Diogène de dénonciation des conventions sociales. C’est pourquoi le jardinier ne peut trouver le bonheur que dans l’accord profond avec la nature, revue et corrigée par le jardin…

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Jean-François Mathé, Vu, vécu, approuvé 

 

Recueil-Bilan : je me prends à songer que ce ne soit pas le dernier  (cela n’est pas le dernier, car quand on est tombé dans la poésie, c’est pour la vie). 

Et cela commence par une brève pièce de vers où la vie est comparée à un  fruit  : « comme si je voulais / que ma vie / soit un fruit / tout entier entré / dans son noyau » (p 7). Mais ce vers « jusqu’à à ton consentement à mourir » (p 14), m’amène à penser que c’est peut-être le dernier ! Ce qui serait dommage car Jean-François Mathé sait écrire les variations du temps qui passe… 

  Me viennent à l’esprit ces mots de Marie-Hélène  Prouteau : « Il s’agit d’apprendre à vivre  légèrement appuyé à la mort » puis  « Le sentiment de la perte inéluctable qui nous attend est présent mais tenu à distance » (in TERRES  de FEMMES, à propos du précédent recueil de Jean-François Mathé, Prendre et Perdre). Tout est dit ; tout est en cette mise à distance  qui traverse ces vers ou ces proses qui composent le recueil. J’oubliais : « J’avance dans les mots / comme dans les herbes qui s’écartent » (p 20) puis « ces mots qui voudraient crier » (p 22), je les prononcerai… 

Jean-François Mathé, Vu, vécu, approuvé, 
Le Silence qui roule éditions, 48 pages, 12 euros.
Sur commande (Editions le Silence qui roule ;
26 Rue du chat qui dort. 45190 BEAUGENCY).

Si les verbes descriptifs abondent, ceux qui traduisent les relations avec la femme aimée sont nombreux ; mais, les verbes qui traduisent la vision ou ceux qui traduisent l’acceptation sont plus rares. Ceci n’enlève rien à l’aspect bilan du recueil… Je suis particulièrement sensible à la beauté de ce tercet (p 16) : « Tu dors ? C’est un mensonge : / ton sommeil n’est qu’un fard / sur de la mort posé » ; il dit bien, à mots couverts, ce qu’il entend proclamer…




Stéphane Sangral, Des dalles posées sur rien, Pierre Dhainaut, Après

Stéphane Sangral, Des dalles posées sur rien

 

1

Le poète dit souvent le JE : non par souci d’épanchement de l’âme (ou de ce qui en tient lieu) mais par facilité. Stéphane Sangral qui ouvre ce nouveau livre par un dialogue (imaginaire ?) numéroté négativement - 3 entre le JE et La Raison ne choisit pas la facilité tant ce dialogue est difficile à suivre. 

De celui-ci, je relève ces termes prononcés par le JE : « J’ai peur de n’être pas. J’ai peur de n’être pas avant de n’être plus.  C’est dur d’être pour soi-même un secret. Je me sens étranger à moi-même… ». De là à penser qu’il est impossible de dire Je en poésie, il n’y a qu’un pas. Alors restent à dire, à chanter, cette impossibilité, cet épuisement, ce mal-être, ce paradoxe… Et si, et si ??? J’ai du mal à suivre le raisonnement de Stéphane Sangral dans ce dialogue, ne maîtrisant pas les concepts qu’il utilise. A moins que la poésie ne soit la « constellation de formes vides allumée par la forme vide d’un interrupteur »  comme l’affirme la Raison à la page 28 ? On est alors dans un abîme de possibles au-delà du leurre. Mais voilà que je philosophe à ma façon ! Ce à quoi je me refuse catégoriquement… 

2

La deuxième partie (numérotée tout aussi négativement - 2) invite le lecteur à une longue méditation sur l’être, le non-être, la conscience, l’individu… 

Stéphane Sangral, Des dalles posées sur rien, Editions Galilée, 208 pages, 17 euros. En librairie.

Il me faut l’avouer : j’ai du mal avec ces concepts (je ne suis pas de formation philosophique, j’ai suivi un double cursus à la fois en littérature et en sciences de l’éducation), j’ai beaucoup de difficultés à suivre cette méditation…

 

3

La troisième partie (numérotée négativement -1) offre une libre, très libre méditation à propos de la mort, de faire son deuil (selon l’expression consacrée), de l’avoir… J’aime beaucoup cette formule (p 78) : « Ah ! Pouvoir tuer la mort !… /  Et la voilà, par cette seule idée, le piège étant parfait, plus vivante que jamais… » Et ce n’est pas le changement de caractères d’imprimerie (on passe du romain à l’italique, on modifie le corps du caractère) qui me fera changer d’avis ! Se profile un sujet écrivant, ce qui relève de la philosophie, mais de cette philosophie qui relève de la poétique, des thèmes poétiques : reste à définir ce sujet écrivant. Page 81, c’est coupé d’un poème composé en alexandrins : car il s’agit bien d’écrire (p 83). Le paragraphe des pages 86 & 87 sur le fado vaut largement des poèmes en prose ! L’athée que je suis apprécie aussi ces mots de la page 88 : « Quelques instants avant ma mort je croirai en Dieu, mais pas un Dieu éternel, non, à un Dieu (alors pourquoi mettre une majuscule à ce dernier mot ?) de seconde zone dont l’existence n’est limitée qu’à quelques instants » ou ce fragment de la page 90 : « Le droit d’appeler Dieu par son petit nom : Néant ». Alors, Sangral écrivant : un poète qui utilise le mot âme à son corps défendant ? Mais qui ne manque pas d’humour.

 

4

(Redéfinitions) est numérotée 0, cette partie regroupe 70 réponses à la question « Qui est Je ? », des réponses qui ne manquent pas d’humour noir. Ce qui ressort de la question posée, c’est son inanité : les jeux de mots (Je / Jeu) sont présents ; c’est une  entreprise de dynamitage du Je. Soulignée par la position centrale de cette partie du livre…

 

5

Bel exemple de tautologie : le temps de la réflexion étant passé, on attend des poèmes ! Stéphane Sangral va jusqu’à affirmer (p 115) : « ….je me remplis de l’idée de vacuité pour oublier la vacuité de mes propres idées… Vide(s)… ». Voilà au moins qui est franc. Mais il passe au crible le moindre de ses énoncés, il est envahi par le doute. La notion de boucle revient sous sa plume, ce qui fait le lien avec son livre précédent : bel exemple de cohérence. Quand Stéphane Sangral affirme parfaitement ce qu’il est, ce qu’il ressent, il suffit de lire les pavés de prose des pages 123 et 124. Mais que signifie la locution « Et ce texte ne veut rien dire », alors qu’il dit parfaitement ? Et ce qu’il affirme est difficile à suivre quand il parle d’être, de néant, de béance, d’absence … Une difficulté qui est sans doute brillante ! Car cette difficulté est brillante surtout quand Stéphane Sangral questionne : « Et si un être n’était qu’un néant un peu plus complexe que les autres ? » (p 131). Lâcheté des métaphysiciens, amour de la métaphysique et lâcheté du langage même ne connaissant en égalité que la naïveté de l’auteur … : Stéphane Sangral emprunte le langage des sciences (« L’acide désoxyribonucléique est la mise en abîme du corps. / Après Dieu, Néant : mon ADN » -p 142-) : oui, décidément, j’ai beaucoup de mal à suivre l’enchaînement des idées de Stéphane Sangral !  Mais cette dernière remarque n’enlève rien à l’intérêt du livre, à son côté démystificateur…

 

6

La partie suivante (numérotée positivement 2) commence par un aveu (p 150) : «J’ai quarante-trois ans, presque quarante-quatre et je ne me connais pas. Ou plutôt, cela fait quarante trois ans, presque quarante-quatre, que, trop occupé  par le moi, je passe devant moi, sans me voir. //  Qui suis-je ?  / Un individu qui, hanté par l’épaisseur du Je, toujours refusera de se laisser réduire à une réponse, mais qui, hantant la platitude de son Je trop solitairement, toujours acceptera de laisser venir la présence de  cette question. »  Et l’aveu  : une impossibilité ? A la philosophie se mêlent des éléments plus légers, plus inconsistants comme « se font la guerre et l’amour » (p 154) ; c’est peut-être là que réside la différence entre la philosophie et la poésie, la philosophie étant la réussite d’écrire « je suis » (p 156). J’aime cette formule : « Je ne suis qu’une contingence, qui rêve d’absolu » (p 161). Stéphane Sangral est conscient de son impuissance : il ne sait pas s’il est capable d’aller au bout du concept d’unité psychique mais il sait qu’il est incapable de se soustraire à lui, de méditer à son propos (p 169) …

 

7

Le chapitre suivant (numéroté tout aussi  positivement 3) est rempli d’un dialogue sur la définition du JE. Qui repose sur une tautologie (p 182).  « Le sentiment d’un Je unitaire ne serait au fond que que le mouvement du résultat d’appropriation de l’excédent de signifiance se dégageant des multiples modifications de la vie perception-motrice. Je suis bien réel mais mon Je, lui, n’est vraisemblablement qu’une illusion, sans doute renforcée par mon langage et ma capacité à produire l’unité sémantique Je » (pp 182-183). Tout est alors dit. Ou presque, car Stéphane Sangral ajoute : « La conceptualisation du Je est encore, dans la pensée commune alourdie par le concept d’âme, est encore une ridicule cratophanie 1 » (p 187).  

 

8

Reste que la poésie repose sur le concept de JE. Reste que Des dalles posées sur rien est un livre nécessaire car il démonte une illusion : la poésie serait alors une illusion nécessaire. Pour l’existence de la littérature. Il faut vivre et agir avec cette quasi certitude. Des dalles posées sur rien est un livre brillant car il convoque la physique, la psychologie bien entendu, la zoologie, les neuro-sciences… Mais l’ai-je bien lu, ai-je bien écrit ma note de lecture ?

Note

1. Cratophanie : manifestation inexpliquée et attribuée à une puissance surnaturelle.

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

Pierre Dhainaut, Après, aquarelles de Caroline François-Rubino.

A propos des murs, Pierre Dhainaut note : « un fatras de visions noires, / l’effroi s’aggrave : de leurs entrailles monte / une vermine épaisse, proliférante, » (p 12). Dés lors, les indices se multiplient : « bras nus / liés… » (p 40), « ne pas éteindre la veilleuse » (p 12), un bracelet autour du poignet (p 14) portant nom et prénom, « Arracher des sangles » (p 28)… La dernière partie de poèmes est intitulée « Dire ensemble », elle commence par ces vers « Roses trémières, au long des rues, le temps / du recul, le temps du spectacle, s’il revenait, » (p 47). 

Il est temps alors de ne plus souscrire à la promesse des mots. Le mot de la fin est dit enfin dans la cinquième partie, une note en prose : « … après une longue opération du cœur et une interminable convalescence »… (p 57). Mais Pierre Dhainaut ne se refait pas (ou, du moins l’oublie-t-il ?), il réfléchit toujours à la poésie : «  Ce n’est que dans cette voie qu’ils {les poèmes}se servaient de la mémoire […] Rien de tel cette fois »  (p 57). Je savais qu’il devait se faire opérer du cœur depuis que j’avais reçu une lettre à l’occasion d’une de mes notes de lecture que je lui avais envoyée… « A l’hôpital, je me trouvais dans l’incapacité totale  d’écrire, fût-ce quelques mots, et l’intention de le faire alors ne m’a même pas effleuré » (p 58).  Il ajoute que ces poèmes-mots ont été l’occasion de « revivre avec le langage l’épreuve douloureuse et de m’interroger sur la place qu’y avait occupée la poésie pour que de nouveau elle soit possible » (idem). 

Pierre DHAINAUT, Après. L’Herbe qui tremble éditions, 72 pages, 13 euros ; en librairie ou sur catalogue (commande en ligne).

On me pardonnera les citations qui émaillent cette note de lecture, elles doivent être nécessaires pour dire la douleur qu’a dû ressentir, après cette intervention chirurgicale, de l’absence de solutions (ou de secours) de la poésie, le poète Pierre Dhainaut…  Alors, une citation, la dernière (?) : « … nous léguons ce que la poésie ne définit pas, une ouverture possible, toujours, une promesse » (p 60).

Présentation de l’auteur

Stéphane Sangral

Né en 1973, Stéphane Sangral est poète, philosophe et psychiatre. Son intérêt esthétique et conceptuel à l'égard des boucles a comme origine sa passion pour l'étude de la réflexivité de la conscience, sa fascination pour cette boucle primordiale qu'est le "penser sa pensée", ou même, plus simplement, le "se penser". Il est l’inventeur du concept d’individuité

Philosophie sociale : Fatras du Soi, fracas de l'Autre (Éditions Galilée, 2015)

Philosophie ontologique : Des dalles posées sur rien (Éditions Galilée, 2017)

Poésie : Méandres et Néant (Éditions Galilée, 2013)

              Ombre à n dimensions (Éditions Galilée, 2014)

              Circonvolutions (Éditions Galilée, 2016)

              Là où la nuit / tombe (Éditions Galilée, 2018)

 

Poèmes choisis

Autres lectures

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Stéphane Sangral, Là où la nuit / tombe

Dans ce recueil à la mort présente, abondent les questions fondamentales aux impossibles réponses, qui mettent les réponses sens dessus-dessous où toute réponse, en tant que forme du poème, éclate en un saisissement [...]

Stéphane Sangral, Infiniment au bord

Infiniment au bord, sous-titré Soixante-dix variations autour du Je est un livre de poésie autant que de philosophie, un livre intime et universel dont on ne finit jamais la lecture car à l’image [...]

Présentation de l’auteur

Pierre Dhainaut

Pierre Dhainaut est né à Lille en 1935. Avec Jacqueline, rencontrée en 1956, il vit à Dunkerque (où s’effectuera toute sa carrière de professeur).

Après avoir été influencé par le surréalisme (il rendit visite à André Breton en 1959), il publie son premier livre, Le Poème commencé (Mercure de France), en 1969.

Rencontres déterminantes parmi ses aînés : Jean Malrieu dont il éditera et préfacera l’œuvre, Bernard Noël, Octavio Paz, Jean-Claude Renard et Yves Bonnefoy auxquels il consacrera plusieurs études.

Déterminante également, la fréquentation de certains lieux : après les plages de la mer du Nord, le massif de la Chartreuse et l’Aubrac.

Une anthologie retrace les différentes étapes de son évolution jusqu’au début des années quatre-vingt dix : Dans la lumière inachevée (Mercure de France, 1996).

Ont paru ensuite, entre autres : Introduction au large (Arfuyen, 2001), Entrées en échanges (Arfuyen, 2005), Pluriel d’alliance (L’Arrière-Pays, 2005), Levées d’empreintes (Arfuyen, 2008), Sur le vif prodigue (Éditions des vanneaux, 2008), Plus loin dans l’inachevé (Arfuyen, 2010, Prix de littérature francophone Jean Arp) et Vocation de l’esquisse (La Dame d’Onze Heures, 2011). Ces recueils pour la plupart sont dédiés aux petits-enfants. Plus récemment encore : une "autobiographique critique", La parole qui vient en nos paroles (éditions L'Herbe qui tremble, 2013) et Rudiments de lumière (Arfuyen, 2013).

Il ne sépare jamais de l’écriture des poèmes l’activité critique sous la forme d’articles ou de notes : Au-dehors, le secret (Voix d’encre, 2005) et Dans la main du poème (Écrits du Nord, 2007).

Nombreuses collaborations avec des graveurs ou des peintres pour des livres d’artiste ou des manuscrits illustrés, notamment Marie Alloy, Jacques Clauzel, Gregory Masurovsky, Yves Picquet, Isabelle Raviolo, Nicolas Rozier, Jean-Pierre Thomas, Youl…

À consulter : la monographie de Sabine Dewulf (Présence de la poésie, Éditions des vanneaux, 2008) et le numéro 45 de la revue Nu(e) préparé par Judith Chavanne en 2010.

© Crédits photos Maison de la Poésie Jean Joubert.

Poèmes choisis

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