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L’Effacement, poème de Lise Gauvin & 10 photographies de Wanda Mihuleac

L’effacement

poème de Lise Gauvin 10 photographies de Wanda Mihuleac

 

Une aventure de fréquentation poétique

Sous le titre L’effacement [1], les éditions Transignum ont publié, en janvier 2019, un somptueux ouvrage de bibliophilie, qui fait converser dix photographies de la plasticienne Wanda Mihuleac avec un poème en douze strophes de Lise Gauvin.

 

Avant de découvrir le texte français de la poète, essayiste et critique littéraire québécoise, ainsi que sa traduction en anglais par le poète et traducteur Patrick Williamson, il faut –et l’on éprouve, à ce geste, l’émotion d’ouvrir l’écrin d’un contenu pressenti comme aussi précieux que mystérieux –soulever le couvercle d’un sobre et très beau coffret [2] d’un noir mat, profond, qui porte seulement, en bas à droite, sous une première grande [3] photo noir et blanc, les lettres en relief argenté du nom de l’auteure : Lise Gauvin.

 

Énigmatique d’abord, cette photographie de couverture !

Seulement belle, en ses formes vaguement nuageuses ou de géographies plus ou moins déchiquetées qui se détachent, blanches ou nuancées de camaïeux de gris, sur le fond d’un noir encore plus dense que celui du coffret.

Abstraite alors ?... On pourra hésiter, mettre un certain temps avant de percevoir ce qu’elle figure.

Pour sans doute se raviser bientôt : quelque gros plan de neige en train, déjà, de commencer à fondre ? Où deviner aussi, en une sorte d’encart, dans la partie supérieure de la photographie, comme une autre image enneigée, mais en reflet décalé, dans un miroir peut-être et sur un autre plan.

Une métaphore, se dira-t-on, du dialogue entre mots et images, entre poète et photographe.

Métaphore, qui sait, de tout dialogue.

Or, c’est bien de neige que Lise Gauvin nous parle effectivement ici ; des chemins effacés par et sous une neige qui, au fil des pages et des douze strophes de son poème, sera vouée elle-même à l’effacement.

Mais, en douze strophes, vraiment ? Disons plutôt et plus exactement : une, plus onze.

Si la première est, en effet, aisément repérable en acrostiche de L’EFFACEMENT (en français seulement, bien sûr : misère et grandeur de la poésie, le plus souvent et quel que soit le talent du traducteur, consubstantiellement lié à sa langue d’écriture ! ), les onze suivantes orchestrent, plus largo pourrait-on dire, une autre variation sur cette forme poétique enracinée dans une tradition plurimillénaire. Dans la suite du poème, chaque strophe reprend ainsi, en la lettre initiale de son premier vers – la seule lettre de début de vers, dans l’ensemble de la strophe, à porter la majuscule – chacune des lettres du titre : la deuxième strophe commence pour la seconde fois dans le poème par L, puis la troisième strophe par E, les deux suivantes par F,  jusqu’au T de la douzième et dernière strophe. Où l’on se prend à penser que le choix du mot initial de cette strophe finale, en note d’attaque : « Tracés », ne saurait être le fruit du hasard !

Car, aucune gratuité dans cette rigueur de la construction choisie par l’auteure ; comme si Lise Gauvin tentait de mieux cadrer, fixer, sauver par les mots tracés tissés du poème, la fugacité d’une réalité qui ne cesse tragiquement de lui, nous échapper et dont le double processus d’effacement – objectif et subjectif, par et de la neige – figure si justement  l’impermanence dans laquelle la poète se doit de vivre et créer.

Lorsqu’en me demandant d’écrire la préface du livre, Wanda Mihuleac m’a envoyé le poème de Lise Gauvin avec ses dix photographies, j’ai été immédiatement retenue, séduite, par les multiples résonances que suscitait aussitôt la fréquentation (je pense ici à l’étymologie de cette ancienne « conversation ») entre texte et images. Car, paradoxalement, et c’est ce qui ressort de leur dialogue, ce qui s’est trouvé effacé, raturé par la neige, a beaucoup à nous dire et à nous faire voir. Une sorte de secret palimpseste, dans le mystère d’une polysémie, polyphonie annoncées.

Avant la neige, oui, il y avait donc eu un paysage, des chemins ‒ connus, familiers, si banals parfois qu’on ne les voyait même plus.Autant de frontières et repères susceptibles en tout cas de jalonner un parcours ; celui d’une marche au hasard comme celui d’un itinéraire soigneusement préparé.

Et puis, soudain, ainsi que s’en émerveille la poète : « Ah ! Comme la neige a neigé ». 

Avec, maintenant, à la place de ces lieux à présent masqués, toute cette neige, tout ce blanc ! 

Autrement dit : rien ?

Mais un rien qui, dans le cadre à présent vide, nous ferait paradoxalement nous souvenir d’un quelque chose qui aurait naguère été là !

Et, par ricochet, nous souvenir de nous, en ce que nous avions auparavant été, en ce que nous avions fait, pensé de – et au milieu de – ce monde enfui d’avant la neige.

Avec la neige, s’instaure en effet un règne des plus étranges ; celui d’une énigmatique présence-absence à laquelle la poète sait nous rendre sensibles et qui nous pose question.

Pour Lise Gauvin, parce qu’il nous avertit d’un « évanouissement programmé», le spectacle de la neige nous incite d’abord à prendre une conscience plus aiguë de « la vie qui passe », « la vie passante ». N’est-il pas, comme elle le formule si bien, « figuration sensible/de la disparition » ?

Comme si, sur la page blanche silencieusement tournée ouverte par la neige, se révélait enfin, d’un coup, ce que tente tant bien que mal de nous masquer – encombré de ses innombrables objets hétéroclites aux multiples couleurs bariolées, aux bruits parfois tellement cacophoniques – tout ce divertissement(au sens pascalien du terme) de notre habituel espace quotidien, je veux dire : l’aveuglante épiphanie du néant !

 Et cependant, chez Lise Gauvin, loin de n’engendrer que  méditation mélancolique sur notre finitude, les frontières effacées par la neige entrent aussi en résonance positive avec la vibrante sensibilité de la poète, avec son insatiable appétit de voir et de vivre.

Pour elle, qui se dit familière « des gares / et des aéroports », elle qui se présente en « Nomade parmi les nomades », la neige comme le voyage, tout en abolissant les habituelles limites géographiques, les topographies familières et jusqu’à la notion d’espace, bouleverse également la perception temporele, dans sa trop prévisible régularité. En résulte pour la poète le « plaisir » et « vertige » d’échapper ainsi « au temps des horloges ».

Et puis, si pour la Québécoise Lise Gauvin, le spectacle de la neige renvoie à une expérience de « scènes […] familières », plus que tout autre elle se montre néanmoins sensible à ‒soudainement révélée par la métamorphose imprévue de la neige ‒cette prodigieuse « Magie de l’instant / suspendu », essence et pierre de touche, pour tout vrai poète, d’une poésie authentique ! « To see a World in a Grain of Sand […] /Hold Infinity in the palm of your hand /And Eternity in an hour » disait William Blake...

Mais, en quoi consiste plus précisément ce que Lise Gauvin nomme ici « pouvoir du blanc », ce précieux cadeau offert en l’instant magiquement suspendu par la neige ? Pour la poète, c’est en particulier la découverte d’un « espace réinventé », d’un paysage qui aurait « revêtu ses habits du dimanche », « pris des allures de fête ». Une atmosphère d’harmonie joyeuse, voire de monde ré-enchanté, qui nous mène apparemment bien loin de toute déréliction !

Et pourtant !… Insidieuse, la question qui s’obstine, nous taraude : pour combien de temps ?

Là encore, Lise Gauvin nous confronte aux « Fragilités », vanités de notre humaine et terrestre condition, si lucidement et vigoureusement pointées par l’oxymore : « l’éternité provisoire/du Tableau ». Comme nous en avait prévenus la poète, lorsqu’elle qualifie d’éphémèrece pouvoir de la neige, par ailleurs lyriquement célébré, les « traces » qu’elle laisse, comme celles que nous laissons par nos écrits, nos œuvres d’art, comme les photos de Wanda Mihuleac, qui immobilisent poétiquement l’instant saisi en le nimbant d’une sombre et mystérieuse aura, tout cela nous parle au plus près de l’impermanence des choses. Quelle que soit alors l’intensité du plaisir esthétique qui peut les illuminer, elle n’occulte pas, bien au contraire, le caractère tragique de leur précarité.

L’écriture de Lise Gauvin, très concertée en son apparente simplicité de bon aloi, distille un puissant charme (au sens fort et originel du terme), une sorte de « Mystères Mirages », qu’on retrouve en miroir dans les photos de Wanda Mihuleac, où « Cartographies intimes » et «  Tracés aléatoires » esquissés par les « parenthèses neigeuses », se font l’écho de la neige elle-même, dont elles laissent finalement entrevoir et prévoir le « propre/EFFACEMENT ».

Quant à ce terme d’EFFACEMENT qui – boucle bouclée – clôt le poème en faisant écho à son titre, et dont les majuscules manifestent typographiquement l’ultime tentative de faire face, faire trace, faire signe contre le blanc néant de la neige, de la page, sa position lui confère une aussi inéluctable que cruelle valeur performative : après lui tout ne s’arrêtera-t-il pas – les mots, le poème ?…

Après lui, il n’y a plus rien !

Dans La beauté dès le premier jour [4], Yves Bonnefoy montre qu’« adhérer pleinement à la finitude, c’est-à-dire […]ressentir la valeur absolue de la moindre chose » dans « le refus de l’aveuglement », permet seul d’accéder à la véritable poésie, cette « obstination qui doit constater l’échec de son entreprise mais veut aussitôt et toujours en recommencer le travail ». Avec la riche ambiguïté de cet « Éphémère pouvoir du blanc », de son « éternité provisoire », voici précisément l’enjeu du dialogue, ici magistralement poétisé, entre Lise Gauvin en son poème et Wanda Mihuleac en ses photographies.

 

∗∗∗∗

 

[1]‒  L’effacement, poème de Lise Gauvin traduit en anglais par Patrick Williamson & 10 photographies de Wanda Mihuleac, préface de Martine Morillon-Carreau, Éditions Transignum, janvier 2019, édition originale franco-anglaise, tirée en 10 exemplaires sur papier INNOVA IFA25 220 g, signés et numérotés de 1 à 10 et présentés dans une boîte avec une œuvre originale.

[2] ‒  Dimensions : 31 cm x 22,5 cm.

[3]‒ Dimensions : 19 cm x 27 cm.

 [4]–   William Blake & Co. Édit. , 2010.




Michèle Duclos, Un regard anglais sur le symbolisme français 

Cet intéressant, dense et savant essai de Michèle Duclos, sous-titré Arthur Symons, Le Mouvement symboliste en littérature (1899), généalogie, traduction, influence, nous offre la première traduction française complète de cet ouvrage du poète et essayiste anglais, adepte de la critique dite « impressionniste », Arthur Symons, né en 1865 – comme son ami Yeats à qui il l’a d’ailleurs dédié.

Ayant séjourné plusieurs mois à Paris, Symons y avait personnellement fréquenté les chefs du jeune symbolisme français, dont Verlaine. Mais Michèle Duclos nous offre aussi, en première partie, une pasionnante analyse de la genèse du livre d’un Symons d’abord influencé par Walter Pater, Browning et la philosophie platonicienne ; et, en troisième partie, une non moins passionnante « étude diachronique de l’influence considérable  » que le livre a exercée « sur trois générations des plus grands poètes, tant britanniques et irlandais qu’américains », citons par exemple Yeats, mais aussi James Joyce, Pound, Eliot ou David Gascoyne. Le dernier chapitre ouvre, quant à lui, sur une évolution d’Arthur Symons après sa publication de The Symbolist Movement in Literature, qui n’est pas sans présenter quelques contradictions, en particulier quand il se détourne du symbolisme, alors que sa conception d’un « art total » tel qu’il le reconnaît chez William Blake, relève aussi de ce mouvement. De même, si Arthur Symons, dans sa quête de la Beauté ontologique, « oppose “le cerveau elliptique du poète” au “cerveau lent, prudent et logique du romancier” », il reconnaît que Maeterlink atteint dans son théâtre en prose au véritable drame poétique.

Michèle Duclos, Un regard anglais sur le symbolisme français, (L’Harmattan, 2016, 265 pages, 27 €).

Michèle Duclos, Un regard anglais sur le symbolisme français, (L’Harmattan, 2016, 265 pages, 27 €).

Michèle Duclos – spécialiste, entre autres, de Kenneth White – a enseigné la poésie anglophone contemporaine, à l’université de Bordeaux Montaigne ; on voit donc bien, d’emblée, l’intérêt de ce nouvel essai pour tous les amateurs de littérature / poésie anglophone. Le travail de Michèle Duclos, en outre, attirera également les lecteurs moins versés en ce domaine mais tout simplement intéressés par la poésie en général et curieux, en particulier, de ce que le regard extérieur de l’étranger Arthur Symons, décalé par rapport à notre approche franco-française du symbolisme, peut apporter de nouveau à notre perception d’écrivains allant de Gérard de Nerval au Belge francophone Maurice Maeterlinck, en passant par Villiers de l’lsle-Adam, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Jules Laforgue, Stéphane Mallarmé et Huysmans (dans sa dernière période).

Michèle Duclos ne cache pas toutefois s’étonner de l’absence, dans l’ouvrage de Symons, d’un Émile Verhaeren qu’il a pourtant traduit, comme de sa présentation de Rimbaud en « poète immature confiné à un état de promesse verlainien » ou d’un Baudelaire « relégué dans l’Introduction dans la catégorie des ‘’Réalistes’’ ». Quelques réserves donc sur cet ouvrage de Symons, qui ne l’empêchèrent cependant pas d’avoir été accueilli en Irlande « comme une sorte de livre sacré pour une jeunesse fervente ». L’auteure, d’autre part, insiste sur ce point important que, si The Symbolist Movement in Literature a bien joué un rôle fondamental, ce ne fut pas toujours en bloc ni au même moment ; une intéressante particularité, que l’auteure explique par « la composition à la fois simple et multiple du volume ».

On la remerciera donc d’avoir ainsi attiré l’attention contemporaine française sur les conceptions originales et si fécondes poétiquement, de cet « initiateur du Symbolisme français en terres anglophones et messager d’un Symbolisme esthétique et ontologique ».




Éternel recommencement ou histoire croisée ? Les paradoxes du postmodernisme américain

 

 À l’aube du 20e siècle, ils sont tous au rendez-vous en Europe: Apollinaire, Dada, les Expressionistes allemands, les futuristes italiens, l’écriture automatique. Un courant qui prend ses assises en contrepied de la surabondance de l’avant-guerre et de la crise d’identité européenne et qui continue dans un continent mis à feu et à sang par la première guerre mondiale. Dans les années 1950, après la folie meurtrière de la seconde guerre mondiale, on assiste aux États-Unis à un rejet semblable des règles et des conventions. C’est le mouvement artistique et littéraire de New York des années 1950 et 1960 connu sous le nom d’École de New York (The New York School). L’avant-garde gauchiste qui va à rebrousse-poil du bien-penser et du bien-vivre américain symbolisé par la série télévisée Leave It To Beaver, rencontre la philosophie critique européenne de l’entre-deux guerres. L’influence européenne refleurit dans le Nouveau Monde cinquante ans après avoir révolutionné l’Europe.

 

En fait, l’Amérique n’est pas en retard sur la vieille Europe. Cette perception s’efface vite devant la fascinante histoire d’une influence croisée qui révèle le rôle important joué par une institution de tout premier plan. New York se distingue très tôt par son besoin de respirer la liberté intellectuelle. En 1919, est créée la Nouvelle École de Recherches Sociales (New School for Social Research) en réponse au licenciement de plusieurs professeurs de Columbia University pour refus de signer le serment patriotique lors de l’entrée en guerre des États-Unis voici exactement un siècle. Comme le montrent les travaux historiques de Charles A. Beard et de sa femme Mary ainsi que les séminaires enseignés par l’économiste britannique Harold Laski, l’engagement civique et la volonté de réforme des fondateurs font de cette nouvelle université la première à porter un regard marxiste, internationaliste, et pacifiste, sur la société et la culture américaines.

 

Cet engagement se double dès l’arrivée au pouvoir de Hitler en 1933 par la création de l‘Université En Exil au sein même de la Nouvelle École de Recherches Sociales. Elle accueille les intellectuels émigrés des dictatures européennes, en majorité allemands et italiens, notamment l’écrivain Thomas Mann qui lui donne son motto, “À l’esprit vivant.” Parmi les intellectuels allemands, il faut citer le psychologue Max Wertheimer, le philosophe Hans Jonas, et l’anthropologue Leo Strauss, ainsi que les réfugiés de l’Institut de Recherche Sociale (mieux connu sous le nom d’École de Francfort) fondé en 1923, tels la politologue Hannah Arendt, le psychanalyste Erich Fromm, et le philosophe Herbert Marcuse.

 

Enfin, en 1940, est créée l’École Libre des Hautes Études, recueillie elle aussi par la Nouvelle École de Recherches Sociales. Elle introduit l’influence française à travers les philosophes Jacques Maritain et Jean Wahl, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, et le linguiste Roman Jakobson. New York rassemble donc l’avant-garde européenne en matière de recherche sociale et lui permet de continuer un travail menacé par la guerre. C’est ensuite grâce aux États Unis que l’Europe redécouvrira son héritage après 1945, après un double transplant. Les trois institutions d’inspiration européenne et leur matrice américaine sont marquées par les ruptures de deux guerres mondiales et les failles culturelles que ces dernières engendrent. Elles sont également marquées par la Grande Dépression du début des années 1930. Impossible ici de ne pas reconnaître la dette intellectuelle dûe à Walter Benjamin qui, lui, ne survit pas à l’invasion allemande.

 

Le bilan historique de la première moitié du 20e siècle provoque une interrogation sur le devoir d’engagement des intellectuels, sur la notion de progrès et les mécanismes du pouvoir. Les destructions multiples de cette époque, paradoxalement, rendent possible la reconstruction. Une fois débusqué le masque de la logique et de la raison, l’irrationnel reprend ses droits. Seul compte le présent qui doit être reconstruit hors des anciennes normes. C’est donc dans une déconstruction en profondeur que se trouve la source du post-modernisme. Déconstruction des valeurs et des modes de pensée, mais surtout déconstruction des disciplines intellectuelles, artistiques, et culturelles, redéfinies dans la perspective de leur relation les unes aux autres et à la société. Car, comme tout fait culturel est désormais un discours, ce dernier se reforme avec un nouveau langage et une nouvelle politique. Au bout de la destruction, on retrouve l’humain et l’humanisme à la place d’honneur de ce nouveau système. Car, même s’ils se défendent d’adopter un système, les post-modernistes de la Nouvelle École de Recherches Sociales en construisent un.

 

Dans un terreau si fécond, l’interdisciplinarité est de règle; les sciences sociales sont vues sous l’angle de leurs contributions culturelles et les créations culturelles sous l’angle de leurs contributions sociales. Le principe de l’enseignement de la Nouvelle École de Recherches Sociales est un programme libre d’études graduées bâti autour de séminaires. C’est dans cette structure que se trouve le creuset qui renouvelle tous les paradigmes touchant aux sciences humaines. Les intellectuels liés à la Nouvelle École de Recherches pratiquent tous plus d’une discipline. John Cage est peintre et compositeur, Theodor W. Adorno, philosophe, sociologue et compositeur; les intérêts du philosophe Jacques Maritain s’étendent à l’esthétique, la philosophie de la science, la théorie politique, la métaphysique, la liturgie, l’ecclésiologie, et les théories de l’enseignement. L’important, comme le dit le peintre Robert Motherwell, est de cultiver un sens du présent et d’affirmer la liberté de travailler hors des traditions.

 

La Nouvelle École de Recherches Sociales est donc une pépinière de théories et d’applications en sciences sociales et politiques mariées à une culture activiste oeuvrant pour le changement social. La charnière entre toutes ces activités est fournie par les photographes rattachés à l’École et dont les activités couvrent presque trente ans, de 1936 à 1963. S’élevant contre les systèmes de pensée mais respectant les valeurs humanistes, ces photographes utilisent les techniques du journalisme documentaire. Leur méthode: l’iconoclasme méthodologique. Leur mot d’ordre: dépasser. Presque tous formés à la peinture, ils choisissent délibérément la photographie et le film noir pour représenter le moment présent, pris sur le vif. Ils sont également marqués par le project de la U.S. Farm Security Administration qui envoie de nombreux photographes documenter les effets de la Grande Dépression au coeur de l’Amérique rurale. Après 1945, leur inspiration vient de Walker Evans, éditeur de la revue “Fortune” et d’Henri Cartier-Bresson. En 1959 paraît Observations, un texte de Truman Capote autour de photos d’Alexey Brodovitch, mentor des jeunes photographes, qui les pousse vers les démarches de la peinture d’action et souligne leur approche interdisciplinaire.

 

C’est après 1945 que les fondements théoriques, les formations techniques, et les applications sociales de la Nouvelle École de Recherches Sociales deviennent essentiels aux jeunes peintres, poètes, danseurs, photographes, et dramaturgistes, et particulièrement à ceux qui s’apprêtent à former l’École de New York. Situés au coeur de Greenwich Village, les bâtiments de l’université sont dans leur architecture même une forte affirmation de l’engagement social de la culture et des arts. Tout d’abord, théâtre, cinéma, et danse, soit les performing arts. Entre 1940 et 1949, l’université héberge le “Dramatic Workshop” fondé par Elia Kazan. De nombreux régisseurs et acteurs y sont formés: Eliz Kazan, Stella Adler, Beatrice Arthur, Harry Belafonte, Marlon Brando, Tony Curtis, Shelley Winters. Marlon Brando se souvient y avoir rencontré une influence culturelle juive européenne d’une intensité inégalée. La danse occupe une place importante de 1950 à 1970, avec une pointe en 1962-1964. Ce mouvement allie performance, choréographies radicales, musique d’avant-garde (notamment de Robert Dunn, un élève de John Cage), et collaboration avec les artistes visuels. C’est au groupe du Judson Dance Theater, proche lui aussi de l’université, que l’on doit ainsi la naissance de la choréographie post-moderne.

 

Au début des années 1950, la littérature se fait remarquer. Le dramaturgiste Tennessee Williams fait son apprentissage à la Nouvelle École de Recherches Sociales. Jack Kerouac de la Beat Generation y passe un semestre. La musique n’est pas oubliée. En 1950, John Cage, Morton Feldman, Earle Brown, et Christian Wolff y enseignent; dans les années 1960, ils développent leurs théories en parallèle avec le groupe international et interdisciplinaire “Fluxus.” L’université commence à collectionner les oeuvres d’art en 1960, et aujourd’hui possède plus de 1800 oeuvres de l’après-guerre, dont celles de Andy Warhol, Kara Walker, Richard Serra, Sol LeWitt, et Thomas Hart Benton; plusieurs fresques de Jose Clemente Orozco décorent l’université. Ce dynamisme artistique conduit à la création du Vera List Center for Art and Politics qui inaugure en 1986 une série de colloques annuels et devient en 1992 la première institution à offrir un programme d’études féministes. Aujourd’hui, le Vera List Center rassemble dix mille étudiants dans toutes les disciplines des sciences sociales, des humanités, et de l’art, y compris l’architecture et la danse.

 

L’École de New York est un groupe informel de poètes, danseurs, peintres et musiciens venus pour la plupart de Harvard, soudé au coeur de la ville de New York dans les années 1950 et 1960 en une nébuleuse qui frôle les autres groupes expérimentaux de l’époque. Ainsi les peintres Jasper Johns et Robert Rauschenberg sont-ils liés au mouvement des peintres expressionistes abstraits, au mouvement Néo-Dada, et au Pop-Art. Les artistes de l’École de New York doivent beaucoup à la Nouvelle École de Recherches Sociales. La collaboration entre les différents arts tant prônée par la Nouvelle École de Recherches Sociales est importante pour eux. Grâce à Frank O’Hara, curateur au Museum of Modern Art (MOMA), poètes et peintres collaborent. Larry Rivers, Kenneth Koch, John Ashbery, et James Schuyler, collaborent également à différentes oeuvres. Une amitié profonde lie Koch, O’Hara, Schuyler, et Ashbery.

 

En termes d’inspiration, les artistes de l’École de New York sont également sous l’influence de la Nouvelle École de Recherches Sociales. Qu’il s’agisse d’improvisations théâtrales, de musique expérimentale, de peinture d’action, ou d’écriture spontanée, les créations de l’École de New York sont caractérisées par le mouvement et la liberté. Les critiques mentionnent leur côté blagueur qu’ils empruntent aux artistes dada, leur spontanéité révélatrice de l’inconscient qu’ils empruntent aux Surréalistes, ainsi que leur caractère ludique qu’ils empruntent au jazz. En poésie, ils favorisent les images, montrant leur héritage expressioniste augmenté de Guillaume Apollinaire, Pierre Reverdy, Henri Michaux et Raymond Roussel. En peinture, ils tirent leur inspiration des peintres expressionistes abstraits tels Jackson Pollock, Willem de Kooning, Franz Kline, et Mark Rothko. Ce mouvement essentiellement cosmopolite marque profondément son époque et résonne de part et d’autre de l’Atlantique. L’attachement de l’École de New York au Surréalisme et ses affinités tant avec les valeurs de la Génération Beat qu’avec celles des existentialistes européens montrent qu’ils forment un pont entre le passé et le futur, l’ancien continent et le nouveau. Ils se nourrissent des riches échanges culturels entre l’Europe et les Etats-Unis cultivés par la Nouvelle École de Recherches Sociales.

 

Que reste-t-il aujourd’hui de L’École de New York? Le devant de la scène publicitaire fut très vite accaparé par Alan Ginsberg, avant-gardiste des années 1950. Moins flamboyante, l’École de New York cultivait la créativité. Aujourd’hui, ses peintres sont exposés de temps en temps à New York, notamment par les galeries Anita Shapolsky, Tibor de Nagy, ou Stable. Ses poètes sont à redécouvrir; pour le public français, le dossier ci-dessous est une découverte totale. Tout comme certaines oeuvres de Walter Benjamin ont attendu leur traduction anglaise pendant plus de soixante-dix ans, les poètes présentés dans ce dossier ont attendu plus de cinquante ans pour une première traduction française. Les femmes, telles Barbara Guest, Alice Notley, ou Anne Waldman, restent entièrement à découvrir. Il est temps de redonner son identité à ce groupe artistique et, avec elle, sa juste place dans l’Histoire.

 

 

 




Il y a quarante ans, Patrick Modiano…, poème d’Anna Frajlich traduit et présenté par Alice-Catherine Carls

 

Il y a soixante-dix ans, les armées nazies commençaient leur dernière retraite avant la capitulation finale. Sous le double assaut des armées soviétiques et alliées, ils se retiraient de la Pologne, pays martyr, et de la Normandie, région dévastée par les combats.

Il y a quarante ans, sortait le film de Louis Malle, Lacombe, Lucien, dont le scénario avait été écrit par le jeune romancier Patrick Modiano. Ce film fut l’un des premiers à traiter du problème de la collaboration de certains Français sous l’Occupation nazie.

Cet automne, Patrick Modiano recevait le Prix Nobel de Littérature. Traduit dans plus de trente langues, lauréat de nombreux prix français tant qu’européens, ses origines séphardique et flamande, son éducation française, en firent un citoyen de l’Europe. Une Europe marquée par la Shoah qui lui fournit plusieurs sujets de roman. Une Europe plurielle. Une Europe non pas en noir et blanc, mais en dégradé de gris pour montrer la dérive identitaire de Lucien, de Dora, de Jean, et de tous ses personnages spoliés de leur vie par la souffrance.

Le parcours d’Anna Frajlich fait écho à celui de Patrick Modiano par ses interrogations identitaires et son devoir de mémoire. Poète polonaise née au Kirghizstan en 1942, elle quitta la Pologne en 1969 à la suite de la campagne "anti-sioniste" (antisémite), et elle vit aujourd’hui à New York. Il y a quarante ans, Anna Frajlich, après avoir vu le film de Louis Malle, rencontrait un jeune qui lui rappela l’attitude de Lucien Lacombe vis-à-vis de la souffrance: rien que la curiosité. Il en résulta le poème ci-dessous qui tisse sous nos pas les échos innombrables de ce qui fut et de ce que nous sommes. Ce poème provient du volume Aby wiatr namalować [Peindre le vent ; 1976] et est reproduit avec la gracieuse permission de l’auteur.

 

 

Rencontre avec Lacombe, Lucien

 

C’était un bon gars
il fut condamné à mort par pendaison
pour une curiosité ordinaire
pour voir comment le chant d’un oiseau
finit en râle
ou
comment le lièvre tressaute drôlement
une balle à blanc dans son ventre
il faut manger
Lacombe Lucien savait tuer
une poule du plat de la main
il voulait rejoindre la Résistance
mais la police allemande l’enrôla avant.
Le fascisme ce n’est que les bottes à tige
et les crânes rasés des femmes menées à la mort
lui portait des habits civils
il aimait une belle Juive
et lui offrait des fleurs

aujourd’hui je pourrais rencontrer
Lucien
aller prendre un verre avec lui
et danser
tu sais? – dirait-il
ma mère a survécu deux fois
à la mort clinique
je lui ai laissé aucun répit – je voulais savoir
ce qu’on pense à un moment pareil. . .
Eh bien buvons
il faut manger
alors les faibles tuent les forts
il faut être plus fort. . .
buvons.

N’ayez pas peur du petit Lucien
peut-être qu’il sera curieux
de voir comment votre chant
finira en râle.

20 novembre 1974
 

 

Traduction : Alice-Catherine Carls




La poésie de Charles Wright

Charles Wright (1935- )

Inlassable arpenteur de l’invisible

Présentation et traductions par Alice-Catherine Carls

 

 

Entre sagesse ancestrale (chinoise, égyptienne, italienne, biblique) et géographie quotidienne (Charlottesville, en Virginie, le Montana, les Appalaches du Tennessee), entre désincarnation vers l’au-delà et attachement poignant au monde végétal, lumineux et sonore d’ici-bas, Charles Wright examine le sens de la vie. Il recherche la permanence à la frontière entre lumière et obscurité, il la perçoit aux points d’éblouissement, là où la lumière sert de pont, de guide, de lien, et de mystère. Cet équilibre entre les extrêmes de la vie et de la pensée est une victoire fragile. Par ses contrepoints de mots (ésotérismes et néologismes), d’humeurs (accès de mélancolie et illuminations), de thèmes (intimes et philosophiques), et de registres (concret minutieusement observé et imaginaires métaphysiques), la poésie de Charles Wright prend possession de nous et ne nous quitte plus. Il n’y a pas de meilleur guide pour apprendre à vivre en poésie. 

Charles Wright a reçu la distinction la plus prestigieuse pour un poète américain : en juillet 2014, la Library of Congress l’a nommé poète-lauréat des Etats Unis. Cette marque d’estime que lui porte la communauté littéraire confirme ce que ses lecteurs savent déjà : cet homme à la modestie proverbiale est l’un des plus grands poètes du vingtième siècle. La revue World Literature Today ayant ouvert un concours du livre le plus important publié depuis 1989, son volume intitulé Appalachia (1998) y figure parmi les vingt finalistes. Ces deux distinctions font suite à de nombreux prix: National Book Award (1983); Ruth Lilly Poetry Prize (1993); Lenore Marshall Poetry Prize (1996); Pulitzer Prize et Los Angeles Times Book Prize (1997); Griffin Poetry Prize (2007); Bollingen Prize (2013). Ayant pris sa retraite de la chaire Souder Family Professor of English à l’Université de Virginie, où il enseignait depuis 1983, Charles Wright reste très actif. Bye-and-Bye (2012) regroupe cinq volumes récents et Caribou (2014) est un volume entièrement nouveau. Ces deux volumes augmentent la tapisserie poétique que tisse inlassablement le poète depuis son premier volume, The Grave of the Right Hand (1970), où les critiques reconnurent l’influence des Cantos d’Ezra Pound.

Les quelques quarante recueils poétiques que Charles Wright a publiés sont marqués par trois “trilogies” qui représentent une sorte de livre des morts appalachien. Les thèmes et paysages de son oeuvre deviennent si familiers qu’ils s’intègrent dans le paysage mental du lecteur, où ils fonctionnent comme une sorte de code. Ce support permet au poète d’apporter des variations innombrables à ce qu’il sait, ce qu’il voit, et ce qu’il sent. On le lit comme on écoute Telemann ou Bach dont les variations renouvellent l’univers sonore et bâtissent une cathédrale résonnante d’harmonies. Chaque variation nous apprend à mieux écouter et entendre, tout comme les poèmes de Charles Wright nous apprennent à mieux voir, sentir, et penser. Leur réalité immanente codifiée en permanence transcendantale libère notre imagination.

Les poèmes ci-dessous sont extraits du volume Buffalo Yoga et publiés en bilingue avec la gracieuse permission de l’auteur et de son éditeur, Jonathan Galassi, directeur des éditions Farrar Straus & Giroux.

 




Michael Harper, paroles en archipel

Paroles en archipel

 

Présentation de la poésie de Michael S. Harper et traductions

par

Alice-Catherine Carls

 

Né en 1938, Michael S. Harper est aujourd'hui le doyen des poètes afro-américains. Professeur de littérature à Brown University de 1970 jusqu’en 2014, Michael S. Harper fut le premier Poète-lauréat de l’État de Rhode Island (1988 - 1993). Il s’est vu décerner de nombreux prix de poésie dont le Prix de Poésie Robert Hayden (1990) et le Prix Clayborne Pell Award pour les Arts (1997). Il a publié seize recueils de poésie, édité plusieurs volumes de poésie afro-américaine et gravé plusieurs CDs accompagnant la lecture de ses oeuvres de commentaires. On doit citer ici son premier recueil, Dear John, Dear Coltrane (1970), puis History is Your Own Heartbeat (1971) qui reçut le Prix de poésie de l’Académie Noire des Arts et Lettres, Images of Kin (1977), qui reçut le Prix Melville-Cane de la Société Américaine de Poésie, puis son dernier recueil Use Trouble (2009).

Son érudition est immense, son humour féroce. Il parle haut et il dérange conventions et préjugés. Son voyage au centre de lui-même est vieux de deux cents ans : esclavagisme, lynchages, pendaisons, pauvreté des ghettos qui flambent, cycles de migrations sud-nord-sud, racisme, et exclusion. La création naît de l'adversité et de la douleur, le vivace triomphe et les dépasse. L'oeuvre de Michael S. Harper est un lieu de rassemblement et de célébration de l' héritage noir. Elle transmet tous les savoirs reçus en fusionnant tradition et innovation, en donnant un récit autobiographique esthétique et organique inséparable de son support culturel et en constant devenir. Le poème est ainsi la sur-végétation du visible.

La musique militante de Michael Harper, rythmée par une souffrance et une ténacité ancestrales, se complète de la parole tellurienne des poètes, peintres, et artistes noirs du monde entier. Ainsi, dans les poèmes ci-dessous, parle-t-il de la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba, du “roi du swing” Benny Goodman, de “Pres,” le saxophoniste  Lester Young, et de “Lady,” la chanteuse Billie Holliday. “Strange fruit” est une chanson qui parle de la pendaison publique des Noirs aux arbres, pratique qui commença après la Guerre Civile et continua jusque dans les années 1960, pendant la lutte des Noirs pour les Droits Civils. Les “Projets” font référence aux HLM, quartiers noirs urbains construits dans les années 1960, et qui devinrent de véritables ghettos. Yaddo est une retraite pour artistes près de Saratoga Springs dans l’État de New York. Le réseau littéraire de Michael Harper a sa matrice dans l' "Athènes du Midwest," l'université d'Iowa où depuis 75 ans des séminaires d'écriture rassemblent poètes et écrivains.

Le poème “Arpèges," provient du volume Healing Song for the Inner Ear (1985), p. 68. Le poème “Dans les Projets” qui fait partie de la série “Débridement” a paru en ligne sur le site The Poetry Foundation le 10 novembre 2013 http://www.poetryfoundation.org/poem/171559  (p. 3). Les autres poèmes sont inédits. 




Poèmes choisis par Alice-Catherine Carls

 

London
(Barbican, 1991)

 

It is midnight
London is lost in sleep
the sky is a sea

of burning lights,
I turn over in the
strange warmed bed

dreaming of Africa
whose midnight sky
is a sea of fireflies

I wake up to noises
of honking horns
humming machines

I recall the sweet music
of Africa’s mornings:
chirps, twitters, warbles

 

Londres
(Au Barbican, 1991)

 

Minuit à Londres
éperdue de sommeil
le ciel est une mer

de lumières en feu,
je tourne dans un lit
étranger, chauffé

en rêvant à l’Afrique
et à son ciel de minuit
qui est une mer de lucioles

je me réveille au son
des klaxons au ronflement
des machines

je pense à la douce musique
des matins africains:
gazouillis, pépiements, trilles

 

Medellin, Oh Medellin!
(Medellin, Colombia, 8th July 2010)

 

Medellin, oh Medellin
The city of beauty and love
Where are gone your offspring
Lads and gals that streets fill
Medellin, Oh Medellin!

In the twisting dark alleys
They lie, reclined on street-walls
Drowned in smoke—marijuana!
Lost in life and death
Medellin, oh Medellin!

Medellin, the city of love
Blooming girls, with grasping colours
Painting the city by day, night
Wake up those sleeping, wake them up
Medellin, oh Medellin!

The air is pungent, strong
Overwhelming smoke of marijuana
Let them breathe it into wakefulness
Be the perfume of life
Medellin, oh Medellin!

Wake them up with a song
A lullaby of wakefulness, a lullaby of conscoiusness
Play your violin, a sweet tune
Wake them up from deep slumber
Medellin, oh Medellin!

You are a brave city, Medellin
You have driven through darkness
Through blood, flesh and sweat
To stand where you are
Medellin, oh Medellin!

 

Medellin, ô Medellin!
(Medellin, Colombie, 8 juillet 2010)

 

Medellin, ô Medellin!
Ville de beauté et d’amour
Où sont allés tes enfants
Filles et garçons plein tes rues
Medellin, ô Medellin!

Dans les sombres allées tordues
Ils gisent, appuyés contre les murets,
Noyés dans la fumée – marijuana!
Perdus dans la vie et dans la mort
Medellin, ô Medellin!

Medellin, ville d’amour
Et de filles en fleurs qui jour et nuit
te peignent de couleurs tactiles
Réveille les dormeurs, réveille-les
Medellin, ô Medellin!

Acre est l’air, forte,
Etourdissante la fumée de marijuana
Fais-la leur respirer jusqu’à la lucidité
Sois le parfum de vie
Medellin, ô Medellin!

Réveille-les avec un chant
Une berceuse de lucidité, de conscience
Joue sur ton violon un doux air
Tire-les de leur profond sommeil
Medellin, ô Medellin!

Courageuse Medellin
Tu as surmonté l’obscurité
le sang la chair et la sueur
Pour te dresser là où tu es
Medellin, ô Medellin!

 

At Amsterdam Airport
(19th, July. 2010)

 

At Amsterdam airport
A red-clad 4-year old baby
Mounts unmoving carousel
Unnoticed perches on the belt.
The carousel sets in motion
Sweeping, swirling her around
Smiling, unafraid
Waving and fingering at staring eyes.
Smiles at her daddy & mummy
On-lookers, amused
Laugh and take interest
She waves and keeps smiling.
Until she becomes innovative
And desires variety
She attempts to walk on the belt
Whoops! Temples are clutched
She trips and falls off the carousel
The mother runs to her rescue
A bruise on the berry-size nose
Chubby cheeks suffused in tears.

 

A l’aéroport d’Amsterdam
(19 juillet 2010)

 

A l’aéroport d’Amsterdam
Une enfant de quatre ans vêtue de rouge
Grimpe sur un carrousel à l’arrêt
Et inaperçue se perche sur la courroie.
Le carrousel se met en marche
L’entraine, la fait tourner
Souriant, sans peur
Elle agite bras et mains vers les spectateurs.
Sourires à papa & maman
Amusés, les badauds
Rient et répondent
Elle fait bonjour et sourit de plus belle.
Puis, lassée, elle innove
Désire du nouveau
Et se met à marcher sur la courroie
Aïe! On se prend les tempes
Elle trébuche et tombe du carrousel
La mère accourt à son secours
Une contusion sur le petit nez rouge
Des joues potelées baignées de larmes.

 

 

Only the Trees Swaying
(Morning in Liege, Belgium, October 2012)

 

I look through the window
I don’t see the sun
Only the dark clouds shifting
Dark tall trees swaying
Noisy birds gliding on boughs

I don’t see the sun’s rays
penetrating thatched roofs
wooden windows, cracked clay-walls
Only the mist cover the glasses
A tear of water-droplets
Gliding down the glass

I listen --- a gentle wind
Leaves flutter, boughs sway
Awakening memories of Africa
The savannah grassland
The wet black woods

I listen, and there is no noise
Of children, of women at the river
Of oxen at the farm
Of women selling at the market
It is a graveyard, no existence

I look yonder to see the smoke
From thatched roofs
Only the tiled concrete roofs
Touch the sky
Quiet, still
It is as though no existence
Of life

Below the river meanders, slowly
Down to the city of Liege
No one is making a swim
No one is fishing, taking bath
It is as though life has never been

I don’t see the cow-dunged fields
The muddy roads, wet paths
I don’t see the village oral poets
Plucking at their obokano
Ekeng’iring’iri
I see the emptiness of space

 

Seuls les arbres oscillent
(un matin à Liège, Belgique, en octobre 2012)

 

Je regarde par la fenêtre
Je ne vois pas le soleil
Seuls des nuages sombres passent
De grands arbres noirs oscillent
Des oiseaux criards glissent sur les branches

Je ne vois pas les rayons du soleil
Transpercer les toits de chaume
Les fenêtres en bois, les murs de glaise fendillée
Seule la buée couvre les vitres
Une larme rassemble les goutelettes d’eau
Et glisse sur le verre

J’écoute – une légère brise
Fait frémir les feuilles, les frondaisons oscillent
Réveillant des souvenirs d’Afrique
Les hautes herbes de la savane
Les forêts noires mouillées

J’écoute et il n’y a pas de bruits
D’enfants ni de femmes à la rivière
De boeufs à la ferme
De femmes aux étals du marché
C’est un cimetière sans vie

Je regarde au loin pour voir la fumée
Des toits de chaume
Seuls des toits en ciment revêtus de tuiles
Touchent le ciel
Silencieux, immobiles
C’est comme s’il n’y avait aucun signe
De vie

En bas le fleuve coule lentement
Jusqu’à la ville de Liège
Personne n’y nage
Nul n’y pêche ou ne s’y baigne
Comme si la vie n’avait jamais été

Je ne vois pas les champs couverts de bouses
Les routes boueuses, les sentiers mouillés
Je ne vois pas les poètes conteurs du village
Pincer les cordes de leur obokano
Ekeng’ring‘iri
Je vois le vide de l’espace




La poésie de Shizue Ogawa

 

Shizue Ogawa

 

Présentation

par

Alice-Catherine Carls

 

 

            Shizue Ogawa est née en 1947 sur l’île d’Hokkaido au Japon. Elle est spécialiste du poète romantique anglais John Keats, a enseigné la littérature britannique à l’université du Kansai et la culture internationale à l’université pédagogique d’Osaka. Depuis de longues années, elle est l’invitée de festivals internationaux de poésie en Belgique, France, Canada et Finlande, et elle est une habituée fidèle du festival international Gerard Manley Hopkins en Irlande. Elle a publié dix-sept recueils poétiques. Ses poèmes sont traduits en dix langues étrangères. En 1963, elle reçut le Grand Prix de l’Exposition Nationale Sakura pour ses œuvres d’art au crayon pastel et, en 2011, le Prix International de Poésie Antonio Viccaro au Festival des Trois Rivières au Québec.

 

            Shizue Ogawa écoute la relation de l’eau, du vent et du feu à la terre, ses animaux, insectes, plantes et êtres humains. Cette relation apporte sérénité, respect et douceur, un sens de la juste place de chacun ; cet équilibre tire son pouvoir de la métaphysique Tendai, Zen, et Shinto grâce à une écriture en contrepoint. La tristesse féconde alterne avec la plénitude exultante, un simple objet avec son reflet cosmique:

 

Le bol sereinement

tourné vers le ciel

humblement  reçoit les étoiles

les présente

sa courbe est la même que le ciel

 

Lorsque les insectes s’enfoncent dans la terre pour hiberner, leurs sensations conduisent le lecteur au sein de la mémoire de la nature. Les épines des roses viennent-elles d’un excès de joie ? Pourquoi les fraises sont-elles rouges si leurs graines sont noires ? Ainsi Shizue Ogawa ouvre-t-elle au lecteur un vaste espace-temps, celui de l’animisme et du vitalisme cosmique. Un espace de douceur caractérise son oeuvre poétique : 

 

Les voix du poète sont celles du vent

qui effleure l’eau.

 

Cet univers bucolique emprunte son inspiration aux Géorgiques de Virgile, inspiration visible dans la suite des sept volumes cités ci-dessous, auxquels Shizue Ogawa a l’intention d’ajouter quatre autres. Tous ensemble formeront un chant ininterrompu de la nature. Leurs titres bougent au rythme des océans comme une âme qui joue. Un élément de la tradition virgilienne en évidence dans sa poésie est l’exquise précision et les détails de ses descriptions dont plusieurs doivent leur acuité à l’observation scientifique qu’en fait la poète.

 

            Dans cet univers la paix ne règne toutefois pas toujours et la violence sensorielle ou physique transforme le réel en une vision surréaliste angoissée. La ville fait de l’être humain un moule en fer, les yeux de la solitude sont injectés de sang. / Ils ne cillent pas, / ils regardent fixement / d’un regard saoûl. La poète devient un triste ballon publicitaire / un ballon perdu, un oeil jaune qui regarde dans le passé. Un violon crache son poison,  un serpent habite le corps en brillant à travers ma peau comme une bougie, puis apparaissent d’autres serpents qui glissent jusqu’au bout de mes doigts. Le temps montre sa traîtrise :

 

Le temps est liquide.

Il épouse ma forme et m’enserre.

Quand je tente de le repousser,

il m’aborde avec une amicale méchanceté.

 

Inscrite dans le quotidien, la mort se manifeste par la phénoménologie de la crémation, par le souvenir du grand-père brûlant tous les kimonos ayant appartenu à son épouse morte ou tout simplement par une mélancolie sans objet précis. Compagnon de la mort, le feu est à la fois purificateur et destructeur.

 

            Écrivant la plupart du temps à la première personne, Shizue Ogawa assume plusieurs rôles : fille, poète, épouse, amie, facteur, rose, sœur, inspecteur, insecte : multiples métamorphoses d’une poète qui a vécu de nombreux voyages à l’intérieur comme à l’extérieur de son âme qui joue. Ce jeu ne lui fait pas oublier un fort sens d’équilibre qui fait d’elle un miroir du monde, une matrice de vecteurs opposés dont le vecteur culturel orient-occident qu’elle parcourt comme un ruban de Möbius, tissant les saisons de sa vie l’une dans l’autre et unissant les variations multiples de ses expériences poétiques dans une récolte incessante de beauté. Sa poésie pourrait se comparer à un beau drap, solide, uni, avec de délicats motifs ton sur ton.

 

            La dimension ludique de sa démarche poétique est importante. Shizue Ogawa en donne tout le crédit à son professeur, Josaburo Ogino, qui l’encouragea à développer quatre méthodes. En premier, l’esprit joueur, les subtiles taquineries des amies, l’amitié entre insectes et arbres, un pic-vert qui se dépêche de faire ses devoirs le soir. Triste, un arbre en hiver cache des photographies dans son tronc ou bien un inspecteur envoyé par la ville / vérifie le croassement des grenouilles. . . / vérifie le chant des insectes. . . pour déterminer si la récolte de riz sera bonne. En deuxième, le passage du réel à l’imaginaire et au merveilleux : des elfes souterrains infusent de couleur les racines d’un arc-en-ciel dont la poète peint le ciel, un orchestre de poissons joue, danse et chante dans une rivière illuminée par la lune, un escalier devient:

 

un ressort en acier,

une liane se balançant dans le vent.

L’escalier en spirale était suspendu entre ciel et terre.

 

En troisième, la libération de la matière par la création d’un support poétique libre tel la texture changeante et immatérielle de l’air, de l’eau, ou du vent :

 

À côté de la pleine lune d’août

une montagne tremblait comme un reflet sur l’eau.

 

Le support poétique peut également être un morceau de toile étendu sur un buisson entre la poète qui la brode pour en faire cadeau à sa sœur :

 

Les fourmis s’approchent des fils

et se frottent les yeux en cherchant leurs couleurs préférées.

Les abeilles prennent la broderie pour de vraies fraises des bois.

Elles s’arrêtent, secouent la tête, et reprennent leur vol. . .

 

. . . Les fleurs d’abélia

se sont cousues dans les fils à broder.

Regarde.  Il y a des motifs de fleurs au revers de l’étoffe !

 

En quatrième, la mise en scène. Le poème “Son”,  par exemple, montre l’imbrication en abîme de différentes scènes. Le poète contemple un tableau à la tempera représentant des tisserands ; contre un des murs de ce premier grand tableau, est accroché un tableau représentant des musiciens. Les tableaux prennent vie quand les sons deviennent des fils et les couleurs des sons, reliant les deux tableaux. La poète puis le lecteur sont attirés dans ce nouveau tableau. Leur interprétation de ce qu’ils voient complète la mise en scène.

 

            La spontanéité des poèmes de Shizue Ogawa, qui semblent être écrits sous l’emprise du vécu, leur apparence éphémère, et la simplicité de leurs vers, ne doivent pas tromper. Sous cette apparence se cache un formidable atelier poétique qui s’apparente à la tradition japonaise haikai dans laquelle la précision accompagne le minimalisme comme dans l’esthétique des jardins japonais. L’ouverture culturelle de Shizue Ogawa et son érudition rendent sa poésie immédiatement accessible au lecteur occidental qui apprend à voir différemment les violons, Tchaïkovski, les sonnets de Shakespeare, les campanellas, les paysages d’Irlande, de Belgique, et de France, les chaconnes de Bach, les trèfles, et les sarabandes. Toutefois, par l’évocation de plantes et d’arbres, de nourritures et d’habits, d’éléments architecturaux et décoratifs, le lecteur est tout naturellement introduit à la culture japonaise.

 

            Sous le visage du quotidien, Shizue Ogawa regarde l’obscurité tellurienne de l’âme humaine, transformant des événements ordinaires en extraordinaires expériences poétiques. Le poème intitulé “Ma maison” fait ainsi d’une maison un lieu multiple, un refuge, une prison, un lieu où l’absence est ressentie de façon poignante:

 

Ma maison est dans la mer.

Un rocher pointu émerge du fond marin,

et ma maison est assise sur sa pointe. . .

 

Si profonde est la mer qu’aucune vague ne s’élève

et nul vent ne souffle. . .

Puis un jour / ma maison a cédé à l’eau tourbillonnante

et s’est mise à osciller lentement. . .

 

Bientôt ma maison

sur le rocher pointu

va basculer. . .

 

L’eau de la mer, froide et brune, va m’enlacer.

Alors seulement je pourrai calmement appeler les noms de ma famille.

 

La réalité en apparence si présente, est en fait légère comme l’air et glisse imperceptiblement vers le monde des apparences, le monde des ombres et de l’imagination qui sont permanents, mais inaccessibles. La vie est transformée en art, l’art est transformé en vie: cette double opération élimine les frontières du rationnel et permet à Shizue Ogawa de créer des parallèles, des correspondances, qui humanisent l’art et élèvent la vie jusqu’à la permanence.

 

Bibliographie

 

Water – A Soul at Play I (Konan City, Japon: Ishibe-higashi, 1999). 158 pages. Édition bilingue japonais-anglais ; traduction par Donna Tamaki et Shizue Ogawa. ISBN 978-4-944229-76-5. CD sous le même titre avec les poèmes lus par Shizue Ogawa et Donna Tamaki.

 

Flames – A Soul at Play II (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, 2005). 194 pages. Édition bilingue japonais-anglais ; traduction par Donna Tamaki et Shizue Ogawa. ISBN 4-944229-53-4. CD sous le même titre avec les poèmes lus par Shizue Ogawa et Donna Tamaki.

 

Sound – A Soul at Play III (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, 2007). 180 pages. Édition bilingue japonais-anglais ; traduction par Donna Tamaki et Shizue Ogawa. ISBN 978-4-944229-71-0.         

 

Wind – A Soul at Play IV (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, 2009). 198 pages. Édition bilingue japonais-anglais ; traduction par Donna Tamaki et Shizue Ogawa. ISBN 978-4-904625-00-2.         

 

Sea – A Soul at Play V (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, 2011). 180 pages. Édition bilingue japonais-anglais ; traduction par Soraya Umewaka et Shizue Ogawa. ISBN 978-4-904625-01-9.

 

Land – A Soul at Play VI (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, At press). Édition bilingue japonais-anglais ; traduction par Soraya Umewaka et Shizue Ogawa. ISBN 978-4-904625-05-7.

 

Clouds – A Soul at Play VII (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, At press). Édition bilingue japonais-anglais ; traduction par Soraya Umewaka et Shizue Ogawa.

 

En français

 

Une âme qui joue. Choix de poèmes. (Belgique: Éditions À bouche perdue, Collection Pangée, 2010 et 2011).  177 pages. ISBN 978-2-9600953-1-9. Édition bilingue japonais-français ; traduction de l’anglais par Michèle Duclos et Jacqueline Starer.

 

Une âme qui joue. Le cercle. (France: Éditions Caractères, 2012) 111 pages. ISBN 978-4-904625-03-3. Édition bilingue japonais-français ; traduction du japonais par Véronique Brindeau.

 

Une âme qui joue. L’embarras, la tranquillité, l’amour. (Konan City, Japon: Editions Iwanami Publishing Service Center, 2012). 105 pages. ISBN 978-4-904625-03-3. Édition bilingue  japonais-français ; traduction de l’anglais par Michèle Duclos et Jacqueline Starer et du japonais par Véronique Brindeau. Introduction de Michèle Duclos. Dessins de l’auteur.

 

 

 

Shizue Ogawa

 

Presentation

by

Alice-Catherine Carls

 

 

            Shizue Ogawa was born in 1947 on Hokkaido island in Japon. She is a specialist of the Romantic British poet John Keats and taught British literature at the University of Kansai, and international culture at Osaka University of Education. For many years, she has been invited to international poetry festivals in Belgium, France, Canada, and Finland, and she is a regular at the Gerard Manley Hopkins international festival in Ireland. She has published seventeen poetic volumes, and her poetry has been translated in ten foreign languages. In 1963, she received the Grand Prize of the Sakura National Exhibit for her pastel art works, and in 2011, the Prix International de Poésie Antonio Viccaro at the Trois Rivières festival in Québec.

 

            Shizue Ogawa is attuned to the relationship between water, wind, fire, and the earth, its fauna, flora, and human beings. This relationship imbued with serenity, respect, and kindness, gives everybody and everything a sense of place; this balance draws its strength from the metaphysical beliefs of the Tendai, Zen, and Shinto religions, and it stresses counterpoints. Pregnant sadness alternates with jubilant plenitude, a simple object with its cosmic reflection:

 

The bowl quietly

looks up at the heavens.

Humbly it receives the stars

and serves them up. Curved like the sky,

this rice bowl.

 

When insects burrow into the ground to hibernate, their sensations lead the reader into the heart of nature’s memory. Did roses get their thorns from an excess of joy? “Why Are Strawberries Red If Their Seeds Are Black?” Thus Shizue Ogawa opens for the reader the vast space-time of animism and cosmic vitality. Such space is marked by the softness that characterizes her poetic work:

 

The voices of a poet are the voices of the wind

diffusing small ripples in the water.

 

This bucolic universe borrows from Vergil’s Georgics tradition. This tradition is visible in the sequence of the seven volumes of poetry listed below, to which Shizue Ogawa plans to add four more, all forming a seamless song of nature. Their titles move with the oceans in the universe like a soul at play. One element of Vergil’s tradition that is evident in her poetry is the exquisitely detailed precision of her descriptions, many of which owe their sharpness to her scientific observation of the world around her.

 

            Peace does not always prevail in this universe, however, and sensorial or physical violence transforms reality into an anguished, surrealistic vision. The city turns the poet into an iron mold, solitude’s eyes are bloodshot. / They do not blink, / just stare. / Drunken looking.The poet becomes a sad advertising balloon / a balloon torn loose, a yellow eye staring into the past. A violin spits out poison,a serpent inhabits the poet’s body, glowing through my skin like a candle, then more serpents appear and slither to the tips of my fingers. Time shows himself as a deceitful being:

 

Time is liquid.

It takes my form and presses in.

When I try to thrust it away,

it approaches me with friendly malice.

 

Inscribed within everyday matters is death, seen through the phenomenology of cremation, the memory of her grandfather burning all the kimonos belonging to his dead wife, or simply an undefined melancholy. Death’s companion, fire purifies and destroys at the same time.

 

            Writing mostly in the first person, Shizue Ogawa takes on several roles: daughter, poet, wife, friend, mailperson, rose, sister, inspector, insect: such are the multiples metamorphoses of a poet who has traveled widely inside as well as outside of her soul at play. This playfulness does not diminish the strong sense of balance that appoints her into a mirror of the world, the matrix of opposite vectors, including the East-West cultural vector that she travels as a Möbius strip, weaving the seasons of her life together and uniting the multiple variations of her poetic experiences into a ceaseless harvest of beauty. One might compare her poetry to a handsome piece of cloth on which she embroidered delicate motives in matching shades.

 

            The playful dimension of her poetic method is important. Shizue Ogawa credits one of her professors, Josaburo Ogino, who encouraged her to develop four methods. First, a playful mind, the subtle teasing of friends, friendships between insects and trees, a woodpecker is in a hurry at night because he is doing his homework, a sad winter tree is concealing pictures inside, or an inspector sent from the town office / to check how the frogs are croaking today. . . to check how the insects are singing today. . . in order to measure whether the rice harvest will be good. Second, the transition from the world of reality to the world of imagination and marvel: underground elves pour colors into the roots of a rainbow that the poet drags across the sky, a fish orchestra plays a symphony in the river under the silver moon, a staircase becomes

 

. . . a steel spring,

a vine swinging in the wind.

The spiral staircase hung in midair.

 

Third, the freeing of objects from their material support through the creation of a free poetic support such as the immaterial and changing texture of air, water, or wind:

 

Besides the full moon of August

a mountain swayed flimsily like a reflection on the water.

 

The poetic support can also be a piece of cloth stretched on a bush between the poet who embroiders it as a special present for her sister:

 

Ants come near the threads

and rub their eyes as they look for their favorite colors.

Bees mistake the embroidery for real wild strawberries.

They pause, nod their heads and fly away again. . .

 

. . . The abelia flowers

were sewn into the embroidery threads.

Look? There are flower patterns under cloth, too!

 

Fourth, the staging. The poem “Sound,” for example, shows the en abîme composition of different scenes. The poet contemplates a tempera painting representing weavers; against one of the walls of this larger tableau, hangs a painting representing musicians. The paintings come to life as sounds become threads and colors become sounds, linking both tableaux. The poet, then the reader, are drawn in this new tableau. Their interpretation of the tableau completes its staging.

 

            The spontaneity of Shizue Ogawa’s poems which seem to be written under the influence of the moment, their ephemeral appearance, and the simplicity of their verse, should not mislead the reader. This appearance hides a formidable poetic workshop that is related to the Japanese tradition of haikai in which precision accompanies minimalism as in the aesthetic of Japanese gardens. Shizue Ogawa’s cultural openness and erudition render her poetry immediately accessible to the Western reader who learns to see differently elements such as violins, Tchaikovsky, Shakespeare’s sonnets, campanellas, Irish, Belgian, and French landscapes, JS Bach’s chaconnes, four-leaf clovers, and sarabands. Still, through the evocation of plants and trees, food and dress, architectural and decorative elements, the reader is quite naturally introduced to Japanese culture.

 

            Shizue Ogawa peers under the daily world’s appearance, into the tellurian darkness of the human soul, thus transforming ordinary events into extraordinary poetic experiences. Thus the house embodies a refuge, a prison, a lonely place of longing, and the locus of reunification with loved ones:

 

My house is in the sea.

A sharp boulder protrudes from the seabed,

and my house sits on the tip. . .

 

. . . So deep is the sea that no waves rise up,

and no wind blows. . .

 

. . . Then one day

my house yielded to the swirling water

and began to sway slowly. . .

 

Soon my house will tilt over

on the sharp boulder. . .

 

. . . The cold, brown seawater will embrace me.

Only then can I calmly call out the names of my family.

 

Reality, seemingly so present in the poem, is in fact as light as air and shifts imperceptibly towards the world of appearances, of shadows, and of imagination that are permanent, yet inaccessible. Life is transformed into art, art is transformed into life: this double operation erases the borders of rationality and allows Shizue Ogawa to create parallels and correspondences that humanize art and elevate life into permanence.

 

Bibliography

 

Water – A Soul at Play I (Konan City, Japon: Ishibe-higashi, 1999). 158 pages. Bilingual edition Japanese-English, translated by Donna Tamaki and Shizue Ogawa. ISBN 978-4-944229-76-5.

CD available, under the same title. Poems read by Shizue Ogawa and Donna Tamaki.

 

Flames – A Soul at Play II (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, 2005). 194 pages. Bilingual edition Japanese-English, translated by Donna Tamaki and Shizue Ogawa. ISBN 4-944229-53-4. CD available, under the same title. Poems read by Shizue Ogawa and Donna Tamaki.

 

Sound – A Soul at Play III (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, 2007). 180 pages. Bilingual edition Japanese-English, translated by Donna Tamaki and Shizue Ogawa. ISBN 978-4-944229-71-0.       

 

Wind – A Soul at Play IV (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, 2009). 198 pages. Bilingual edition Japanese-English, translated by Donna Tamaki and Shizue Ogawa. ISBN 978-4-904625-00-2.       

 

Sea – A Soul at Play V (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, 2011). 180 pages. Bilingual edition Japanese-English, translated by Soraya Umewaka and Shizue Ogawa. ISBN 978-4-904625-01-9.

 

Land – A Soul at Play VI (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, At press). Bilingual edition Japanese-English, translated by Soraya Umewaka and Shizue Ogawa. ISBN 978-4-904625-05-7.

 

Clouds – A Soul at Play VII (Konan City, Japan: Ishibe-higashi, At press). Bilingual edition Japanese-English, translated by Soraya Umewaka and Shizue Ogawa.

 




La poésie d’Anna Frajlich

Biobibliographie et présentation par Alice-Catherine Carls

 

Anna Frajlich est née en 1942 à Katta Taldyk, en Kirghizie soviétique. Depuis 1970 elle vit à New York. Elle est poète, critique littéraire et conférencière, et elle enseigne les langues et littératures slaves à Columbia University (New York). Elle a publié douze recueils poétiques, dont Aby wiatr namalować [Peindre le vent] (1976), Tylko ziemia [Rien que la terre] (1979), Indian Summer [L’été indien] (1982), Który las [Quelle forêt] (1986), Between Dawn and the Wind [Entre l’aube et le vent] (1991), Ogrodem i ogrodzeniem [Le jardin et la clôture] (1993), Jeszcze w drodze [Toujours en chemin] (1994), W słońcu listopada [Au soleil de novembre] (2000), Znów szuka mnie wiatr [Le vent, à nouveau me cherche] (2001), et Łodzią jest i jest przystanią [Une barque et une station] (2013). Elle a été traduite en anglais, russe, français, roumain, ukrainien,et allemand. Longtemps interdite de publication en Pologne, ses poèmes ont paru dans de nombreuses revues et anthologies internationales. Depuis 2008, elle est Ambassadrice honoraire de la ville de Szczecin. Elle a reçu de nombreuses récompenses et prix littéraires, dont le Prix de la Fondation Kocielski en 1981 et le Prix de la Fondation Turzański en 2003. Elle est Chevalier de l’Ordre du Mérite depuis 2002.

 

La relation d’Anna Frajlich à l’espace, à la géographie, et au voyage, représente un aspect central de son oeuvre. Née au Kirghizistan en 1942 de parents galiciens, elle vécut sa petite enfance dans le dénuement total, ainsi que le rapporte l’historienne russe Olga Medvedova-Nathoo qui a retrouvé les documents soviétiques relatifs à la famille Frajlich. Sa survie tient du miracle. Puis elle grandit à Szczecin, où les autorités polonaises avaient rapatrié en 1945 les Polonais des confins. Après des études de lettres polonaises à Varsovie, elle dut quitter la Pologne lors de la campagne anti-sioniste de 1968-1969 avec son mari et son fils, qui venait de naître. Depuis, sa poésie ne cesse de poursuivre les thèmes du déracinement et du retour. Ces voyages réels et métaphoriques, voyages virtuels et dans le souvenir, ont des dimensions multiples et créent des réseaux autour desquels se tissent sa vie et sa poésie. Le voyage, c’est d’abord et surtout la conscience aiguisée de l’ici et du maintenant, et de son paradoxe de présence / absence. L’importance de l’instant vécu se relativise par l’apport du passé. Ainsi se croisent à  Torbole la lettre de Goethe du 12 septembre 1786, le vers le Virgile décrivant le lac, et le poème écrit par Anna Frajlich le 2 mai 2003. Ainsi, lors de sa visite à la salle des enfants de Yad Vashem, évoque-t-elle le souvenir de ses cousins anéantis dans la Shoah. Les disparus ont une « légéreté du non- être » poignante, ils existent dans une voix, une ombre, un écho ; cette trace en filigrane communique sa discrète présence, sa grave légéreté au moment présent et donne une dimension collective à l’expérience individuelle. Cette démarche permet à Anna Frajlich non seulement de remplir son devoir de mémoire, mais de recréer une communauté décimée par la Shoah. Communauté de lieu, de sang, et de cultures, communauté ouverte à la communion avec toutes les ethnicités, toutes les religions, et toutes les époques. Ainsi Anna Frajlich est-elle avant tout interprète au sens le plus large et le plus métaphysique. Echo d’absence, sa poésie intimiste rend l’éphémère poignant et engage le lecteur à ne négliger aucun mot, rythme, rime, ou ton, de cette poésie si fine et si légère. Ainsi le court épigramme, « Je n’ai pas le temps » nous fait-il réfléchir : « Les ours n’ont /où aller / on leur a pris forêts, taillis, ruches / les vautours tournoient sur les fumiers / les ours rôdent autour d’eux /. . . / occupée de mon fumier / je n’ai pas non plus le temps / de chercher la forêt. »

 

L’enracinement est essentiel, existentiel. Il témoigne de la vie qui reprend ses droits. L’enracinement dans les villes, notamment New York, permet de bâtir une nouvelle identité, mais il n’efface ni la nostalgie des lieux perdus, ni leur souvenir; il devient allégeance multiple. Les villes et les lieux ne sont pas limités à l’architecture des pierres, mais s’étendent à l’architecture humaine: moments partagés, vignettes, scènes quotidiennes entrevues, odeurs, saveurs et couleurs, dressent, entrelacées avec des visions du passé, un tableau vivant, chatoyant, qui permet à Anna Frajlich de se trouver malgré l’exil, de bâtir un ordre de vie nouveau dans lequel se côtoient humour et souffrance, beauté et cruauté, avec un rien de surréalisme. Ainsi New York, ville d’ancrage, ville aimée, mystique, crucifiée comme ses ponts, ville souffrante et convalescente, devient-elle la ville du départ et du retour, « barque et station» qui vogue au gré des sentiments et de la mémoire. Ainsi la Californie disparaît-elle des cartes après la mort d’une personne amie qui y habitait. Les lieux deviennent eux aussi des endroits fabuleux, des réseaux qui relient deux continents et autour desquels se dessinent les deux époques de la vie d’Anna Frajlich. Sur ces réseaux figurent les lieux et non-lieux de l’exil, le paradis perdu, l’Arcadie originelle, et les étapes d’une quête continuelle entre l’ancien et le nouveau.

 

Les poèmes présentés ci-dessous sont traduits avec la gracieuse permission de l’auteur et proviennent de plusieurs recueils : Indian Summer, Który las [Quelle forêt], Ogrodem i ogrodzeniem [Le jardin et la clôture], et surtout Łodzią jest i jest przystanią [Une barque et une station]. Ils représentent trente ans de la période créatrice d’Anna Frajlich, depuis ses débuts aux Etats-Unis, jusqu’à aujourd’hui.

 

En français, un volume est disponible aux Editions Editinter :

 

Le Vent, à nouveau me cherche (2012)

 

Site web d’Anna Frajlich : http://www.annafrajlich.com/

 

Bio-bibliografia i wprowadzenie przez Alice-Catherine Carls

Anna Frajlich urodziła się w 1942 roku w Kattatałdyk w sowieckiej Kirgizji. Od 1970 roku mieszka w Nowym Jorku. Anna Frajlich jest poetką, krytykiem literackim i prelegentką; wykłada też języki i literaturę słowiańską na Uniwersytecie Columbia (Nowy Jork). Opublikowała dwanaście zbiorów wierszy, między innymi Aby wiatr namalować (1976), Tylko ziemia (1979), Indian Summer [Babie lato] (1982), Który las (1986), Between Dawn and the Wind [Pomiędzy świtem a wiatrem] (1991), Ogrodem i ogrodzeniem (1993), Jeszcze w drodze (1994), W słońcu listopada (2000), Znów szuka mnie wiatr (2001), i Łodzią jest i jest przystanią (2013). Jej utwory zostały przetłumaczone na angielski, rosyjski, francuski, rumuński, ukraiński i niemiecki. Jej wiersze, których publikacja przez długi czas była zabroniona w Polsce, ukazały się w licznych czasopismach i międzynarodowych antologiach. Od 2008 roku Anna Frajlich jest honorowym Ambasadorem Szczecina. Otrzymała ona liczne wyróżnienia i nagrody literackie, między innymi Nagrodę Fundacji im. Kościelskich w 1981 roku i Nagrodę Fundacji Turzańskich w 2003. Od 2002 roku jest Kawalerem Orderu Zasługi.

Związek Anny Frajlich z przestrzenią, geografią, i podróżą stanowi centralny aspekt jej twórczości. Jej rodzice pochodzili z Galicji; urodzona w Kirgistanie w 1942 roku, przeżyła wczesne dzieciństwo w całkowitym ubóstwie, jak donosi rosyjska historyczka Olga Medvedeva-Nathoo, która odnalazła sowieckie dokumenty dotyczące rodziny Frajlich. Jej przeżycie graniczyło z cudem. Później Anna Frajlich wychowywała się w Szczecinie, gdzie rząd polski przesiedlił Polaków z kresów w 1945 roku. Po ukończeniu studiów polonistyki w Warszawie, wraz z mężem i nowo narodzonym synem musiała opuścić Polskę podczas kampanii antysemickiej 1968-69 roku. Od tego czasu jej poezja kontynuuje tematykę przesiedlenia i powrotu. Te podróże prawdziwe i metaforyczne, podróże wirtualne i w pamięci, są wielowymiarowe i tworzą sieci, wokół których przeplatają się jej życie i jej poezja.  Podróż to przede wszystkim zaostrzona świadomość tu i teraz, oraz jej paradoksu obecności / nieobecności. Znaczenie momentu przeżytego relatywizuje się przez udział przeszłości. I tak mijają się w Torbole list Goethego z 12-go września 1786 roku, werset Wirgiliusza opisujący jezioro, i wiersz napisany przez Annę Frajlich 2-go maja 2003 roku. I tak, podczas wizyty w sali dziecięcej Yad Vashem, przywołuje ona wspomnienia kuzynów, którzy zginęli w Holokauście. Zaginieni posiadają dotkliwą „lekkość niebytu”; istnieją w głosie, w cieniu, w echu. Ten ślad znaku wodnego komunikuje swą dyskretną obecność, swą ciążącą lekkość w chwili obecnej, i nadaje kolektywny wymiar indywidualnemu doświadczeniu.  Takie podejście pozwala Annie Frajlich nie tylko wypełnić jej obowiązek pamięci, ale też odtworzyć społeczność zdziesiątkowaną przez Holokaust. Społeczność miejsca, krwi, i kultur; społeczność otwartą na wspólnotę ze wszystkimi grupami etnicznymi, wszystkimi religiami, i wszystkimi epokami. I tak Anna Frajlich jest przede wszystkim interpretatorem, w najszerszym i najbardziej metafizycznym sensie tego słowa. Echo nieobecności, jej intymna poezja przemienia to, co efemeryczne w chwytające za serce, i angażuje czytelnika by nie zaniedbał żadnego słowa, rytmu, rymu, czy tonu, tej poezji tak delikatnej i tak lekkiej. W ten sposób krótki epigram „Nie mam czasu” nakłania nas do refleksji: „ Nie mają dokąd/ pójść niedźwiedzie/  zabrakło lasu, boru, barci / sępy nad śmietnikami krążą / do nich skradają się niedźwiedzie / … /i ja zajęta swym śmietnikiem / też nie mam czasu / szukać lasu.”

Zapuszczanie korzeni jest konieczne, egzystencjalne. Jest ono świadkiem życia, które odbiera z powrotem swoje prawa. Zapuszczanie korzeni w miastach, przede wszystkim w Nowym Jorku, pozwala zbudować nową tożsamość, ale nie wymazuje ono ani nostalgii za utraconymi miejscami, ani ich pamięci; staje się ono wieloskładnikową lojalnością. Miasta i miejsca nie są ograniczone do architektury kamieni, lecz rozciągają się do architektury ludzkiej: wspólnych momentów, winietek, migawek scen z życia codziennego, zapachów, smaków i kolorów, przeplatanych z wizjami przeszłości, obraz żywy, połyskujący, pozwalający Annie Frajlich odnaleźć się pomimo wygnania, zbudować porządek nowego życia, w którym mijają się humor i cierpienie, piękno i okrucieństwo, z odrobiną surrealizmu. I tak Nowy Jork, miasto zakotwiczenia, miasto ukochane, mistyczne, ukrzyżowane jak jego mosty, miasto cierpiące i zdrowiejące, staje się miastem odejścia i powrotu, „łodzią i przystanią”, która dryfuje na łasce uczuć i pamięci. I tak Kalifornia znika z map po śmierci przyjaciela, który tam mieszkał.  Także miejsca stają się fantastycznymi lokalizacjami, sieciami, które łączą dwa kontynenty, i wokół których rysują się dwie epoki życia Anny Frajlich. Na tych sieciach figurują miejsca i nie-miejsca wygnania, raj utracony, pierwotna Arkadia, i etapy nieustawicznego poszukiwania między starym a nowym.

Poniżej przedstawione wiersze zostały przetłumaczone za uprzejmą zgodą autorki i pochodzą z kilku zbiorów: Indian Summer, Który las, Ogrodem i ogrodzeniem, i przede wszystkim Łodzią jest i jest przystanią. Reprezentują one trzydzieści lat z okresu twórczości Anny Frajlich, od jej początków w Stanach Zjednoczonych do dnia dzisiejszego.

Zbiór w języku francuskim dostępny jest w Editions Editinter:

Le vent, à nouveau me cherche  [Znów szuka mnie wiatr] (2012)

Strona internetowa Anny Frajlich: http://www.annafrajlich.com/

Przekłan wstępu na język polski Joanna Caytas




La poésie de Joanna Pollakowna.

 

Joanna Pollakówna (1er juin 1939 - 28 juin 2002)

 

Varsovienne de naissance, Joanna Pollakówna grandit entre deux parents poètes et lettrés. Après un doctorat en Histoire de l’art de l’Université de Varsovie en 1970, elle publia huit études sur des peintres polonais de la première moitié du vingtième siècle et de la Renaissance, s’intéressant plus particulièrement à l’oeuvre littéraire d’artistes tels Józef Czapski et Tytus Czyżewski. Elle publia ses premiers poèmes en 1958 dans la revue “Nowa Kultura.” Ses douze recueils de poèmes viennent d’être regroupés dans leur intégralité dans le volume Wiersze zebrane [Poèmes rassemblés] publié sous la direction de l’historien de la littérature Jan Zieliński par l’Institut de Mikołów en 2012.
 

Joanna Pollakówna reçut le Prix de la Fondation Kościelski (1976), le Prix de la Fondation Alfred Jurzykowski (1992), le Prix Sęp Szarzyński (1993), le Prix du Club des Libraires de Varsovie et le Prix Czesław Miłosz (1994), et le Prix de la Fondation de la Culture (2000). Son oeuvre est l’une des grandes voix classiques de la fin du vingtième siècle, accessible pour la première fois au public francophone à l’occasion de la conférence “Analyse, transposition, surprise. Les visages de Joanna Pollakówna” qui se déroulera à Varsovie, à l’Université Stefan Wyszyński, en mai 2014.
 

D’une facture assez libre, les vers de Joanna Pollakówna sont tissés sobrement. Leur forte cohésion rythmique montre des rimes internes autant qu’externes fortifiées par la répétition de syllabes; son verbe s’appuie souvent sur des images et idées en contrepoint et fait alterner la douceur mélodieuse du lyrisme ou de la mélancolie, montrant la concision quasi-chirurgicale du désespoir ou de l’extase, et faisant alterner néologismes et mots rares avec le langage de tous les jours. Sa poésie n’en finit pas d’explorer toutes sortes de coins et recoins de l’âme et de l’univers. Voyageant à cheval sur la terre, lançant des rayons cosmiques, perdue dans l’univers des insectes ou plongée dans les détails d’un tableau de la Renaissance, elle bâtit autour du lecteur une vaste cathédrale d’émotions, et de vécu. Et surtout, elle exhorte le lecteur à repenser des notions existentielles essentielles en les lui rendant accessible par l’innocente simplicité de sa démarche poétique.