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Joël Gayraud et Virginia Tentindo, Les Tentations de la matière, Ocelles

Les Tentations de la matière
sur des sculptures de Virginia Tentindo

Vingt-quatre poèmes, le plus souvent brefs, pour autant de sculptures d’une artiste d’origine argentine, installée de longue date à Paris où elle possède son atelier. Les poèmes n’existeraient pas dans ce cas sans les sculptures, photographiées sur fond noir par Luc Joubert et reproduites dans un beau livre tel que les éditions Pierre Mainard savent les confectionner.

En Virginia Tentindo, née à Buenos-Aires en 1931, Joël Gayraud, traducteur, poète et essayiste voit à juste titre « une créatrice de première grandeur dans la constellation surréaliste des cinquante dernières années ». Pour ceux, si nombreux, qui ne la connaissent pas, nous recommandons de commencer par visionner le film réalisé par Fabrice Maze en 2011 (1). On y découvre une artiste et une œuvre puissante auquel le livre dont il est question ici ajoute les commentaires poétiques d’un maître dont les recueils sont publiés, chez José Corti, Libertalia, l’umbo, etc.

Virginia Tentindo façonne d’abord des petites figures en argile qui seront éventuellement agrandies et/ou non fondues dans le bronze ou sculptées dans le marbre en Toscane (où se trouve son autre atelier). Ses œuvres sont surréalistes sans faire penser pour autant aux artistes de la génération d’avant (comme Bellmer, etc.). Elle crée des chimères, des hommes dans des carapaces de tortues, des corps humains à tête d’animal. On verra dans le recueil une étrange sirène dont la queue est en réalité un énorme phallus. Le sexe et la mort sont partout présents avec de claires réminiscences de la civilisation Mochica (ou Moche) qui fleurit au Pérou entre le second et le septième siècle de notre ère. 

Joël Gayraud, Les Tentations de la matière – poèmes sur des sculptures de Virginia Tentindo, 21,4x27 cm, Nérac, Pierre Mainard, 2021, 62 p., 18 €.

Ainsi les deux figures des pages 26 et 34, toutes les deux au sexe dressé et dont les quatre membres sont réduits à des moignons, l’une à tête de singe, l’autre à tête de mort, sont-elles très directement inspirées d’une sculpture Mochica. V. Tentindo pratique également des emboîtements : le haut d’un crane peut être une assiette (p. 20), une tête de lionne sur un corps de femme peut se détacher pour révéler autre chose (p. 8), etc.

À propos de cette dernière sculpture, baptisée « La Lionne terre-lune » par l’artiste, une femme arc-boutée la poitrine en avant, dont les reins se prolongent en une longue queue qui se termine elle-même par deux courtes pattes et des fesses surmontées d’uns calotte amovible, J. Gayraud commence son poème ainsi :

Elle se dresse de toute la force de son désir
dans la savane des nuits et des jours
des jours enfuis comme le vent
emplis comme le verre à boire
perdus comme le hasard
échevelés comme les saturnales
Elle s’offre aux mille échos de son plaisir
dans la savane des jours et des nuits
des nuits claires comme le jour
[...]

Le poète laissant courir librement son imagination, le résultat peut nous paraître éloigné ou non de notre propre perception de l’œuvre mais ce n’est pas ce qui importe. Le but est bien de « faire poésie » à propos mais à côté de la sculpture, sans chercher à la copier. Néanmoins, dans ce cas, des vers comme « elle se dresse de toute la force de son désir » ou « elle s’offre aux mille échos de son plaisir » traduisent à la perfection l’attitude de la femme-lionne sortie des doigts de V. Tentindo.

La statue « Alice prend son pied » (p. 36) montre effectivement une femme qui prend dans sa main le pied d’une jambe démesurée qui traverse le toit de la maison dans laquelle elle se trouve acagnardée. Ici le poète joue avec toutes les expressions qui tournent autour du pied.

Oui elle jouit elle prend son pied
sans nous casser les pieds
ni faire des pieds et des mains
ni se prendre les pieds
dans le tapis volant
des grandes idées
mais en levant le pied
tout simplement
sans épine à tirer

Ailleurs, à propos, par exemple de la statue intitulée « La fiancée » (p. 48), soit un petite fille la bouche ouverte regardant vers le ciel, avec des seins minuscules mais néanmoins bien formés, assise sur un tabouret recouvert d’un voile d’où sort une tête de diable, le poème ne parle nullement de la sculpture mais se met à l’unisson de l’inspiration surréaliste de l’artiste avec des vers comme ceux-ci :

La fiancée est arrivée en sous-marin décapotable
véhicule idéal pour une créature amphibie
et les grands oiseaux blancs ont déroulé un tapis de guanox

On l’aura compris, ce recueil qui vaut aussi bien par ses illustrations que par les poèmes réserve autant de surprises du côté de celles-ci que de ceux-là.

∗∗∗

Ocelles
avec des dessins de Virginia Tentindo

 

Le propos est ici tout autre que dans le recueil précédent. Ocelles regroupe quarante-huit courts poèmes, le plus souvent de trois vers brefs, sans être pour autant d’authentiques haïkus, à l’instar de celui qui est reproduit sur la couverture :

Lèvres blanches
De la neige
Ne parlez pas

Une poésie minimaliste, donc, et la contribution de Virginia Tentindo est également minimale puisqu’elle se réduit au dessin de la couverture, repris sur la page-titre et dont un détail, le stylo couronné d’une plume (2), apparaît en trois endroits dans le corps de ce livre qu’on considérera peut-être avant tout comme un bel objet, au format inusité, imprimé sur un très beau papier Rives.

Il serait dommage, pourtant, de passer sans s’y arrêter sur les fulgurances de ces petits poèmes, par exemple celui-ci :

Épée de lumière
Dansant sur le fil
De la pensée

Neige, pluie, vent, nuages, grêle, givre, mer, vague, rivage, étang, roche, sable, arbre, olivier, feuilles, lumière, feu, étoiles, lune, éclipses, arc-en-ciel, l’inspiration est naturaliste. Des animaux sont présents, bête, aigles, épervier, lions, troupeaux et les organes du corps humain sont convoqués à plusieurs reprises, les lèvres, on l’a vu, mais aussi la tête, le visage, la joue, les cils, les mains, l’os, le sang ou les yeux, comme ici ceux de rochers troués par l’érosion :

Rochers déchirés
Yeux caves des falaises
Habités par la fièvres

Joël Gayraud, Ocelles – couverture et dessins de Virginia Tentindo, 19x28,5 cm, Toulouse, Collection de l’Umbo, 2014, 20 p. 15 euros (+ 3 euros pour les frais de port). Adresse pour les commandes : jeanpierreparaggio  @yahoo.fr.

Un érotisme discret surgit ça et là. Ainsi dans cette évocation du désir masculin :

Flèche de chair
Aiguisée
De ses désirs

Il y a bien des manières de poétiser. La plus brève, la plus discrète, n’est pas la moins délicieuse.

 

Notes 

(1) https://www.virginiatentindo.fr/films/minimes_innocences/

(2) Plume bien pourvue de son « ocelle » !

Présentation de l’auteur

Joël Gayraud

Étudie les lettres et la philosophie en khâgne au lycée Condorcet, puis par lui-même au gré des rencontres et des voyages. Traducteur du latin (Ovide, L'art d'aimer), et de l'italien (Leopardi, Pensées, Petites œuvres morales, etc. ; Pavese, La Trilogie des machines ; Giorgio Agamben, L'Ouvert, État d'exception). Enseigne également les lettres classiques à Paris.

Bibliographie

Œuvres

  • Prose au lit (poèmes, aphorismes), Paris, La petite chambre rouge, 1985.
  • Si je t’attrape, tu meurs (roman pour la jeunesse), Paris, Syros, 1995.
  • La Peau de l’ombre (aphorismes, réflexions critiques et philosophiques), Paris, José Corti, 2003.
  • Ordonnance (poème), Saint-Clément, Le Cadran ligné, 2009.
  • Clairière du rêve (poème), avec des images de Jean-Pierre Paraggio, Annemasse, L’Umbo, 2010.
  • Passage public (proses), Montréal, L’oie de Cravan, 2012.
  • Ocelles (poèmes), avec des dessins de Virginia Tentindo, Toulouse, L’Umbo, 2014.
  • La Paupière auriculaire (aphorismes, réflexions critiques et philosophiques), Paris, Éditions Corti, 2017.
  • L’Homme sans horizon. Matériaux sur l’utopie, Montreuil, Libertalia, 2019.
  • Les Tentations de la matière, poèmes sur des sculptures de Virginia Tentindo, Nérac, Pierre Mainard éditeur [archive], coll. « Hors Sentiers », 2021.
  • Les Aléas du calendrier, avec des dessins de Guy Girard, Gajan, Venus d'ailleurs éditeurs [archive], 2022.

Traductions

De l’italien

  • Internazionale situazionista, Écrits complets, trad. en collab. avec Luc Mercier, Paris, Contre-Moule, 1988.
  • Giacomo Leopardi, Pensées, Paris, Allia, 1992 ; rééd. 1994, augmentée d’une préface et de commentaires de Cesare Galimberti.
  • Giacomo Leopardi, Petites œuvres morales, Paris, Allia, 1992; rééd. revue et corrigée, ibid., 2007.
  • Cesare Pavese, La Trilogie des machines, Paris, Mille et une nuits, 1993.
  • Giacomo Leopardi, Le Massacre des illusions, Paris, Allia, 1993.
  • Giacomo Leopardi, La Théorie du plaisir, Paris, Allia, 1994.
  • Giacomo Leopardi, Journal du premier amour, Paris, Allia, 1994.
  • Primo Levi, Le Devoir de mémoire, Paris, Mille et une nuits, 1995.
  • Giacomo Leopardi, Éloge des oiseaux, Paris, Mille et une nuits, 1995.
  • Machiavel, Histoire du diable qui prit femme, Paris, Mille et une nuits, 1996.
  • Giacomo Leopardi, Théorie des arts et des lettres (anthologie établie, présentée et annotée par J. Gayraud), Paris, Allia, 1996.
  • Mario Rigoni Stern, Lointains hivers, trad. en collab. avec Marilène Raiola, Paris, Mille et une nuits, 1999.
  • Giacomo Leopardi, Mémoires de ma vie (anthologie établie, présentée et annotée par J. Gayraud), Paris, José Corti, 2000.
  • Giorgio Agamben, L'Ouvert, Paris, Rivages, 2002.
  • Giorgio Agamben, Valeria Piazza, L'Ombre de l'amour, Paris, Rivages, 2003.
  • Giorgio Agamben, État d'exception, Paris, Le Seuil, 2004.
  • Giorgio Agamben, La Puissance de la pensée, trad. en collab. avec Martin Rueff, Paris, Rivages, 2006.
  • Giorgio Agamben, Signatura rerum, Paris, Vrin, 2008.
  • Giorgio Agamben, Le Règne et la gloire, trad. en collab. avec Martin Rueff, Paris, Le Seuil, 2008.
  • Giorgio Agamben, Le Sacrement du langage, Paris, Vrin, 2009.
  • Giorgio Agamben, De la très haute pauvreté, Paris, Rivages, 2011.
  • Giorgio Agamben, Qu'est-ce que le commandement ? Paris, Rivages, 2013.
  • Giorgio Agamben, Pilate et Jésus, Paris, Rivages, 2014.
  • Giorgio Agamben, La Guerre civile, Paris, Points, Le Seuil, 2015.
  • Giorgio Agamben, L’Usage des corps, Paris, Le Seuil, 2015.
  • Giorgio Agamben, L’Aventure, Paris, Rivages, 2016.
  • Rosa Rosà, La Femme d’après-demain (textes réunis, présentés et traduits par J. Gayraud), in revue Mirabilia, n° 10, décembre 2016.
  • Giorgio Agamben, Le Problème du mal, Paris, Bayard, 2017.
  • Giorgio Agamben, Principia hermeneutica et Sur l’écriture des préambules, in revue Critique n° 836-837, janvier-février 2017.
  • Giorgio Agamben, Au-delà du droit et de la personne, préface à La personne et le sacré de Simone Weil, Paris, Rivages, 2017.
  • Giorgio Agamben, Karman, Court traité sur la faute, l’action et le geste, Paris, Le Seuil, 2018.
  • Giorgio Agamben, Création et anarchie, Paris, Rivages, 2019.
  • Giorgio Agamben, Le Royaume et le Jardin, Paris, Rivages, 2020.
  • Emanuele Coccia, Hiérarchie. La société des anges, Paris, Rivages, 2023.

De l’anglais

  • Sylwia Chrostowska, Feux croisés, propos sur l’histoire de la survie, coll. Critique de la Politique, Paris, Klincksieck, 2019.

Du grec ancien

  • Lucien de Samosate, Sectes à vendre, trad. de Belin de Ballu, révisée, corrigée, annotée et postfacée, Paris, Mille et une nuits, 1997.
  • Sappho de Mytilène, Ode I, 2, Saint-Clément, Le Cadran ligné, 2012.

Du latin

  • Ovide, L'Art d’aimer, trad. annotée et postfacée, Paris, Mille et une nuits, 1998.
  • Érasme, Les Travaux d’Hercule, trad. annotée et commentée, Bruxelles, Editions du Hazard, Haute Ecole de Bruxelles, Institut supérieur de traducteurs et interprètes, février 2012.

Poèmes choisis

Autres lectures




Traductions croisées : Sonia Elvireanu et Giuliano Ladolfi

Quelles vagues font pousser en moi des poèmes ?
Sonia Elvireanu

Écrire de la poésie à quatre mains, cela semble difficile, même si cela a été tenté, la poésie étant d’abord une affaire de ressentis, de sentiments. La traduction est autre chose : prenant la suite de l’auteur qui a exprimé sa sensibilité, le traducteur qui cherche certes à se couler dans le moule du poème initial ne peut pourtant faire lui-même œuvre de poète que s’il laisse s’exprimer sa personnalité propre.

Aller-retour remarquable que celui opéré par les auteurs de ces deux recueils, puisqu’ils se font tour à tour traducteur l’un de l’autre. Le Regard… un lever de soleil rédigé en français par S. Elvireanu est traduit en italien par G. Ladolfi ; La Nuit obscure de Marie rédigé en français par G. Ladolfi est traduite en roumain par S. Elvireanu. C’est ici les textes en français que nous examinons, faute des compétences linguistiques nécessaires pour juger de la qualité des traductions en tant que telles.

Déjà l’auteure du Souffle du ciel en 2019, puis du Chant de la mer à l’ombre du héron cendré en 2020, les deux chez L’Harmattan, Sonia Elvireanu n’en est pas à son premier coup d’essai comme poétesse de langue française. Si les poèmes du nouveau recueil sont souvent plus longs que précédemment, on y retrouve la même sensibilité à la nature empreinte d’un certain mysticisme panthéiste : Le Saint-Esprit est sur la montagne (in « La piété de la montagne »).

Sonia Elvireanu, Le Regard… un lever de soleil – Lo Sguardo… un’ alba, traduzione di Giuliano Ladolfi, Bongomanero, Giuliano Ladolfi editore, 2023, 194 p., 15 €.

La nature n’est pas qu’un objet à contempler, elle n’est pas même que vivante, la poétesse communie avec elle en une sorte d’osmose surnaturelle, à la limite douloureuse.

Tout ce qui existe dehors se trouve en moi aussi
le jour et la nuit, la terre et le ciel,
la lune, le soleil, les étoiles, tout
est sable brûlant, brûlure infinie
(« Le sable »)

Il serait bien sûr exagéré de comparer l’expérience relatée ici par S. Elvireanu aux extases douloureuses d’une Thérèse d’Avila, néanmoins les termes qu’elle emploie peuvent faire penser à la « transverbération » (1) décrite par la sainte. S. Elvireanu invoque par ailleurs un miracle de l’amour et de la poésie à propos du verdissement éternel d’une branche de pommier (« Matin vert ») tandis que le Christ est directement présent dans le poème « Un nimbe de lumière sur un mur » : sur le mur blanc […] un homme d’une beauté divine […] rayonnant sur la croix de bois.

Autre mur, celui qui fonctionne comme métaphore tout au long du livre. Métaphore de l’obstacle à la création – Comme un mur qui ne te laisse pas aller plus loin  (« Une tache de couleur ») – ou du mystère à déchiffrer (la pierre de Rosette, l’art paléolithique), jusqu’au mur enfin transparent à l’instar de la poésie qui dévoile le monde.

Un mur transparent te laisse voir
le monde derrière lui qui s’y reflète
(« Regarder par la vitrine ») 

Les lecteurs de S. Elvireanu reconnaîtront sans peine les marqueurs de sa poésie avant tout lyrique inspirée par la nature – les mots oiseau, bleu, soleil, rivage, désert, par exemple, qui reviennent régulièrement –, ce qui n’empêche pas d’autres sources d’inspiration comme, dans le présent recueil, un voyage aux îles grecques :

sur le fil bleu de l’horizon,
l’ange,
la Mer Égée et le ciel (« Le vêtement du jour »).

∗∗∗

Giuliano Ladolfi a lui-même traduit en français sa Notte oscura di Maria publiée en italien en 2021, traduite ensuite en roumain par S. Elvireanu. Même si le titre, La Nuit obscure de Marie, semble faire référence à la Nuit obscure de Saint Jean de la Croix, la ressemblance s’arrête là. Chez Jean de la Croix « obscur » évoque en réalité simplement le secret qui entoure la rencontre surnaturelle, extatique de « l’aimée » (l’âme du croyant) et de « l’Aimé » (le Christ) : « Ô nuit qui a uni l’Aimé avec son aimée ».

La nuit que traverse Marie est bien différente, c’est celle qui a saisi son âme après la mort de Jésus, nuit de déréliction et de révolte contre un Dieu absent :

Mais toi où étais-Tu quand le Juste
était crucifié sur la croix
et criait, criait
qu’il était abandonné ?

Giuliano Ladolfi, La Nuit obscure de Marie – Noaptea întunecată a Marieri, traduction de Sonia Elvireanu, Iasi, Ars Longa, 2023, 132 p.

Le texte ne se limite pas à cette protestation. Marie, dans cette nuit réellement obscure, se souvient des principales étapes de sa vie, telles qu’elles sont relatées dans les Évangiles  : l’Annonciation, le voyage jusqu’à Bethléem, l’adoration des bergers, des rois mages, le jeune Jésus face aux docteurs de la Loi, les Noces de Cana :

Sur la table, ces regards d’enfants
cherchaient du pain
Joseph et moi
nous attendions muets
que le mystère s’accomplisse.

Si Joseph est loin d’être un acteur central des Évangiles, il trouve toute sa place dans ce texte où Marie apparaît d’abord comme une épouse aimante et navrée par l’épreuve imposée à un Joseph obligé d’accepter un enfant qui n’est pas de lui :

Joseph… ce silence dans tes yeux
inquisiteurs sur mon ventre
[...] Je sentais ta souffrance, mon Joseph,
quand tu voyais mon ventre enflé.

Rappelons que les Évangiles synoptiques sont peu diserts sur la naissance de Jésus. Marc et Jean n’en disent mot. Luc raconte en détail l’Annonciation de l’Ange à Marie, ajoutant simplement qu’elle était fiancée à un certain Joseph de la maison de David. À l’inverse, chez Matthieu qui présente longuement la généalogie de Joseph depuis Abraham puis David, l’Ange s’adresse au seul Joseph : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme, car ce qui été engendré en elle vient de l’Esprit Saint ». La suite dit que « Joseph fit comme l’Ange du Seigneur lui avait prescrit », sans mention de ses états d’âme. Tandis que G. Ladolfi fait de Joseph un personnage à part entière de ce drame. Il humanise ainsi davantage Marie, au risque de la théologie, puisqu’il fait d’elle une femme qui semble davantage préoccupée par l’épreuve imposée à son mari (« il ne voulait pas montrer son chagrin / d’avoir perdu pour toujours sa joie / d’être père ») que fière de porter le futur Sauveur de l’humanité.

Et Joseph m’aimait-il ?
Oui, avec un amour qui donne sans demander,
avec un silence qui sait souffrir,
avec un calme qui sait espérer.

Post scriptum

On sait que l’Immaculée Conception de Marie n’est reconnu comme un dogme de l’Église catholique que depuis 1854. La croyance, cependant, était bien plus ancienne puisque remontant au moins au Moyen Âge. Entre la fin du XVe siècle et la Révolution, il a existé ainsi à Rouen un concours de poésie à la louange de Marie Immaculée. Nos lecteurs seront peut-être intéressés de découvrir, à titre de comparaison, comment on pouvait poétiser sur la Vierge Marie à la Renaissance. Ici un extrait du « Chant royal » de Guillaume Tasserie, présenté au concours, où il explique pourquoi il fallait que la mère du Christ naquît sans péché :

Raison pourquoy ? Car la divine essence
Le preveioit pour estre son affine,
Et si elle eust eu de peché violence
Par aulcun temps, elle eust été indigne
[…] Mais Dieu a faict par povoir vertueulx
Qu’el ayt jouy des biens celestueulx,
Dont doibt avoir plaine fruition
Celle qui est mere du Dieu des dieulx
Belle sans sy en sa conception.

 

Note

(1) G. Ladolfi emploie un terme voisin dans La Nuit obscure : « une lumière transhumanait mon être ».

Présentation de l’auteur

Sonia Elvireanu

Sonia Elvireanu. Poète, romancière, critique littéraire, essayiste, traductrice, membre de l’Union des écrivains roumains. Études : Université Babeş-Bolyai de Cluj-Napoca, Faculté de lettres. Doctorat en philologie avec une thèse sur l’exil. Professeur de français associé à l’Université technique de Cluj-Napoca, Roumanie. Membre du Centre de recherche de l’imaginaire « Speculum » et du Centre de recherches philologiques pour le dialogue multiculturel, Université « 1 Decembrie 1918 », Alba Iulia, animatrice culturelle dans l’association franco-roumaine AMI, membre de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF), fondatrice du cénacle littéraire « Jacques Prévert » d’Alba Iulia.

Oeuvre : Le silence d’entre les neiges, Paris, l’Harmattan, 2018; Ion Vinea, Cent et une poésies, Bucureşti, Editura Academiei Române,2018 ; Au fil d’Ariane, Iaşi, Ars Longa,2017; Umbrele curcubeului/ Lesombres de l’arc-en-ciel, Iaşi, Ars Longa, 2016 ;Printre priviri de nuferi/ Àtravers des regards de nénuphars, Bucureşti, eLiteratura, 2015 ; Métamorphose,Iaşi, Ars Longa, 2015 ; Rodica Braga: la représentation de l’intériorité,Bucureşti, eLiteratura, 2015 ;Între Răsărit şi Apus/ Entre le Lever et le Coucher, Iaşi, Ars Longa, 2014 ; Le visage sombre de Ianus, Iaşi, Tipo Moldova,2013; Singurătatea irisului/ La solitude de l’iris, Sibiu, Imago,2013 ; Gabriel Pleşea, Une perspective sur l’exilroumain, Sibiu, Imago, 2012 ; Dincolo de lacrimi/ Au-delà des larmes, Sibiu, Imago,2011 ;Le retour de l’exildans le roman « L’Ignorance » de Milan Kundera (2011), À l’ombre des mots, Sibiu, Imago,2011; Temps pour deux, Alba Iulia, Gens latina,2010 .

Traductions: Marian Drăghici, lumière, doucement, Paris, l’Harmattan, 2018 ; José Maria Paz Gago, Manuel pour séduire les princesses, Scopje, Poetiki, 2010 ; Michel Ducobu, Siège sage. Quatrains pour la méditation/ Loc calm. Catrene pentru meditaţie, Iaşi, Ars Longa, 2015 ; Denis Emorine, De toute éternité/ Dintotdeauna, Iaşi, Ars Longa,2015.

Prix:  Prix de poésie « Aron Cotruş, Les ombres de l’arc-en-ciel(2017); Prix de traduction, Denis Emorine, De toute éternité (2016) ; Prix « Le voyageur », début en roman Métamorphose(2015) ; Prix d’essais : Rodica Braga: la représentation de l’intériorité (2016),Le visage sombre de Janus (2014); Prix de critique littéraire, À l’ombre des mots (2012) ; Premier Prix de traduction au Festival international « L. Blaga », Sebeş, 2008 ; Premier Prix de littérature comparée au concours « La Belgique romane », Bruxelles, 2006 ;  IV-e place au concours de prose « Le Tour du monde en 80 textes », Paris, 2004.

En anthologies: Liens et entrelacs. Poètes du monde, Wroclaw, 2018 ; O limbă, un neam,Târgovişte, 2018 ; Giovanni Dotoli, Encarnación  Medina Arjona, Mario Selvaggio, Entre ciel et terre, L’olivier en vers. Anthologie poétique, Roma, Edizioni Universitarie Romani, 2017; Le printemps des métaphores,Galaţi, Editura InfoRapArt, 2015;Les Anthologies de la revue Seul. Poésie,Târgovişte, Ed. Singur, 2014;Les Anthologies de la revue Seul. Prose,Târgovişte, Ed. Singur, 2014;Laurenţiu Bădicioiu, Romeo et Juliette  àMizil. Anthologie de poésie et d’épigramme, Bucureşti, RBA Media,2012;J’écris. Anthologie de vers, Alba Iulia, Gens latina, 2010.

En volumes collectifs des colloques internationaux (sélection): 

Le retour à Ithaque dans la littérature de l’exil, Annales Universitatis Apulensis , Series Philologica, 18, tom 2, 2017. Vintilă Horia, Un penseur pour le troisième millénaire (coord. Georgeta Orian, Pompiliu Crăciunescu, Eiko, 2017); Incursions dans l’imaginaire. Imaginaire, identité et altérité en littérature, vol. 8, Alba Iulia, Editura Aeternitas, 2017;Incursions dans l’imaginaire. Approches de la perspective de la littérature comparée, vol. 7, Alba Iulia, Editura Aeternitas, 2016; Incursions dans l’imaginaire. Mythe, musique, rituel. Mutations des noyaux narratifs, vol. 6, Alba Iulia, 2015; Norman Manea, Loin et près, Târgu-Mureş, Editura Arhipelag XXI, 2014; Incursions dans l’imaginaire. Imaginaire et illusion. Cahiers de l’Echinox, vol.23, Cluj-Napoca, 2012; Études humanisteset perspectives interculturelles, Târgu Mureş, Editura Universităţii “Petru Maior”, 2011; Communiquer, Échanger, Collaborer en français dans l’espace méditerranien et balkanique,Athènes, Université d’Athènes, 2011 ; Incursions dans l’imaginaire. Du corps imaginé au corps représenté, vol. IV, Alba Iulia, Editura Aeternitas, 2010;  Faire vivre les identités francophones. Actes du 12-e congrès mondial de la FIPF, Québec 2008, Krakow, Les presses de Zakład Graficzny Colonel s.c., 2009 ;  Proceeding The First International Conference on Linguistic and Intercultural Education, Alba Iulia, Editura Aeternitas, 2008; Le français, une langue qui fait la différence. Actes du premier Congrès européen de la FIPF, Vienne2006, Krakow, Les presses de Zakład Graficzny Colonel s.c., 2008; Évaluation alternative, Cluj-Napoca, Editura Dacia, 2005; Les méthodes de la pensée critique, Cluj-Napoca, Editura Dacia, 2004. 

Essais, chroniques, commmentaires critiques, poèmes, prose dans les revues: Mondes francophones, Francopolis, Traversées, Concerto pour marées et silence, Tric-trac, Rupkatha, Dialogues et cultures, Théorie et Pratique, Nouvelle Approche du français, Viaţa românească, România literară, Luceafărul de dimineaţă, Convorbiri literare, Vatra, Familia, Euphorion, Tribuna, Apostrof, Steaua, Verso, Caietele Echinox, Nord literar, Argeş, Annales Universitatis Apulensis, Boema, Baaadul literar, Gând românesc, Pietrele Doamnei, Glasul, Claviaturi, Mistral, Messager.

En dictionnaires :

Ioan Holban(coord.), Dictionnaire des écrivains roumains contemporains, Iaşi, Tipo Moldova, 2016, vol. IV.

Irina Petraş, Écrivains de la Transylvanie. Dictionnaire critique illustré, Cluj-Napoca, Editura Editura Eikon, Cluj-Napoca, 2014.

Dictionnairedes écrivains de la filiale Alba-Hunedoara de l’Union des Écrivains de Roumanie, Sebeş, Editura Emma Books, 2016.

En Histoires de la littérature roumaine:

Une autre sorte d’histoire de la littérature roumaine contemporaine, Ed. Singur, Târgovişte, 2013.

Préfaces

Denis Emorine, La mort en berne, Genève, Editions  5 sens, 2017.

Denis Emorine, De toute éternité/ Dintotdeauna, Iaşi, Ars Longa, 2015.

Gheorghe Jurcă, La captivité de la solitude, Cluj-Napoca, Grinta, 2014.

Postfaces

Marian Drăghici, lumière, doucement. Traduction en français et préface de Sonia Elvireanu, Paris, Harmattan, 2018.

Rodica Chira, Ma maison en verre, Iaşi Ars Longa, 2018.

Aurel Pantea, Blanca. Traduction en français de Marcela Hădărig, Grinta, 2017.

Anca Sas, Momentom,Alba Iulia, Altip, 2017.

Avant-propos: Michel Ducobu, Siège sage. Quatrains pour la méditation/ Loc calm. Catrene pentru meditaţie, Iaşi, Ars Longa, 2015

 

 

Autres lectures

Sonia Elvireanu, Le regard… un lever de soleil

Forte de trois recueils : Le souffle du ciel, Le chant de la mer à l'ombre du héron cendré et Ensoleillements au cœur du silence, publiés entre 2020 et 2022, l’œuvre poétique récente [...]

Présentation de l’auteur

Giuliano Ladolfi

Giuliano Ladolfi (1949), est un poète italien diplômé en littérature à l'Université catholique de Milan avec une thèse sur la pédagogie. Il a travaillé comme chef d'établissement. Il a publié quelques recueils de poésie et des essais et a fondé la revue de poésie, de critique et de littérature "Atelier", où il considère de manière particulière l'esthétique et la poésie du XXe siècle. Il est également éditeur, organisateur et orateur de nombreuses conférences littéraires.

Poèmes choisis

Autres lectures

Giuliano Ladolfi, Au milieu du gué

Comme je ne pratique pas la langue de Dante, j’ai vérifié dans un dictionnaire le sens attribué en français au mot italien : attestato, qui donne son nom au recueil de Giuliano Ladolfi. [...]




Claude Minière : L’Année 2.0

Après les comptes / la poésie pour l’histoire héroïque / conquêtes, traversées /
et les histoires domestiques : / beaucoup de chattes, offrandes

Claude Minière, né en 1938, fut d’abord instituteur avant d’exercer diverses missions pour le Ministère de la Culture. Il est l’auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages, roman, essais et surtout poésie.

Son dernier recueil est divisé en quatre parties qu’il présente ainsi : « Durant l’année 2.0 [celle du confinement], j’ai étudié la Mésopotamie, j’ai médité sur le combat du « zéro » et j’ai passé des heures dans le jardin public où les enfants s’étonnent des statues. Puis je suis revenu à la civilisation. J’ai pensé à Orphée ».

Ses brefs poèmes se présentent comme de courtes méditations. Le poète n’est pas né d’hier, il n’écrit pas pour rien dire (Rimbaud), ses aphorismes traduisent autant l’expérience accumulée dans toute une vie (Elles sont sourdes les statues / pas plus que les hommes au front dur) qu’un étonnement toujours là face aux bizarreries de l’existence (le vieil homme sourit sur son banc / il parle avec Jésus). Mais la poésie est d’abord travail et jouissance de la langue et, de ce point de vue, le lecteur est comblé, depuis des envolées à la Perse :

Ce sont des enroulement presque inaudibles / que nous déchiffrons alors que les roues / des chars faisaient grand bruit de chair / et de sang.

Claude Minière, L’Année 2.0 , Paris, Tinbad « Poésie », 2022, 98 p., 15 €.

Jusqu’aux notations les plus énigmatiques :

Les hommes ne s’effraient plus aux solstices, / et pourtant elle tourne / on dit que dans la maladie on ne sent plus rien

Ou la citation humoristique :

Demain à l’aube je partirai / dans une barque comme tu sais

Ses vers sont irréguliers (même si les précédents sont deux ennéasyllabes) mais le poète cultive volontiers la rime :

Le sol a perdu son œil / mauvais si bien / que l’espace est / plus ouvert dés le seuil

Ou plus nettement encore :

le refoulé / le sol à grandes foulées / mais pour l’instant nous sommes ici / en Mésopotamie / à mi-chemin / sans fin / autre version de la résurrection / de l’érection

Il peut tout aussi bien multiplier les allitérations :

Et maintenant j’ouvre la fenêtre, j’aère, / la planète erre c’est l’heure de passer / aux exercices de respiration

Pour tous ceux qui na connaissent pas encore Claude Minière, L’Année 2.0 (dont on appréciera par ailleurs la maquette et la typographies soignées) ne peut que donner envie d’en découvrir davantage, les livres ou, immédiatement accessibles, les petits textes disponibles sur Sitaudis.fr.

Présentation de l’auteur

Claude Minière

Essayiste et poète, Claude Minière est né à Paris le 25 octobre 1938. Enseignant pendant quinze ans dans les École des Beaux-Arts, il est l’auteur d’un « panorama » de la création artistique en France entre 1965 et 1995 (L’art en France 1965-1995, Nouvelles éditions françaises, Paris, 1995). 

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

Autres lectures

Claude Minière, Un coup de dés

Ce bref essai consacré à Blaise Pascal est l’occasion, pour l’auteur, de mesurer son rapport à l’écriture — une manière de mourir dans l’Art. Meurt-on par hasard ? Minière joue un coup de dés [...]

Claude Minière : L’Année 2.0

Après les comptes / la poésie pour l’histoire héroïque / conquêtes, traversées / et les histoires domestiques : / beaucoup de chattes, offrandes Claude Minière, né en 1938, fut d’abord instituteur avant d’exercer diverses [...]




Jean-Denis Bonan, Et que chaque lame me soit un cri

La mer, l’amour dans la poésie de Jean-Denis Bonan

Il y a tant de façon de poétiser : lyrique, ironique, sauvage, vitupérante, etc. Ouvrir le recueil d’un auteur inconnu, c’est déjà le plaisir de découvrir un ton, une personnalité pour ne pas dire un style que l’on ignorait jusque-là. On aimera ou pas mais ce plaisir-là, au moins, aura existé, fût-ce brièvement.

A quoi s’ajoutera, ou pas – car tous les éditeurs ne font pas les mêmes efforts –, le plaisir d’avoir en mains un agréable objet, de tourner les pages d’un beau papier à la typographie élégante et aérée. Jean-Denis Bonan nous offre tous ces plaisirs avec, de surcroît, ce qui est quand même l’essentiel, celui d’être transporté dans un univers de phrases ciselées, souvent incantatoires (« L’oracle avait beuglé son troupeau de mots hébétés »), des figures sans cesse renouvelées et sur lesquelles on souhaite chaque fois s’arrêter.

L’auteur qui a déjà une œuvre derrière lui en tant qu’auteur, en particulier, de documentaires pour la télévision, n’a commencé à montrer sa poésie qu’en 2021 avec un premier recueil, Meutes (éd. Abstractions, 2021). Et que chaque lame soit mon cri est son deuxième recueil publié à l’initiative de l’Institut du Tout-Monde, avec en couverture un tableau de Sylvie Séma-Glissant. 

Comme le remarque Loïc Céry dans sa préface, il y a du Perse chez Bonan ; il lui a d’ailleurs consacré un documentaire dans la série « Un siècle d’écrivains » sur France 3 en 1995. On note encore une certaine parenté avec le poète Edouard Glissant (fondateur de l’Institut du Tout-Monde) auquel il a consacré également un film, Carthage Edouard Glissant (2006). Carthage, c’est la Tunisie d’où Bonan est originaire comme cela transparaît dans certains poèmes.

Jean-Denis Bonan, Et que chaque lame me soit un cri, Paris, Editions de l’Institut du Tout-Monde, 2022, 84 p., 18,50 €.

Bien que le recueil soit divisé en deux parties, « Eaux-fortes » et « Tant aimées », l’eau sera partout présente : « Je dédie ce recueil à la joie des océans, aux larmes des océans, au chant des houles », la mer est son « temple des noces et des adorations ». « Tu étais mon amour, je t’appelais ‘rivage’. Et je fus le mensonge de la mer ». Le charme de la poésie de Bonan tient à son art de jouer avec les tropes : les océans sont joyeux, la houle chante, l’aimée est rivage, lui-même n’est qu’un mensonge.

« Vos baisers sont des navires chargés de révoltes et d’or ». Ici l’image est celle des vaisseaux des conquistadors et de la traite des esclaves. Plus loin, ces mêmes baisers seront « ces grenades qui trouent la nuit » : métaphore doublée de syllepse s’il faut prendre grenade au double sens du fruit et de l’instrument de combat. Ne point trop en dire : « J’ai ligoté le dernier désir au mat du navire » ; c’est à nous de décider si nous voulons voir Ulysse comme la figure de ce désir.

Les images chez Bonan paraissent naturelles tout en échappant au cliché : « la sirène oppressée des brouillards », « les yeux vitre d’eau », « dans le brouillon du paysage, grogne le manuscrit raturé de la mer », etc. De temps en temps un terme un peu plus cru, ajoute une note de trivialité : « la mer ruant dans ses entraves crache de ses naseaux la morve de sa colère » ; « crasse de mer roulant ses déchets ».

« Eau toi, rêveuse qui sur mon front passe tes mains comme sur le visage d’un blessé, dis au troupeau dont tu es la gardienne que je suis un roi sous la tente dont tu as tissé la laine ». Réminiscence de Perse ou, plus proche, de Laurent Gaudé cette phrase qui conclut le poème « A celle qui m’aimait » ? Bonan a plus d’une corde à son arc. Il nous offre même un poème à la mère en alexandrins non rimé mais savamment construit, réminiscence, cette fois des lointains troubadours : quatre quintils, le premier constitué de cinq vers ABCDA, les trois suivants commençant et se terminant successivement par les vers B, C et D du premier.

Présentation de l’auteur

Jean-Denis Bonan

Jean-Denis Bonan est un réalisateur, plasticien et écrivain français né à Tunis en 1942.

Dès son premier film, Jean-Denis Bonan, à l'époque monteur aux Actualités françaises est violemment confronté à la Commission de contrôle des films (censure) : celle-ci interdit totalement le court métrage Tristesse des anthropophages (1966), puis limite les possibilités d'exploitation d'un autre film réalisé l'année suivante : Mathieu-fou.

Malgré ces difficultés, Jean-Denis Bonan entreprend, au printemps 1968, le tournage d'un long métrage autoproduit : La Femme-bourreau. Rapidement, le cinéaste parle de son film à Anatole Dauman. Séduit par les premiers résultats, le producteur finance l’ensemble des tirages et le premier montage. En 1969, Dauman présente une première continuité du film à plusieurs distributeurs. À sa grande surprise, aucun d’eux n’acceptera de le sortir, réduisant à néant la carrière du film.

Jean-Denis Bonan a enseigné à l’IDHEC et à l'Université de la Sorbonne Nouvelle. Membre, dès 1967, du groupe l'Atelier de Recherche Cinématographique (ARC, 1967-69), il participe à la fondation de Cinélutte en 1973, où le rejoindront Mireille Abramovici, Richard Copans, Guy-Patrick Sainderichin, François Dupeyron.

Il a créé le magazine Métropolis avec Pierre-André Boutang pour Arte. Après le décès de son créateur Gérard Follin, il a dirigé avec Daniel Edinger le magazine Aléas de France 3. Il a également initié plusieurs collections de films pour France 2 et France 3, notamment : Histoires d’Amour, Les Moments de la Folie et Traces. En 2012, il a publié un album dessiné, Vie et mort de Ballao. Il a réalisé, co-réalisé ou participé à près d'une cinquantaine de documentaire.

En mars 2015, plus de quarante-cinq ans après leur réalisation, La Femme-bourreau et Tristesse des anthropophages sortent en salles.

La Cinémathèque tunisienne lui a rendu homme en février 2020 à travers une rétrospective de ses films intitulée “Bonan Béni, Bonan Maudit”.

(Source : Wikipédia)

© Crédits photos Hevlss

Bibliographie - filmographie 

Auteur

  • 2012 : Vie et mort de Ballao, Ed. du Soupçon, roman graphique
  • 2022 : Meutes, Ed. Abstractions, Images et poèmes
  • 2022 : De Bris et de Fourrure, Ed. l'Écarlate, avec Jean Pierre Bastid
  • 2022 : Et que chaque lame me soit cri, Ed. de l'Institut du Tout-Monde, poèmes (préface de Loïc Cery)

Filmographie (partielle)

Réalisateur

  • 1962 : La Vie brève de Monsieur Meucieu, court métrage en 8mm (12 min)
  • 1966 : Tristesse des anthropophages, court métrage (23 min)
  • 1967 : Mathieu-fou, court métrage (16 min)
  • 1967 : Une saison chez les hommes, court métrage (14 min)
  • 1968 : La Femme-bourreau, long métrage (69 min)
  • 1968 : Le Joli mois de mai, moyen métrage (33 min)
  • 1968 : Cinétract, courts métrages
  • 1970 : Kimbe red pa molli !, documentaire (16 min)
  • 1973 : Jusqu'au bout !, documentaire (40 min), Cinélutte
  • 1973-1977 : Plusieurs réalisations au sein du collectif Cinélutte dont " Bonne chance la France ", 3 documentaires (100 min), Cannes 1976 (Perspectives du cinéma français)
  • 1977 : Madame la France, court métrage (17 min)
  • 1979 : L'Ecole Centrale, court métrage (26 min), Antenne 2
  • 1979 : L'Epopée postale, documentaire (2 X 26 min), Antenne 2
  • 1980 : Contrepoings, documentaire (13 min), FR3
  • 1980 : La Folie ordinaire, La Paranoïa, fiction TV + sortie salle (28 min)
  • 1980 : La Folie ordinaire, L'Obsession, fiction TV + sortie salle (26 min)
  • 1981 : La Folie ordinaire, La Perversion, fiction TV + sortie salle (28 min)
  • 1981 : La Folie ordinaire, L'Hystérie, fiction TV + sortie salle (26 min)
  • 1981 : La Fête foraine (court métrage, coréalisateur : Philippe Haudiquet)
  • 1982 : Le Séducteur, court métrage (30 min), Antenne 2
  • 1983 : Pierrot-le-Loup, téléfilm (60 min), FR3...
  • 1983 : Moravia, documentaire (15 min), TF1
  • 1983 : 9 jours ailleurs, documentaire (52 min), Antenne 2
  • 1983 : La Villa Kerylos, documentaire (15 min), TF1
  • 1983 : Deux ou trois scènes inspirées de Balthus, documentaire (15 min), TF1
  • 1983 : Autour de Manet, documentaire (13 min), TF1
  • 1984 : Les Visages d'Alice, documentaire (8 min), TF1
  • 1984 : A Propos de Bonnard, documentaire (30 min), TF1
  • 1984 : Le Temps des Usines, documentaire (2 X 52 min), Antenne 2
  • 1986 : Au Soleil de Minuit, documentaire (52 min), Antenne 2
  • 1987 : Il était une fois les colonies, documentaire (2 X 52 min), TF1 + La Sept
  • 1988 : Picasso, Genèse des Demoiselles, documentaire (30 min), FR3, Arte et divers pays
  • 1988 : Carl Gustav Jung, documentaire (52 min), FR3
  • 1988 : Le Voyage de Laure, documentaire (52 min), FR3
  • 1988 : Tinguely, documentaire (30 min), FR3 et divers pays
  • 1988 : Vyssotski, documentaire (52 min), FR3 et divers pays
  • 1989 : Zapping sur l'Europe, documentaire (55 min), Arte
  • 1990 : La Revanche de Dieu, documentaire (2 X 52 min), Antenne 2
  • 1990 : Le Rire, (soirée thématique 2h10), Arte
  • 1990 : De Gaulle : une certaine idée de la France , doc. (2 X 52 min), FR3
  • 1991 : L'amour : la Guerre !, (soirée thématique 1h40), Arte
  • 1992 : Il était une fois le travail, (soirée thématique 1h44), Arte
  • 1992 : Les derniers jours de Baudelaire, documentaire (18 min), France 3
  • 1992 : Clandestins en Chine, (soirée thématique 2h10), Arte
  • 1993 : Paysans, Le Mal de terre, (soirée thématique 1h50), Arte
  • 1993 : Malraux, documentaire (2 X 52 min), France 3
  • 1994 : Marcel Carné, (soirée thématique 1h50), Arte et divers pays
  • 1994 : J'écris ton nom, documentaire (15 min), France 3
  • 1995 : Saint-John Perse, documentaire (50 min), France 3 + RFO
  • 1995 : Le Dessin de Robert Chapsal, documentaire (26 min), France 3
  • 1995 : Herbert Zangs, documentaire (12 min), Arte
  • 1995 : Les Chemins du Limousin, documentaire (3 x 26 min), France 3
  • 1996 : Creux de Mémoire, documentaire (30 min), France 3
  • 1996 : Aïgui, poète Tchouvache , documentaire (13 min), Arte
  • 1996 : Tahiti, Voyage aux îles, documentaire (52 min), RFO
  • 1996 : Abécédaire de la langue Tahitienne, documentaire (18 min), RFO
  • 1997 : Méditerranée, miroir du monde , documentaire (80 min), Arte + divers pays
  • 1997 : Paul Gauguin, un goût barbare , documentaire (52 min), FR3, RFO et divers pays
  • 1997 : Ravaillac, l'Assassin effacé , documentaire (60 min), France 3
  • 1998 : Traces sur un mur, documentaire (15 min)
  • 1999 : Sur les traces du lion, documentaire (52 min), France 3
  • 1999 : Wanted Sherlock Holmes ! , (soirée thématique 75 min), Arte
  • 1999 : Dernière Veuve à Angoulême , documentaire (15 min), France 3...
  • 2000 : Cent ans d'Amour, documentaire (26 min), France 3
  • 2000 : Marche et Rêve ! , documentaire (75 min), Arte...
  • 2001 : Henri Rousseau : Le secret du douanier ! , documentaire (30 min), France 5...
  • 2002 : Portrait du photographe - Le Bourreau d'Alger , doc. (15 min), France 3
  • 2003 : Bécassine, l'Enfant blessée , documentaire (26 min), France 3...
  • 2006 : Un chant nègre, Léopold Sedar Senghor, documentaire (60 min), TV5Monde
  • 2006 : Carthage Edouard Glissant, documentaire (54 min)
  • 2012 : Jacques Rancourt, Corps et âme, documentaire (26 min)
  • 2017 : La Soif et le Parfum, fiction (65 min)
  • 2018 : Bleu Pâlebourg, fiction (55 min)
  • 2022 : Les Tueurs d'Ordinaire, fiction (118 min)
  • 2022 : 13 Rue Paul Cahier, fiction, en cours
  • 2022 : Maudite soit la guerre ! , en cours de réalisation

Vidéoperformances

(avec la participation de Hbyba Harrabi)

  • 2007 : Une fabrique (7 min 20 s)
  • 2007 : Cris (4 min)
  • 2009 : Nomade (12 min 10 s)
  • 2009 : En Vue de l'archipel (6 min)
  • 2009 : Vitrine (8 min 30 s)
  • 2010 : Intervention (5 min 20 s)
  • 2010 : La fabrique des mirages (5 min 20 s)

Vidéos

  • 2001 : L'Homme de la chambre (21 min)
  • 2003 : Attendre sur le quai (8 min 50 s)
  • 2007 : Elle sous la pluie d'automne (8 min 30 s)
  • 2010 : A l'Adresse du silence (4 min 30 s)
  • 2011 : Encore une fois la neige (6 min)
  • 2011 : Feu ! (7 min)
  • 2012 : Une Journée (sur un poème de Jacques Rancourt) (2 min 30 s)
  • 2013 : La Couvrir de couleurs (12 min 30 s)
  • 2013 : Opération Araignée (9 min)

Scénariste

  • 1962 : La Vie brève de Monsieur Meucieu
  • 1966 : Tristesse des anthropophages
  • 1967 : Mathieu-fou
  • 1967 : Une saison chez les hommes
  • 1968 : La Femme-bourreau
  • 1977 : Madame la France
  • 1981 : L'Étouffe grand-mère de Jean-Pierre Bastid
  • 1992 : Clandestins en Chine, documentaire
  • 2006 : Un chant nègre, Léopold Sedar Senghor, documentaire
  • 2022 : Les tueurs d'ordinaire, fiction
  • 2022 : Maudite soit la guerre ! , en cours de réalisation
  • 2022 : 13 rue Paul Cahier, en cours de réalisation

Monteur

  • 1962 : La Vie brève de Monsieur Meucieu
  • 1966 : Tristesse des anthropophages
  • 1968 : Le Viol du vampire, de Jean Rollin
  • 1972 : Les Petits Enfants d'Attila, de Jean-Pierre Bastid

Producteur

  • 1962 : La Vie brève de Monsieur Meucieu
  • 1966 : Tristesse des anthropophages
  • 1967 : Une saison chez les hommes
  • 1967 : Mathieu-fou
  • 1968 : La Femme-bourreau
  • 1977 : Madame la France
  • 2022: Les Tueurs d'ordinaire

Acteur

  • 1962 : La Vie brève de Monsieur Meucieu : Monsieur Meucieu
  • 1966 : Tristesse des anthropophages : l'homme piqué
  • 1967 : Mathieu-fou : Mathieu
  • 1968 : La Femme-bourreau : un inspecteur de police
  • 1968 : Le Viol du vampire, de Jean Rollin
  • 2022 : 13 rue Paul Cahier : Monsieur Arnaud

Réalisation de spectacles

  • 1987 : Les Écrans du réel (15 min), Cité des Sciences et de l'Industrie
  • 1990 : Jardin des Délices (2h), mise en scène théâtrale
  • 1994 : La lettre à Hélice (13 min), Futuroscope de Poitiers
  • 1996 : Les Guerres de César (30 min), Mostra de Venise

Poèmes choisis

Autres lectures

Jean-Denis Bonan, Et que chaque lame me soit un cri

La mer, l’amour dans la poésie de Jean-Denis Bonan Il y a tant de façon de poétiser : lyrique, ironique, sauvage, vitupérante, etc. Ouvrir le recueil d’un auteur inconnu, c’est déjà le plaisir de [...]




Olivier Larizza, La Condition solitaire

Olivier Larizza : texte et paratexte

Suis sorti (j’avais rendez-vous avec un
poème) inscrire l’air du temps

Revenu des Antilles qui lui ont inspiré une trilogie poétique réunie sous le titre « La vie paradoxale »1, Larizza nous conte ses aventures sur la Côte d’Azur, puisque c’est désormais aux étudiants toulonnais qu’il s’efforce de communiquer le goût de la littérature anglaise. Il cultive avec bonheur dans ce nouveau recueil la même verve primesautière, parfois doucement mélancolique que dans les précédents. Il y conforte une tendance déjà visible auparavant à vouloir s’expliquer au-delà de la lettre des poèmes, le paratexte ayant désormais considérablement enflé puisque « du même auteur », préface, notes de la préface, note de l’éditeur, exergue, « notes bonus », « l’auteur » et la table occupent en tout quarante-huit pages, soit presque autant que les cinquante-et-une pages de poèmes (le reste correspondant aux pages de tête et de titre, à quelques pages blanches et à une liste d’ouvrages publiés par Andersen).

Loin des brèves annotations que l’on trouve parfois au bas de la page chez certains poètes, le paratexte est donc élevé ici à peu près au même rang que la poésie pure et gageons qu’aucun lecteur ne voudra se priver du plaisir d’y découvrir, au-delà des poèmes volontairement allusifs, le Larizza le plus intime. Certes, la pratique de la poésie conduit presqu’inévitablement à s’épancher, mais Larizza exprime bien davantage que ses états d’âme face au spectacle de la nature ou de la femme aimée ou convoitée. Il se livre, il nous livre sans modestie excessive mais avec ce qu’il faut d’autodérision une exploration de lui-même, son moi et son ça, à l’exclusion du sur-moi qui ne pourrait que brider ces confessions sans concession.

Les poèmes se prolongent et s’amplifient à la fin de l’ouvrage dans vingt-deux pages en petits caractères intitulées « notes bonus ». Instructives et souvent amusantes, elles sont parfois assez éloignées du contenu du poème concerné, au risque pour ce dernier de paraître alors un simple prétexte à raconter toujours plus (le texte prétexte du paratexte !). Pour ne prendre que deux exemples, tandis que le poème intitulé « FNRS III » évoque simplement en passant la coque rouillée d’un sous-marin jaune et cramoisi, il n’était certes pas inutile de préciser en note que le titre du poème n’est autre que le nom de ce sous-marin, un batyscaphe siglé FNRS comme Fond National de la Recherche Scientifique (belge en l’occurrence). Mais n’est-ce pas par pur plaisir que Larizza nous narre la destinée de cet engin et conclut par une boutade : Qui dira que les Amerloques étaient superficiels (puisqu’ils se sont lancés à leur tour dans la course aux profondeurs) ?

Le poème précédent, « Le meilleur du monde » débute ainsi :    

Je ne file rendez-vous à personne / sur mon Elops Davidson

Olivier Larizza, La Condition solitaire, Paris, Andersen, 2023, 120 p., 9,99 €.

Pastiche d’une chanson célèbre. Si l’on est gré au poète de préciser que « Elops » est la marque de son vélocipède, il ne faudra pas s’étonner de trouver dans le même bonus la ferme profession de foi en faveur du raisonnement intuitif versus le raisonnement analogique, appuyée sur une citation d’Einstein, cet obscur employé des brevets suisses. On le voit, les notes de fin ne sont pas là seulement pour nous distraire !

Les poèmes écrits dans une langue qui paraît familière font néanmoins surgir quelques préciosités (esperluette, bigaradier, s’amuïr, polymathe, osbornite) et une brassée de néologismes (intranquilliser, éternellité, automner, verrerer, écrevisser, chlordéconer, dandyner, multicolorier, arnacœur). L’orthographe peut se trouver malmenée pour renforcer la dérision (l’élite politiko-médiatik), de même que la syntaxe (les voyelles ont des couleurs qu’on ne connaisse pas). Tout cela n’empêche pas le lyrisme : la soierie du silence me drapait.

Larizza écrit sous la pression de l’instant et s’accorde toutes les licences (poétiques) possibles, y compris quelques rimes. S’il s’imagine, par exemple, avec une majorette sur les genoux, cela s’énoncera ainsi :

Elle me bécoterait sur les bancs impudiks / et je me rajeunirais en public J’aurais l’avantage / d’être un auteur mineur (un tel écrivain fait beaucoup moins que son âge…)

Dans la même veine, en plus cru :

… (c’était une Mauricienne de Mulhouse / sensuelle & peu jalouse) / Un jour un étudiant lui montra / sa mauricette…

La poésie de Larizza abonde en images insolites. Exemples : L’oasis qui lagunait en mon cœur ; Le temps d’ici se limace jusqu’à l’infini ; Le T-Rex de Russie.

Le poète cultive aussi les contrastes comme, dans « Mistral perdant », celui qu’il établit entre les clients-terrasse vautrés sur leurs délices / voraces limaces engloutissant leurs radis & / paradis […] et Moi [qui] batifole parmi les / vierges folles & le varech de la déréliction.

Cabrioles et gaudrioles. Il ne faudrait pourtant pas s’y méprendre, celui qui se définit comme l’éternel teenager le mercuriel arnacœur ne se dupe pas lui-même quand il s’attribue l’étiquette « SDF » : sans destinée fixe.

… Balzac / de bazar Melmoth irréconcilié docteur Larizza & / mister Olivier je n’étais – dear pretty flower – / que l’anachorète sur sa péninsule qui cachait sa / PROFONDEUR.

Note

[1] L’exil (2016), L’Entre-Deux (2017), La Mutation (2021), les trois chez Andersen.




Sonia Elvireanu, Ensoleillement au cœur du silence

je marche sur tes traces / sur le sentier de tes mots

Le confinement a été pour beaucoup une occasion rare de se tourner vers l’essentiel, de se retrouver, de s’écrire parfois. Le nouveau recueil de Sonia Elvireanu, en édition bilingue avec les traductions en italien par Giuliano Ladolfi, porte ainsi la trace des journées de solitude obligée.

Derrière les fenêtres, on regarde un mur, / on discute avec le béton d’en face pour tout paysage / dans la vapeur du café du matin

Cette période fut aussi celle des longues marches dans la campagne pour tous ceux qui le pouvaient.

Je marche avec piété dans / le vert silence de la solitude

La solitude, le silence, le recueillement : tout est dit dans ces deux vers. Ce recueil est comme irrigué par la foi en un Autre qui n’est jamais nommé mais dont on sent la présence quand il n’est pas directement convoqué.

La voix du poète s’élève comme une offrande, / l’autre descend d’un Sommet invisible

Sonia Elvireanu, Ensoleillements au cœur du silence – Scintillii nel cuore del silenzio, bilingue français-italien, traductions Giuliano Ladolfi, Borgomanero, Giuliano Ladolfi editore, 2022, 264 p., 18 €.

Deux voix qui « confondent leurs murmures en prière » : on ne saurait être plus explicite.

Les poèmes sont le plus souvent brefs, parfois très courts comme des haïkus.

Chevaux blancs / dans la prairie / fleurie // l’éclat / de l’argile / céleste

Parfois plus longs comme celui intitulé « La feuille comme une mare blanche » qui commence par le court extrait d’une lettre de Mme de Sévigné à sa fille, le 30 avril 1867, où la marquise parle du confinement (déjà !) auquel elle a dû se soumettre en raison d’une épidémie de « flagèle ». Le poème se poursuit, le 30 avril 2020, par la lettre que la marquise aurait pu écrire sur le même thème (« nous t’enverrons un masque blanc, c’est en vogue à la Cour », etc.).

Le thème dominant du recueil demeure néanmoins la nature, thème de prédilection de Sonia Elvireanu, poétesse lyrique par excellence. Ses textes décrivent les sensations qui la traversent au cours de ses promenades. Elle écrit sous leur influence, sous le coup de l’émotion, au gré de ses rencontres dans la nature – pommiers, figuiers ou simples papillons blancs – qui reviennent à de nombreuses reprises dans le recueil. A lire ses poèmes, on est d’abord frappé par leur spontanéité. C’est une âme qui s’émerveille et qui s’épanche.

La nature est aussi un truchement pour se connecter à « l’Autre » jamais réellement présent mais qui n’est pas loin et qui écoute.

Je me suis retirée dans ma solitude / pour être près de toi, / te chercher et te parler

La poésie de S. Elvireanu est fraîche et spontanée. Qu’elle nous parle de pommes, de chevaux ou de « la myrrhe de l’amour », c’est toujours elle qui se laisse découvrir. Sans la moindre impudeur puisque c’est seulement des secrets de son âme dont elle nous livre la clé. 

Présentation de l’auteur

Sonia Elvireanu

Sonia Elvireanu. Poète, romancière, critique littéraire, essayiste, traductrice, membre de l’Union des écrivains roumains. Études : Université Babeş-Bolyai de Cluj-Napoca, Faculté de lettres. Doctorat en philologie avec une thèse sur l’exil. Professeur de français associé à l’Université technique de Cluj-Napoca, Roumanie. Membre du Centre de recherche de l’imaginaire « Speculum » et du Centre de recherches philologiques pour le dialogue multiculturel, Université « 1 Decembrie 1918 », Alba Iulia, animatrice culturelle dans l’association franco-roumaine AMI, membre de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF), fondatrice du cénacle littéraire « Jacques Prévert » d’Alba Iulia.

Oeuvre : Le silence d’entre les neiges, Paris, l’Harmattan, 2018; Ion Vinea, Cent et une poésies, Bucureşti, Editura Academiei Române,2018 ; Au fil d’Ariane, Iaşi, Ars Longa,2017; Umbrele curcubeului/ Lesombres de l’arc-en-ciel, Iaşi, Ars Longa, 2016 ;Printre priviri de nuferi/ Àtravers des regards de nénuphars, Bucureşti, eLiteratura, 2015 ; Métamorphose,Iaşi, Ars Longa, 2015 ; Rodica Braga: la représentation de l’intériorité,Bucureşti, eLiteratura, 2015 ;Între Răsărit şi Apus/ Entre le Lever et le Coucher, Iaşi, Ars Longa, 2014 ; Le visage sombre de Ianus, Iaşi, Tipo Moldova,2013; Singurătatea irisului/ La solitude de l’iris, Sibiu, Imago,2013 ; Gabriel Pleşea, Une perspective sur l’exilroumain, Sibiu, Imago, 2012 ; Dincolo de lacrimi/ Au-delà des larmes, Sibiu, Imago,2011 ;Le retour de l’exildans le roman « L’Ignorance » de Milan Kundera (2011), À l’ombre des mots, Sibiu, Imago,2011; Temps pour deux, Alba Iulia, Gens latina,2010 .

Traductions: Marian Drăghici, lumière, doucement, Paris, l’Harmattan, 2018 ; José Maria Paz Gago, Manuel pour séduire les princesses, Scopje, Poetiki, 2010 ; Michel Ducobu, Siège sage. Quatrains pour la méditation/ Loc calm. Catrene pentru meditaţie, Iaşi, Ars Longa, 2015 ; Denis Emorine, De toute éternité/ Dintotdeauna, Iaşi, Ars Longa,2015.

Prix:  Prix de poésie « Aron Cotruş, Les ombres de l’arc-en-ciel(2017); Prix de traduction, Denis Emorine, De toute éternité (2016) ; Prix « Le voyageur », début en roman Métamorphose(2015) ; Prix d’essais : Rodica Braga: la représentation de l’intériorité (2016),Le visage sombre de Janus (2014); Prix de critique littéraire, À l’ombre des mots (2012) ; Premier Prix de traduction au Festival international « L. Blaga », Sebeş, 2008 ; Premier Prix de littérature comparée au concours « La Belgique romane », Bruxelles, 2006 ;  IV-e place au concours de prose « Le Tour du monde en 80 textes », Paris, 2004.

En anthologies: Liens et entrelacs. Poètes du monde, Wroclaw, 2018 ; O limbă, un neam,Târgovişte, 2018 ; Giovanni Dotoli, Encarnación  Medina Arjona, Mario Selvaggio, Entre ciel et terre, L’olivier en vers. Anthologie poétique, Roma, Edizioni Universitarie Romani, 2017; Le printemps des métaphores,Galaţi, Editura InfoRapArt, 2015;Les Anthologies de la revue Seul. Poésie,Târgovişte, Ed. Singur, 2014;Les Anthologies de la revue Seul. Prose,Târgovişte, Ed. Singur, 2014;Laurenţiu Bădicioiu, Romeo et Juliette  àMizil. Anthologie de poésie et d’épigramme, Bucureşti, RBA Media,2012;J’écris. Anthologie de vers, Alba Iulia, Gens latina, 2010.

En volumes collectifs des colloques internationaux (sélection): 

Le retour à Ithaque dans la littérature de l’exil, Annales Universitatis Apulensis , Series Philologica, 18, tom 2, 2017. Vintilă Horia, Un penseur pour le troisième millénaire (coord. Georgeta Orian, Pompiliu Crăciunescu, Eiko, 2017); Incursions dans l’imaginaire. Imaginaire, identité et altérité en littérature, vol. 8, Alba Iulia, Editura Aeternitas, 2017;Incursions dans l’imaginaire. Approches de la perspective de la littérature comparée, vol. 7, Alba Iulia, Editura Aeternitas, 2016; Incursions dans l’imaginaire. Mythe, musique, rituel. Mutations des noyaux narratifs, vol. 6, Alba Iulia, 2015; Norman Manea, Loin et près, Târgu-Mureş, Editura Arhipelag XXI, 2014; Incursions dans l’imaginaire. Imaginaire et illusion. Cahiers de l’Echinox, vol.23, Cluj-Napoca, 2012; Études humanisteset perspectives interculturelles, Târgu Mureş, Editura Universităţii “Petru Maior”, 2011; Communiquer, Échanger, Collaborer en français dans l’espace méditerranien et balkanique,Athènes, Université d’Athènes, 2011 ; Incursions dans l’imaginaire. Du corps imaginé au corps représenté, vol. IV, Alba Iulia, Editura Aeternitas, 2010;  Faire vivre les identités francophones. Actes du 12-e congrès mondial de la FIPF, Québec 2008, Krakow, Les presses de Zakład Graficzny Colonel s.c., 2009 ;  Proceeding The First International Conference on Linguistic and Intercultural Education, Alba Iulia, Editura Aeternitas, 2008; Le français, une langue qui fait la différence. Actes du premier Congrès européen de la FIPF, Vienne2006, Krakow, Les presses de Zakład Graficzny Colonel s.c., 2008; Évaluation alternative, Cluj-Napoca, Editura Dacia, 2005; Les méthodes de la pensée critique, Cluj-Napoca, Editura Dacia, 2004. 

Essais, chroniques, commmentaires critiques, poèmes, prose dans les revues: Mondes francophones, Francopolis, Traversées, Concerto pour marées et silence, Tric-trac, Rupkatha, Dialogues et cultures, Théorie et Pratique, Nouvelle Approche du français, Viaţa românească, România literară, Luceafărul de dimineaţă, Convorbiri literare, Vatra, Familia, Euphorion, Tribuna, Apostrof, Steaua, Verso, Caietele Echinox, Nord literar, Argeş, Annales Universitatis Apulensis, Boema, Baaadul literar, Gând românesc, Pietrele Doamnei, Glasul, Claviaturi, Mistral, Messager.

En dictionnaires :

Ioan Holban(coord.), Dictionnaire des écrivains roumains contemporains, Iaşi, Tipo Moldova, 2016, vol. IV.

Irina Petraş, Écrivains de la Transylvanie. Dictionnaire critique illustré, Cluj-Napoca, Editura Editura Eikon, Cluj-Napoca, 2014.

Dictionnairedes écrivains de la filiale Alba-Hunedoara de l’Union des Écrivains de Roumanie, Sebeş, Editura Emma Books, 2016.

En Histoires de la littérature roumaine:

Une autre sorte d’histoire de la littérature roumaine contemporaine, Ed. Singur, Târgovişte, 2013.

Préfaces

Denis Emorine, La mort en berne, Genève, Editions  5 sens, 2017.

Denis Emorine, De toute éternité/ Dintotdeauna, Iaşi, Ars Longa, 2015.

Gheorghe Jurcă, La captivité de la solitude, Cluj-Napoca, Grinta, 2014.

Postfaces

Marian Drăghici, lumière, doucement. Traduction en français et préface de Sonia Elvireanu, Paris, Harmattan, 2018.

Rodica Chira, Ma maison en verre, Iaşi Ars Longa, 2018.

Aurel Pantea, Blanca. Traduction en français de Marcela Hădărig, Grinta, 2017.

Anca Sas, Momentom,Alba Iulia, Altip, 2017.

Avant-propos: Michel Ducobu, Siège sage. Quatrains pour la méditation/ Loc calm. Catrene pentru meditaţie, Iaşi, Ars Longa, 2015

 

 

Autres lectures

Sonia Elvireanu, Le regard… un lever de soleil

Forte de trois recueils : Le souffle du ciel, Le chant de la mer à l'ombre du héron cendré et Ensoleillements au cœur du silence, publiés entre 2020 et 2022, l’œuvre poétique récente [...]




Néant rose, Le manifeste poétique de Dana Shishmanian

la poésie elle mange de tout / c’est une omnivore / une porcine

Un livre chasse l’autre ? Ce n’est pourtant pas parce que Dana Shishmanian vient de sortir un nouveau recueil (Le Sens magnétique, L’Harmattan) qu’il faut oublier le précédent, le surprenant Néant rose (2017 chez le même éditeur). Un titre en forme d’oxymore (encore que : qui pourrait affirmer que le néant n’est pas rose ?).

Le contenu, quoi qu’il en soit, est tout aussi surprenant que le titre, comme en témoigne – simple exemple – ce passage conclusif d’un poème, celui où apparaît justement le « néant rose » mais dans une syntaxe inédite, puisque on est tenté d’interpréter « rose » non comme un adjectif mais comme la troisième personne du singulier à l’indicatif présent d’un hypothétique verbe « roser » (roser comme arroser !).

Là où néant rose une fleur sculptée dans son parfum un nid couvé par l’œuf d’un coq nocturne et à demain dit la poule retournant sa veste quand sort de son chapeau non non pas un lapin mais éternellement et à jamais frais le pain de ce jour.

A-t-on déjà remarqué, à ce propos, que le « manifeste-synthèse » de Guillaume Apollinaire intitulé L’Antitradition futuriste (1913), après un « Mer...De… » aux professeurs, pédagogues, etc. se termine par un « Rose » aux Marinetti, Picasso, etc., ce qui témoigne déjà d’un usage inusité du mot (ici le substantif) « rose » ?

Alors que l’étrange recueil de D. Shishmanian, qui juxtapose en toute poésie et avec plus qu’une pointe de surréalisme une éphéméride, des contes urbains et des haïkus, a déjà fait l’objet de plusieurs recensions (1), c’est justement son caractère de manifeste – insuffisamment souligné jusqu’ici à notre gré – que nous voudrions évoquer.

En-deçà des différences formelles, notre art poétique conjugue deux grandes traditions. L’une, illustrée par exemple par le Ronsard des Amours s’intéresse principalement aux tourments de l’âme. Elle est lyrique, élégiaque, souvent chagrine. L’autre est celle des poètes satiriques, davantage tournés vers le monde extérieur, quoique souvent aussi d’une humeur chagrine. C’est que, en effet, que l’on se regarde soi ou que l’on contemple le monde, il n’y a pas tellement d’occasions de se réjouir.

Les poètes passent souvent d’un registre à l’autre. Voir le Victor Hugo des « Pauvres gens » (La Légende des siècles) et celui de « Demain dès l’aube » (Les Contemplations). C’est également le cas de notre poétesse qui évoque quelque part son mal d’amour 

quartier désert café dormant et moi au bord d’un précipice / sans fond douleur sans fond amour sans fin

mais elle ne s’y attarde pas. D’ailleurs, à l’en croire selon un autre poème

cuisiner et mourir / d’amour – quelle différence après coup…

Apollinaire, encore lui, est revenu à plusieurs reprises sur sa conception de ce que devait être la poésie moderne, en particulier dans un article du Mercure de France, « L’Esprit nouveau et les poètes » (1918). Si son mot d’ordre de « machiner le monde » n’a guère eu d’écho, D. Shishmanian se retrouve toute entière dans ce propos du rescapé de Quatorze : la « liberté [des poètes] ne peut pas être moins grande que celle d’un journal quotidien qui traite dans une seule feuille des matières les plus diverses ».

Dana Shishmlanian ne dit pas autre chose.

On s’épuise au bout de cent de mille poèmes / sa substance propre tant machouillée devient fade […] alors on s’enrichit des vies des autres / des morts des autres

Des morts des autres, en effet, comme celle du suicidé du métro qui lui inspira l'un des poèmes les plus bouleversants du recueil (« Accident grave de voyageur »).

Apollinaire écrivait aussi : « les poètes ne sont pas seulement les hommes du beau. Ils sont encore et surtout les hommes du vrai ». Et chez D. Shishmanian : 

manger et boire se mouvoir baiser cracher / c’est cela l’humaine aventure

Dana Shishmanian, Néant rose, L'Harmattan, 2017, 118 pages, 14 euros.

La poétesse ne recule pas devant les mots crus : le vrai jusqu’au bout ! De toute façon, ajoute-t-elle,

La poésie n’a que faire / de votre politiquement correct / traduit en censure

Et le vers, bien sûr, doit être « libre »

et pas de rime c’est obsolète / on est affranchi à vie on est poète / contemporain

Au-delà de ces considérations sur ce qui peut ou doit être fait se pose la question de comment le faire.

Oublie tes poèmes / t’entêter ne sert à rien ; à chacun sa peine

Ce n’est donc pas tant le labeur qui compte que de savoir saisir l’inspiration quand elle vient

Dépêche t’arrête pas / la fente est brève – glisse tes mots

Avec ce qu’il faut d’autodérision

tes poèmes noirs décapités – / des ailes inutiles

mais l’espoir, tout de même, qu’il en restera quelque chose

Tes mots que valent-ils ? / Rien pour toi. Mais sais-tu quand / ils germent ? Laisse les choir...

Les poèmes de D. Shishmanian racontent des histoires, parfois drôles comme celui nommé « Samedi » qui fait intervenir un ogre et les cloches de Noël, plus souvent mélancoliques (mais le monde… voir plus haut). Elle nous propose aussi, sans en avoir l’air, une réflexion sur l’art poétique et – mais cela mériterait un autre article – une philosophie de la vie.

Présentation de l’auteur

Dana Shishmanian

Née en Roumanie, diplômée de l'Université de Bucarest avec une thèse de maîtrise en littérature comparée, Dana Shishmanian vit et travaille en France depuis 30 ans.

Elle a publié une plaquette intitulée Exercices de résurrection, dans la collection « Poètes Ensemble » d’Hélices (2008), et des poèmes dans des revues (Arpa, Décharge, Comme en poésie, Esprits poétiques, Les cahiers du sens 2010), des anthologies (Francopolis 2008-2009, Flammes vives 2010 et 2011, L’Athanor des poètes 1991-2011), sur des sites de poésie (Le Capital des Mots, Patrimages, Le manoir des poètes, Textes et prétextes, Poésie en liberté), ainsi que dans la revue en ligne Francopolis, dont elle est membre du comité de lecture depuis février 2012.

Elle a animé en 2010, avec l’écrivain mauricien Khal Torabully, la collecte de poèmes Poètes pour Haïti (parue chez L’Harmattan en janvier 2011, dans la collection Témoignage poétique). En décembre 2011 est paru chez L’Harmattan son recueil Mercredi entre deux peurs (collection Accent tonique). 

Trois autres recueils sont parus depuis : deux aux éditions du Cygne (Plongeon intime en 2014, et Le fruit obscur en 2017) et un chez Échappée belle édition (Les poèmes de Lucy, 2014).

Textes

Dana Shishmanian

Autres lectures

Dana SHISHMANIAN, Les Poèmes de Lucy

  Après un appel à ses frères pour qu'ils lisent ses poèmes la narratrice, dont le corps est rebelle aux tortures de la vie, demande l'aide de Dieu :   "mon Dieu cachez-moi avec [...]