1

Gérard Bocholier, Depuis toujours le chant

Sans plus aucun poids de terre
 Ni de chair qui me retienne
J'entre dans la gravité
De la mort que tu m'apprêtes  (p. 63)

De quelle surface enfin vécue au-delà de soi s'agit-il ? 

Mais que la voix soit aussi très profonde et que rien ne mente : voilà ce que le chant souffle tout au long du recueil d'ailleurs composé sur des sections rythmiques équilibrées. Vers de 8 syllabes dans la première partie, de 6 dans la seconde, de 7 dans la troisième, de 5 dans la quatrième et de 7 (de nouveau) dans la dernière. On peut sentir ce passage du pair à l'impair comme le socle toujours plus vivant d'un désir, d'une présence bien secrète mais qui mêle effacement et lumière en essayant de gagner cette dernière. Vers courts. Vers dans la régularité. 

Car dès le liminaire « Depuis toujours ton silence... »,  (en italiques, et, disons-le, conçu comme un murmure, une prière) il est question d'une parole, d'un poème et, sans jamais dévoiler quelque rive d'or, du vent de l'Esprit qui, pour le veilleur, entraîne le cours du monde vers un intérieur d'amour.

Gérard Bocholier, Depuis toujours le chant, Arfuyen, 2019, 128 pages, 13€.

Ce dernier mot, s'il est répété régulièrement dans le recueil, ne s'accompagne pas forcément d'une promesse. L'écriture va devoir gagner son propre secret, son espace articulé au fond de l'être avec des images, des sons, des codes bien mystérieux, difficiles à déchiffrer de par leurs échos avant de suggérer que la silhouette de l'homme, même accompagnée de plus en plus par la « lumière », s'adresse à Dieu. 

 

O Seigneur dépouille-moi
Du vieil homme qui s'entête
A manger en solitude
Le pain noir de l'amertume  (p. 102)

 

C'est un tutoiement perçant, un relief au bout d'un jeu magique de pronoms personnels et possessifs. L'homme ne redit « je » qu'après l'avant-dernière partie où le mystère des morts trouve un ton sans fard mais non privé d'échos ; et le rythme exigeant qui ne doit rien à la nostalgie, quand vient la ou les dernières pièces de chaque partie, semble bien se fondre dans cette frontière en principe artificielle pour annoncer le meilleur, c'est-à-dire un équilibre, enfin, comme à force d'accorder la vérité aux quatrains, aux deux quatrains que chaque page imagine sans cesse en restant fidèle au ton du poète.  

Depuis toujours le chant qu'aime-t-il si ce n'est le silence, l'énigmatique légèreté promise aux mots, au frisson encore plus fort qu'eux ? L'amour ? Le temps avec le présent montre un langage vivant, mais le futur, qu'offre-t-il déjà au veilleur ? On va du « je » au « tu » dans la foi. La répétition temporelle dans le liminaire ne revient pas quand se referme la dernière partie, « Mais jamais sur la colline/L'aube n'a été si belle. » 

Le corps et la poésie auront pris le ciel comme les racines à témoin, et cette fête à la fois intime et universelle sera bien restée louange.

Ce recueil n'en finit pas de s'ouvrir sur le « feu secret » qui se consume, proche d'un coeur aux branches qui n'ont pas peur « du jour qui tombe ».

 

Présentation de l’auteur

Gérard Bocholier

Gérard Bocholier est né en 1947 à Clermont-Ferrand, il a fait ses études dans cette ville où il a ensuite enseigné la littérature française en classe de lettres supérieures. Originaire d’une famille de vignerons de la Limagne et franc-comtois par sa mère, il a passé son enfance et sa jeunesse dans le village de Monton, au sud de Clermont-Ferrand, qu’il évoque dans son livre Le Village emporté, paru en 2013 aux éditions L’Arrière-Pays.

En 1971, il a reçu des mains de Marcel Arland, directeur de la NRF, le prix Paul Valéry réservé à un étudiant. La lecture de Pierre Reverdy, à qui il consacre un essai en 1984, Pierre Reverdy le phare obscur (Champ Vallon) détermine définitivement sa vocation de poète. Il commence à publier des volumes de vers aux éditions Rougerie, le premier : Le Vent et l’homme en 1976. Cette même année, il participe à la fondation de la revue de poésie ARPA, avec d’autres poètes d’Auvergne et du Bourbonnais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis.

Gérard Bocholier

D’autres rencontres viennent éclairer sa route : celle de Jean Grosjean, puis de Jacques Réda, qui l’accueillent dans la NRF, où il publie des poèmes et où il devient chroniqueur régulier de poésie à partir des années 90. Il rencontre aussi Anne Perrier, grand poète de Suisse romande, avec qui il noue une amitié affectueuse et dont il préface les œuvres complètes en 1996 aux éditions de l’Escampette.

Il remporte le prix Voronca en 1979, pour Chemin de guet, puis le prix du poème en prose Louis Guillaume en 1987 pour Poussière ardente (Rougerie). En 1991, le Grand Prix de poésie pour la jeunesse du Ministère de la jeunesse et des sports lui est décerné pour un manuscrit de poèmes pour enfants qui sera publié en 1992 dans la collection du Livre de poche chez Hachette, sous le titre : Poèmes du petit bonheur.

Devenu directeur de la revue ARPA, il collabore également comme critique de poésie à La Revue de Belles Lettres de Genève, au Chemin des livres, à Recueil puis au Nouveau Recueil. Il rassemble certains de ses articles dans un essai, Les Ombrages fabuleux, aux éditions de L’Escampette en 2003. Il participe à plusieurs ouvrages collectifs, dont les cahiers 10 et 17 au Temps qu’il fait, consacrés à Pierre-Albert Jourdan et à Roger Munier. Deux livres de poèmes pour la jeunesse sont encore publiés, aux éditions Cheyne, illustrés par Martine Mellinette : Terre de ciel  et Si petite planète.

Il entre dans la prestigieuse collection des éditions Arfuyen en 2006 avec La Venue et en 2012 avec Belles saisons obscures.  En 2011, son livre de vers et proses, Abîmes cachés (L’Arrière-Pays), est couronné par le prix Louise Labé. Son engagement religieux se fait plus direct , il se consacre essentiellement à l’écriture de psaumes à partir de 2009 et publie chez Ad Solem : Psaumes du bel amour (2010), préfacé par Jean-Pierre Lemaire, et Psaumes de l’espérance (2012), avec un envoi de Philippe Jaccottet, récompensé par le prix François Coppée de l’Académie Française. D’autres livres de psaumes sont prévus chez le même éditeur. Un essai paraît en 2014 chez Ad Solem : Le poème exercice spirituel.

Il tient une chronique de lectures, Chronique du veilleur, depuis 2012, sur le site de Recours au poème.

Autres lectures

Les Psaumes de Gérard Bocholier

Dans ce monde gouverné par le bavardage des nanosecondes de la prose généralisée, il est des éditeurs pour défendre le profond de l’humain, autrement dit la poésie. Et il est des poètes rares. Gérard [...]

Le village emporté de Gérard Bocholier

Il a toujours été là, au centre du jardin, contre la maison. Ses plus hautes branches dépassent à présent le toit, caressent les tuiles. Mes initiales, jadis creusées dans l'écorce, se comblent d'année en [...]

Gérard Bocholier, le Poème spirituel

     Que la poésie ait quelque chose à voir avec le mystère, l’invisible, l’ineffable, cela ne fait aucun doute. Le poète Jean-Pierre Lemaire l’a bien exposé dans son livre Marcher dans la neige [...]

Gérard Bocholier, Les Étreintes Invisibles

Je lis de loin en loin Gérard Bocholier en revues et je crois bien que c'est la première fois que je le lis dans un recueil, "Les Étreintes invisibles". Quatre ensemble de poèmes [...]

Gérard Bocholier, Psaumes de la foi vive

Le poème prière L’actualité de Gérard Bocholier est importante et porte sur deux livres de poésie publiés ce printemps, dont l’un est produit par l’éditeur Ad Solem, qui est connu pour son travail [...]