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Denis Emorine, Comme le vent dans les arbres

Denis Emorine est le poète des obsessions  comme les grands poètes de tous les temps. Il ne cesse de les dévoiler non seulement dans ses poèmes, mais dans toute son œuvre (poésie, romans, théâtre, essais) : amour, mort, identité, temps.




Poète de l’amour et de la mort surtout,  le poète semble les engager dans un dialogue riche d’images et de sens, au fond un monologue intérieur révélateur de son vécu dramatique sous les apparences d’un dialogue avec le fantasme d’une femme russe. 

Le titre Comme le vent dans les arbres met en balance les deux côtés profonds de sa poésie : la douceur de l’amour face à la violence de la mort enracinée dans son âme à tel point qu’elle empêche la joie de vivre. Le poème qui ouvre son recueil en est la meilleure illustration : « La douleur/ a courbé nos épaules/ et bloqué notre dos/ nos yeux nous trahissent toujours entre deux mots// Aucune prière ne détruira notre douleur/ nous sommes veufs de la mort/ des êtres aimés ».

Le lecteur ne doit pas se laisser tromper par le sous-titre Poèmes pour Natacha Rostova qui renvoie à l’héroïne de Tolstoï de Guerre et Paix.C’est une manière de rendre hommage à la grande culture russe par une femme qui incarne son esprit et en même temps de s’interroger sur l’Histoire.

Denis Emorine, Comme le vent dans les arbres. Poèmes pour Natacha Rostova/ Come il vento fra glialberi poesie dedicate a Natacha Rostova. traduzione di Giuliano Ladolfi, Giuliano Ladolfi Editore, 2023.

Denis Emorine le fait souvent dans sa poésie par des poèmes dédiés aux femmes poètes qu’il admire. Natacha comme Olga du recueil Romance pour Olga ne sont que des fantasmes, un symbole, l’incarnation de l’identité slave, l’expression de son admiration mais aussi un moyen d’établir sa parenté lointaine avec l’Est par ses ancêtres.

Pour le poète français, l’Est est la source de l’amour et de la douleur, car le drame de sa mère est lié  aux événements tragiques de l’Est. La mort de son père revient souvent dans ses poèmes dans le leitmotiv de la forêt de bouleaux :« Je mourrai un jour/ ébloui par les étoiles/ que je  n’ai pas su aimer/ et rattrapé par la/ forêt de bouleaux/où repose mon père ».

Pour Denis Emorine « la mort vient de l’Est », il le rappelle sans cesse dans ses vers, c’est comme un refrain musical. Rien ne le console, ni même l’amour. Son regard est voilé par cette obsession qui le traverse, il y sombre, piégé à jamais :« l’horreur n’a pas de nom/ j’ai perdu le mien/ aux portes de l’Est/ je vois danser les prisonniers sous/ les coups des bourreaux/  dont les hurlements se répandent/  sur le monde/  la nuit répand la mort/  qui/ vient de l’Est ».

La joie de vivre est empoisonnée par l’obsession de la mort de ses parents, le chemin de sa vie est assombri par la perte de sa mère qu’il a beaucoup aimée. Cela explique les leitmotivs du petit garçon inconsolé et de la jeune femme brune  aux yeux bleus de ses poèmes. L’amour de la mère est invoqué comme seul appui à son passage au-delà : « Au pied de l’arbre blanc/  vomissant du sang/  j’attends toujours/  le retour de la jeune femme brune aux yeux bleus/  qui me prendra dans ses bras pour/  m’aider à mourir. »

L’obsession de la mort s’apparente à la quête identitaire à travers le temps qui ne permet pas le retour en arrière autrement que par la mémoire affective, elle-même fragilisée. Pour Denis Emorine les souvenirs de L’Est se partagent entre la beauté de la femme russe, telle Natacha, et l’horreur de la guerre. Mais ni la beauté, ni l’amour, ni la poésie ne peuvent rien faire contre la mort. Son fantasme est toujours là, menaçant, un fardeau écrasant qui lui provoque des insomnies : 

« Tu ne vois pas la croix/  qui / glisse sans cesse de mes épaules/  en éraflant ma peau/ elle est là depuis toujours/ me rappelant que j’existe// Je voudrais me protéger d’elle/  ou me réchauffer à son ombre/  en oubliant les crépitements de la vie/  Tu ne la vois pas/  et pourtant elle me rejoint/  la nuit lorsque/ l’insomnie me défigure/  La mort/  la mort vient de l’Est ».

L’amour et la beauté de sa jeune mère traversent obsessivement ses poèmes. Son image revient à sa mémoire encore plus douloureuse sous les plis du souvenir : « Je suis toujours ce petit garçon/ébloui par la beauté/ de la jeune femme brune aux yeux bleus/  elle ne m’avait jamais avoué/  qu’elle s’enfoncerait un jour/ dans la forêt de la mort/ avec l’homme qu’elle aimait/ en me léguant le poids de l’Histoire/  J’aurais voulu tuer avec mes mots/ les bourreaux de l’Est ».

L’Histoire avec son cortège de guerres et de tragédies bouleverse la vie du poète, brise son identité, fait de lui un exilé. Il ne peut pas oublier ses morts chers, effacer sa douleur, se réconcilier avec elle, faire de ses vers un champ de bataille, seulement crier sa révolte, sa haine, confesser son drame qui l’empêche d’aimer la vie, de retrouver son amour pour un pays admiré pour sa culture.

Natacha est une interlocutrice  muette, une  accompagnatrice du poète à travers la Russie, devenue un « pays glacé », « le pays des mitrailleuses », de la  mort, où repose quelque part la tombe inconnue du premier mari de la jeune  femme brune aux yeux bleus. Elle est un lien entre l’Est et l’Ouest, entre deux identités et deux cultures, mais aussi une sorte de thérapeute qui assiste à l’anamnèse du poète, l’aide à livrer ses obsessions, sans réussir à le guérir. Il erre encore dans sa nuit, hanté par le drame de ses parents qui l’avait ravagé depuis son enfance.

Les poèmes de Denis Emorine sont le chant douloureux d’une vie atteinte par le cauchemar de la mort, avec le sentiment prégnant de l’exil intérieur et des accents de révolte, de haine contre les horreurs de l’Histoire.

Comme le vent dans les arbres est écrit comme un seul souffle, avec de petites pauses de respiration, sans ponctuation, sans titres, laissant les vers se mettre sur la page dans leur musicalité, en l’absence des rimes, leur mélodie émane de la sonorité des phrases, de leur rythme intérieur. On pourrait voir  dans la poésie du poète français un requiem pour l’Est.




Présentation de l’auteur

Denis Emorine

Denis Emorine  est né en 1956 près de Paris.  Il a avec l’anglais une relation affective parce que sa mère enseignait cette langue. Il est d’une lointaine ascendance russe du côté paternel. Ses thèmes de prédilection sont la recherche de l’identité, le thème du double et la fuite du temps. Il est fasciné par l’Europe de l’Est. Poète, essayiste, nouvelliste et dramaturge, Emorine est traduit en une douzaine de langues. Son théâtre a été joué en France, au Canada ( Québec) et en Russie. Plusieurs de ses livres ont été édités aux Etats-Unis. Il collabore régulièrement à la revue de littérature "Les Cahiers du Sens". 
En 2004, Emorine a reçu  le premier prix de poésie (français) au Concours International. L’Académie du Var lui a décerné le « prix de poésie 2009 ».
On peut lui rendre visite sur son site : denis.emorine.free.fr

Bibliographie (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

Autres lectures

Denis Emorine, Prélude à un dernier exil

Ce recueil de poème entremêle différents thèmes chers à l’auteur. On rencontre en effet tout au long de l’œuvre l’amour,  la mort et  la guerre. Ces trois notions sont reliées entre elles par [...]

Mélissa Brun, La nuit ne finira jamais

Le recueil de poème La nuit ne finira jamais… Poèmes transpercés par le vent d’est de Denis Emorine est une invitation au voyage. Voyage dans l’espace, dans le temps, dans l’écriture, voyage de [...]

Denis Emorine, Romance pour Olga

Le poète, dans ce nouvel opus, tutoie la Russie et son amie Olga. Une longue et entêtante mélancolie tisse autour d'elles une voix poétique qui, en brefs poèmes, distille tout l'amour qu'il peut [...]

Denis Emorine, Foudroyer le soleil

Le recueil bilingue de Denis Emorine, poète français né en 1956, s’insinue dans des thèmes dramatiques : l’exil, la séparation d’avec les êtres chers, les amours perdus, l’Est qui a connu tant de bouleversements. [...]

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Gérard le Goff, Les chercheurs d’or

Le nouveau livre de Gérard le Goff invite le lecteur à un voyage poétique à travers la littérature des XIXème et XXème siècles. C’est un hommage rendu aux écrivains français ou d’expression française, à ces « chercheurs d’or » qui, par leur exploration de la langue et leur art poétique, ont été au fil du temps les ouvreurs de nouveaux horizons et demeurent les maîtres spirituels de l’auteur.

Le titre trouve son inspiration dans l’épitaphe inscrite sur la tombe d’André Breton : « Je cherche l’or du temps ». L’illustration de couverture représente la rosace minérale qui orne la sépulture : une figuration de la pierre philosophale.

Gérard le Goff propose 58 évocations de poètes « à la manière de », selon une démarche qui nous fait (re)découvrir toute une pléiade de grands écrivains. Chaque texte est précédé par un portrait et par une citation qui annonce un thème à partir duquel l’auteur imagine une variation selon un principe musical. Il s’avère lui-même un maître de la langue et du style.

Les jeunes lecteurs traversent ainsi deux siècles de littérature, d’autres se rappellent leurs lectures et en retrouvent la nostalgie, contents de parcourir à nouveau le fil poétique qui va de Gérard de Nerval à Alfred de Musset, Charles Baudelaire, Lautréamont, Théophile Gautier, de Victor Hugo à Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé, Guillaume Apollinaire,  de Max Jacob à Robert Desnos, Paul Éluard, Boris Vian, Pierre Reverdy, de Tristan Tzara à André Breton, Raymond Queneau, Henri Michaux, René Char, Jean Tardieu, Eugène Guillevic et Yves Bonnefoy. À côté de grands noms d’écrivains, on en découvre d’autres moins célèbres, qui ont subi les horreurs de l’Histoire : Saint-Paul Roux, René Guy Cadou.

Gérard le Goff, Les chercheurs d’or, Éditions Stellamaris, 2023, 161 p., 20 euros.

C’est un parcours initiatique à travers certains thèmes dévoilés dans les citations de l’œuvre de ces poètes mais aussi dans la création de Gérard le Goff qui les reprend dans ses poèmes et ses proses : la vie, l’amour, l’enfance, le bonheur, le rêve, la mort, la guerre, la haine, le mal, la maladie, la tristesse, l’attente ou des motifs tels : le chat, l’oiseau, le ciel, la lune, les nuages, la mer etc.

L’auteur des Chercheurs d’or construit son livre sur la polyphonie des voix, d’une part, celles des écrivains d’un temps révolu, d’autre part, sa propre voix lyrique ou en prose qui rend hommage à ceux qui sont restés des repères dans l’histoire de la littérature française. Il sait bien adapter son style à ceux des poètes évoqués, nous faire ressentir en quelque sorte l’empreinte de leur création, un certain air de leur temps. Il nous offre aussi des notes explicatives à la fin de ses textes en prose pour nous livrer des aspects moins connus de leur vie et de l’histoire des lieux.

Gérard le Goff est simultanément graphiste, poète, prosateur, parfois historien et biographe. Il connaît à fond leur œuvre, leur vie, leur correspondance, les documents qui les concernent, les journaux qui en parlent, les bavardages, les expositions anniversaires, les supercheries littéraires, autant de sources d’inspiration pour lui. Ses textes prennent la forme d’un poème, d’un récit, d’une lettre imaginaire, d’une entrevue. À titre d’exemple, la lettre d’Antonin Artaud adressée à son psychiatre pour lui reprocher d’être traité de délirant et de malade mental, quand il ne fait que confesser ses états mystiques dans ses manuscrits. L’entrevue imaginaire d’un journaliste avec Louis Aragon devient le prétexte à livrer aux lecteurs sa biographie et de rappeler son soutien à Staline ainsi que certaines de ses dérives existentielles. 

On saisit bien le côté ironique, persiflant de l’auteur, son humour discret, mais aussi son penchant pour le mystère, le fantastique, le mélange de réel et d’onirisme, le portrait et la description des lieux. La réalité quotidienne horrifiante se prolonge dans le cauchemar pour évoquer « le mal qui s’insurge contre le bien » dans la  variation sur le thème de Lautréamont (Vers d’amour et de haine). Il s’amuse à écrire le poème Posada à la manière de Blaise Cendrars, en pratiquant un collage d’extraits de la prose de Gustave le Rouge.

Il faut ajouter aussi la passion pour le dessin de Gérard le Goff. Les 58 portraits réalisés au crayon et à l’encre, au regard si vif qu’ils semblent nous regarder depuis le passé durant notre lecture.

Présentation de l’auteur

Gérard Le Goff

Né en 1953, à Toulon, Gérard Le Goff, après l’obtention d’une maîtrise-ès-lettres à l’Université de Haute-Bretagne, effectue toute sa carrière professionnelle au sein de l’Education nationale dans les académies de Caen et de Rennes ; il a été successivement : enseignant, cadre administratif et conseiller en formation continue.
Il écrit depuis l’adolescence mais ne cherche pas à publier. Désormais à la retraite, il entreprend de mettre de l’ordre dans ses nombreux manuscrits, tout en reprenant une activité d’écriture. Il travaille en parallèle la peinture et le dessin au sein d’une association.
Ses premiers textes paraissent dans la revue Haies Vives en 2017. Puis dans d’autres publications : Le Capital des Mots (2018, 2019, 2020), Festival Permanent des Mots (2018), Traversées (2019) et à nouveau dans Haies Vives (2019, 2020)
S’en suivent l’édition de plusieurs recueils de poésie aux éditions Encres Vives et Traversées, d’un roman et d’un recueil de nouvelles.

 

Poésie :

Cahier de songes - Editions Encres Vives (septembre 2018).
De l’inachèvement des jours - Editions Encres Vives (octobre 2018).
L’arrière-pays n’existe pas - Editions Encres Vives (décembre 2018).
Intermède vénitien - Editions Encres Vives (février 2019).
Passants - Editions Encres Vives (avril 2019).
Le reste du peu - Editions Encres Vives (juin 2019).
La note verte - Editions Encres Vives (décembre 2019).
Simples suivi de Par quatre chemins - Editions Encres Vives (décembre 2019).
Arsenal des eaux - Editions Encres Vives (janvier 2020).
L’orée du monde - Editions Traversées (janvier 2020).
L’élégance de l’oubli - Editions Encres Vives (novembre 2020).
Brisées - Editions Encres Vives (décembre 2021).
La cité chimérique - Editions Encres Vives (janvier 2022).

Prose :

Argam, roman - Editions Chloé des Lys (novembre 2019).
Trajectoires tronquées, nouvelles- Editions Stellamaris (mai 2020).
La raison des absents, roman- Editions Stellamaris (avril 2022).

Publications en revues :

Poésie :

Revue Haies Vives N°5 (septembre 2017).
Revue Haies Vives N°7 (septembre 2019).
Revue Haies Vives N°8 (septembre 2020).
Revue Haies Vives N°9 (septembre 2021).
Revue Haies Vives N°10 (septembre 2022).
Revue Festival Permanent des Mots (FPM) N° 18 (mars 2018).
Revue Festival Permanent des Mots (FPM) N° 20 (septembre 2018).
Revue Le Capital des Mots - Eric Dubois (revue en ligne) (novembre 2018, décembre 2018, janvier 2019, février 2019, avril 2019, novembre 2019, décembre 2019, janvier 2020, février 2020, mars 2020, avril 2020 & mai 2020.
Revue Poésie Mag - Eric Dubois (revue en ligne) (novembre 2020).
Revue Traversées N°98 (avril 2021).
Revue Recours au poème (en ligne) (N° 213 mars-avril 2022).

Prose :

Revue Traversées N°90 (mars 2019).

Critique :

Revue Traversées (en ligne) (août 2020) : Golgotha de Claude Luezior.
Revue Traversées (en ligne) (novembre 2020) : Angèle Vannier, la traversée ardente de la nuit de Dominique Bodin & Françoise Coty.
Revue Traversées (en ligne) (mai 2021) : Au milieu du gué (Attestato) de Giuliano Ladolfi.
Revue Traversées (en ligne) (septembre 2021) : Initiale de Lieven Callant.
Revue Traversées (en ligne) (mars 2022) : Ensoleillements au cœur du silence de Sonia Elvi­reanu.
Revue Traversées (en ligne) (août 2022) : Sur les franges de l’essentiel suivi de Ecritures de Claude Luezior.
Revue Recours au poème (en ligne) (N° 206 janvier-février 2021) : Le chant de la mer à l’ombre du héron cendré de Sonia Elvireanu.
Revue Recours au poème (en ligne) (N° 207 mars-avril 2021) : Un Ancien Testament déluge de violence de Claude Luezior ; Epître au silence de Claude Luezior.
Revue Couleurs Poésie 2 - Jean Dornac (en ligne) (janvier 2021) : Le souffle du ciel de Sonia Elvireanu.

Sur l’auteur :

Les belles phrases d’Eric Allard, Mondes francophones, Babelio, Traversées, Site de l’AREW, Couleur poésie, Recours au poème…

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Claude Luezior, Au démêloir des heures

Infatigable poète, amoureux du Verbe porteur de sens et de vie, Claude Luezior ne cesse de questionner le réel, ses ténèbres, angoisses, captivités, tyrannies, mais aussi les rêves, leurs étranges visions, pour transgresser le réel, aller au-delà de la raison, s’enfouir dans l’imaginaire,  plonger dans des territoires étranges.

Il est en quête de mots et d’images à même de transcrire l’indicible, le magma intérieur, le tourbillon  de sensations qui ouvrent vers un nouveau monde que le poète saisit suivant la voie des surréalistes : « on vogue  au-delà des rêves transitoires » pour « faire grâce à cet autre moi de tous les impossibles », pour découvrir que « ce monde est aussi prodigue en dons » (Alain Breton).

À travers les ténèbres, errances et les folies de la vie, Claude Luezior va vers la lumière et la jubilation de la vie retrouvées après avoir traversé sa nuit, ses cauchemars, aux prises avec la souffrance, en marge de la folie, dans un merveilleux élan de survivre :

Fureur au démêloir du jour : convoquer l’insolence, survivre dans le sillon fertile de l’imaginaire. Ivresse au matin de la lumière.  (Liminaire)

Claude Luezior, Au démêloir des heures, Librairie-Galerie Racine, Paris, 2023, 93 pages, 15 euros.

Il se lance avec ferveur à la quête de l’indicible, dans le réel, l’onirique et l’imaginaire dans un élan  libérateur de toutes contraintes et créateur de visions poétiques, s’interrogeant aussi sur la poésie et la condition du poète :

 

La poésie est-elle oracle ou plain-chant de grands-prêtres, druides ou chamans

Leur parole cryptée, si vulnérable, serait-elle délivrance d’un état second que nous portons tous en nous ? 

 Porteurs d’inachevé, en rupture avec leurs semblables, les poètes sont-ils ces êtres  désignés  qui tentent désespérément  de traduire une langue rescapée du banissement et que nous aurions hérité  d’un inconscient originel ? 

La mouvance du poète est-elle de mettre des mots sur l’indicible, de tailler avec le burin de son verbe le magma en jachère

 

L’esprit raisonneur du poète se mêle à sa sensibilité poétique qui rayonne dans une expression poétique condensée, mais riche de sens et d’images. L’esprit d’harmonie règne dans la structuration du recueil : Liminaire, une réflexion qui éclaire la démarche du poète, ouvre le livre ; les poèmes sont groupés en séquences et précédés d’une réflexion. Ainsi, les images poétiques coulent telle l’eau de la rivière pour rendre compte  de ce que l’on ne peut pas démêler dans l’alliage de la vie et de la mort, de la raison et de la déraison, du visible et de l’invisible des choses.

Le poète semble avoir découvert un autre sens de la vie : aller vers sa lumière, sa beauté, « se gorger d’effervescences. Vivre »,  dans un élan jubilatoire qui transgresse ses noirceurs, ses saccages et ses morsures, se nourrir  de tous les instants de grâce de la vie qui font vibrer le cœur et les imprimer dans le tissu de ses poèmes.

C’est le triomphe de la lumière, sa danse, que le poète célèbre dans ce nouveau recueil, la retrouvaille du goût de la vie dans tout ce qu’elle peut offrir au-delà des déceptions, désillusions, drames et horreurs provoqués par la déraison et la folie des gens. Il faut réapprendre à goûter l’aube et non pas le crépuscule, s’ouvrir  au miracle de la nature et de l’amour, se libérer des « résilles de ladéraison » et faire place « aux rires de l’aube », reconquérir son souffle, sa lumière, sa beauté, son innocence,  laisser vibrer l’âme, remplir les mots du souffle de l’espoir, goûter sa saveur telle une pulpe rare :

 

doutes et conquêtes

ont capitulé

par usure des sabres

et s’écroulent

en ruines

 

espoirs et désirs

et leurs sœurs jumelles

se busculent dans ma rétine

 

c’est un jour de sucre

de pulpe rare et de blés

manne pour fiançailles

où jubilent

des persiennes ouvertes  (Pulpe)

 

Il suffit de « scander le malheur », nous dit le poète, il faut accueillir la lumière de la vie et s’en réjouir :

 

pour voir

au-delà

des somnolences

et de la gangue

…………………..

l’arc-en-ciel

qui se chamaille

avec l’ondée

…………………

la couleur

qui pulvérise

ses espoirs

 

les petits riens

qui butinent

leur amour

 

pour voir

ce qu’ils disent

au-delà

des indifférences

 

que l’on accueille

l’indispensable

 

que l’on aiguise

la lumière .

 

Il faut aimer la vie, malgré tout, redécouvrir l’émerveillement, ranimer en soi :

 

la part tarie

de l’accueil

se concentre

l’ivresse

des retrouvailles.    

 

Claude Luezior nous offre un beau livre, avec une belle image de couverture : un corps féminin, dans son rayonnement mystérieux, symbole de la poésie.

Présentation de l’auteur

Claude Luezior

Claude Luezior, auteur suisse d’expression française, naît à Berne en 1953. Il y passe son enfance puis étudie à Fribourg, Philadelphie, Genève, Lausanne, Rochester (Minnesota) et Boston. Médecin, spécialiste en neurologie (son nom civil est Claude-André Dessibourg), il devient chef de clinique au CHUV puis professeur titulaire à l’Université de Fribourg. Parallèlement à ses activités scientifiques, il ne cesse d’écrire depuis son jeune âge et commence à publier depuis 1995. 

Sortent dès lors une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart à Paris : romans, nouvelles, recueils de poésie, haïkus, ouvrages d’art. Tout comme en médecine, il encourage la collaboration multidisciplinaire, donne des conférences, participe à des expositions et à des anthologies, écrit des articles dans des revues littéraires ainsi que des préfaces.

Les éditions Librairie-Galerie Racine à Paris ont publié en 2018 et 2020 trois livres de Claude Luezior : Jusqu'à la cendre (recueil de poèmes), Golgotha (poème lyrique et dessins) ainsi qu' Un Ancien Testament déluge de violence (critique humoristique et pacifiste).

Certains de ses livres sont traduits en langues étrangères et en braille.  Luezior reçoit de nombreuses distinctions dont le Prix européen ADELF-Ville de Paris au Sénat en 1995 ainsi qu’un Prix de poésie de l’Académie française en 2001. Il est nommé Chevalier de l’Ordre national des Arts et des Lettres par le Ministère français de la Culture en 2002. En 2013, le 50e prix Marie Noël, dont un ancien lauréat est Léopold Sédar Senghor, lui est remis par l’acteur Michel Galabru de la Comédie française.

www.claudeluezior.weebly.com

 

Autres lectures

Claude Luezior, Ces Douleurs mises à Feu

Lorsque CLAUDE LUEZIOR, l’un des premiers stylistes contemporains, comme le souligne le poète Jean-Louis Bernard, laboure les broussailles  de l’aube aux reflets de lignite, les mots/ tels des loups se lancent à sa poursuite. Somptueux hallali [...]

Claude Luezior, Epître au silence

A l’origine le mot épître, issu du grec, repris en latin, désigne une simple lettre. Au fil du temps, le terme va qualifier un mode d’expression utilisé pour rédiger des traités courts, des [...]

Claude Luezior, Émeutes, vol au-dessus d’un nid de pavés

Esprit humaniste par excellence, Claude Luezior (poète, romancier, essayiste, critique littéraire, amateur d’art) ne cesse d’explorer le quotidien pour dévoiler ses multiples visages avec la même ironie et l’humour si particuliers que l'on [...]

Claude Luezior, Au démêloir des heures

Infatigable poète, amoureux du Verbe porteur de sens et de vie, Claude Luezior ne cesse de questionner le réel, ses ténèbres, angoisses, captivités, tyrannies, mais aussi les rêves, leurs étranges visions, pour transgresser [...]

Claude Luezior, Au démêloir des heures

Claude Luezior maîtrise l’art de donner à ses livres des titres qui étonnent. En quelle boutique improbable a-t-il bien pu dénicher son peigne temporel ? Dans un bref liminaire en prose il en donne [...]




Claude Luezior, Sur les franges de l’essentiel suivi de Écritures

Infatigable poète et penseur, Claude Luezior réfléchit sans cesse à l’Histoire décevante de l’humanité, à ses défaillances et injustices qui persistent au fil des siècles, mais aussi à la poésie et aux poètes qui s’érigent contre le mal de toute sorte dans leur appel au bonheur de la vie.

Son nouveau recueil Sur les franges de l’essentiel suivi de Écritures est conçu d’une manière particulière, le poète y met ses réflexions en poèmes, effluves de pensées et de sentiments, et en prose poétique. Ainsi la voix du poète renforce-t-elle celle du penseur, la poésie et la métapoésie se donnent la main pour nous faire réfléchir à l’évolution de l’Histoire  toujours tragique et au langage de la poésie au fil du temps.

Son livre s’ouvre avec le « Liminaire », un discours sur le besoin de l’homme de graver son empreinte sur la Terre, de la préhistoire à nos jours, avec les moyens de chaque époque : peintures sur les parois des cavernes, parole inscrite sur les tablettes d’argile ou de cire, sur le papyrus ou imprimée sur papier depuis la découverte de Gutenberg, absorbée par le nouveau langage des médias, globalisé, « sans foi et loi ».

Le poète dessine le visage d’une Histoire qui s’avère « une chanson de sourds » où les poètes, « une érigie de fous », se heurtent aux politiciens véreux, « aveugles », indifférents au langage secret de l’art, une histoire à laquelle il refuse de se plier, dénonçant ses défaillances, ses combats de la mort. 

Claude Luezior, Sur les franges de l’essentiel suivi de Écritures, éditions Traversées, 2022, 128 pages, 25 Euros.

La poésie devient alors une sorte d’aube qui sème de la lumière dans les ténèbres du temps historique malheureux. Et le poète s’ouvre tel un coquillage où « luisent tous les désirs ».

Claude Luezior aimerait nous rendre conscients de l’essentiel de la vie, ce don merveilleux que les gens ne cessent de dégrader par leurs envies destructives, par leur orgueil maléfique du pouvoir qui conduit vers l’absurdité des guerres fratricides et abominables.

Sa plume dénonce et interroge une Histoire tragique, de « batailles, traîtrises et massacres », « les affres et les tragédies », « la schizophrénie ambiante » de coloniser, l’avenir en danger, asservi à l’intelligence artificielle qui prend le dessus sur « l’intelligence du cœur ».

Engagé, le poète se fait le porte-parole de la souffrance humaine : il veut avertir sur le danger d’un avenir asservi aux technologies, sur une « agonie que secrètent des siècles d’indolence ». Il ne cesse de questionner l’homme et sa « folie inventive » qui va contre l’homme. Il parle au nom de l’art, de la parole poétique, lave d’un volcan et empreinte de l’existence sur la Terre.

Face à la mort qui guette de partout, car la finitude biologique de l’homme est une vérité

incontestable, face aux horreurs et à la folie humaine, le poète se demande pourquoi il n’aurait pas le droit de régner dans l’Empire de la poésie, de faire de la vie un acte de courage, de dignité, de joie, de se livrer à l’espoir de « délivrer la vie de son tombeau le plus obscur » :

goûter ce brin de vie

et sa goutte éphémère

 juste à l’instant sacré

me nourrir d’enluminures

prendre la pause d’un émerveillement

quand la fraîcheur

d’un bocage

féconde nos mains

de frémissements

Le poète s’engage à dire la vérité si douloureuse qu’elle puisse être, mais aussi l’espoir à la vie, sa foi en l’art authentique qu’il oppose au virtuel qui mêle tout, déforme le réel y compris le langage, règne en maître absolu sur un présent asservi. Il le fait à sa manière, avec ardeur, révolte, ironie et sarcasme, incessant combattant sur les barricades du Verbe.

Si dans la première partie du recueil, Franges de l’essentiel, Claude Luezior réunit délibérément poèmes et prose, dans la deuxième partie, Écritures, il nous parle en petites proses poétiques, s’ouvrant parfois à la confession de l’écriture, au tourbillon des mots qui assaillent le cerveau du poète jusqu’à leur mise sur la page sous l’éclairage des phrases qui construisent un sens, car l’artiste « tourmente ses phalanges ». Il réfléchit à l’écriture, « une meute de mots, une émeute à l’intérieur de soi », « un acte dangereux », « une mise à nu avant l’immolation »,  un « acte irréversible où l’écrivant avoue sa condition humaine au bord de sa mise en cendres ».

Dans l’écriture « se tordent les âmes dans l’espoir d’un salut », car le poète joue avec « ses rêves d’éternité », sa plume fiévreuse fait danser les ombres de tout ce qu’il a vécu, ainsi se fait–il acteur et témoin de l’Histoire. C’est pareil dans la peinture à laquelle Claude Luezior fait souvent référence dans son recueil, mais aussi dans ses essais et dans ses livres d’artiste. Le choix du poète nous semble très inspiré pour la couverture de son livre :  la peinture de Jean-Pierre Moulin illustre à merveille la tourmente intérieure d’où jaillit la création.

Présentation de l’auteur

Claude Luezior

Claude Luezior, auteur suisse d’expression française, naît à Berne en 1953. Il y passe son enfance puis étudie à Fribourg, Philadelphie, Genève, Lausanne, Rochester (Minnesota) et Boston. Médecin, spécialiste en neurologie (son nom civil est Claude-André Dessibourg), il devient chef de clinique au CHUV puis professeur titulaire à l’Université de Fribourg. Parallèlement à ses activités scientifiques, il ne cesse d’écrire depuis son jeune âge et commence à publier depuis 1995. 

Sortent dès lors une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart à Paris : romans, nouvelles, recueils de poésie, haïkus, ouvrages d’art. Tout comme en médecine, il encourage la collaboration multidisciplinaire, donne des conférences, participe à des expositions et à des anthologies, écrit des articles dans des revues littéraires ainsi que des préfaces.

Les éditions Librairie-Galerie Racine à Paris ont publié en 2018 et 2020 trois livres de Claude Luezior : Jusqu'à la cendre (recueil de poèmes), Golgotha (poème lyrique et dessins) ainsi qu' Un Ancien Testament déluge de violence (critique humoristique et pacifiste).

Certains de ses livres sont traduits en langues étrangères et en braille.  Luezior reçoit de nombreuses distinctions dont le Prix européen ADELF-Ville de Paris au Sénat en 1995 ainsi qu’un Prix de poésie de l’Académie française en 2001. Il est nommé Chevalier de l’Ordre national des Arts et des Lettres par le Ministère français de la Culture en 2002. En 2013, le 50e prix Marie Noël, dont un ancien lauréat est Léopold Sédar Senghor, lui est remis par l’acteur Michel Galabru de la Comédie française.

www.claudeluezior.weebly.com

 

Autres lectures

Claude Luezior, Ces Douleurs mises à Feu

Lorsque CLAUDE LUEZIOR, l’un des premiers stylistes contemporains, comme le souligne le poète Jean-Louis Bernard, laboure les broussailles  de l’aube aux reflets de lignite, les mots/ tels des loups se lancent à sa poursuite. Somptueux hallali [...]

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Aurel Pantea, une voix à part de la poésie roumaine

Aurel Pantea est maître de conférence à l’Université d’Alba Iulia, en Roumanie. Il est né le 10 mars 1952 à Chețani, le département de Mureș. Pendant ses études à l’Université Babeș-Bolyai de Cluj-Napoca,  il a fait partie du comité de rédaction de la revue « Echinox ». La critique littéraire roumaine considère sa poésie comme représentative de celle de la génération littéraire des années 80, qui comprend des écrivains affirmés de cette période du siècle passé. Il a publié 11 recueils de poésie. Il écrit et publie aussi des articles de critique littéraire et des essais.

Sa poésie a été couronnée de nombreux prix dont le plus important, le Prix  « Mihai Eminescu » (2018). L’esprit critique a découvert dans sa poésie œuvre des traits neo-expressionnistes. L’unité de sa poésie tient dans l'exploration du côté sombre, caché,  des êtres et du réel. Il est aussi rédacteur en chef de la revue culturelle Discobolul qui paraît à Alba Iulia.

Extrait du livre d'Aurel Pantea Œuvres poétiques (Maison d'édition parallèle 45), auteur et voix : Aurel Pantea (C) ; compositeur musique & guitare : Silvan Stâncel www.silvanstancel.ro (C) ; studio : Moving Records - Production musicale et autres Movingrecords.

Poèmes extraits du recueil Le destructeur, Limes, 2012.

Traduction de Sonia Elvireanu

Pour Katia

                                               

Les gens dans la rue, comme tu les sens, comme une pâte,

secrétés par une impulsion sans niveau, éloignés et terriblement inhumains,

avec des voix sortant d’un état

déplorable de l’imagination, ils sont la fin, le jour mort, la réalité sans appels,

faite de choses de dehors,

tu les trouves parmi les morts, tu les regardes avec de vieilles envies, ils apparaissent

dans le flux ophidien des sens, dans les contorsions, les apparitions embuées,

comme les sens longtemps non-exercés,

il vient un moment où tu as honte de ton propre corps, quand tu ne supportes plus

la lumière sur ta peau, quand de tes bras glisse

une bête qui abandonne,

le monde en nous, si on pouvait le soulever avec nos veines,

si on pouvait, dans l’impudeur, ressentir des clapotis et des tons

en résorption,

on regarderait avec notre peau,

on revient à la matière pure, sans lèvres,

avec de la terre et des propositions dans la bouche,

on devient un avec le mot de passe noir,

au début d’un jour qui ne peut plus naître,

après des transactions défigurantes les visages produisent

une lumière illicite, comme le milieu du jour des morts, là,

une terre ondulée comme l’émotion

nous dit notre vrai nom

   

***

 

Biographies éjaculées,

des voix sorties d’une bouche éfondrée, je reste dans mon propre âge

comme dans une corde,  mes veines et mes propositions sont des cordes,

un soleil coule dans les fins des langages.

Les instincts fument, des chœurs de femmes,

la mort passe et s’oublie.

Regarder au cœur du mal, là

il n’y a pas de cœur, seule une sérénité sulfureuse,

elle mange mon poème

                                                                  ***

 

 

Un vieil homme s’installe en moi, il occupe peu à peu tous les coins,

pour l’instant on vit ensemble, on a les mêmes vices, on aime les mêmes femmes,

mais il grandit des choses auxquelles je renonce, à certains moments,

quand le langage même a une ombre, j’entends des souffles fatigués

et alors je dis :

Mon Dieu me digère, mon Dieu a faim,

mon Dieu se drogue, mon Dieu insulte, il ne fait pas de raisonnements,

c’est un type direct, il te crache au visage, souffre,  ses langages immédiats sont

le mépris, l’amour, la vengeance,

il ne fait pas de politique, il la supporte et la défie, mon Dieu reste avec tous les

putains,

il reste avec les poissons et il les aime tous, et il dit que tous ressusciteront, et tous

auront un peu moins peur quand ils mourront, mon Dieu fait tous les jours

des exercices de mort et de ressuscitation sur ma peau, et je l’aime follement,

encore faut-il aimer, n’est-ce pas,

de mon Dieu la plupart parle avec supériorité, c’est un

Dieu plus difficilement à supporter, parce que, parfois, il pue,

et en plus, il a beaucoup de morts sur Sa grande conscience, et tous ne sont pas réconciliés,

mon Dieu me ressemble, il peut être laid et agressif, il est vraiment violent

et vicieux, en parlant de lui je le fais comme moi, ce serait un péché, mais

c’est ainsi que je le sens plus près, il naît dans mes faiblesses, d’habitude,

le rien y habite ou quelque chose si désintéressée de signification,

que ça ressemble à rien, mais il aime mon rien,

ça m’a toujours ébahi, il sait que mon rien

est la semance du destructeur qui veut me connaître muet

***

 

                                             À Cis et au berger Ioan Moldovan

Le grain de la conscience de la mort tombe profondément en nous,

toi et moi, nous sommes très loin et nous regardons

les champs de blé et les moissonneurs,

dans la grande mort la débauche augmente

la fleur prédatrice

***

                                                                   

Aujourd’hui, j’ai vu mon cœur, il battait très loin,

il me semblait que ce n’était pas mon cœur, à côté, près d’un appareil sofistiqué,

la femme médecin  aux yeux bleus m’a laissé écouter un instant

ses rythmes, j’ai entendu de gros torrents et un sifflement,

le temps se tourmentait en grandes fleuves, ce serait vrai,

a dit la femme médecin, si on était au milieu,

si on revenait dans son cœur, on verrait les souterrains

d’où vient le destructeur

 

 

 

Récital au Gala de la poésie roumaine contemporaine Alba Iulia en 2016.




Claude Luezior, Émeutes, vol au-dessus d’un nid de pavés

Esprit humaniste par excellence, Claude Luezior (poète, romancier, essayiste, critique littéraire, amateur d’art) ne cesse d’explorer le quotidien pour dévoiler ses multiples visages avec la même ironie et l’humour si particuliers que l'on trouve dans son  œuvre.

Son nouveau livre, Émeutes, tire son inspiration d’une image familière de la rue, l’agora contemporaine en France et ailleurs: les manifestations, forme de contestation,  des mécontentements, révolte de la populace contre le pouvoir, avec ses dérapages et un mécanisme social trop contraignant.

Le sous-titre, vol au-dessus d’un nid de pavés, renvoie le lecteur au roman de Ken Kesey Vol au-dessus d’un nid de coucou. Ainsi, le poète annonce-t-il son intention de parodier les « émeutes » qui perturbent  la routine par des bagarres, violences et agressions, la riposte du pouvoir étant parfois tout aussi violente et sans solution.  

Dès le début du recueil l’auteur nous éclaire sur son intention :

Quand, désespoir au poing, le peuple monte au barricades. Quand sont rongées les entrailles de Prométhée. 

Cet opuscule commence comme un manuel du parfait émeutier. Non pas petit livre rouge du dissident mais évocation débridée, noire de flics, contestant parfois les contestataires, quitte à voir un peu jaune (Liminaire).

Claude Luezior, Émeutes, vol au-dessus d’un nid de pavés, Cactus Inébranlable éditions, 2022, 78 p., 10 euros.

Dans son "manifeste" davantage sociologique que politique, Luezior tient à exprimer sa pensée pacifiste, sa méfiance face aux émeutes, dans lesquelles il voit une possible forme de libération collective de ses tensions: « Je déteste l’émeute. Peut-être est-elle libératrice ? ».

Avec son esprit railleur, l’auteur fait paraître les décors et les protagonistes tel un spectacle bruyant avec ses manifestants et ses flics, sorte de happening qui se déroule sur le pavé des métropoles.

Claude Luezior s’interroge sans cesse sur le sens de l’émeute : cri de désespoir, tumulte populaire, consommation de la fureur collective contre les bourgeois, grisaille de la foule, esprit de fronde, révolutionnaire ou guerrier, « pandémie récurrente de quelque projet atavique ». C’est comme une pièce de théâtre où l’on reconnaît l’anarchie et ses personnages, le « carnaval de l’insurrection qui est comme « une peinture baroque sur fond de macadam ».

L’auteur se fait le peintre du spectacle bigarré de la manifestation, les  images visuelles et sonores sont prégnantes, le  langage persifleur, le verbe saillant pour rendre le dynamisme en quelque sorte cinématographique de l’image, que ce soit le personnage collectif au premier plan ou quelques petites scènes du quotidien.

Voilà un pêle-mêle humain , « une meute hurlante »,  déchaînée, sans gloire,  avec un esprit de vengeance destructeur, oubliant parfois sa propre cause : « Chacun est contre, mais ne sait vraiment « contre » quoi » L’auteur y voit la caricature des révoltes populaires pour la liberté que l’Histoire  a connues. Ici, il leur manque parfois un idéal construit, de vrais héros, car elles sont détournées de leur but par des fanfarons et des rebelles de toute sorte.  

L’émeute est là, sur les pavés, y perdure ; elle est dans les entrailles de chaque génération et ne disparaîtra pas à l’avenir, sans cesse réinventée par les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle et de nouveaux acteurs sociaux.

La peinture de ce réel inquiétant et chaotique, pimentée de renvois précis aux  événements récents (assaut du Parlement américain, protestations des gilets jaunes, des anti-vaccins etc.) n’est pas dépourvue de poésie, le rêve de beauté du poète surpassant la noirceur du social.

La peinture de Philippe Trefois sur la première de couverture est en résonnance  avec le texte. Ce couple semble plutôt sans identité précise, tels les contestataires du livre de Claude Luezior. L’éditeur a bien choisi cette œuvre picturale qui correspond à la plume piquante de l’auteur.

Présentation de l’auteur

Claude Luezior

Claude Luezior, auteur suisse d’expression française, naît à Berne en 1953. Il y passe son enfance puis étudie à Fribourg, Philadelphie, Genève, Lausanne, Rochester (Minnesota) et Boston. Médecin, spécialiste en neurologie (son nom civil est Claude-André Dessibourg), il devient chef de clinique au CHUV puis professeur titulaire à l’Université de Fribourg. Parallèlement à ses activités scientifiques, il ne cesse d’écrire depuis son jeune âge et commence à publier depuis 1995. 

Sortent dès lors une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart à Paris : romans, nouvelles, recueils de poésie, haïkus, ouvrages d’art. Tout comme en médecine, il encourage la collaboration multidisciplinaire, donne des conférences, participe à des expositions et à des anthologies, écrit des articles dans des revues littéraires ainsi que des préfaces.

Les éditions Librairie-Galerie Racine à Paris ont publié en 2018 et 2020 trois livres de Claude Luezior : Jusqu'à la cendre (recueil de poèmes), Golgotha (poème lyrique et dessins) ainsi qu' Un Ancien Testament déluge de violence (critique humoristique et pacifiste).

Certains de ses livres sont traduits en langues étrangères et en braille.  Luezior reçoit de nombreuses distinctions dont le Prix européen ADELF-Ville de Paris au Sénat en 1995 ainsi qu’un Prix de poésie de l’Académie française en 2001. Il est nommé Chevalier de l’Ordre national des Arts et des Lettres par le Ministère français de la Culture en 2002. En 2013, le 50e prix Marie Noël, dont un ancien lauréat est Léopold Sédar Senghor, lui est remis par l’acteur Michel Galabru de la Comédie française.

www.claudeluezior.weebly.com

 

Autres lectures

Claude Luezior, Ces Douleurs mises à Feu

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Infatigable poète, amoureux du Verbe porteur de sens et de vie, Claude Luezior ne cesse de questionner le réel, ses ténèbres, angoisses, captivités, tyrannies, mais aussi les rêves, leurs étranges visions, pour transgresser [...]

Claude Luezior, Au démêloir des heures

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Yves Namur, N’être que ça

« Voir c’est peut-être marcher dans le dedans de soi, marcher vers l’impensable » 

N’être que ça, un livre d’essais d’environ 100 pages, en format de poche, invite les lecteurs à plonger dans les réflexions d’Yves Namur, à prendre part à son questionnement, à sa quête incessante. De quoi ? Peut-être d’un livre qui dit tout, qui contient tout de la vie et de la mort, l’Oeuvre de Mallarmé,  peut-être : « Il m’arrive de penser que c’est un livre que je cherche désespérément. Un livre ou tout serait dit […]. Un livre qui contiendrait tout, jusqu'à l’histoire de ma mort prochaine ».

L’auteur  met sur les pages ses pensées, ses sensations, ses interrogations sur la vie et la mort, sur les choses que l’on voit autour de nous, les oiseaux, les fleurs, le ciel, les arbres, un petit jardin, ce microunivers qui nous parle dans son langage à lui et nous donne des leçons de vie. Il faut réapprendre à regarder, à voir, nous dit-il par la voix d’Édmond Jabès d’Aely: « Le regard n’est pas le savoir, mais la porte. Voir, c’est ouvrir une porte ». 

En effet, Yves Namur est à l’écoute des voix qui appellent d’un livre, du soi, des choses, de la nature, des mots, les voix du visible et de l’invisible qui construisent son chemin de réflexion, une naissance, car « écrire c’est naître » pour lui.

Regarder c’est aussi naître, s’ouvrir au monde, voir les choses vivre naturellement, n’être que vie, et se demander si l’homme ne pourrait cesser de chercher le savoir et n’être tout simplement qu'un peu de vie, tel un oiseau, une fleur, n’être que trace de l’éphémère. Cependant il n’arrête pas d’interroger, de questionner la naissance, la vie, la mort, les choses, les mots, dans une suite de questions sans réponse et de réflexions dans une lettre adressée à un inconnu ou tout simplement à soi-même pour entretenir l’apparence d’un dialogue.  Il imagine parfois une réplique de son interlocuteur, son (auto)portrait ironique,  maintenant ainsi la dynamique d’une réflexion communiquée à l’autre. 

Yves Namur, N’être que ça, Éditions Lettres vives, 2021, 16 euros.

Sa réflexion infatigable se nourrit de culture livresque et s'interroge sur l’une de leur phrase ou d’un mot, telle « la lampe éteinte qui allume encore » de Juarroz. Parfois il raconte une histoire ou cite un passage de la Bible. Il passe avec aisance de cette culture livresque au réel, regardant un merle, un mésange, un rouge-gorge ou une rose, un tas de feuilles qui lui inspirent aussitôt une interrogation, une réflexion.

Une chose qu’on regarde est « porte de vie et porte de paroles », « une porte de questions ». Celui qui regarde est « pèlerin sans chemin », car « voir c’est peut-être marcher dans le dedans de soi, marcher vers l’impensable », « regarder l’envers des choses, l’envers de l’aile ».

Il interroge les mots : naître, être, mort, ange, vide, silence, solitude, prière, rose, Dieu, écrire etc. Pour lui « écrire c’est naître », « naître et être » n’est qu’une seule vocable, c’est « ajouter du poids à mon ignorance, du trouble à ma langue ». Écrire c’est participer à la vie, être trace du vécu, le livre « un urne funéraire », « ce qu’on garde de l’autre dans sa mémoire ».

Le regard d’Yves Namur, son questionnement infatigable va du visible vers l’invisible, de l’être vers le non-être, de la  vérite vers la non-vérité, du sens vers le non-sens. C’est un regard qui s’ouvre sur le réel, étant à la fois interrogation des formes de l’être et quête du non-être.

« Le paradis est dans l’œil de celui qui regarde ». Voici une invitation à voir autrement que par la raison, à sentir la beauté naturelle de tout ce qui existe tout simplement, à regarder les choses dans leur simplicité, les interrogeant cependant pour apprendre de leur silence et de leur lumière à « n’être que ça, une trace de silence », car « seules les traces font rêver » (René Char).

Présentation de l’auteur

Yves Namur

Yves Namur est né à Namur (Belgique) en 1952. Médecin, éditeur, il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages. Parmi ceux-ci Le Livre des sept portes (Lettres Vives, Paris, 1994), Le Livre des apparences (Lettres Vives, 2001), Les ennuagements du cœur (Lettres Vives, 2004), Dieu ou quelque chose comme ça (Lettres Vives, 2008) ou La Tristesse du figuier (Lettres Vives, 2012). Ses livres sont traduits et publiés dans une quinzaine de langues et ont reçu de nombreux prix parmi lesquels le Louise Labé, le Tristan Tzara, le Prix littéraire de la Communauté française, le Prix international Eugène Guillevic pour l’ensemble de son œuvre et plus récemment en 2012, le Prix Mallarmé. Il est membre de l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique et depuis peu, membre de l’Académie Mallarmé.

 

Deux anthologies de ses œuvres viennent de paraître : Un poème avant les commencements (1975-1990), Le Taillis Pré, en coédition avec Le Noroît, 2013, et Ce que j’ai peut-être fait(1990-2012), Lettres Vives, 2013.

 

 

Poèmes choisis

Autres lectures

Namur

Orchestré par Jacques Rancourt, du 19 juin 2013 au 23 juin 2013. Informations ici : http://www.printempsdespoetes.com/index.php?url=agenda/fiche_eve.php&cle=39842 ou là : http://www.mplf.be/  

Deux anthologies de poèmes d’Yves Namur

Les recueils, tous deux édités en 2013, permettent de parcourir plusieurs décennies d’écriture poétique. Un poème avant les commencements regroupe des textes écrits de 1975 à 1990 ; Ce que j’ai peut-être fait est [...]

Yves Namur

  UNE ANTHOLOGIE PARTISANE         À l’occasion du trentième anniversaire du Taillis Pré, Yves Namur, le fondateur et animateur de cette maison uniquement dédiée à la poésie, publie une anthologie [...]

Yves NAMUR, Les Lèvres et la soif

      Dans son incessant questionnement, entre métaphysique et poésie, Yves Namur procède selon une méthode qui vise à creuser, en reprenant à la fois le mouvement de la vrille et celui [...]

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Les 115 chants que nous donne à lire le Poète Yves Namur, l’une des grandes voix poétiques de la poésie belge, « Dis-moi quelque chose », suivent le cours des saisons. C’est musical, comme un [...]

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Marian Drăghici, Poèmes

Traduction du roumain par Sonia Elvireanu

hymne. à la  jouissance complète

 

j’ai eu un étang
j’ai eu une maison
avec un étang

maintenant

au bord d’aucune eau
je demeure
et regarde dans l’eau: le ciel

avec des poissons et des étoiles
avec le petit verre parmi elles.

ce fut
le but de ma vie

je peux

te contempler, Dieu,
à cet instant
éternellement

tout

 

imn. juisării complete

 

am avut heleşteu
am avut casă
cu heleşteu

acum

la margine de nicio apă
stau
şi mă uit în apă : cerul

cu peşti şi stele
cu păhăruţul printre ele.

ăsta fuse
rostul vieţii mele

pot

să te contemplu, Doamne
în clipa asta
veşnic

tot

 

la trace. une cantilène

 “Dichterexistentz als Sünde” (Rilke)

 

de mon temps, pendant les fêtes
il neigeait aux petits verres sur le village
du crépuscule à l’aube
de l’aube au crépuscule
de l’aube au crépuscule

à blancs petits verres il neigeait
à blancs petits verres il tourbillonnait
à blancs petits verres il neigeait
à blancs petits verres il tourbillonnait

il neigeait,
il neigeait aux petits verres en tourbillons
sur les traces de l’enfant parti
seul
au monde
à faire ses voeux.

seul
au monde
à faire ses voeux.

en regardant sa trace
remémorée
en regardant sa trace
remémorée de tant de blanc immaculé
ma foi, je me suis enivré
de tant de blanc immaculé
ma foi, je me suis enivré :

assez, c’est terminé
avec l’existence
du poète
comme péché !

le ronronnement de la chatte
à la fenêtre quand elle écrit
en soi une poésie
une grande, absolue poésie
dont personne ne sait
comme du tombeau du désert
comme du tombeau du désert

c’est ma seule nostalgie
c’est ma seule
ma seule
nostalgie.

 

urma. o cantilenă

 “Dichterexistentz als Sünde” (Rilke)

 

la vremea mea, în sărbători
ningea cu păhăruţe peste sat
din înserare până-n zori
din zori şi până-n înserat
din zori şi până-n înserat

cu albe păhăruţe fulguia
cu albe păhăruţe viscolea
cu albe păhăruţe fulguia
cu albe păhăruţe viscolea

ningea,
ningea cu albe păhăruţe ‘nvolburat
pe urmele băiatului plecat
singur
în lume
la urat

singur
în lume
la urat.

privind în urma lui
rememorat
privind în urma lui
rememorat de-atâta alb imaculat
pe cinstea mea, m-am îmbătat
de-atâta alb imaculat
pe cinstea mea, m-am îmbătat:

gata, s-a terminat
cu existenţa
poetului
ca păcat!

torsul pisicii
la geam când scrie
în sinea ei o poezie
o mare absolută poezie
de care nimeni nu ştie
ca de mormântul din pustie
ca de mormântul din pustie

e singura mea nostalgie
e singura singura
mea
nostalgie.

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Marian Drăghici

MARIAN DRĂGHICI (n.1953). Poète par excellence, il est rédacteur de la prestigieuse revue littéraire La vieroumaine, fondée en 1906, et membre de l’Union des écrivains roumains. Il a publié : De l’art poétique (1988), La partie de billard de la forêt russe (1995), Le franc-tireur (1996), Le franc-tireur & le coq en tôle (1996), Harrum, le livre de l’échec (2004), Licht, lansam/Lumină, încet, (édition bilingue) publiée par les Éditions Wieser Verlag, Klagenfurt, Autriche, en 2004, lancée à Vienne lors d’un récital extraordinaire du poète, bénéficiaire par la suite d’une bourse remise par Austria Kulturkontakt (en 2005), La Négresse (2005), lumière, doucement (2013). Il a fait de nombreuses lectures publiques lors des festivals de poésie en Roumanie et à l’étranger. Il a reçu de nombreux prix et distinctions, dont les plus importants : Prix de la revue Ramuri pour son premier recueil en manuscrit, Le verre au rayon (1985), Frontiera Poesis (1996), Chevalier de l’Ordre du Mérite culturel (2004), Prix « Virgil Mazilescu » (2009), le prestigieux Prix national « Tudor Arghezi » pour Opera Omnia (2014), remis par l’Union des écrivains roumains et l’Institut culturel roumain. Ses poèmes sont inclus en anthologies dans le pays et à l’étranger. Il est traduit en anglais, français, allemand, albanais et macédonien.

Poèmes choisis

Autres lectures

Marian Drăghici, Poèmes

Traduction du roumain par Sonia Elvireanu hymne. à la  jouissance complète   j’ai eu un étang j’ai eu une maison avec un étang maintenant au bord d’aucune eau je [...]