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Autour de Jacques Vandenschrick, François Migeot, Anne Rothschild

Jacques Vandenschrick, Livrés aux géographes

Le gabarit classique des livres de Vandenschrick – quarante poèmes, tous dédiés à S. – est ici, une fois de plus respecté (au chouia près), avec un liminaire en 3 phases et 38 poèmes numérotés.

L’univers thématique du poète que l’on suit depuis ses débuts (1986, Vers l’élégie obscure) ressemble au domaine de la montagne, entre bergerie et hameaux désolés, où le poète nomme les fuyards, que sont nos morts ou d’autres visiteurs de lieux de brume, où l’on progresse comme au sein d’une âme et de sa mémoire.

Jacques Vandenschrick, Livrés aux géographes, Cheyne, 2018, 64p., 17€.

Rompant depuis peu avec les poèmes versifiés, le voici s’exerçant au poème en prose, avec un sens aussi fluide :

 

C’est pour toi que déjà, les mots appellent la neige… Ils ne savent pas non plus les réponses. Mais ils comprennent mieux les questions. (p. 50)

 

Un poème de Vandenschrick se reconnaît à ses métaphores où entrent, incongrus, insolites, tellement justes, des termes que l’on ne verrait pas « normalement » associés : « supplique des cordes » ou « il peine en ses provinces », ou encore  « le couchant des cédilles incompréhensibles ». Le lyrisme contenu, quasi corseté par une sobriété des moyens, isole sûrement notre créateur poète, en marge d’une poésie d’aujourd’hui largement signifiante ou répétitive ou au pire précieuse. Rien de tout cela chez Jacques Vandenschrick, météore isolé dans son originalité (composition, univers, style). Cet onzième opus (tout est publié chez Cheyne)  tisse une géographie, lentement et sûrement déclinée, sensuelle et mélancolique, toute de « chagrin » enfin assoupi, qui laisse venir au poème « une fille aux seins miraculeux (qui) berce un peu d’enfance… » (p.34)

Oui, son « chant délabre le cœur au bord des pierriers ».

Oui, « les mots t’aideront quand il faudra quitter l’été perdu sans remède ».

Quitter, abandonner : toujours une souffrance (qu’un R.E.M. musical énonce en son « Leaving New York »), toujours une démarche vers soi, rompant le temps ou le fléchissant en ses parages poétiques.

Notre plus grand poète belge vivant  (n’en déplaise à des noms plus souvent cités) installe durablement un talent unique.

 

François Migeot, Des voix à travers les feuilles

 

Ecouter Debussy et noter, au fil des musiques, des saisons traversées, et en écho aux très belles aquarelles de Bern Wery, griffures de sens et de couleurs, l’étrange « lumière » du « temps qui se penche/ à même le monde ». L’espace recèle « la nuit (qui) ouvre lentement ses portes/ on avance dans la crue/ dans le grain d’une foule ».

Les vers relaient par leurs formes les mouvements des partitions, orchestrées par paliers, petites escales ou escaliers par lesquels se déroule le poème.

L’écoute impose de « fermer les paupières », de se laisser envahir par le calme et le rien : ces « flocons », ces « ombres », des « silhouettes » qui surgissent dans la trame des mots.

 

Anne Rothschild, Nous avons tant voyagé

 

« La mitraille des oiseaux » de Jacques Vandenschrick sert d’épigraphe au beau livre de poèmes d’Anne Rothschild, Nous avons tant voyagé.

 

François Migeot, Des voix à travers les feuilles, Editions de l’Atelier du Grand Tétras, 2018, 88p., 18€.

Les douleurs du siècle, des temps qui ont précédé, sous la plume de la poète, acérée, d’une économie de moyens remarquable, brassent en une épopée les « enfants fracassés », les mémoires endolories d’une Grenade blessée, la folie « (qui) cognait aux murs », l’exil, tant de « cheminements » chez l’homme, entre « mémoire des siècles » et « annonciation sans résurrection ».

Anne Rothschild, Nous avons tant voyagé, Taillis Pré, 2018, 104p., 13€.

Parfois, dans l’imparfait qui préserve des nuages, le passé, encore, sert à colorier certains rêves d’enfance. Un air de « santons » préservés ou de « gouttes de rosée », recueillies humblement, allume quelque espoir au milieu des « mots qui pèsent ». Quoique… le risque veille ou le danger, et parfois la « tramontane lâchait ses chiens et leurs abois ».

Que l’épigraphe choisie provienne d’un recueil de Vandenschrick est assez logique au fond : on retrouve les mêmes parages, la même sollicitation du « temps disloqué » ou du « lointain des choses ». Poètes d’une même génération, de la même année de guerre, chèvres selon les signes chinois, aptes à cerner la mélancolique texture du monde (citons Alain Cavalier, Blanchot... ).

 

De l’héritage tranché

que léguerons-nous à nos enfants
outre la rose des questions
et la soif d’un horizon ouvert aux quatre vents ? 
(p.81)