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Autour de Salah Stétié

Les collages « de miroir et milard » créés par Catherine Bolle pour les mots de la tribu du scribe Salah Stétié leur donnent une fascination particulière. Celui qui a si souvent collaboré avec des artistes trouve en la plasticienne de Lausanne une collaboratrice majeure. D’une langue écrite à l’autre, une double mémoire se traverse. Des images de l’artiste surgit une fermentation. Elle permet d’aller beaucoup plus loin dans les inaccessibles plis de l’ineffable. Tout est là : il y a une pente, une sensation, une fenêtre pleine de détails qui échappent à la seule figuration. On y cherche un abri pour se laisser aller aux phrases de Stétié. Le poète y évoque ce qui se matérialise en plein jour, sans bruit, sous les apparences amorphes.

Dans Cela l’air, les textes sont posés contre les images-miroirs comme contre un mur. Ils y jettent une ombre courte. Tandis qu’à l’inverse, le bleuté des collages accorde aux textes une hybridation par effet de frôlements. Ce face à face propose un ensemble subtil et essentiel. Il se réfère à un présent jamais constant. Entre le geste de Catherine Bolle et les scansions de Stétié surgit ce qui prend appui et prend garde. Ce qui se présente et s’absente. Restent le tracé pour ce qui n’a pas de nom, l’écriture pour ce qui n’a pas de reflet ; l’ensemble est irrésistible et prégnant mais profondément pudique.

Ces « Fiançailles de la fraîcheur » éloignent de la simple apposition des mots (comme il y a une apposition des mains) en guise de vérité sous prétexte qu’il y aurait là un vocabulaire enchanté. Devenue épreuve de vie, l’écriture ne peut certes pas pratiquer le dessaisissement du nom mais contre « une identité fondamentale de réversibilité » l’image lui devient nécessaire. Et quand le poète s’efface, Catherine Bolle, tel l’ange de contradiction, donne à la parole qui manque non seulement un biais mais un poids. Bref elle fait ce que Blanchot demandait à l’art : « laisser pressentir que quelque chose parle en ne se disant pas ». Contre la perte du nom et le  pleurement l’image ouvre donc une seconde brèche, une tierce  source vitale.