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BERNARD MAZO — AOÛT 2010

Cet entretien avec Bernard MAZO, mené en août 2010, fut accordé à Gwen Garnier-Duguy pour la revue Le Magazine des Livres. Nous le publions dans Recours au Poème, in memoriam.

 

 

Bernard Mazo, le prix Max Jacob vient de vous être attribué, pour La cendre des jours et l’ensemble de votre œuvre. Nous avons la chance, au Magazine des livres, de pouvoir présenter des poètes que le grand public ne connait pas forcément. Pour nos lecteurs qui ne vous connaitraient pas, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis né à Paris en 1939, dans une famille où on ne lisait pas beaucoup, mais où pour moi, tout a commencé, dès la 5ème, avec la découverte éblouie de la poésie grâce – comme d’ailleurs beaucoup de poètes - à notre professeur de lettres qui, faisant foin du programme imposé, nous fit connaître et aimer Villon, Baudelaire, Nerval, Verlaine, Rimbaud, le jeune Mallarmé - celui des premiers poèmes écrits à Tournon – et puis Apollinaire. Dès lors, ma passion inextinguible pour l’écriture poétique s’étant si brusquement emparée de moi, elle ne devait jamais me quitter. Durant les années qui suivirent, je composai poèmes sur poèmes, la plupart d’une maladresse notoire – du moins pour les premiers, les suivants s’améliorant peu à peu, à force de travail - , jusqu’en 1956 – j’avais alors dix-sept ans – où ayant adressé mes poèmes récents à Jean Cayrol, celui-ci m’invita à plusieurs reprises dans son pigeonnier des éditions du Seuil pour me prodiguer des conseils que je n’ai jamais oubliés. Mais le plus grand tournant dans ma vie et par voie de conséquence dans la maturation de ma poésie, ce furent les 27 mois que je passai en Algérie, en tant qu’appelé du contingent. J’ai donc eu vingt ans dans les Aurès, comme dans le film de Jean Vautier, triste rêveur éveillé au cœur d’une guerre qui n’était pas la mienne et qui m’aurait, face à l’épreuve des jours et de l’exil, plongé dans le désespoir sans la compagnie de la poésie, celle, entre autres, de René Char et celle de mes propres poèmes qui, après des années d’apprentissage, atteignaient enfin, du moins me semblait-il, une force d’évocation  authentique. En 1964, le formidable éditeur de poésie que fut pendant plus de 60 ans René Rougerie, publiait mon premier recueil, suivi de plusieurs autres, dont le dernier, paru en 1999, reprenait quarante années de production poétique intitulé Dans le froid mortel de l’exil. Entre temps, et les années suivantes, je devais publier une demi-douzaine de recueils, salués favorablement par la critique. Devenu Secrétaire du Prix Apollinaire, membre de l’Académie Mallarmé  et du Pen-Club français, j’entrai au comité de rédaction de la revue Poésie 1, renaissant de ses cendres grâce à Jean Orizet, puis en 1999 j’ai lancé et co-dirigé avec André Parinaud durant près de dix années le mensuel de poésie Aujourd’hui poème aujourd’hui disparu. Le prix Max Jacob couronne avec La Cendre des jours (Ed. Voix d’encre) plus de cinquante années d’écriture poétique. C’est le plus beau cadeau que m’aient fait mes confrères poètes, au soir de ma vie, ayant aujourd’hui 71 ans.

 

A contrario de ce que Patrice Delbourg a très justement nommé la « poésie de laboratoire », vous pratiquez une parole simple et intelligible, accessible dans son épure et sa veine laissant affleurer l’émotion teintée d’une certaine mélancolie. Comment définiriez-vous votre poésie ?

Mon écriture poétique comporte effectivement un premier niveau de lecture d’une lisibilité immédiate. Proust affirmait que « La beauté se trouve à l’arrière des choses. ». De même, mes poèmes comportent à l’arrière de leurs vocables intelligibles, ce qui les distingue de la prose, un second niveau au contenu latent non formulé, mais riche de sens et qui, une fois déchiffré par le lecteur, permet de multiples lectures et opère à partir des mots les plus simples et du silence qui les ponctue, cette transmutation poétique du langage commun dont le mystère reste entier et que André Breton nommait « Cet infracassable noyau de nuit. ».

 

La cendre des jours tourne autour de cette énigme qu’est la poésie, le poème, la parole, avec ce sentiment que le poème est la lumière dans la nuit. Poésie pour pouvoir, disait Michaux, mais alors, Bernard Mazo, de quel pouvoir s’agit-il ?

Le pouvoir de la poésie est bien limité, voire dérisoire. Le « changer la vie » rimbaldien, repris d’ailleurs par André Breton pour définir l’objectif du Surréalisme était une utopie merveilleuse car le poète authentique sait bien que le verbe poétique est tout et rien à la fois, mais tout en étant conscient de ses limites, il ne se résout pas à se taire  et fait sienne cette définition de Saint-John Perse : « A la question toujours posée : « Pourquoi écrivez-vous ? » La réponse du Poète sera toujours la plus brève : Pour mieux vivre. ». Dès lors, nous savons simplement que nous avons pour mission d’apprivoiser l’instant qui passe, de figer ce qui s’enfuit, de nommer ce qui va mourir.

 

 

Les images du cœur et de l’espérance sont omniprésentes dans votre poésie. Que charrient-elles chez le poète Mazo ?

Je pense que le poète doit vivre dans la Cité des hommes. Ainsi ma poésie tente de parler au nom de ceux qui n’ont pas les mots pour dire leurs souffrances, leurs joies, leurs espoirs. Elle questionne aussi le grand mystère de la vie. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

 

 

Au-delà de votre poésie personnelle, publiée chez Rougerie ou chez Voix d’Encre, vous avez fait œuvre de passeur en écrivant, toute votre vie, des articles sur les poètes de votre cœur. Un livre récent rassemble ces chroniques : Sur les sentiers de la poésie, éditions Mélis. Cette face là de votre œuvre, est-ce la part immergée qui conduit à votre poésie ?

Effectivement. Etant les héritiers des poètes qui nous ont précédés, instaurer un dialogue avec eux, ainsi qu’avec les poètes d’aujourd’hui, me semble aussi essentiel que d’écrire mes propres poèmes et ce rapport passionnant et continu nourrit en retour ma poésie.

 

 

 « Le poète est moins l’inspiré que celui qui inspire » disait Paul Eluard. D’accord avec ce rôle attribué au poète ?

Bien sûr. Mais je compléterai la formule d’Eluard, par cette définition de l’immense poète et théoricien de la pratique poétique qu’était Henri Meschonnic, récemment disparu : « Ce n’est pas moi qui écrit le poème, mais le poème qui m’écrit » complétant le célèbre aphorisme de Rimbaud : « Je est un autre » Ainsi, sommes-nous, nombre de poètes contemporains, à partager ce sentiment très mystérieux, selon lequel c’est une voix inconnue, venue de très loin, qui nous dicte les mots du poème, prolongeant par là une parole poétique ininterrompue depuis des siècles ainsi que le soulignait Jean Tardieu : « Cette parole qu’un peuple d’ombres se transmet d’une rive à l’autre du temps, il semble qu’une seule voix sans fin la porte et la profère […] »

 

 

Vous avez consacré, il y a 10 ans, un dossier de la revue Poésie 1, aux poètes de Bretagne. Ont-ils une langue commune et particulière, ces poètes bretons tels Jacob, Guillevic, Robin, Hélias, Grall, Keineg, Le Men ?

En effet, à la lecture de ces poètes,  tous habités par une grande rêverie celtique, on ressent, au-delà de la profonde originalité de chacun, combien l’essence d’une même culture imprègne la tonalité de leurs voix, les « marque » du même sceau métalinguistique et identitaire. En effet qu’est ce qui relie, à travers le déploiement de leurs poèmes, de leurs images minérales et végétales, de ce lyrisme dépouillé, souvent si âpre et si incantatoire, un Guillevic, un Robin, un Xavier Grall, un Paol Keineg, un Yvon Le Men, sinon ce terreau natal commun, une même et secrète géographie intérieure, en un mot, cette « celticité » qui les relient si étroitement ?

 

 

 « Le plus beau poème/c’est celui/que je n’ai pas encore écrit/le plus beau poème/c’est celui que peut-être/je n’écrirai jamais », chantez-vous dans La cendre des jours. Quel poème pas encore écrit habite vos rêves actuels ?

Je ne saurais le dire. En tous cas, Maurice Blanchot est insurpassable dans ce qu’il a écrit dans Le livre à venir à ce sujet : « En creusant le vers, le poète entre dans ce temps de la détresse qui est celui de l’absence des dieux. » Car c’est à fois la grandeur et la douloureuse fragilité des poètes dont je fais partie de poursuivre ce rêve impossible d’enclore l’univers tout entier,  la « vraie vie » dans un unique poème d’une infinie complétude, ici « Le lieu et la formule » de Rimbaud, là « Le Grand Œuvre » mallarméen. Le poète Jacques Dupin a résumé ce qui mobilise sans cesse le poète dans la recherche du poème parfait, le regard fixé sur une ligne d’horizon qui recule à mesure qu’il avance, but par conséquent inatteignable, par cette formule : « Expérience sans mesure, excédante, inexpiable, la poésie ne comble pas mais au contraire approfondit le manque et le tourment qui la suscite. »