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Beverley Bie Brahic

Auteure canadienne, vivant entre Paris et Palo Alto, en Californie, Beverley Bie Brahic est aussi traductrice de  Francis Ponge, Yves Bonnefoy, Hélène Cixous et Jacques Derrida. Elle a reçu le prix Scott Moncrief en 2013 pour sa traduction : Guillaume Apollinaire, The Little Auto. Son recueil de poèmes White Sheets a été sélectionné en   2012 par le Forward Prize et Hunting the Boar (2016) fait partie des Poetry Book Society Recommendations. Recours au Poème vous propose 4 textes qui donnent une idée de son univers à l'ironie tendre, marqué par la poésie du quotidien et le sentiment du vide.

 

Beverley Bie Brahic, Il neige et trois autres poèmes

 

Snowing

It’s no-ing, my girl calls. Half-cupfuls
whisk across the pane.
It’s snowing when I look up
from my load of socks and shirts, white
wash and dark. I track flakes’ paths
across the sky, trunks
of trees, milky lichens
spilled down oaks. Lichens, mother said
grow where air is clean, moss on the north
side of the trees. Remember that,
she said, reading some Grimm tale,
if ever you get lost.

Strange our cells don’t learn
war has no happy ends. Snow—
palpable the hush. When I turn
the key too soon
my frightened child protests: Stop the murder
I haven’t got my seat belt on.

 

 

 

 

First Snow

Tonight at dusk as the hills
shy off and the flakes

start to whirl
we watch our boundaries fade

with a sharper sense
of the unknown. Something

blurry crosses our field
of vision and enters the stand of trees,

aspen and wild
animal lope and the cold

that draws its cave of memory
like a skin around us

 

*

 

And what to say
about this mountain ash along the drive,
whose red berries
are glazed in frost

and hang
stunned into silence
in a ruff of
brown paper leaf?

 

*

 

Our boots tromp a path
through silence
the magpies watch, one

from the top of each spruce
in its quilt of snow.
Magpies—

mechanical birds,
three tin cut-outs
like vanes on the peaks of a trio

of spruce. Violin, alto, wind.
Dapper
in their starched shirts

and metallic blue tails
they rail at us,
us or the dogs

or the untidy world at large.

 

*

 

A patch of ice
shines at the edge of house and wood.

I go out.
Polar light behind the glacial hills.
The top rail of the new fence glitters.

Snow has erased each accident.
No need

to apologize now
small creature who ventured forth
before dawn

and left us
the small print of your tracks.

 

 

 

 

Madame Martin and I

Madame Martin will throw back her shutters at eight
one arm will scoop up sun
she will brush her hair on the stoop using a small pane
           as a mirror
cap of hair like a well-scoured pot
bobbing a little
like the branch the goldfinch swooped off

Monsieur Martin died last summer no
last last summer
a quiet man
who liked to do chores round the yard
spray the roses
who liked to paint his garden gate green
every summer
leafy leafy forest green

She’ll rake the gravel—he would do that—and pull some weeds
peg white sheets across the yard
like a seascape with sails
          to pull the eye deeper in
she’ll tie an apron about her waist
fingers doing that brief couple dance
over and under and bow to your partner

He was sick all of a sudden
he was dead
and now he's gone
she says she thinks she hardly knew him. 

 

 

 

 

The Hotel Eden

after Joseph Cornell

Against survival. Against feathers. Against corks-in-bottles. Against the pathos of stuffed birds. Against against.

Profoundly silent, the taxidermist’s shop.

“If only,” thinks the bird. If only what?

For her apricot-colored push-up bra. The fish smell of her sex. The fabulous erections.

Contingent but press on.

There’s a key to it somewhere. Break the glass?

From laughter to slaughter the house of objects
is repossessed—table, chair, spoon, cork—the flint flakes remember the knife.

Why we sleep with the light on.

 

traduction de Marilyne Bertoncini

Il neige

Des flacons de neige, s'écrie ma fille. Des demi -tasses
fouettent la vitre.
Il neige à gros flocons quand je lève les yeux
de mon tas de chaussettes et chemises, blanc
et couleur. Je suis la trajectoire des flocons
dans le ciel, les troncs
d'arbres, de laiteux lichens
répandus sur les chênes. Les lichens, disait ma mère
poussent là où l'air est pur, et la mousse, sur le flanc
nord des arbres. Rappelle-toi cela,
disait-elle, en lisant un conte de Grimm,
si jamais tu es perdue.

C'est étrange comme nos cellules n'apprennent pas
que la guerre ne finit jamais bien. La neige
silence qu’on touche. Quand je tourne
la clé trop vite
apeurée elle proteste : Arrête le menteur
Je n'ai pas mis ma ceinture.

 

 

 

 

Première Neige ((poème inspiré par “La Grande neige” d’Yves Bonnefoy))

Ce soir au crépuscule quand les collines
se dérobent et les flocons

commencent à tournoyer
nous regardons s'effacer nos frontières

avec une perception plus vive
de l'inconnu. Quelque chose

de trouble traverse notre champ
de vision et pénètre l'angle des arbres,

Trembles et bêtes
sauvages s’enfuient et le froid

qui tire sa caverne de la mémoire
comme une peau autour de nous

 

*

 

Et que dire
du sorbier le long de l'allée
dont les baies rouges
sont lustrées de givre

et pendent
dans un silence sidéré
au coeur d'une collerette
de feuilles de papier brun?

 

*

 

Nos bottes se fraient un chemin
à travers le silence
les pies observent, une

au sommet de chaque épicéa
dans sa couette de neige.
Les pies—

des oiseaux mécaniques,
trois silhouettes de fer-blanc
comme des girouettes à la pointe d'un trio

d'épicéas. Violons, alto, vent.
Élégantes
dans leur chemise amidonnée

et leur queue bleu métallique
elles nous invectivent,
nous ou les chiens

où ce monde négligé en général.

 

*

 

Une plaque de glace
brille à l'angle de la maison et du bois.

Je sors.
Lumière polaire derrière les collines glaciales.
Le haut de la nouvelle clôture scintille.

La neige a effacé chaque détail.
Plus besoin

de t'excuser
petit créature partie à l'aventure
avant l'aube

nous laissant
l'empreinte légère de tes traces.

 

 

 

 

Madame Martin et moi

Madame Martin ouvrira ses volets à huit heures
un bras prendra le soleil
elle brossera ses cheveux sur le perron et un petit carreau 
           servira de miroir
casque de cheveux en marmite bien décapée
se balançant un peu
comme la branche à peine quittée par le chardonneret

Monsieur Martin est mort l'été dernier non
l'été avant l'été dernier
un homme tranquille
qui aimait bricoler dans le jardin
arroser les roses
qui aimait peindre en vert la porte de son jardin
chaque été
un vert forêt bien dense

Elle râtellera le gravier —lui le faisait — et arrachera quelques mauvaises herbes
étendra des draps blancs dans le jardin
comme un paysage marin avec voiles
           pour capter le regard plus loin vers la profondeur
elle nouera un tablier autour de sa taille
ses doigts dansant brièvement en couple
par-dessus par-dessous et saluez votre partenaire

Il était tombé malade brutalement
il était mort
et maintenant il est parti
elle dit qu'elle pense l'avoir à peine connu.

 

 

 

 

L'Hôtel Eden

d'après Joseph Cornell

Contre la survie. Contre les plumes. Contre les bouchons de liège.
Contre le pathos des oiseaux empaillés. Contre contre.

Profondément silencieuse, la boutique du taxidermiste.

“Si seulement”, pense l'oiseau. Si seulement quoi?

Pour son soutien-gorge à balconnet couleur abricot. L'odeur de poisson de son sexe.
Les fabuleuses érections.

Accidentelles mais il faut persévérer.
Il y a une clé quelque part. Briser la vitre?

De rire en crime la maison des objets
Est saisie —table, chaise, cuiller, bouchon—l'éclat de silex se souvient du couteau.

C'est pourquoi nous dormons la lumière allumée.

 

Présentation de l’auteur

Beverley Bie Brahic

Beverley Bie Brahic’s collection, White Sheets, was shortlisted for the 2012 Forward Prize; Hunting the Boar (2016) is a Poetry Book Society Recommendation, and her translation, Guillaume Apollinaire, The Little Auto, won the 2013 Scott Moncrieff Prize.

She has also translated Francis Ponge, Yves Bonnefoy, Hélène Cixous and Jacques Derrida. A Canadian, she lives in Paris and Palo Alto, California.

© Photo Michel Brahic

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