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Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiaud, Octobre

Octobre a pour titre un mois, celui qui « a épousé le déclin des vendanges » (page 35). Il ouvre et ponctue plusieurs pages, comme un signe temporel et symbolique. Il marque le rythme et le sens du livre.

Entre la première phrase d’Octobre :

 

Tu dis que le rouge
Attrape les rêves
Et délie les lèvres sombres du doute  (page 9)

 

et la dernière :

 

Sinon plus rien n’existe ainsi que ne fut rien  (page 63)

Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiaud, Octobre, PhB éditions, 2020, 63 pages, 10€.

se jouent et se livrent le corps-à-corps, le bouche-à-bouche, le mot-à-mot de deux poètes dont le cheminement amoureux est empreint de lyrisme et de liberté, de souffrance aussi. Il engage la vie, comme tout amour qui voudrait n’être que passion mais se nourrit autant de lumière que de ténèbres.

Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiaud gardent mémoire – par et avec les mots – d’une errance sur des chemins qui se croisent, se confondent, se superposent, s’écartent, se coupent. Ils pénètrent les esprits et les corps, traversent les paysages, voilent la « nudité du jour » (page 59) et découvrent « l’obscurité sous l’étole de nuit » (page 63).

Écrire à l’autre, c’est écrire à soi-même.

Publier Octobre, c’est quitter les sentiers de l’intime pour emprunter la grande route qui conduit à la ville où habite un lecteur inconnu trouvant dans ce livre jouissance de la poésie et méditation sur l’amour.

Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiaud inventent une relation épistolaire tout en s’inscrivant dans l’héritage d’une tradition de la littérature. Je songe à la correspondance de Simone de Beauvoir et Violette Leduc, à la complicité de Gustave Flaubert et Louise Colet, à la relation déséquilibrée de Guillaume Apollinaire et Louise de Coligny-Châtillon (Lou), à la sublime langue d’Héloïse et Abélard aussi, que je cite avec émotion : « Vous savez, mon bien-aimé, et nul n’ignore tout ce que j’ai perdu en vous » (lettre deuxième d’Héloïse à Abélard, 1133).

Dans Octobre, la fluidité du texte respecte l’équilibre entre deux poètes en miroir qui écrivent avec subtiles variations de vocabulaire et de registres, glissements incertains de la forme et du fond, projections d’images, face au risque – exaltant et dangereux – de plonger dans l’abîme/abyme qui figure et défigure.

La poésie épistolaire de Carole Carcillo Mesrobian et Alain Brissiaud est une composition discontinue de fragments, comme autant d’éclats d’un discours argumentatif avec ses élans de démonstration, de persuasion, son substrat de doute intérieur aussi, qui mine et démine toute tentative d’un sur-jeu narratif.

D’aucuns verraient en l’amour un sujet asséché. A tort, car il est inépuisable. L’amour a cette fonction puissante de mettre toute existence en perspective et en question. Il faut en avoir connu les joies, les transes, les dérives et les blessures pour porter avec justesse la voix de celui-ci. Si Octobre est le fruit d’un dispositif littéraire – les auteurs ne dévoilent rien sur sa genèse, et ils ont raison –, il est aussi, je n’en doute pas, un entremêlement d’expériences vécues, observées ou rêvées. C’est pourquoi lire ce livre, dont la langue est belle, provoque en moi un authentique plaisir.

A la manière de Roland Barthes dans ses Fragments d’un discours amoureux (Éditions du Seuil, 1977), j’esquisserais une liste arbitraire de quelques figures que je décèle dans Octobre : disparition (page 9), divagation (page 16), silence (page 17), oubli (page 27, page 45), passage (page 31), rêve (page 40), incendie (page 61), et bien d’autres encore.

Écrire pour aller.
Écrire pour revenir.
Écrire pour s’en aller enfin.
Il ne reste que la poésie. Car tout poème est un acte d’amour.

Présentation de l’auteur

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