Extraits du recueil 7 heures moins 7
traduit du persan par Tayebeh Hashemi et Jean-Restom Nasser
ce soir j'ai rendez-vous
avec la lune
avec la lune pleine
à sept heures
moins sept
*
entre la lune et moi
il y a une conversation
que ni la lune
ni moi n'entendons
*
insomnie
par une nuit de lune
vaine conversation
avec moi-même
jusqu'au matin
*
sous l'essuie-glace de ma voiture
un morceau du poème " hiver "
avait gelé
*
sur un terrain couvert de mines
des centaines d'arbres
couverts de bourgeons
*
l'herbe nouvelle
ne reconnaît pas
les vieux arbres
*
dans les temps morts du marché aux agrumes
comment se portent-ils
les orangers ?
*
le premier vers
s'est élevé du cœur
s'est posé sur la feuille
les lignes suivantes
laborieuses inutiles
*
au bureau de l'état civil
on s'est enquis de tout
sauf de mon état
*
le choc des vagues contre les rochers
jusqu'à quand ?
*
il ne savait ni lire
ni écrire
mais disait une chose
que je n'avais jamais lue
ni que jamais personne n'avait écrite
*
d'accord
les roses de la vie...
mais dans quel vase ?
*
jour merveilleux de la naissance
jour amer de la mort
quelques jours au milieu
*
le fin mot de ce brillant spectacle
en définitive
est dû
à d'obscurs figurants
*
aujourd'hui
est le fruit d'hier
et demain
le fruit d'aujourd'hui
le fruit de la vie
c'est la mort et la mort
est fructueuse
*
quand je n'ai rien dans la poche
j'ai la poésie
quand je n'ai rien dans le frigo
j'ai la poésie
quand je n'ai rien dans le cœur
je n'ai rien
*
dans ma paire de chaussettes blanches
on a trouvé
un pur distique
*
face au joug du temps
le havre du poème
face à la tyrannie de l'amour
le havre du poème
face à la criante injustice
le havre du poème
*
ce rivage
le même rivage
cette mer
la même mer
ce moi
pas le même moi
*
les relations
un choix
le retrait un destin
*
j'ai dit :
je suis prêt à toutes les questions
il a demandé l'heure
*
mille réponses sur mes lèvres
et personne ne questionne !
*
tous
terrassés par l'ivresse
moi par la lucidité
*
craindre le vent ?
j'ai les racines bien en terre
*
en quête d'origine
je suis parvenu à la source
une source boueuse
*
je suis le héros d'une histoire dans laquelle
il n'y a ni histoire
ni héros
*
Extraits du recueil Avec le vent
traduit du persan par Niloufar Sadighi et Franck Merger
le soleil d'automne
luit à travers la vitre
sur les fleurs du tapis
une abeille se cogne à la vitre
*
sur la corde à linge
on a étendu de la neige
par ce froid
la neige
ne sèchera pas de si tôt
*
la nuit
longue
le jour
long
la vie
courte
*
la pluie de printemps
tombe à verse
sur les assiettes sales
une jeune fille
s'essuie les mains
sur sa jupe fleurie
*
le chemin de terre
finit dans le ciel nuageux
quelques gouttes de pluie
sur la terre
*
premier automne de solitude
un ciel sans lune
et cent bribes de poèmes
dans le coeur
*
pour la lune la question est :
ceux qui la contemplent
sont-ils les mêmes
qu'il y a mille ans ?
*
je n'ai qu'une certitude
la fin
de la nuit
et du jour
*
le ver abandonne
la pomme véreuse
pour une pomme fraîche
*
ni orient
ni occident
ni nord
ni sud
seulement le lieu où je me trouve
*
en poursuivant le mirage
j'ai atteint l'eau
sans même avoir soif
*
Extraits du recueil Un loup aux aguets
traduit du persan par Niloufar Sadighi et Franck Merger
un poulain blanc
est né
d'une jument noire
dans la blancheur de l'aube
*
j'ai accompagné
la lune
au cœur d'un nuage sombre
j'ai bu du vin et j'ai dormi
*
un rêve :
je suis inhumé
sous les feuilles d'automne
mon corps germine
*
deux feuilles d'automne
se sont cachées
dans la manche de ma chemise
sur le fil à linge
*
un ruisseau court
dans un désert sans herbe
à la recherche
de quelqu’un qui a soif
*
dans le désert brûlant de ma solitude
ont poussé
des milliers d'arbres solitaires
*
sur ma langue
le goût amer de la patience
quelle douceur
l'effacera ?
*
toi absente
je discute et tombe d'accord
avec moi-même
sur tout
facilement
*
en ton absence
je parle
avec toi
en ta présence
avec moi
*
de ma solitude
j'attends plus
que de toi
*
en ton absence
la journée
a vingt-quatre heures exactement
en ta présence
parfois moins
parfois plus
*
être avec toi
me fait souffrir
être avec moi
m'angoisse,
comment être sans moi ?
*
matin blanc
nuit noire
dans l’intervalle
une douleur grise
*
sitôt franchie la frontière de la folie
comme la route me parut facile !
*
dans la pleine clarté du jour
personne ne remarque
le ver luisant
*
comme il est difficile
au plus chaud de l'été
de croire en la neige
*
le vert
est devenu jaune
l'air
froid
moi
j'ai pensé à la mort
*
le ciel se morcèle
dans le miroir en morceaux
*
le premier jour de l'année
le soleil s'est levé
tout comme le dernier jour de l'année
*
avec quelle facilité nous avons accepté
de ne pas voir
une seule colombe
dans la volée de corbeaux !
*
aux yeux des oiseaux
l'occident,
c'est où le soleil se couche
l'orient,
où il se lève,
point
*
je fabrique
une idole de cendre
que je brûle à nouveau
dans le feu
*
quelques pas devant moi
le noyau de la cerise
sur ma langue
le goût de la cerise
derrière moi
le cerisier
*
j'ai peur de l'altitude
je suis tombé de haut
j'ai peur du feu
je me suis brûlé plusieurs fois
j'ai peur de la séparation
j'en ai souffert ô combien
je ne redoute pas la mort
je ne suis jamais mort
pas même une fois
*