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Arnaud Forgeron, à la laisse de mer, île d’Oléron et autres poèmes

à la laisse de mer, île d'Oléron (extrait)

variable d'écume
d'eau
à ta lèvre

 

-

 

comme un frêle dépôt
j'irai sculpter ton ombre
avec du sable

le soleil envolera
le peu de mots qui nous reste

et main dans mot

nous ajusterons l'essentiel

les yeux
dans les dunes

nous regarderons le vent
soulever les nuages de sable

les bancs soulever
les prières de l'eau

les vagues qui expirent

 

vaque l'océan

 

vaque le temps

 

vaquent nos âmes

 

-

 

couple en danse

passant ses ailes

aux suspensions des rives

 

 

 Chemin de Rineve  (extrait)

 

réduire
la cadence des pas

regarder le ciel
les nuages se faire
se défaire

entre deux chênes

vue de hamac

 

-

Les univers, c'est comme les nuages de septembre, ça s'écarte, se rencontre, se diffuse, s'éprend, et moi, je me balance sur un tapis de tissus flottant à un petit mètre de la terre.

J'aurais voulu être là quand tout s'est allumé, au grand, au magistral flash de lumière. Depuis combien de temps regardons nous le ciel, depuis combien de temps sommes nous un réceptacle à ces grains de lumière ? Combien de fenêtre nous reste-t-il à ouvrir sur les espaces immenses? Et moi, je me balance dans la stabilité relative des sphères, arrachant des neutrons à ma muse discrète, décalant dans l'insoupçonné vers et proses pour en affiner les saveurs. Ah la discrétion des muses, effeuillant leur surface en photons, en boucle, en jet, en orage magnétique, ne nous disant rien de leur intérieur de gamma. Nous ne pouvons les voir, simplement les pressentir, deviner leur passage rasant nos chandelles, traversant nos chairs délicates, nos muses sont opaques et oscillantes.

-

ce soir
les arbres
coulent leurs racines dans le temps

ou est-ce
le temps
qui coule des arbres

je n'ai plus de direction

 

sur ce chemin
brisé de symétrie

il y a aussi la veille et le lendemain

-

je suis ce que je pèse
la trace

 

 

Mémoire d'après (extrait)

 

chevreuils
bondissants
de ma mémoire

chaque matin

l'élan sauvage
de la nuit

cette fois
je ne reviendrai pas
sur mes pas

-

mare

nuit des amphibiens

anguille qui se glisse
au rêve prébiotique

chaque réveil
est un frisson du monde

un rappel

un appel

un esquif

une sonde

 

Apprendre à aimer chaque pas (extrait)

 

Goutte, filet, rigole, ruisseau, rivière, fleuve, l'eau s'immisce comme les mots, traversant les obscurités et les pleines lumières. Il y a aussi les chevelures scintillantes des comètes frottant leurs peaux à l'atmosphère, leurs désirs ardents de corps de glace.
Il y a les poèmes comme des lèvres d'encres qui préfèrent chuchoter, les icebergs comme des mots de banquise qui se détachent, le chant des oiseaux comme musique du monde, et ce temps qui passe
à ne pas déranger l'ordre des choses.
Il y a, quelque part, ce qui nous manque ici, cette absence, cette présence de l'intouchable, ces bouts de nous-même jamais conquis.
Nous cheminons entre les gravats et les aurores, passant nos regards dans les moindres failles
de l'inconnu, cherchant à tisser l'instabilité de nos doutes, l'effritement de nos pensées
les lignes des lendemains.

Il n'y a pas d'à rebours en deçà de la lumière
nous nous élançons dans l'or et le charbon.

 

Néandertal à Gibraltar (extrait)

 

à notre arrivée sur ce rocher
la première chose fut de regarder la mer
puis de regarder plus loin
de lancer nos battements de cœur

qu'il est beau de voir un monde qui s'en va un autre qui arrive
s'entremêler se broder composer les probables

et dans ces probables un réel à nos chairs
en première ligne

 

 Le gris de l'aube, un chant de l'aube à Jack KEROUAC (extrait)

 

je me cache dans la tristesse secrète de nos nuits
chasseurs de naufrages
chargeurs au long court
mon frère trop large pour les SOUTERRAINS
trop étroit pour l'avenir
je me cache dans l'intuition grisée
de l'aube, j'aperçois, je te VOIS
les rames à la main appliqué au génie
des épreuves de l'existence grisé de
l'éraflure constante de nos DOUTES
je te VOIS à l'EMBOUCHURE
DELTA des innombrables déroutes.
Je VOIS dans notre sillage des étoiles
qui s'effondrent, c'est notre allée DIVINE
bordée de fleurs des appeaux de glorieux camés
de leurs masques loqueteux et livides d'épuisement
c'est notre ALLEE divine des farouches descentes
quand il est moins le quart à la petite
folie, qu'à la porte toque l'IVRESSE et
sa révérence, je me cache dans tes yeux
infligé des PUISSANCES subalternes
dans le BUNKER du PARRAIN AUTOMATIQUE.

 

Je me cache au seuil des visions
de l'impalpable
infra opale
que les mains frôlent
où tu remise la lumière.

Je me cache dans l'intervalle

du dernier battement de paupières

o|ù se sont fermés tes yeux

de soleils noirs.

...le monde invisible est trop plein de beautés pour qu'on puisse le traîner devant le tribunal des réalités sociales.  JK

   

La géométrie du choc, quand s'envoleront les dunes de sable...(extrait)

 

Ces pas qui portent un silence.
Ces quelques mailles défaîtes de mon pull de laine
qui retiennent ma présence.
Les visages du jour
les masques de la nuit
je n'ai pas oublié.
Que peuvent accomplir les mots sans la présence?
Le monde est un calque pour exister.
S'y appuyer
mine de rien
passer de l'être à l'existence.
L'infini ne s'habite pas.
S'asseoir désormais à sa place
moulée dans la roche
les yeux comme des calcites
lancer des regards de pierre.
L'on assiste à ce pour quoi l'on est spectateur.
L'eau ne doit pas couler avec le sang.
Je ne pense pas avoir été plus fou
que l'apparence des choses
que l'apparence d'un instant.

 

Oeuvre d'indéfinissables (extrait)

 

Dans mes mains tombe l'invisible.
Dans l'océan tombe le réel de mes mains.
Je porte l'eau à ma bouche.
Je pars ma présence d'absences
d'heures bleues.
Solstice des chromatiques.
Tout un monde se transvase
oscille
bascule.
Le poète en avance
note les apparences.