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Bernard Pikeroen, Ages et voyages

CONDENSATION D'ENFANCE

    Papillon au ciel, tu t’envoles par dessus l’église où, in-
visible, oscille le fil. Paumes enfantines, plus rien ne vous 
relie aux nuages tant aimés.

    Un cri s’échappe.

    Les silhouettes lentes disparaissent du parvis, sans 
conscience de ce bouleversement, habituées, d’âge en âge,  
à contempler la terre.

    De cette perte, une liberté se conçoit, silencieux ac-
complissement, cristallisation secrète. Où l’enfant s’émer-
veille aux quatre points cardinaux de la girouette, l’adulte, 
gorgé d’infini, se condense.

          cerf-volant rouge au couchant
         –  seul le chant des psaumes
         file vers la nuit

 

APRÈS

    Que le rosier avait soif !

    Au bout de l’allée des tombes, les hautes falaises, emb-
rasées au soleil d’or, s’ouvrent au visiteur du soir.

    Anémones, vous jaillissez, mauves, aux interstices des 
scellés. Qui entend l’infini murmure de vos pardons aux 
étoles du silence ?

          immenses, les ombres
          des ifs franchissent les murs
          – crissé du gravier

 

SUIVANT UN PAPILLON

 

    Je me promène seul au désert des feuillages. Là-bas 
dans la plaine, le socle pesant d’une charrue ne s’est pas af-
franchi des labours. On entend au lointain les bribes d’un 
moteur. L’air soudain est dense, pourtant nul orage. 

    Compagnon, tu viens vers moi, papillon aux ailes de 
rouille et de hasard. Le ronronnement d’un moteur à hélice, 
se rapproche, douce complainte.

    Tu quittes la fleur d’ombelle, dont l’oscillation est im-
perceptible. Tu te poses sur celle de l’églantier, rosier des 
chiens dont la racine guérissait les morsures. Tu te nourris à 
ces corolles innocentes qui fleurissent, tu le sais, cette terre 
de maquisards. 

    Compagnon, dans tes yeux myosotis s’élide le dernier 
éclat du jour au P38 Lightning de Saint Exupéry.

          le papillon rouille
          vole vers le ciel -
          
          à peine les voix des hommes

 

EN TRAIN

    Tu apercevras, dans les feuillages des vitres, dans la 
brasure des wagons, dans le sillon d’un 
quai, l’ombre d’un visage.

    Emporté par le roulement lourd et irréversible, il dis-
paraîtra.

    Tu le chercheras au bord du fleuve, au lent défilé des 
lumières.

          croisé des regards
          entre les quais –  s’il vous plait
          un billet pour l’ange

 

DANS LA BASILIQUE 

 

     Je foule vos épis constellés de stigmates, vos meurtris-
sures vives.

    Sous vos airs de chêne séculaire, vous suintez la fumée 
des cierges et l’encens déposé des liturgies ferventes.

    Parquets de la vieille église, gardiens possessifs des 
cires, la litanie des ans a noirci vos veinures.

    Vous luisez, lourds des confessions secrètes, creusés 
de conversions troubles, nourris des vocations saintes.

           une chevelure
          se défait à l’oratoire
          –  craquement du bois

 

Présentation de l’auteur

Bernard Pikeroen

Bernard Pikeroen, né en 1961, est ingénieur, après des étude scientifiques, complétées d’études de musique et de langues orientales. Passionné de lettres et de poésie, écrivant des haïkus depuis l’âge de dix ans, il approfondit depuis cinq ans plus particulièrement l’esthétique de la poésie japonaise, sous ses formes brèves et en relation avec la nature et les êtres. Membre du kukaï de Paris (réunion de poètes de haïkus), et de plusieurs groupes en ligne, il a publié en 2019 un livre de haïkus et de tankas, « Fragments de silence », aux Editions Unicité. Sa recherche poétique le porte actuellement vers l’esthétique du haïbun, textes en prose poétique associés à des haïkus ou tankas, permettant un croisement entre une poésie en prose contemporaine et l’art japonais de l’expression du secret et de la lumière des choses par la forme brève.

Les textes proposés ici sont de type haïbun. Leur fil conducteur est celui d’un voyage à travers le temps ou l’espace. En ce sens, ils s’inscrivent dans la tradition de ce genre qui était initialement récit de voyage. Mais ils s’en écartent, radicalement dans la lettre et sans doute beaucoup moins dans l’esprit, par le style personnel de la prose poétique qui tisse les haïkus. Ainsi le voyage traditionnel, simple récit, devient ici voyage intérieur.

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