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Carole Carcillo Mesrobian, Fem mal

Intimité expulsée pour retrouver la paix en soi. Lorsque l’autre, malfaiteur hurlant dans les chairs tuméfiées, est trop bien installé au cœur de la femme-offrande, celle-ci vacille, tombe, mais continue de parler pour dire l’amour encore un peu entre deux souffles, dire la douleur enchâssée partout où l’homme demeure.

Carole Carcillo Mesrobian livre sa vérité dans FEM MAL, ouvrage ravageur paru chez Transignum, et abondamment illustré par Wanda Mihuleac ; ce parcours dans le kairos, le temps vertical, moment du basculement irrémédiable, rassemble en un point l’urgence du cri face aux beuglements de la gorge, des poings de celui qui se présentait, à l’aube de l’amour, comme un preux arthurien, et qui se révélera n’être qu’une armure vide forte seulement du fer de l’armure – un cri salvateur tissé de nerfs, sang séché, peau déchirées, organes découpés, os broyés.

FEM MAL fait mal, femelle, femme et mâle, un titre opposition hors de l’apaisement. La mise en pages de FEM MAL est conçue par la plasticienne Wanda Mihuleac et renforce cette perception : chaque double page grand format est flanquée des figures répétées et légèrement modifiées de l’homme et de la femme, bouches ouvertes sur l’autre intrusif, sur le texte disant les mots de l’une, les borborygmes de l’autre.

Carole Carcillo Mesrobian, FEM MAL,
Les
Editions Transignum, 2019, 20€.

La puissance de ce montage noir et blanc renforce le dire de la femme/Carole, le propulse, l’aide à expulser le bébé/homme mortifère. La dernière double page est celle, non de l’apaisement qui ne pourra jamais advenir, mais celle de la résolution du conflit dans la formation d’un trou noir duquel rien n’échappe.

L’exceptionnel du travail de Carole Carcillo Mesrobian (Carole Mesrobian en littérature) tient dans ce tremblement à l’orée du trou noir : tu peux encore oser nos corps entremêlés. Terrible aveu de celle qui tisse ses maux sur la ligne de fuite. Elle ajoute : séquestration, c’est fini ; puis,  dans un silence fabriqué de sons : fait mal. En creux se révèle la personnalité de celui qui était censé porter la lumière : adultère, brutal, calculateur, arrogant, faux, voleur de sentiments et de pièces sonnantes. On le devine aimant la musique qui braille et qui, en boucle, empêche toute communication ; Carole Carcillo Mesrobian décrypte l’écriture de MAL : tu écris tant de choses, inimaginable comme on peut écrire tant de choses sorties comme des guirlandes d’insectes nauséabonds de ta tête ; ou encore : ta hargne part à la poste, tu calomnies. MAL, scribe de la haine et de la forfaiture. Après ces pages, ces pages à vider le sac des viandes faisandées par l’haleine du chevalier décousu : "ta crasse, au propre corps malodorant au figuré broyeur de ciel".

Ai-je bien tué le monstre qui était en moi, semble exhaler Carole Mesrobian, telle est l’hypothèse émise entre les lignes, celles du poète. Qu’est-ce que l’Art ? Sinon la projection de l’impensé du créateur – de l’entre-deux – dans l’œuvre ; œuvre qui pense par elle-même et révèle ce que le créateur croit cacher encore ; le poète est dans ce FEM MAL, entièrement impliqué ; l’ouvrage est le journal du kairos, celui de tous les jours comptés (contés) dans l’instant du jouir dans la douleur d’écrire la douleur. Encore. Mais comme l’écrit Carole Carcillo Mesrobian en conclusion de son poème en prose, rythmé, coloré, violent, ciselé :

Je ne me tais pas.
Il faut que ça se tienne dans les pages
de quelque part,
cette distance parcourue au pays
d’une folie
dont j’ai accepté perméable la masse
époustouflante comme d’une bombe
atomique les ravages.

Et cette acceptation est le signe que les deux monstres sont distingués : MAL ne pouvant se connaître lui-même est enfin expulsé par la parturiente ; FEM, délivrée par volonté poétique (ce livre), voit dans son miroir son image inversée, monstre enfin connu et caressé. Plus ce monstre mourra par connaissance, plus la mort douce s’approchera.

 

Présentation de l’auteur




Carole Carcillo Mesrobian, Ontogenèse des bris

Le lecteur que je suis – dans ce domaine qui m'est si essentiel, à savoir la poésie – ne peut être qu'extrêmement sensible à un recueil qui renoue avec la fibre artaudienne du souffle et du rythme, des sonorités et de l'élan.

 

La poétique de Carole Carcillo Mesrobian est le déploiement continu d'une force qui prend aux tripes le lecteur et l'expulse, essoufflé, hors de lui-même. Elle utilise à cet effet les modes poétiques les plus subtils, des oxymores – « Arche versée sur l'ardoise des mers1 » – à l'alexandrin – « Un substrat dans l'humus enracine ton corps / à la peau des bambous2 » – jusqu'aux images qui viennent s'y entrechoquer – « Tu grelottes / Les trottoirs musardent / Les fumées roses aux cheminées abreuvent le silence de leur disparition / Tout chancelle au versant la rumeur des flocons / Même la peau du ciel avoue son abandon au buvard de coton3 ». La poétesse ranime chez le lecteur qui en expérimente la sève les racines originelles du verbe.

 

Carole Carcillo Mesrobian, Ontogenèse des bris, PhB éditions, 2019, 47 pages, 10 €.

Car ce martèlement est semblable à des lames qui cisaillent – par la succession ininterrompue des allitérations menant à une rythmique toujours chirurgicale – toutes les entravent, tel le « filet du couteau vissé entre tes mains4 » et réclament de notre part le long souffle pour en maintenir la lecture. C'est d'un tel engagement de l'être total qu'il s'agit quand on s'engage dans l'univers expérimental suivant : « J'ai lié mes murmures aux pages labyrinthiques / pour habiller ma peur / d'une étole mystique / alunie de couleur5 », ou encore « Les toitures n'abritent que la surface d'un vide / Ni d'ici ni d'ailleurs / Ni même quelque chose6 ».

Avec Carole Carcillo Mesrobian, le lecteur est face à face avec ce qui l'ancre dans cette part de lui-même oubliée – mais agissante – qui le relie avec les plus lointaines origines de l'être, comme le dit superbement ce vers de la page douze : « Comme on avale hier / Viendra l'outrepassé ». Tout parle, crie, vocifère, déchire dans cette humanité, où tout l'univers « (…) arpente dedans la pensée de mon corps (…) Que la pluie renversée arrose du chagrin », sans que d'illusoires limites viennent voiler la réalité au regard.

Nous sommes ici dans ce que peut être le verbe quand le style sait creuser jusque vers la source originelle.

 

Notes

1 P. 9.

2 P. 10.

3 P. 43.

4 P. 15.

5 P. 35.

6 P. 46.

 

Présentation de l’auteur




Carole Carcillo Mesrobian, À part l’élan

Carole Carcillo Mesrobian, À part l’élan

Poésie vivante comme le mot vivant vacille au couchant. Carole Merosbian offre, dans cet ouvrage fugueur décousu recousu, sa vision littéraire pétrie d’analogies salvatrices. Sauver le signe dans le mot ou par les mots assemblés, rendre au signe son pouvoir créateur en oubliant au détour une syntaxe contraignante, s’emploie-t-elle.

Dans ce poème de langue signe dessin fondus ensemble, poème de tous les sangs mêlés, sang de l’écriture, sang du signe signifié et signifiant par la mise en page de l’ouvrage, sang des sentiments balancés à la ligne : « Est rouge d’antilope la cicatrice de mon passage », sang des lèvres mordues : « Vermillon ma merveille tes cheveux sont bouclés. », dans ce poème qu’aurait pu aimer Philippe Soupault inventant une nouvelle manière d’écrire, le Surréalisme, qui  s’enthousiasma et écrivit : « J’agissais comme un boulet de canon. » Dans ce poème meurt la littérature. Naît l’instance divine, la mort de la beauté, par la beauté écartelée retrouvée.

Dans la fulgurance des rapprochements inédits, À part l’élan, joue la musique heurtée de la complainte du corps perdu dans la géographie, elle-même soumise aux aléas de la friction :

Carole Carcillo Mesrobian, Jean-Jacques Tachdjian, 
A part l'élan, La Chienne éditions, Roubaix, 2019.

Plus de rivage et le frisson
Parachevé jamais ne pille
Le matin nu à la saison

 

On sent bien à la lecture du texte de Carole Merosbian tout ce qu’il doit aux surréalistes mais aussi à Marinetti (école futuriste) par le rapprochement de termes hasardeux formant une dynamique nouvelle, un horizon nouveau au phrasé : du non-sens surgit l’image surréelle qui vient impacter les certitudes. Nous sommes au cœur de l’Art poétique décalotté, destiné non à conforter, non à décrire le beau, mais à questionner la fondation. La pratique de l’analogie très lointaine vient ponctuer et remodeler la sensation battant l’intelligence ; j’emploie à dessein cette forme : la sensation battant l’intelligence ! pour effrayer le sens et battre la fondation.

Il faut sans cesse remiser (sa) la raison dans la cabane des sensations pures qu’élabore la poésie de Carole Mesrobian ; une pureté infinie en émane. Sa clarté vient paradoxalement de la construction démiurge, de cette analogie lointaine déjà notée, comme dans le poème Partir vivre comme on va mourir

 

Mes lèvres la poussière au clos de mes paupières
Et mes perles où ton ombre
Douceur démesurée comme un mot prononcé
D’un roi de sous le nombre

 

Ton ombre, douceur démesurée… Il nous faut parler aussi de l’ombre portée par la mise en pages, le dessin du poème dans la page – le dessin des idées et des sensations venant renforcer le signe brut. La distance perçue entre habillage des mots, relations entre eux, phrases, dessins, occupation de l’espace et vide ponctuant le chant produit par l’ensemble est un répond scandé, musical à la mise en écriture du verbe. Ce qui inclut pleinement le travail de Carole Merosbian dans la dynamique de la poésie visuelle et littéralement typographique avec le changement incessant de corps et de modèles des lettres utilisés. On se souvient de Mallarmé, Apollinaire, les surréalistes, Dada, précurseurs de cette manière. À part l’élan, réussit cette gageure et mène ce combat de la poésie totale sur une surface plane, la page du livre. Le regret d’en rester malgré tout à ces deux dimensions est contenu dans les pages finales nommées Introduction  (en miroir) et ne contenant rien d’autre que cela.

Résumons (c’est impossible mais…) ce texte par l’un de ses poèmes titré Asymptote, soit l’usage littéraire d’une donnée mathématique ancienne qui montre une droite se rapprochant en permanence d’une courbe mais ne pouvant jamais l’atteindre. C’est le chant déchirant de l’amour courbé hébété mal entendu pressé qui se résout dans un autre poème, Ouverte, par deux vers beaux

 

Je suis venue de lin déposer ton linceul
Sur un verbe mué 

 

Un verbe mué ! À part l’élan invente un horizon, mais derrière l’horizon quoi ? Cette courbe file plus vite que la droite lancée pourtant à vitesse prodigieuse.




Sur la voix chamanique de Carole Carcillo Mesrobian

Sur la voix chamanique de Carole Carcillo Mesrobian

 

 

La poésie de Carole C. Mesrobian n’est pas un leurre, ni un don, pas un travail, non, c’est une porte qui s’ouvre au fil de la lecture sur un monde en expansion, qui jamais ne s’arrête, une exaltation vitale, une souffrance aussi, indispensable au vivre, qui nous prend, tout, et nous chamboule et nous laisse k. o. :

 

Je porte manteau de vieillesse et parole de nouveau-né (1)

 

Carole C. Mesrobian nous met au pied du mur : franchirons-nous le seuil ? Après-nous le déluge disent certains qui se contentent d’un quotidien blafard ; avec l’auteure, la parole tombe juste, définitive… pas d’anecdote, elle vise l’essentiel :

 

Et tu cherches dans les mains dans tes poches
Pour t’offrir le feu
Les briques ont pali comme un tison éteint
Quel entonnoir est l’existence
A regarder où s’en va la culbute
Où passeront nos os sur un rythme de chute (2)

 

Carole Carcillo Mesrobian et Jean Attali, Le sursis en conséquence, Les éditions du littéraire, 92 p, 2017, 15€

Carole Carcillo Mesrobian, Le Sursis en conséquence,
dessins Jean Attali, Les Editions du Littéraire, Paris, 2017.

Elle est de ceux qui ne sont pas sortis indemnes de l’existence :

 

J’ai des siècles endormis
Aux sillons de mes mains
Et je connais déjà la mort  (2)

 

Si il y a plusieurs façons d’écrire et de lire la poésie, là, c’est de saisir la vie à bras le cops dont il est question :

 

Il est des matins obscurs et des soirs livides
Le corps des voûtes enclos nos âmes

 Ecrire répand nos doutes comme un sang vaniteux
sur une vacuité irréductible  (1)

 

et cela de toute urgence, sans rien laisser passer. Tout aussi bien nos peurs, tout autant le regard sur le monde et son cortège de malheurs :

 

Combien de labyrinthes
Combien de sépultures
Et de siècles la feinte
Pour atteindre l’azur  (1)

Au fil des livres, au gré de la vie, Carole C. Mesrobian nous donne à lire ses attentes, ses doutes, ses frayeurs. Elle publie aujourd’hui : A part l’élan, mis en scène par Jean-Jacques Tachdjian, mais le ton a changé. L’élan des poèmes tend vers la fraternité, l’écriture se veut mouvement, tension vers l’autre, impulsion. L’auteure, la douleur passée, se souvient de l’autre et compose avec lui :

 

Tes bras de ronces tendus
Transpercent la clôture
Une maison le rêve troué fenêtres écloses
Git sous l’ardoise crayeuse des mémoires  

Carole Carcillo Mesrobian, A part l'élan,
La Chienne éditions, 2019.

la parole prend chair, la curiosité l’emporte et du détail surgit l’essentiel :

 

Et puis dans le murmure d’oiseaux désemparés
Le mouvement des heures

Jusqu’à ne plus peser  

 

douleur aussi qui nous dit le fossé entre l’homme et son image, la vie ce mirage, ce :

 

partir vivre comme on va mourir  

 

belle incohérence comme un appel aux esprits au fond d’une profonde nuit, de celle où tout se dit, où tout s’entend.

 

 

 

Carole C. Mesrobian nous guide car elle possède les clefs du ciel. Avec elle nous pourrons survivre en toutes saisons, cela un peu à la manière d’une transmission ;  elle nous dit : allez-y tout est permis.

Cette écriture face au vide qui menace nous maintient à flot, avec elle nous pourrons rester sur le rivage.

Et puis, lire A part l’élan : c’est regarder. Soixante trois pages dynamitées par le talent de Jean-Jacques Tachdjian qui revisite chaque poème en un calligramme de son imagination. Ce recueil est un bijou d’art graphique poussant les mots vers l’espace, libérant les phrases du carcan de la ligne, du caractère ou de quoi que ce soit.

Alors, oui, c’est bien d’un voyage dont il s’agit ici : poétique, humain et graphique.

 

∗∗∗∗∗∗

 

  1. Aperture du silence ; PhB éditions ; 2018.
  2. Le sursis en conséquence ; Les éditions du Littéraire ; 2017.

 




Yannick Torlini, Bernard Desportes, Carole Carcillo Mesrobian

Yannick Torlini – Ce n’est rien

Le dernier ouvrage de Yannick Torlini est présenté comme un récit-poème sur le site des éditions TARMAC. Pas étonnant quand on sait que cet auteur n'aime pas parler de poésie, mais plutôt de textes, qu'il écrit des textes, qu'il explore la langue avec des textes et non des poèmes.

La langue donc, l' "ambiguïté de la langue". Depuis La malangue son premier recueil en 2012, ce travail sur la langue est une préoccupation constante chez Yannick Torlini. Par une succession de courtes strophes, comme des tweets, par des répétitions comme rebondissantes, il cherche sa propre langue, la place de la langue dans le temps présent, sa propre voie dans la langue.

 

 il y a une angoisse d'être de ce monde. d'être dans cette langue qui pense faire monde. / cette langue qui repose. sur l'obstination du sens. Sur le sol accumulé par le sens. strates après strates, pierres après pierres."

"Dans la langue il y a une autre langue qui creuse, gratte et crie. dans la voix un million de voix autres. m'adressent. me tarissent."

Yannick Torlini, Ce n'est rien,
TARMAC éditions, 2018, 52p, 10€

Yannick Torlini choisit la scansion pour dire et proférer le corps et le temps. Ses textes courts s'enchaînent et se succèdent dans un rythme et un style très rapide, comme autant de pas dans cette course contre le souffle qu'est le temps. Une course ponctuée sans majuscules. Mais à quoi servent les majuscules dans la déclamation?

Torlini interroge aussi bien sûr le temps qui passe "que tout poursuive. que tout s'érode. que les os tiennent la chair encore poursuivent que la chair tienne poursuive ici. / que les matins se succèdent lumière lente, sur la table, sur le bureau, sur tout ce qui porte le désastre lumière lente que tout poursuive."

Désastre et ruine du temps qui file "que les bouches poursuivent. que les cheveux tombent. que les ronces rampent. que la limite évite la lumière évide. que chaque abri chaque édifice crie la ruine." Comme un ravin invisible ou chacun vient à tomber "quelque chose du temps et des jours. quelque chose des ravins et des ronces. quelque chose sans mémoire et sans traces. / quelque chose quelque chose qui ne s'entend pas. ne se sent pas. ne se touche pas."

Mais Torlini n'est pas coupé du monde et de ses soucis : "j'écris pour le reste. pour la pluie et les terreurs liquides. pour les grillons qui tiennent encore les saisons debout, terre craquelée, sèche, puis glaise, meuble et molle." Et modeste face aux enjeux du monde et de son avenir "nous essayons d'être".

Cet ouvrage, ce n'est rien qu'un peu de poésie sans doute, mais cela fait du bien. Et dans ce rien il y a presque tout.

Bernard Desportes, Le Cri muet

 

Alain Gorius et sa maison d'édition Al Manar ont l'habitude de nous gratifier de livres d'artistes de grande qualité mais Le Cri muet  de Bernard Desportes vient ajouter de l'émotion à l'esthétisme.

Bernard Desportes est mort le 20 mars 2018, le cri muet est son dernier ouvrage publié quelques semaines avant sa disparition. Ce dernier cri est une sorte d'autobiographie, bilan d'une vie d'écrivain "serai-je allé plus loin / qu'au seuil / de moi-même ?" , traversant vingt cinq ans de poèmes, proses, essais, lettres de 1991 à 2016. Livre hommage, organisé par l'auteur lui-même, qui restera donc comme un témoin "ma vie / plus loin que moi", de ce que fut son talent.

Quand, pour un poème, Desportes choisit comme exergue cette citation d'Henry Vaughan : "et respire, toi, dans l'âcre monde / pour dire ce que je fus." c'est pour décrire cet âcre monde qu'il dépeint au travers de ce choix de textes en bleu, blanc et noir.

Le noir tout d'abord, avec le frontispice de Gilles du Bouchet qui vient bien résumer ce livre toujours sous-tendu de noir et de gris. Mais un noir noble, le noir universel qui touche chacun de nous en nos propres tourments. Il y a quelques années, Anish Kapoor s'est approprié la couleur noire la plus intense, au point d'en devenir propriétaire. Il s'agit ici pour Bernard Desportes, au contraire, de partager ses zones d'ombres pour que son cri, bien que muet, fasse écho en nous.

Le noir d'une vie de solitude et de nuit : "espoir et désespoir sont même cendres / même absence / dans l'immobilité des heures / même errance dans le néant du jour". Une vie dans l'urgence d'écrire :  "j'écris / comme on se sauve / mes jambes à mon cou", écrire en particulier son lien avec la terre "est-ce ton pays / ce pays / qui t'écartèle ?" et le monde à découvrir "je ne suis pas en deçà de la route que je suis", "un écho bruissant du monde déposé dans la matière brute, la pierre, le caillou, le grain de sable, la poussière."

Bernard Desportes, Le Cri muet,
Al Manar, 2018, 88p,18€

Se sachant malade, Desportes se confronte aussi à la mort "j'ai laissé la route / se défaire / de mes pas" avec au bilan "tout ne fut pas vain dans ce désastre / il nous reste des mots des rêves". Ouvrage-leg que ce cri, "une déchirure qui est la matière des mots".

Mais le noir n'est pas la seule couleur de cet ouvrage. Le blanc neige des "jours évidés"  y occupe aussi une bonne place. Le blanc de la page, dans l'amitié d'André du Bouchet "en amont du mot / sur la page vierge". En filigrane aussi René Char en son Isle.

Mais la couleur Desportes la côtoie aussi dans son compagnonnage avec des artistes comme Katuchevski.  Et son recueil fait aussi bonne place au bleu lumineux de quelques détours au soleil de Provence, des Cévennes ou de Tanger, pays de ciels, de vents et de pierre.

Bien entendu, ce Cri muet, d'un noir multicolore, n'est qu'un fragment de la vie de Desportes mais "ce dont on ne peut parler / reste seul à dire" mais aussi "ce qui n'est pas dit / demeure en mémoire dans le ciel".

Que Bernard Desportes trouve sa demeure en nos mémoires.

 

Carole Carcillo Mesrobian, Aperture du silence

Pour Carole Carcillo Mesrobian, "écrire c'est tenter de saisir un instant, une seconde, l'aperture d'un univers enclos dans le silence." Et cette aperture est le maître mot de son dernier ouvrage, publié chez PhB éditions. Car il ne s'agit pas simplement d'une simple ouverture mais aussi en linguistique, l’ouverture du canal buccal au point d’articulation d’un phonème. Et que prononce le silence sinon le chant inaudible du monde végétal? C'est en tout cas ce que laisse suggérer l'incipit de cet ouvrage : "J'irai tu le savais porter le chant des arbres / Aux fenêtres du ciel"

Et au-delà du végétal, Carole Carcillo Mesrobian, dans un style mêlant abstraction, surréalisme, regorgeant d'images, passe en revue toutes les vies silencieuses qui ont tant à exprimer : le feu "J'irai tordre le feu pour verser sa chaleur au seuil de tes hivers". Les larmes "Nos corps ne plus / Comme un chien qui s'ébroue pleut des larmes perdues". Les saisons "Sous le sillon des apertures se dépenaillent les étés / Et rime autant que la clôture l'entêtement de respirer". La solitude "La nuit jamais ne s'apprivoise [...] La solitude est son habit [...] ". Les ombres "Mais la vie ne mesure l'espace de nos rêves qu'à l'empan de nos ombres". La poussière "Et encenser la poussière / Pour ce qu'elle offre au sablier / D'éternité"

Carole Carcillo Mesrobian, Aperture du silence,
PhB éditions 2018,58 p, 10€

Mais aussi "Il y a le bleuté d'un bruit de papillon", image qui, en ce qu'elle évoque en trois dimensions : couleur, son et mouvement, est sans doute encore plus belle que la terre orange d'Eluard.

Le style de Carole Carcillo Mesrobian interroge notre façon de percevoir la poésie, dans une liberté qui peut dérouter un lecteur peu habitué à la poésie contemporaine, mais qui garde l'enfance comme source. "Je porte manteau de vieillesse et parole de nouveau-né."  Tout en restant exigeante et originale dans son appel à l'imaginaire du lecteur.

Elle qui cherche à "Écrire contre le langage, contre soi-même, contre toute possibilité de dire, de vouloir dire, d'énoncer" garde à l'esprit que "Ecrire, c'est répandre un sang vaniteux sur une vacuité irréductible."

 




Carole Carcillo Mesrobian, Aperture du silence

Sous la cicatrice une blessure, sous la blessure, la peau du temps

Toutes les frontières froissées, emparées, et cette première aube, cicatrice ouverte, blessure reconnue dans « le creux du sillon vase femme… ». Carole Carcillo Mesrobian place l’écriture sur la frontière même - un objet à passer, enjamber. La frontière entre l’aube et le ciel, entre indigo et cyan, la frontière-fusion du corps et de l’esprit. La vie de toutes les aubes recommencées : 

 

Carole Carcillo Mesrobian, Aperture du silence, PhB éditions, Paris, 2018, 56 pages, 10 €.

« L’aube hébétée/ Péristyle habité de la trace des nuits. » On pense irrésistiblement, à la lecture de  Aperture du silence, au tableau de Gustave Courbet nommé « L’origine du monde », un tableau chaste, n’en déplaise, qui montre le silence de l’aperture, sa promesse d’éternité.

En cheminant dans le corps infiltré de tous les « sables » roulant dans les veines, sables des temps digérés par le corps, croît « … la rumeur démesurée / des apertures ancestrales ». La poésie de Carole Carcillo Mesrobian est celle du corps sacrifié, elle fouaille le corps « Aux pieds des dunes les falaises / Montagne au flanc d’une rosée ». Les apertures ancestrales résonnent en chant, comme le musical bruit de fond de l’espace est le cri de la naissance à jamais naissante. Ou encore un fameux « … tremble du murmure des veines sous nos chairs », pour dire que murmure et silence sont choses pareilles et portées par les veines (les cordes) de l’espace infini.

Le corps en représentation. Poussière d’éternité. Et cet autre corps recherché, celui de l’autre soi-même, femme ou homme caché dans un vers ouvrant la perspective « D’épouser la texture de ta peau / D’emmuré ». Le recueil si chantant, si plein des couleurs d’aubes, tisse le tissu du corps étendu à l’espace, conçu comme une sidération, la cicatrice toujours recommencée d’une blessure initiale, d’un corps dont il faut se vêtir. Ô mère, dis-moi qui je mange ? Quelle peau arrachée du tréfonds des étoiles est ma peau écartée ?

Le poème de Carole Carcillo Mesrobian est eucharistie. Après que « …l’odeur de femme cette robe d’augure » signe le sexe du monde, la table est dressée, fabriquée d’étoiles, et se déroule alors « La scène close sous le velours / D’avoir avalé qui tu es », puis le « Je suis allé vers toi / Comme linceul à l’éternité ». Le souffle de l’esprit s’empare des membranes, des ramures, des eaux souterraines jusqu’à saturer les rimes, multipliant les aubes dans son outre d’azur.




Carole Carcillo Mesrobian et Jean Attali, Le sursis en conséquence

Les mots nous sont un peuple parfois soumis, parfois rebelle;  parfois fragile, parfois violent. Nous frissonnons en leur compagnie, prêts à les rejeter, les aimer, les intégrer, etc..

Ils sont toujours les mêmes et néanmoins toujours nouveaux, porteurs chacun de leur empreinte, de leur écho, de leur traduction mentale. Que lit  le lecteur en sa langue propre? Que cherche-t-il ? De simples mots ? Des amis ? Des amants ? Des ennemis ?  Il n’y a jamais de vraie réponse, d’où l’intérêt de la question à poser avant de tourner les pages du présent ouvrage. Le seul titre Le sursis en conséquence, lu et relu, porte son énigme intrinsèque : de quoi ce sursis-là est-il la conséquence ? S’agit-il d’une catégorie de sursis parmi d’autres, lesquels pourraient être – pourquoi pas ? -  Le sursis en ses prémisses ou en sa condition ou….? De  surcroît, il ne s’agit pas d’un sursis particulier, mais du sursis en général (« le »). Qu’est-ce qui est donc ajourné, repoussé, bousculé au point que le coupable/responsable ne saurait accomplir sa peine ? Le vivre, l’aimer, le mourir, le parler, l’écrire… Mystère. Les mots d’emblée s’annoncent insoumis. Le dérangement suscité s’intègre et justifie le processus créatif. N’est-il pas question d’ « anamnèse », de remontée au fond de la/sa mémoire, au fil de ce parcours poétique n’offrant aucune place à la ponctuation ((Ni au titrage !!)) et se développant ainsi comme un souffle sans fin ? Haletant.

Carole Carcillo Mesrobian et Jean Attali, Le sursis en conséquence, Les éditions du littéraire, 92 p, 2017, 15€

Carole Carcillo Mesrobian et Jean Attali, Le sursis en conséquence, Les éditions du littéraire, 92 p, 2017, 15€

L’ouvrage de Carole Mesrobian, poétesse, se veut une conjuration de « l’aphasie » du langage, du moins en quatrième de couverture. A nous de découvrir si ce trouble est par bribes ou est intégral ; s’il s’évoque de l’intérieur (un mutisme conçu par l’esprit/le cœur) ou se constate de l’extérieur (une société parfaitement ou imparfaitement mutique). Qui sont les conjurés ? L’autrice ou les auteurs ? Le peintre Jean Attali dont les esquisses/dessins rythment si opportunément ce recueil, parlant à leur façon de déraison et déséquilibre? Les deux croisés (sans C majuscule), Mesrobian et Attali ? Les trois avec la présente lectrice qui achève le recueil par son regard en biais ? Autant d’alliés virtuels qui s’ignorent ou se méconnaissent, mais cheminent ensemble au long de ce sursis conçu avec « sa course »,  avec « sa peur » ou comme « sursis de sa toile ».

Premier constat de l’œil : les caractères de la police la plus esthétique et exigeante qui soit (Garamond, version 13 !) glissent sur un bel papier ivoire, mais pour révéler – deuxième constat de l’esprit - un monde émotionnel, brisant volontiers  et volontairement toute logique. Les mots inattendus n’engendrent pas ce qui les suit, créant un constant dépaysement. Un peu comme si ces récalcitrants se révoltaient contre eux-mêmes, contre l’usage que nous osons en faire.  Cette variable œil/esprit est curieusement confortée par la présence réitérée du terme « aporie », philosophique s’il en est. De fait, cette aporie (trois emplois) est tantôt en « apories pleines/non extravaguées d’impuissance» (elles se suffisent probablement à elles-mêmes), tantôt la « source de nos bouches » (au sens figuré l’embarras éventuel de nos paroles), tantôt l’« aporie du sablier » (dont la durée identique écarte la perpétuité…perpétuelle !). Le promoteur des apories, Zénon d’Elée, on s’en souvient, niait obstinément le mouvement par son raisonnement (facétieux?). Que nie  C. Mesrobian ? Nie-t-elle ou ne nie-t-elle pas ? Le lecteur – d’évidence besogneux – se place en situation d’aporie ambulante (!), à la fois incertain de tout sens absolument sensé et ravi par la difficulté d’accéder à une certitude trop réconfortante.

 Qui sommes-nous à travers ce recueil de poèmes exempts de titres ? Une « cage de chair » et un « carcan » des « âmes » ? Façon de décrire notre statut de  « reclus » à l’intérieur du corps et de l’esprit, de prisonnier – ajouterais-je - éventuellement en « sursis »… Qu’en est-il des sentiments ? Dans « le monde affublé » du « cœur », les êtres aux « visages de papier » ne sont peut-être que des pages : « tu es le désert au nord/et moi la dune sous la gelée ». Autre façon de dire – peut-être – que ce « tu » et ce « je » - humains ou pensées, dune ou désert -  sont tous deux glacés. Un tel froid est-il lié à la solitude de « l’éternel singulier du verbe de s’aimer » ?

Les mots assemblés par la poétesse ont des connivences imprévues qui perturbent, tout en offrant le contentement de découvrir un monde. Ainsi en est-il de l’ « ourlet du silence », un silence cousu main.  Ainsi en est-il de la « rainure des nuits », une entaille dans laquelle s’engouffrent nos effrois. Ainsi en est-il de « la flamme béante de s’aimer», un abysse de lumière affective. Ce monde-là est un vertige qui révèle « le froid des abeilles dépossédées de fleurs », les roses « démunies de rosiers » ou « les fleurs plantées à reculons ». Vertige que conforte une métaphysique de l’absence créatrice : « Rien ne mord plus l’éternité », « Comme au soleil on va sans ombre/devenu »,  laquelle conduit à « et la poussière arrêtée la poussière ».

Comment cheminer dans ce refus de l’aphasie ? Pourquoi ne pas se livrer au hasard d’une page. Ainsi sur la page 13 (malgré l’absence de pagination) se lit : «  Que l’aune à la bougie peine au soleil d’été ». Cette foutue « aune », habituellement évoquée dans l’expression « à l’aune de », mesure l’objet annoncé. Or ici, c’est la bougie qui se mesure comme une aune, nous laissant d’autant plus perplexe que cette aune-là « peine » sous un soleil estival. Notre pensée lectrice s’acharne à vouloir saisir (son pire défaut) ce qu’évoque ce poème-là. Acharnement d’autant plus vif que sont « affables », « avides à miroiter » et « cois » des grillons « dépecés » par l’hiver. Ce drôle de « cois » ressemble d’abord à une faute d’orthographe, eh bien non : la tranquillité coutumière  de tout ce qui est « coi » ou coite se vit ici au pluriel. Ainsi transformation ou déplacement du mot dans la phrase embarrasse en stimulant l’esprit.

Certains termes révèlent, par la répétition, une volonté rescapée de s’accrocher à un sens reconnu. Qu’en est-il ainsi de l’empan ? Ce mot, certes peu employé dans la conversation, l’est ici à trois reprises : l'« empan de mes heures », « l’empan des cheveux » et « à l’empan, mesuré au cercle des nuages ». Révèle-t-il un simple intérêt pour son allure biscornue (à mon goût !! en-pan) qualifiant la mesure ? Un attrait pour les mots rares (comme les terres ?) ? Une préciosité intellectuelle ? Certes le temps peut se mesurer en heures, l’espace en longueur de cheveux ou en positionnant la main ouverte aux doigts écartés (l’empan) devant les stratus. Un sens possible émerge, pétille en étincelles de bâtonnet pyrotechnique.

Faut-il lire autrement ? se demande-t-on au terme d’un sursis si conséquent. Faut-il observer parfois un rappel de Mallarmé : aboli (« il ne rit que l’espace où l’absence abolit ») ou inanité (« l’inutile l’anecdotique l’inanité »), parfois  même du Rimbaud de « elle est retrouvé quoi l’éternité ». Faut-il se focaliser sur le périple syntaxique du « même » qui déambule dans le même poème  comme nom ou adverbe: « le même… », « même endormie »  ou  qui se place carrément devant une préposition : «  même malgré/même contre la mer à marée qui recouvre ». Faut-il se pencher sur le signifiant parfois sans signifié, sur la phrase qui s’arrête en son début (« Que déjà »). Faut-il falloir ?

 Faut-il enfin ne pas oublier les troublantes esquisses d’Attali qui entortille, couture, fait vaciller et rorschachise ((Néologisme dérivé de Rorschach qui n’est pas seulement un test à l’encre)) - parfois -  les corps (souvent des femmes) pour mieux les renouveler ? La lectrice dans le miroir est presque certaine d’être aussi composite qu’elles !




Carole Carcillo Mesrobian : 10 poèmes

 

Rien à se taire

Fûts à crever des impostures
Des passages à clous contre sens alvéolaires à prisme latéral
Des abris à barreaux fichés dessus le ciel
Et des syllogies consacrées aux chaines creuses omnipotentes
Rivées
Traînantes

Et vues

 

*

 

Herbes
Se frayer
Dans la hauteur des absolus vertigineux

 

*

 

Reclure la frayeur dans la respiration tenue
Et occulter les tranches de peau vive
Pelées
Ripées
Déboulonnées
Ou à venir

 

*

 

Comme une ferraille
Comme un reflux déterminé
Inquisiteur
Comme un cachot déverrouillé dans lequel tu perdures
Tel à revers des médailles
L'écoulement de la durée se porte dru
A dresse-flanc et comme

 

*

 

Cerbère des nœuds de l'encéphale

L'émeraude des taillis joints
Plaqués debout et frissonnants
La cavalcade au baldaquin azur et mauve en mégalithe
Des duvets coulant sous le vent

Totems

 

*

 

Stagnant dans l'idéation à ventail clos
Tu éternises la cadence
Que rien ne prolonge qu'à l'accoutumance le pli élagué des assuétudes

 

*

 

Badins l'outre vermillon des aplats
Et les bravades en vert cousu des feuilles givre sans
Jubilé sans cortège
Comme une démesure à tes vicissitudes

 

*

 

Presque buée
Parages évaporés
Tu débordes à revers
Exultations d'abord à reculons et puis

 

*

 

En détrempe archivées
L'absence écrue en plénitude des aubes mues

 

*

 

Les abattis les abattis abscons et ravageurs
bric à brac

Présentation de l’auteur




A contre-muraille, de Carole Carcillo Mesrobian

Avez-vous déjà éprouvé l'impression d'avoir plus ou moins bien lu un livre de poésie ? Pour ne pas dire l'avoir mal lu… Vous est-il déjà, arrivé que l'insatisfaction (ou le hasard) vous amène à le reprendre pour le relire, afin de traquer je ne sais quel sens qui s'échappe sans cesse ? On a beau penser à Rimbaud qui, à propos d'Une saison en enfer, à une question de sa mère, répondait : "Ça veut dire ce que ça dit, littéralement et dans tous les sens". Mais on se heurte toujours au même mur… Reste alors à relever les mots pour se rendre compte que c'est à une exploration de l'existence que se livre Carole Mesrobian, une exploration où la mort, la fosse, l'enfermement coexistent (ou rivalisent) avec la vie, la douceur, la lumière… Cette coexistence se traduit par une juxtaposition des mots : cavernes, planche, vide, antre, urne… d'une part et incandescence, matins, duvet, sève… d'autre part. Mais il y a aussi un vocabulaire plus intellectuel avec des termes comme aporie, résilience, anamorphose, coalescence, idéation ou assuétudes qui renvoient à divers domaines des sciences, humaines en particulier… Il y a chez Carole Carcillo Mesrobian une volonté de pénétrer le monde : "Parvenir / sous la face des souches / Si bavardes ou scellées dans l'envers des atomes". Et une succession de poèmes courts, un rythme haletant comme si elle se hâtait, vers quoi donc ? vers quel maelström ?  Vers la vérité, une vérité à conquérir… Si la poésie est une arme chargée de futur comme l'écrivait Gabriel Celaya, elle peut aussi être un outil redoutable pour aller au-delà des apparences, pour décortiquer le réel, aller au plus profond de la matière ou de l'existence, là où l'on se heurte à un noyau insécable, à une boule d'angoisse. Là où au-delà du bruit il n'y a plus que le silence. Le silence qui entoure la poésie comme le blanc entoure le poème sur la page…




Carole Carcillo Mesrobian, A contre murailles

 

Rien à se taire

Fûts à crever des impostures
Des passages à clous contre sens alvéolaires à prisme latéral
Des abris à barreaux fichés dessus le ciel
Et des syllogies consacrées aux chaines creuses omnipotentes
Rivées
Traînantes

Et vues

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Herbes
Se frayer
Dans la hauteur des absolus vertigineux

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Reclure la frayeur dans la respiration tenue
Et occulter les tranches de peau vive
Pelées
Ripées
Déboulonnées
Ou à venir

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme une ferraille
Comme un reflux déterminé
Inquisiteur
Comme un cachot déverrouillé dans lequel tu perdures
Tel à revers des médailles
L'écoulement de la durée se porte dru
A dresse-flanc et comme

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cerbère des nœuds de l'encéphale

L'émeraude des taillis joints
Plaqués debout et frissonnants
La cavalcade au baldaquin azur et mauve en mégalithe
Des duvets coulant sous le vent

Totems

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Stagnant dans l'idéation à ventail clos
Tu éternises la cadence
Que rien ne prolonge qu'à l'accoutumance le pli élagué des assuétudes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Badins l'outre vermillon des aplats
Et les bravades en vert cousu des feuilles givre sans
Jubilé sans cortège
Comme une démesure à tes vicissitudes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Presque buée
Parages évaporés
Tu débordes à revers
Exultations d'abord à reculons et puis

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En détrempe archivées
L'absence écrue en plénitude des aubes mues

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les abattis les abattis abscons et ravageurs
bric à brac

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tu es dégouliné dans l'antre
De celles qu'on n'imagine vous absorber parce qu'imperméable à tout regard
A tout entendement
A toute exégèse
Et lisse comme un serein au plumage la surface est close au tracé des passages

Aporie ou résilience

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Trois pans de murs quatre
Et la circonférence de ton corps tarie
Plus rien aux pas lié
Que de poser les miens pesants de ton silence
Avec à empiler
La minute qui précède le vide insensé et perdure au compteur égaré.

Présentation de l’auteur