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Charles Pennequin est dedans le poème même

"charles pennequin n'est pas dans la poésie, le cercle des poètes charles pennequin n'y est pas, charles pennequin ne fait pas de poèmes, charles pennequin ne lit pas, il ne sait pas lire de poèmes, charles pennequin est dedans le poème même, charles pennequin aime vivre dans une bouche et il sort de temps à autre de lui-même et sa bouche pour crier ou dire ou lire un texte, charles pennequin perd les pédales dans sa langue et improvise depuis sa bagnole, charles pennequin s'improvise vivant, charles pennequin ses mots ne prennent pas de hauteur, charles pennequin n'a pas de mots d'ailleurs, c'est toute une gestualité charles pennequin est une danse sonore parmi les phrases, charles pennequin gesticule dans son téléphone, son dictaphone et dans son mégaphone, charles pennequin aime chanter, gesticuler, écrire par terre et engueuler les gens, charles pennequin mange ses propres livres."1

Telle est la présentation que Charles Pennequin, fait de sa chaine YouTube. Il y poste des videoperformances. Mais sa pratique dépasse très largement le cadre du genre qu'il interroge, qu'il parodie, qu'il détourne, pour créer une poésie du vivant, qu'il s'agit de rendre agissante dans l'espace numérique et dans la vie.

Nouveau cadre éditorial qui redéfinit l'espace livresque, YouTube ou Vimeo mènent au constat que le livre représente dans cette perspective un état temporaire pour le poème. L’utilisation du web et des réseaux sociaux est un moyen de dépasser ou de contourner l'édition traditionnelle, parce que grâce à la diffusion de la poésie hors de ce vecteur l'accès au poème est facilité et touche un public plus large. L’auto-publication sur le Web, dans le flux de l'espace numérique, remet en question la nature de l'écriture. 

Cette pratique peut être perçue comme une continuité possible de la Poésie Action. Grâce aux moyens technologiques, elle permet une mise en circulation immédiate de la poésie vers le public, grâce à  l’utilisation des nouveaux médias.  Les mises en œuvre de Charles Pennequin, son utilisation de ces nouveaux vecteurs,  dépassent largement les objectifs de la poésie sonore ou de la performance. Il utilise les outils proposés par les nouvelles technologies et les médias comme des outils d’écriture. 

Charles Pennequin  joue avec les codes de ce cadre éditorial, les parodie, les détourne. Il les fait participer à l'élaboration poétique. Le poème et  l'acte performatif apparaissent à travers une multiplicité des vecteurs mis en place pour redoubler, dédoubler, contourner, détourner ou parodier leurs potentialités sémantiques, et en créer d'autres, indéfinies autant qu'infinies. 

Dans  "Causer n’est pas poser"  le texte écrit sous la vidéo n'a rien à voir avec elle. Il n'est ni descriptif, ni présentatif. Il s'agit d'un texte poétique à part entière, qui n'est pas en lien avec  celui énoncé dans la vidéo. Une dichotomie s’opère entre les deux, entre ce qui est écrit et ce qui est dit, filmé comme une performance. La globalité fait sens, devient poème, ou devient performance, ou devient l'espace d'une re-création infinie.

il ne faut pas essayer, il faut percher, il faut rester percher, c'est-à-dire qu'il faut pas se dire je vais essayer, je vais essayer la vie, je vais vivre mais je vais d'abord essayer, je vais me percher dans le vivant non, il faut vivre, il faut pas dire j'aurais bien envie de me taper une petite existence non, il faut exister, il faut pas se dire j'essaierais bien de me taper une bonne vie, me faire une petite existence et rester un bon moment percher dedans non, il faut y aller franco, il faut pas essayer de se dire je vais essayer pourquoi pas, j'ai ma petite perche, c'est-à-dire j'ai ma chance après tout, après tout j'ai mon petit lopin de chance qui m'attend au tournant, mais non, rien qui t'attend, te tend une perche non, ce qui t'attend au tournant c'est de dire que tu vas tenter le perchoir, tu vas essayer et finalement rester à faire ton prêchi-prêcha là-dedans2

Dans  "Marre" le poème est placé sous la video, qui comporte aussi des sous-titres où s'inscrit un poème encore différent.

 

Marre (Charles Pennequin) (il y a des sous titres).

Sous titres qui accompagnent la video Marre de Charles Pennequin.

"On est dans la merde. On est dans la merde et on fait dans son pot. On fait dans son pot et on attend de sortir. Ça n’est pas la première fois qu’on est dans la merde et qu’on se sort du pot. Mais là le pot on va devoir se le sortir autrement. Pas au grand jour non. Car au grand jour on est dans la merde et pour se sortir le pot c’est plus la même musique. Ou c’est une chanson. C’est l’air de On est dans la merde et on voudrait le composer autrement. Comment faut-il composer autrement avec les autres. Déjà avec soi il paraît qu’il faut composer autrement à partir de maintenant. On attend qu’on nous le dise comment il est autrement composé pour nous sortir avec le pot. Car ce n’est pas le pot d’un autre à fortiori. A fortiori c’est le nôtre et on nous on a toujours affirmé qu’on n’avait pas de pot. On n’a jamais eu de pot c’est à fortiori ce qu’on a toujours dit. Et comment faire pour sortir sans son pot à partir d’aujourd’hui. Si on est dans la merde comme ils nous le disent. Et comment je ferai pour me sortir mieux la prochaine fois. C’est-à-dire avec un pot en bonne et due forme. Un pot valable. Un petit pot qui a sa petite histoire. Il paraît qu’on est dans la merde et qu’on ne fait pas d’histoire. On voudrait faire des histoires qu’on ne s’y prendrait pas mieux cependant. On est dans la merde et l’histoire se fait toute seule sans nous apparemment. Et sans notre pot. Alors on reste dedans. On reste dans notre histoire comme dans notre pot sans même savoir qu’il s’agit de nous. On n’a pas voulu faire d’histoire mais elle s’est entêtée à venir et nous on n’a pas résisté. On n’a pas résisté au fait d’être pleinement dedans. Dans son pot. C’est souvent arrivé dans l’histoire. L’histoire de pas pouvoir résister et donc de rester dans son pot. On est resté sourd comme lui. Comme deux larrons. On est resté comme une histoire qui a foirée mais cela s’entend. On pensera toujours ce qu’on veut. On pensera comme on veut en dehors de l’histoire qui fait de nous des larrons en foire. On est dans la merde. C’est ça la nouvelle histoire. On a foiré notre nouvelle histoire mais on se rattrapera bien en pensant à tout ce qui se trame dehors. Par la lucarne. On est dans la merde tout autant dehors mais ceci n’est plus notre histoire. C’est d’une autre histoire qu’il s’agit. Une histoire d’un autre calibre et qu’on a foiré tout autant. C’est une histoire foirée par tous. C’est tout un chacun qui a foiré son histoire de dehors et ça se retrouve chemin faisant. A moins que ça ne soit que des foiritudes internes qui se retrouvent par devers nous comme on dit. Ça se retrouve dehors mais ça n’était que foiritudes personnelles au fond. Au fond c’est des choses foirée en dedans par le tout un chacun de nous-mêmes en l’autre. C’est de toute façon toujours de l’autre en nous-mêmes que vient la foiritude du tout un chacun généralisée. C’est ça qui peut nous intriguer. Et c’est pour ça qu’on regarde au dehors. Par la lucarne. C’est un passage qui instruit. C’est bien humain. L’instruction. Ça nous perturbe de savoir où ils peuvent aller au diable. On ne prendrait peut-être pas le même chemin. On serait même disposé à en prendre bien d’autres. Déjà pour les faire bisquer. On prendrait une petite route pour les faire tous bisquer moi et mon pot. On ferait la sourde oreille à leurs indications. Ce ne sont pas des indications. C’est plutôt des consignes. Mais nous on fait la sourde oreille. Moi et mon pot. Mais quelque part c’est eux. C’est eux qui sont sourds et pas nous. Nous on entend ce qu’on veut. C’est déjà pas pareil. Ils voudraient qu’on soit tous à se ressembler. Et qu’on soit tous ébaudis pareil. Qu’on soit tous au même moment frappés de stupeur. Eberlués au point de bégayer. Au même moment et au même endroit. Voilà ce qu’on serait. Nous et notre pot. Ça serait le pot commun. Qu’on soit tous communément dans le même pot. Une histoire de pot qui nous rassemble. Que l’histoire du pot nous rassemble plus qu’elle nous ressemble. Que plus aucun de nos pots nous ressemble. Et qu’on se fasse la p’tite guéguerre. La p’tite guéguerre du pot pour s’y taire. Qu’on se terre tous dans le même pot et qu’on ne dise plus un mot."3

 

Charles Pennequin  investit les espaces éditoriaux et élabore des  dispositifs poétiques inédits. La vidéoperformance fait partie d'une globalité qui fait sens, constituée d'images, de texte(s) et d'un jeu avec les  codes et les espaces éditoriaux. Dès lors on peut percevoir la performance comme participant à l'écriture du poème, et le poème comme complémentaire à l'élaboration sémantique de la videoperformance. Qu'il s'agisse d'improvisations, d'enregistrements vocaux ou de films enregistrés avec un téléphone ou une camera embarquée, il utilise les vecteurs numériques pour produire une poésie qui s'inscrit dans l'immédiateté en même temps qu'elle se prolonge dans le renouvellement infini de ses potentialités sémantiques. Ecrire est alors le produit de la rencontre de l'image ou du son, avec le texte qui n'en est pas le support écrit mais qui souvent intervient de manière autonome et combinatoire avec l'ensemble. Moments de vie qui croisent des moments de vie, mots qui s'ajoutent aux mots, Charles Pennequin est dedans le poème, et le poème est dedans la vie. Celle de nous tous. 

∗∗∗

perf-bosons

 

on n'est pas des bosons de higgs dans la perf

 

on a affaire à des masses

 

à des reculs

 

à des résistances

 

le public est comme inerte et nous-mêmes avons à soulever le couvercle

 

avec en-dessous la parole

 

la parole libre

 

le chant

 

l'air

 

le quelque chose qui continue

 

hors d'haleine

 

et dans un vrai déséquilibre

 

à tournoyer

 

creuser

 

s'enfoncer

 

prendre tout ce qu'on trouve et s'il n'y a rien

 

prendre le rien

 

l'empêchement de parler

 

le bafouillement

 

le blocage

 

l'incapacité

 

la grimace

 

la foulure

 

la crampe instantanée

 

prendre tout ça et le retourner en courage

 

courage à montrer la peur

 

la faiblesse

 

le trou

 

la faillite de soi

 

 

 

tout ça le théâtre n'en veut pas

 

 

 

le théâtre et l'art et la mort n'en veulent pas

 

 

 

bosons et neutrinos

 

trucs qui passent à travers tout

 

éléments du Qi et souffle pneûma

 

tout ça est vrai et pourtant contredit par

 

une table

 

un verre d'eau

 

des estrades

 

la lumière

 

et la diplomatie des lieux

 

Charles Pennequin (in : les Exozomes, POL, 2016)

Présentation de l’auteur

Charles Pennequin

Charles Pennequin est né le à Cambrai. Poète français, il réalise également nombre de dessins et de vidéos. En , il est le premier récipiendaire du Prix du Zorba — qui récompense « un livre excessif, hypnotique et excitant, pareil à une nuit sans dormir » — pour son recueil Pamphlet contre la mort (P.O.L, 2012).

Charles Pennequin publie son premier ouvrage en 1997 aux éditions Carte blanche, puis chez Al Dante, Dernier Télégramme et P.O.L, entre autres. Proche de Nathalie Quintane, de Christophe Tarkos et de Vincent Tholomé, il participe aux revues Facial, Poézi prolétèr, Doc(k)s, Java, Ouste, Fusées, etc... Il fonde en 2007 avec le dessinateur Quentin Faucompré le collectif Armée noire qui en intervenant dans diverses manifestations culturelles impulse des pratiques créatives collaboratives. 

© Charles Pennequin à Sète. Wikipedia.

Bibliographie

Le Père ce matin, Carte Blanche, Paris, 1997
Ça va chauffer, Derrière la salle de bains, 1998
Moins ça va, plus ça vient, supplément au no 20 de la revue Le Jardin Ouvrier, Amiens, 1999
Dedans, Al Dante, Paris, 1999
Patate, album avec un CD intitulé 1 jour, 2000
1 jour, Derrière la salle de bains, 2001
Lettre à J.S., Al Dante, 2001
Écrans, Voix/Richard Meïer, 2002
Bibi, POL, Paris, 2002
Bine, le corridor bleu, collection IKKO, 2003
Bibine, Éditions de l'Attente, 2003
Merci de votre visite, Mix, 2003
Je me Jette, avec le DVD intitulé Jemejette, Al Dante, Paris, 2004
Mon binôme, POL, 2004
Les doigts, Ragage, 2006
Lambiner, Dernier Télégramme, Limoges, 2007
La Ville est un trou (avec un CD), POL, 2007
Pas de tombeau pour Mesrine, Al Dante, 2008
L'Imagier du diable, illustrations d'Anne Van der Linden, Ragage, 2008
Comprendre la vie, POL, 2010
L'Armée Noire, revue faite avec Quentin Faucompré, Al Dante, 2010
La Fin des Poux, L'Âne qui butine, 2010
Trou Type, études de caractères, catalogue d'artiste (avec un CD) Dominique De Beir et Charles Pennequin, Friville éditions
Troue la bouche, accompagné d'un DVD, Editions Douches Froides, Alençon, 2011
Au ras des Pâquerettes (poèmes délabrés), recueil aux éditions Dernier Télégramme, 2012
Pamphlet contre la mort, POL, 2012, Prix du Zorba 2012
Charles Péguy dans nos lignes, Atelier de l'agneau, 2014
Les Exozomes, POL, 2016
Ce fut un plaisir, Cantos Propaganda productions, 2016
Tennis de table, Plaine page, 2016
Poèmes collés dans la tête, Cantos Propaganda productions, 2017
Gabineau-les-bobines, POL, 2018
Dehors Jésus, avec Marc Brunier-Mestas, le Dernier Cri, 2020
Père ancien, POL, 2020
Mange-bête, l'Âne qui butine, 2021
Les Voix du Venir, Aux Cailloux des Chemins, 2021

Disques

Bobines, CD de poèmes, Studio Croix des Landes, La Bazoge (72), 2001
Tué mon amour, avec Jean-François Pauvros, TraceLabel
Les chiens de la casse, Vinyle, Frac Franche-Comté, 20127
Causer la France (en public), CD avec Jean-François Pauvros, CdL Editions, 2015
Bibi Konspire, Vinyle, Label Rebelle, 2016
Dictaphone, disque vinyle produit par le Frac Franche-Comté, 2019

Poèmes choisis

Autres lectures




Charles Pennequin, du vivant extrêmophile au devenir des poètes-poissons

Charles Pennequin est un poète au sens intégral du terme. Ce qui veut dire qu'il se saisit de la parole, vivante, pour créer une poésie, vivante. 

Mais qu'est-ce que c'est la poésie vivante ? C'est une poésie qui vit dans et par la rencontre, l'élaboration d'un sens partagé avec ses destinataires. En ce sens, les  performances de Charles Pennequin sont uniques. Elles sont  filmées, enregistrées sur support vidéo ou sur bande son. Il y convoque la parole, dans une oralité sans cesse mise en demeure de renouveler le texte grâce aux répétitions des mots, aux jeux avec le langage, et à cette fusion opérée entre le son et un sens qui s'élabore grâce et avec ce travail sur la parole en action. Vers la fin des années quatre-vingt-dix, il commence à travailler l'improvisation à partir de l'usage de dictaphones, sur lesquels il s'enregistre en direct, puis qu'il rediffuse en public. Cette question de l'improvisation est incontournable de la démarche du poète car elle correspond à la question même du langage, à son rythme et à son enchaînement, qui sont garants d'une possible émergence de ce que les mots recèlent d'inconnu pour le locuteur lui-même, mais aussi, grâce au partage, pour les destinataires. 

Jean-François Pauvros, Charles Pennequin. Droit au mur, suivi de Causer la France et de Cette femme est morte, tous les trois morceaux sont inédits. Guy Niole.

Cette mise en acte du langage est inédite, et son objectif aussi : libérer la langue du poids des inconscients et offrir aux mots une amplitude sémantique débarrassée de toutes les scories qui y sont inscrites, qu'elles soient engrammées  dans chaque individu ou bien dans l'inconscient collectif. La liberté réside là, dans ce travail de nettoyage, qui s'effectue seul ou avec le public, dans le partage, vecteur de déploiement sémantique qui ouvre aussi le mot à des potentialités inédites, et à sa « vivance ».

Il a accepté de répondre aux questions de Recours au poème, et d'évoquer ce qu'est pour lui écrire, la poésie, et son dernier livre paru chez POL, Dehors Jésus.  Jésus est avant tout, pour Charles Pennequin, un poète. Peut-être parce qu'il énonce un Verbe créateur, peut-être parce que ses paroles on le pouvoir de façonner le réel, qu'elles sont préexistantes à l'édification d'un monde que Charles Pennequin refuse d'énoncer sans tenter d'agir pour le changer. Dans une dialectique incessante entre personnages et éléments biographiques, l'auteur interroge  ce pouvoir de la parole. « Jésus, c’est aussi la main de Charles Péguy, le devenir des poètes-poissons, et des solutions pour le « vivant extrêmophile ».

Charles Pennequin tu viens de publier Dehors Jésus. Peux-tu nous parler de ce livre, de sa place dans votre œuvre et de sa genèse ?
J’ai commencé un texte, peut-être en 2018 ou avant, sur Jésus qui se promène dans la ville. C’est une ville du bord de mer, sans doute Marseille. Marseille c’est une ville à poète, des poètes comme Artaud ou Tarkos, plus récemment. C’est une ville où on marche beaucoup. Jésus marche beaucoup, il tourne dans la ville, il veut changer quelque chose à l’esprit de cette ville. C’était une ville où j’aimais allé et je me souvenais de ces petites rues en remontant la cannebière, on prend des petites rues avec tous ces marchands, vers Noailles, et Jésus il est dans sa tête, il pense, il croit qu’en marchand il va vider sa tête mais d’abord elle se remplit de tous les sons de la ville.
Puis j’ai écrit d’autres textes qui suivent, en 2018, sur la maladie (Jésus a la crève, il reste chez lui, il aimerait aller dehors car il fait beau, il fait beau à Lille, mais il a la crève, il ne comprend pas pourquoi les gens ne sortent pas plus), sur les bactéries, sur le masque, sur la respiration, etc. Puis je lis des livres et regarde des films sur Jésus, notamment ceux écrits par Jérôme Prieur et Gérard Mordillat. Je lis aussi des évangiles apocryphes, notamment l’enfance de Jésus. Tout cela me travaille et j’écris des textes sur l’écriture, l’oralité, Jésus avant les écriture, avec son bâton qui trace sur le sable des choses qu’on ne saura jamais (c’est écrit dans les évangile, il y a un seul endroit où on dit que Jésus écrit, c’est lorsqu’il trace sur le sable, et il est bien indiqué qu’il trace, et non qu’il écrit). Jésus est un poète avant la parole qui s’écrit. Car même la parole maintenant s’écrit, elle s’écrit même avant d’avoir été prononcée. On dit même que certains parlent comme des livres.

Nous sommes des chiens – Charles Pennequin & Cécile Duval. Poésie-performance, le vendredi 5 décembre 2014 à la Maison de la Poésie. Performance proposée dans le cadre du cycle « Écrivains en résidences Région Île-de-France ».

Tu écris « Jésus n'écrit pas dans sa tête mais dans sa bouche. La bouche à Jésus est une imprimante à mains. Jésus dit : Nous sommes des machines dont la pensée passe par nos doigts. Tous ces lointains imprimés dans les souvenirs, toutes ces vies qui l'entourent Jésus et notamment celle de Lulu. Son pays sa famille ses amours, Jésus va passer tout ça par le fil de l'écrit. Jésus est un poète qui trace sa vivance dans le poème. » Quel est le rôle de la parole, de ce qui passe par la bouche ?
La parole c’est du bruit qui va ou qui ne va pas dans un texte. Il faut regarder comment les gens parlent, parfois c’est limite si les gens ouvrent la bouche, c’est comme un tout fin filet qui passe sans même qu’on mâche les phrases, pourtant les phrases on les a dites en mâchant. Il y a dans le parler quelque chose qui reste d’une faim, on a eu faim quand on s’est mis à parler, à chaque fois qu’on pense au parler on a le souvenir de quelque chose qui croque, car les mots passent entre les dents et ils gardent le souvenir de la faim, mais c’est pire que la fin, c’est la fin sans rien, c’est croquer dans le vide.
Après, c’est toute la difficulté entre le parler et l’écrit, dans l’écrit il y a quelque chose qui ne reste pas, les tournures de ce qui sort de la bouche, par exemple quand j’improvise je ne dis jamais un mot pour un autre, les choses sont d’une parfaite logique, tout est bien dans sa place, tout se suit dans le rythme logique, imperturbable, l’écrit, lui, permet les tournures, encore plus de tournoiement, mais il y a pour moi aujourd’hui un vrai problème entre l’écrit et le parler, celui qu’on n’admet pas dans nos sociétés, plus personne ne sait parler vraiment aujourd’hui, plus personne n’a sa phrase à lui, qui sortirait ainsi, comme une flamme légère, une petite flamme qu’on tient dans la main. On n’a pas confiance en le parler. On veut éteindre le parler.

Gesticulations dans les villes, ici Douarnenez, pour improviser autour de Dehors Jésus paru chez POL en 2022.

charles pennequin

Est-ce que c’est la parole qui élabore le texte ? Est-ce qu’écrire c’est parler, ou essayer de parler une autre langue qui serait la poésie ?
La poésie c’est le lieu de l’écriture et aussi de cette interrogation, il n’y a plus d’interrogation ailleurs, dans les autres formes d’écrits, dans la poésie c’est l’écrit mais qui contient encore une danse, une gestuelle, il y a un goût pour ce qui fraie entre le son et le sens, c’est cette hésitation qui est palpable dans la poésie.

 

Tu dis que tu es un poète vivant. C’est quoi être un poète vivant, et la poésie vivante ? Est-ce qu’il y a une poésie morte ?
Je dis que je suis vivant, poète je le dis pas forcément, je dis vivant, dans la vivance, c’est-à-dire dans la merde, c’est-à-dire entre chant et réel, dans quelque chose de boueux, de quotidien, on ne veut pas du quotidien dans l’art, on veut effacer le vivant, c’est-à-dire le concret, la brique, le sol, les rapports entre chemise et chaussure et le bruit des couloirs modernes, on veut pas de la vie moderne qui efface la poésie. Tout tente d’effacer la poésie, mais si on écoute parler, si on regarde vraiment ce qui se passe, il y a du boulot pour les poètes !

Au marché (de Lille-Wazemmes), 7 novembre 2008, improvisations parlées et écrites.

Et alors est-ce que tu es poète ? C’est quoi être poète ?
Le poète est un écrivain, c’est un terme à la con, comme parolier, maintenant on désigne tel rappeur, tel chanteur, tel artiste comme poète, parce que ça fait bien, alors qu’il n’y a pas de quoi se vanter, de toute façon le terme fonctionnel c’est écrivain. Ecriturin. Rapport avec rien. Gesticulateur opiniâtre. Eructateur, verbigérateur, rapporteur, écouteur, transmetteur. C’est juste un machin collé à l’organisme, comme une main, des yeux, une bouche. Un poète se sert de choses rapportées, des éléments, des matériaux, avec ses organes reproducteurs de bruits, de sons, de mots, d’images. Il pique la bande passante du vivant, il farfouille dedans. C’est un obsédé du parler souvent.
Quel est le rôle de ces mises en voix filmées ou enregistrées que tu as inventées et que tu pratiques ?
C’est des choses à côté, pour dire aussi des choses depuis la bouche et pas que depuis les doigts, la main, c’est user d’outils comme avant on usait du papier, c’est pareil, on est faits d’extensions, depuis qu’on parle, ou depuis qu’on fait du feu, depuis qu’on casse des pierres, on utilise la lance, la hache, puis la bagnole, puis la caméra, on fait feu de tout bois pour organiser la révolte avec les mots, les phrases, on danse dessus, on chante, on crie, tout est bon pour tortiller la langue contre ceux qui pensent que le langage sert à s’endormir dedans.

videos faites à Lille en 2005-2006 (en 3GP, format de l'époque pour les téléphones portables).

Tu as donné des concerts et des lectures musicales de Dehors Jésus avec Jean-François Pauvros. Comment appellerais-tu ces « performances » ? Est-ce que ce sont des spectacles ou bien l’élaboration d’un échange avec le public qui permet au texte de vivre ?
Ça permet autre chose, avec quelqu’un qui suit ou pas ce qui se dit, comment ça se dit. Je n’ai pas besoin d’accompagnateur, on dit souvent ça : le poète et son accompagnateur, c’est horrible. Le poète sait chanter seul, jouer seul, jouir seul, il sait tout faire, mais là il y a comme une adversité et un compagnonnage, il y a une fusion parfois, ça monte ailleurs, et puis les gens qui sont là montent ou descendent avec nous, ils ne sont plus le public, ils sont une force, une masse qui intervient, joue son rôle aussi. Ce ne sont pas toujours des spectacles, car c’est joué sans prévenir, sans prévention, sans répétitions, parfois j’essaie de faire comme si je répétais. Comme si je vivais.
Dans Dehors Jésus tu mets en scène des personnages, ou bien des personnes ? Est-ce une fiction ? Les as-tu croisés dans la vie ?  Qu’est-ce qu’ils représentent ? Et d’abord est-ce qu’ils représentent quelque chose ?
Il y a des fictions oui, Jésus c’est plusieurs personnes que j’ai connues par exemple. Il y a Lulu, qui a une part importante dans le livre. 

Lecture filmée par Camille Escudero ; lecture d'un texte extrait de Dehors Jésus (P.O.L 2022).

Je pense que Lulu c’est plus fort que Jésus, ça mène plus loin, pourtant c’est un petit bout de femme, une vieille femme, il n’y a que Charles Péguy chez qui on peut comprendre Lulu. Puis il y a Bobi, qui est un jeune qui sort de prison.Ça dit des choses, mais les textes disent aussi, chaque texte délivre quelque chose qui sera développé ailleurs. Il y a le sujet du Temps, il y a les lointains qui sont très présents dans chaque partie du livre. Il y a les vacances, la mer et l’autoroute, la ville.
Est-ce que la poésie est ou peut être un acte militant, engagé ?
C’est une militance pour elle-même. C’est un acte pour lui-même. C’est militer pour trouver son sabir, que chacun cesse de parler comme les consignes de la télé ou de la SNCF. Qu’on arrête le parler qui va toujours dans le même sens, abouti toujours aux mêmes phrases. Le parler c’est là où on sent le mieux la fatigue de l’humain. L’humain est fatigué et son parler est plein d’aphtes, de boules, le parler humain a les boules.
As-tu des lectures ou des performances musicales à venir ? Si oui où et quand ? Et des projets ?

Charles Pennequin, Dehors Jésus, P.O.L.,
2022, 352 pages, 20 €
https://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=978-2-8180-5344-7 

Je vais à Céret, avec Camille Escudero, on est invités à performer dehors, dans la ville ! Dans l’espace « La Catalane », une lecture performance à deux corps et deux voix intitulée De la Rigolade. Et avant cela je vais avec elle aussi à Perpignan et à Ille-sur-Têt, chez André Rober. Puis avant encore, à Périgueux, du 10 au 12 mars, pour le festival ExPoésie. Puis après je fais un concert, fin mars, au théâtre Molière, à Paris. En avril je serai en Bretagne, à Far West plus exactement, qui se trouve à Penmach, pour la présentation de Dehors Jésus.
Puis je continue à travailler, je travaille avec un jeune dessinateur sur la ville, puis j’ai un autre chantier qui m’attend, où je vais dessiner et écrire aussi.

Lecture- Performance de Charles Pennequin avec Jean-François Pauvros et lecture finale par Camille Escudero à l'occasion de la sortie chez P.O.L de Dehors Jésus. Le Monte en l'air.

Présentation de l’auteur

Charles Pennequin

Charles Pennequin est né le à Cambrai. Poète français, il réalise également nombre de dessins et de vidéos. En , il est le premier récipiendaire du Prix du Zorba — qui récompense « un livre excessif, hypnotique et excitant, pareil à une nuit sans dormir » — pour son recueil Pamphlet contre la mort (P.O.L, 2012).

Charles Pennequin publie son premier ouvrage en 1997 aux éditions Carte blanche, puis chez Al Dante, Dernier Télégramme et P.O.L, entre autres. Proche de Nathalie Quintane, de Christophe Tarkos et de Vincent Tholomé, il participe aux revues Facial, Poézi prolétèr, Doc(k)s, Java, Ouste, Fusées, etc... Il fonde en 2007 avec le dessinateur Quentin Faucompré le collectif Armée noire qui en intervenant dans diverses manifestations culturelles impulse des pratiques créatives collaboratives. 

© Charles Pennequin à Sète. Wikipedia.

Bibliographie

Le Père ce matin, Carte Blanche, Paris, 1997
Ça va chauffer, Derrière la salle de bains, 1998
Moins ça va, plus ça vient, supplément au no 20 de la revue Le Jardin Ouvrier, Amiens, 1999
Dedans, Al Dante, Paris, 1999
Patate, album avec un CD intitulé 1 jour, 2000
1 jour, Derrière la salle de bains, 2001
Lettre à J.S., Al Dante, 2001
Écrans, Voix/Richard Meïer, 2002
Bibi, POL, Paris, 2002
Bine, le corridor bleu, collection IKKO, 2003
Bibine, Éditions de l'Attente, 2003
Merci de votre visite, Mix, 2003
Je me Jette, avec le DVD intitulé Jemejette, Al Dante, Paris, 2004
Mon binôme, POL, 2004
Les doigts, Ragage, 2006
Lambiner, Dernier Télégramme, Limoges, 2007
La Ville est un trou (avec un CD), POL, 2007
Pas de tombeau pour Mesrine, Al Dante, 2008
L'Imagier du diable, illustrations d'Anne Van der Linden, Ragage, 2008
Comprendre la vie, POL, 2010
L'Armée Noire, revue faite avec Quentin Faucompré, Al Dante, 2010
La Fin des Poux, L'Âne qui butine, 2010
Trou Type, études de caractères, catalogue d'artiste (avec un CD) Dominique De Beir et Charles Pennequin, Friville éditions
Troue la bouche, accompagné d'un DVD, Editions Douches Froides, Alençon, 2011
Au ras des Pâquerettes (poèmes délabrés), recueil aux éditions Dernier Télégramme, 2012
Pamphlet contre la mort, POL, 2012, Prix du Zorba 2012
Charles Péguy dans nos lignes, Atelier de l'agneau, 2014
Les Exozomes, POL, 2016
Ce fut un plaisir, Cantos Propaganda productions, 2016
Tennis de table, Plaine page, 2016
Poèmes collés dans la tête, Cantos Propaganda productions, 2017
Gabineau-les-bobines, POL, 2018
Dehors Jésus, avec Marc Brunier-Mestas, le Dernier Cri, 2020
Père ancien, POL, 2020
Mange-bête, l'Âne qui butine, 2021
Les Voix du Venir, Aux Cailloux des Chemins, 2021

Disques

Bobines, CD de poèmes, Studio Croix des Landes, La Bazoge (72), 2001
Tué mon amour, avec Jean-François Pauvros, TraceLabel
Les chiens de la casse, Vinyle, Frac Franche-Comté, 20127
Causer la France (en public), CD avec Jean-François Pauvros, CdL Editions, 2015
Bibi Konspire, Vinyle, Label Rebelle, 2016
Dictaphone, disque vinyle produit par le Frac Franche-Comté, 2019

Poèmes choisis

Autres lectures




Charles Pennequin est dedans le poème même

"charles pennequin n'est pas dans la poésie, le cercle des poètes charles pennequin n'y est pas, charles pennequin ne fait pas de poèmes, charles pennequin ne lit pas, il ne sait pas lire de poèmes, charles pennequin est dedans le poème même, charles pennequin aime vivre dans une bouche et il sort de temps à autre de lui-même et sa bouche pour crier ou dire ou lire un texte, charles pennequin perd les pédales dans sa langue et improvise depuis sa bagnole, charles pennequin s'improvise vivant, charles pennequin ses mots ne prennent pas de hauteur, charles pennequin n'a pas de mots d'ailleurs, c'est toute une gestualité charles pennequin est une danse sonore parmi les phrases, charles pennequin gesticule dans son téléphone, son dictaphone et dans son mégaphone, charles pennequin aime chanter, gesticuler, écrire par terre et engueuler les gens, charles pennequin mange ses propres livres."1

Telle est la présentation que Charles Pennequin, fait de sa chaine YouTube. Il y poste des videoperformances. Mais sa pratique dépasse très largement le cadre du genre qu'il interroge, qu'il parodie, qu'il détourne, pour créer une poésie du vivant, qu'il s'agit de rendre agissante dans l'espace numérique et dans la vie.

Nouveau cadre éditorial qui redéfinit l'espace livresque, YouTube ou Vimeo mènent au constat que le livre représente dans cette perspective un état temporaire pour le poème. L’utilisation du web et des réseaux sociaux est un moyen de dépasser ou de contourner l'édition traditionnelle, parce que grâce à la diffusion de la poésie hors de ce vecteur l'accès au poème est facilité et touche un public plus large. L’auto-publication sur le Web, dans le flux de l'espace numérique, remet en question la nature de l'écriture. 

Cette pratique peut être perçue comme une continuité possible de la Poésie Action. Grâce aux moyens technologiques, elle permet une mise en circulation immédiate de la poésie vers le public, grâce à  l’utilisation des nouveaux médias.  Les mises en œuvre de Charles Pennequin, son utilisation de ces nouveaux vecteurs,  dépassent largement les objectifs de la poésie sonore ou de la performance. Il utilise les outils proposés par les nouvelles technologies et les médias comme des outils d’écriture. 

Charles Pennequin  joue avec les codes de ce cadre éditorial, les parodie, les détourne. Il les fait participer à l'élaboration poétique. Le poème et  l'acte performatif apparaissent à travers une multiplicité des vecteurs mis en place pour redoubler, dédoubler, contourner, détourner ou parodier leurs potentialités sémantiques, et en créer d'autres, indéfinies autant qu'infinies. 

Dans  "Causer n’est pas poser"  le texte écrit sous la vidéo n'a rien à voir avec elle. Il n'est ni descriptif, ni présentatif. Il s'agit d'un texte poétique à part entière, qui n'est pas en lien avec  celui énoncé dans la vidéo. Une dichotomie s’opère entre les deux, entre ce qui est écrit et ce qui est dit, filmé comme une performance. La globalité fait sens, devient poème, ou devient performance, ou devient l'espace d'une re-création infinie.

il ne faut pas essayer, il faut percher, il faut rester percher, c'est-à-dire qu'il faut pas se dire je vais essayer, je vais essayer la vie, je vais vivre mais je vais d'abord essayer, je vais me percher dans le vivant non, il faut vivre, il faut pas dire j'aurais bien envie de me taper une petite existence non, il faut exister, il faut pas se dire j'essaierais bien de me taper une bonne vie, me faire une petite existence et rester un bon moment percher dedans non, il faut y aller franco, il faut pas essayer de se dire je vais essayer pourquoi pas, j'ai ma petite perche, c'est-à-dire j'ai ma chance après tout, après tout j'ai mon petit lopin de chance qui m'attend au tournant, mais non, rien qui t'attend, te tend une perche non, ce qui t'attend au tournant c'est de dire que tu vas tenter le perchoir, tu vas essayer et finalement rester à faire ton prêchi-prêcha là-dedans2

Dans  "Marre" le poème est placé sous la video, qui comporte aussi des sous-titres où s'inscrit un poème encore différent.

 

Marre (Charles Pennequin) (il y a des sous titres).

Sous titres qui accompagnent la video Marre de Charles Pennequin.

"On est dans la merde. On est dans la merde et on fait dans son pot. On fait dans son pot et on attend de sortir. Ça n’est pas la première fois qu’on est dans la merde et qu’on se sort du pot. Mais là le pot on va devoir se le sortir autrement. Pas au grand jour non. Car au grand jour on est dans la merde et pour se sortir le pot c’est plus la même musique. Ou c’est une chanson. C’est l’air de On est dans la merde et on voudrait le composer autrement. Comment faut-il composer autrement avec les autres. Déjà avec soi il paraît qu’il faut composer autrement à partir de maintenant. On attend qu’on nous le dise comment il est autrement composé pour nous sortir avec le pot. Car ce n’est pas le pot d’un autre à fortiori. A fortiori c’est le nôtre et on nous on a toujours affirmé qu’on n’avait pas de pot. On n’a jamais eu de pot c’est à fortiori ce qu’on a toujours dit. Et comment faire pour sortir sans son pot à partir d’aujourd’hui. Si on est dans la merde comme ils nous le disent. Et comment je ferai pour me sortir mieux la prochaine fois. C’est-à-dire avec un pot en bonne et due forme. Un pot valable. Un petit pot qui a sa petite histoire. Il paraît qu’on est dans la merde et qu’on ne fait pas d’histoire. On voudrait faire des histoires qu’on ne s’y prendrait pas mieux cependant. On est dans la merde et l’histoire se fait toute seule sans nous apparemment. Et sans notre pot. Alors on reste dedans. On reste dans notre histoire comme dans notre pot sans même savoir qu’il s’agit de nous. On n’a pas voulu faire d’histoire mais elle s’est entêtée à venir et nous on n’a pas résisté. On n’a pas résisté au fait d’être pleinement dedans. Dans son pot. C’est souvent arrivé dans l’histoire. L’histoire de pas pouvoir résister et donc de rester dans son pot. On est resté sourd comme lui. Comme deux larrons. On est resté comme une histoire qui a foirée mais cela s’entend. On pensera toujours ce qu’on veut. On pensera comme on veut en dehors de l’histoire qui fait de nous des larrons en foire. On est dans la merde. C’est ça la nouvelle histoire. On a foiré notre nouvelle histoire mais on se rattrapera bien en pensant à tout ce qui se trame dehors. Par la lucarne. On est dans la merde tout autant dehors mais ceci n’est plus notre histoire. C’est d’une autre histoire qu’il s’agit. Une histoire d’un autre calibre et qu’on a foiré tout autant. C’est une histoire foirée par tous. C’est tout un chacun qui a foiré son histoire de dehors et ça se retrouve chemin faisant. A moins que ça ne soit que des foiritudes internes qui se retrouvent par devers nous comme on dit. Ça se retrouve dehors mais ça n’était que foiritudes personnelles au fond. Au fond c’est des choses foirée en dedans par le tout un chacun de nous-mêmes en l’autre. C’est de toute façon toujours de l’autre en nous-mêmes que vient la foiritude du tout un chacun généralisée. C’est ça qui peut nous intriguer. Et c’est pour ça qu’on regarde au dehors. Par la lucarne. C’est un passage qui instruit. C’est bien humain. L’instruction. Ça nous perturbe de savoir où ils peuvent aller au diable. On ne prendrait peut-être pas le même chemin. On serait même disposé à en prendre bien d’autres. Déjà pour les faire bisquer. On prendrait une petite route pour les faire tous bisquer moi et mon pot. On ferait la sourde oreille à leurs indications. Ce ne sont pas des indications. C’est plutôt des consignes. Mais nous on fait la sourde oreille. Moi et mon pot. Mais quelque part c’est eux. C’est eux qui sont sourds et pas nous. Nous on entend ce qu’on veut. C’est déjà pas pareil. Ils voudraient qu’on soit tous à se ressembler. Et qu’on soit tous ébaudis pareil. Qu’on soit tous au même moment frappés de stupeur. Eberlués au point de bégayer. Au même moment et au même endroit. Voilà ce qu’on serait. Nous et notre pot. Ça serait le pot commun. Qu’on soit tous communément dans le même pot. Une histoire de pot qui nous rassemble. Que l’histoire du pot nous rassemble plus qu’elle nous ressemble. Que plus aucun de nos pots nous ressemble. Et qu’on se fasse la p’tite guéguerre. La p’tite guéguerre du pot pour s’y taire. Qu’on se terre tous dans le même pot et qu’on ne dise plus un mot."3

 

Charles Pennequin  investit les espaces éditoriaux et élabore des  dispositifs poétiques inédits. La vidéoperformance fait partie d'une globalité qui fait sens, constituée d'images, de texte(s) et d'un jeu avec les  codes et les espaces éditoriaux. Dès lors on peut percevoir la performance comme participant à l'écriture du poème, et le poème comme complémentaire à l'élaboration sémantique de la videoperformance. Qu'il s'agisse d'improvisations, d'enregistrements vocaux ou de films enregistrés avec un téléphone ou une camera embarquée, il utilise les vecteurs numériques pour produire une poésie qui s'inscrit dans l'immédiateté en même temps qu'elle se prolonge dans le renouvellement infini de ses potentialités sémantiques. Ecrire est alors le produit de la rencontre de l'image ou du son, avec le texte qui n'en est pas le support écrit mais qui souvent intervient de manière autonome et combinatoire avec l'ensemble. Moments de vie qui croisent des moments de vie, mots qui s'ajoutent aux mots, Charles Pennequin est dedans le poème, et le poème est dedans la vie. Celle de nous tous. 

∗∗∗

perf-bosons

 

on n'est pas des bosons de higgs dans la perf

 

on a affaire à des masses

 

à des reculs

 

à des résistances

 

le public est comme inerte et nous-mêmes avons à soulever le couvercle

 

avec en-dessous la parole

 

la parole libre

 

le chant

 

l'air

 

le quelque chose qui continue

 

hors d'haleine

 

et dans un vrai déséquilibre

 

à tournoyer

 

creuser

 

s'enfoncer

 

prendre tout ce qu'on trouve et s'il n'y a rien

 

prendre le rien

 

l'empêchement de parler

 

le bafouillement

 

le blocage

 

l'incapacité

 

la grimace

 

la foulure

 

la crampe instantanée

 

prendre tout ça et le retourner en courage

 

courage à montrer la peur

 

la faiblesse

 

le trou

 

la faillite de soi

 

 

 

tout ça le théâtre n'en veut pas

 

 

 

le théâtre et l'art et la mort n'en veulent pas

 

 

 

bosons et neutrinos

 

trucs qui passent à travers tout

 

éléments du Qi et souffle pneûma

 

tout ça est vrai et pourtant contredit par

 

une table

 

un verre d'eau

 

des estrades

 

la lumière

 

et la diplomatie des lieux

 

Charles Pennequin (in : les Exozomes, POL, 2016)

Présentation de l’auteur

Charles Pennequin

Charles Pennequin est né le à Cambrai. Poète français, il réalise également nombre de dessins et de vidéos. En , il est le premier récipiendaire du Prix du Zorba — qui récompense « un livre excessif, hypnotique et excitant, pareil à une nuit sans dormir » — pour son recueil Pamphlet contre la mort (P.O.L, 2012).

Charles Pennequin publie son premier ouvrage en 1997 aux éditions Carte blanche, puis chez Al Dante, Dernier Télégramme et P.O.L, entre autres. Proche de Nathalie Quintane, de Christophe Tarkos et de Vincent Tholomé, il participe aux revues Facial, Poézi prolétèr, Doc(k)s, Java, Ouste, Fusées, etc... Il fonde en 2007 avec le dessinateur Quentin Faucompré le collectif Armée noire qui en intervenant dans diverses manifestations culturelles impulse des pratiques créatives collaboratives. 

© Charles Pennequin à Sète. Wikipedia.

Bibliographie

Le Père ce matin, Carte Blanche, Paris, 1997
Ça va chauffer, Derrière la salle de bains, 1998
Moins ça va, plus ça vient, supplément au no 20 de la revue Le Jardin Ouvrier, Amiens, 1999
Dedans, Al Dante, Paris, 1999
Patate, album avec un CD intitulé 1 jour, 2000
1 jour, Derrière la salle de bains, 2001
Lettre à J.S., Al Dante, 2001
Écrans, Voix/Richard Meïer, 2002
Bibi, POL, Paris, 2002
Bine, le corridor bleu, collection IKKO, 2003
Bibine, Éditions de l'Attente, 2003
Merci de votre visite, Mix, 2003
Je me Jette, avec le DVD intitulé Jemejette, Al Dante, Paris, 2004
Mon binôme, POL, 2004
Les doigts, Ragage, 2006
Lambiner, Dernier Télégramme, Limoges, 2007
La Ville est un trou (avec un CD), POL, 2007
Pas de tombeau pour Mesrine, Al Dante, 2008
L'Imagier du diable, illustrations d'Anne Van der Linden, Ragage, 2008
Comprendre la vie, POL, 2010
L'Armée Noire, revue faite avec Quentin Faucompré, Al Dante, 2010
La Fin des Poux, L'Âne qui butine, 2010
Trou Type, études de caractères, catalogue d'artiste (avec un CD) Dominique De Beir et Charles Pennequin, Friville éditions
Troue la bouche, accompagné d'un DVD, Editions Douches Froides, Alençon, 2011
Au ras des Pâquerettes (poèmes délabrés), recueil aux éditions Dernier Télégramme, 2012
Pamphlet contre la mort, POL, 2012, Prix du Zorba 2012
Charles Péguy dans nos lignes, Atelier de l'agneau, 2014
Les Exozomes, POL, 2016
Ce fut un plaisir, Cantos Propaganda productions, 2016
Tennis de table, Plaine page, 2016
Poèmes collés dans la tête, Cantos Propaganda productions, 2017
Gabineau-les-bobines, POL, 2018
Dehors Jésus, avec Marc Brunier-Mestas, le Dernier Cri, 2020
Père ancien, POL, 2020
Mange-bête, l'Âne qui butine, 2021
Les Voix du Venir, Aux Cailloux des Chemins, 2021

Disques

Bobines, CD de poèmes, Studio Croix des Landes, La Bazoge (72), 2001
Tué mon amour, avec Jean-François Pauvros, TraceLabel
Les chiens de la casse, Vinyle, Frac Franche-Comté, 20127
Causer la France (en public), CD avec Jean-François Pauvros, CdL Editions, 2015
Bibi Konspire, Vinyle, Label Rebelle, 2016
Dictaphone, disque vinyle produit par le Frac Franche-Comté, 2019

Poèmes choisis

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