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Constance Chlore, L’Alphabet plutôt que rien

Affirmer la préférence de l’ « alphabet » à un certain « rien » intrigue. Il fallait oser confronter  le mot (bourré de lettres alphabétiques) à sa propre absence (néant total ou peu de chose), comme si le mot pouvait aussi être absent ou a contrario l’absence se muer en langage. 

Glisser de surcroît un adverbe ((Cf. Carole Mesrobian, titre avec locution adverbiale en conséquence (Le sursis en conséquence)) dans le titre donne un coup de semonce à la titrologie classique, tout en la rénovant dans le respect de la grammaire. Ainsi s’ouvre la porte d’entrée de cet ouvrage de Constance Chlore ((La poétesse porte un nom d’empereur romain, bien involontairement, on s’en doute !)), poétesse aux pulsations multiples. Elle entame la « traversée chaotique  vers la construction de soi, de l’amour, du langage » qui croise ça et là « de larges appels de vent ». Selon quel cheminement ? « Tu grandis dans ton ombre », écrit-elle. Est-ce le fil rouge conduisant sa pensée ?

Dans le dédale des variations typographiques (corps et typo variés), certains mots font des sortes de bonds dans notre direction. Bousculant le reste du texte, ils participent à l’approche singulière de chaque lectrice. Tous traquent des mouvements de l’âme : reflux, ressac, sauts, rythme, j’oscille…. 

Constance Chlore, L’alphabet plutôt que rien, Editions éoliennes, 2017, 80 pages, 12 €.

Souvent aquatiques ou marins, ils évoquent volontiers des rives, des abimes, des gouffres.  Au détour des pages, ils révèlent des « éclats de crinière », des « harpes d’aile », le « ventre des abîmes », « les ombres rapides du vent » ou l’ « écho transparent des larmes ». Autant d’images éblouies qui emportent la lectrice dans le phrasé et les soubresauts de leur vague !

Cet opuscule revendique son propre langage d’amour. Le corps y est puissamment présent, parfois ardent (« Tous mes sens m’éveillent à l’autre »), parfois happé par les effets de ses désirs («  Ma propre faim est ton appât »).  Il génère le lien affectif : « Nos doubles présences dans l’étreinte ne relâchent pas ». Le poème Pierre  évoque une lumière à la fois évanescente et étincelante en un lieu où l’autrice se souvient avoir été une autre personne avant de se découvrir elle-même (« je rejoins mon visage »).

Le titre du recueil s’éclaire en fin de ce parcours en un poème qui le répercute.  « Entre consonne et voyelle se révèle-t-on à soi-même ?» interroge la poétesse. Elle s’exclame alors : « Je t’écrirai un poème en forme de E », libérant nombre de mots  qui commencent par cette voyelle : écarlate, éclats, enfer, élévation, escalier, éphémères, élytres… « Dans les cheveux de la mer/l’alphabet est apparu/et tout a changé ». Ses mots sont - en quelque sorte -  nés des eaux. Ils habitent un monde dupliqué où «ici est là bas ». 

Certes les jeux graphiques réitérés (points de suspension, parenthèses, racines carrées, pointillés, points de suspension, lettres en gras) laissent perplexe. Ils ne semblent pas définir une forme spécifique (calligramme), proposant  des signaux spontanés ou de hasard peut-être simplement échappés du clavier d’ordinateur.

Et puis, enfin, quelque part aussi (p.48 !), une phrase merveilleuse - presque ultime - qui clôture une pensée : « Regarder est mon silence ». Elle donne envie de se taire, de muer notre regard en un mutisme fusionnel. Oui, mais qui écrira alors ?