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Elaine Vilar Madruga

Présenté et traduit par Dominique Boudou.

 

 Il y a des rencontres qui font du bien. Celle d’Elaine Vilar Madruga en est une. Nécessités de la traduction obligent, nous nous écrivons régulièrement depuis quelques mois. Elucider la langue tout en lui reconnaissant son irréductible part de mystère conduit à des échanges plus ordinaires.  Sans postures. Elaine est une personne simple, une personne humble. Elle m’a proposé plusieurs fois de modifier ses textes pour faciliter mon travail. Cela m’a touché. Il y a tant d’auteurs qui poussent des cris d’orfraie si on leur suggère de déplacer une virgule !

 

Et puis, tout en étant simple, Elaine est évidemment une personne complexe. Sa poésie aux élans souvent mystiques ne manque pas d’opacité. Il est salutaire qu’elle résiste ainsi à l’entendement. C’est la meilleure garantie, pour durer.

Nous continuerons à nous écrire et, qui sait, l’océan Atlantique n’est pas si long à traverser…

Ambre

 

l’île parle de ses tourments

comme l’enfant mort de la photo

qu’un tel nomma frère/fils/arbre familier/épée.

le mur montre encore l’empreinte du sang

sur la dent du chien.

la main de l’enfant porte la bouteille d’ambre

au pli de la nuque.

c’était l’année de la photo et du marécage :

sur la côte,

quelqu’un a découvert l’enfant ensanglanté

qui émergeait

près du crabe de l’éternité.

tout au bord de la plage

les marques des dents et des ongles sont apparues ensuite

comme des mouches embourbées au cœur de l’ambre

 

 

Ámbar

 

la isla habla de sus torceduras

como el niño muerto de la foto

que alguien nombró hermano/hijo/árbol familiar/espada.

 

la pared aun exhibe el cuadro de la sangre

en el diente de perro.

la mano del niño lleva la botella de ámbar

sobre el sello de la nuca.

 

aquel fue el año de la foto y el estero:

en los yaquis de la costa,

alguien descubrió al muchacho ensangrentado

que emergía

junto al cangrejo de lo eterno.

 

en la línea de la playa

surgieron después los rastros de dientes y uñas

como moscas empantanadas en ámbar.

 

7 de julio del 2014

Nichée

 

le trou dans la ville était un nid de corbeaux

et mon père celui aux plumes noires

volait jusqu’à la corniche de l’hôtel

puis vers les tuiles brisées

pour piailler à son aise

pendant que moi j’allais parmi les rues

pareilles à des peaux d’orange

avec le bitume fissuré par les morts en partance

mais mon père toujours le corbeau préféré

de la nichée

m’observe comment y renoncer puisqu’il le voulait

comment empêcher mon père d’ouvrir le bec

depuis la plus haute fenêtre de l’hôtel

pour descendre à hauts cris ses ailes comme un filet autour de mes cheveux

et hurler maudite rentre à la maison

comment y renoncer puisqu’il le pouvait et qu’il était mon père et ma mère

et ma famille

puisque l’hôtel était son royaume et qu’il était là-bas

tel un grand maître de la ville

à édicter des lois à coups de griffes

fuir cette peau en courant ou à marche forcée était bien inutile

il était déjà sur moi

et répétait les choses si souvent entendues sur l’héroïsme

des villes

sur les nègres les femmes nues dans le métro

les homeless aux mains tendues

qui avaient un dollar de plus que moi dans la poche

je ne sais pas si j’ai dit que le seuil de cet hôtel était sa tombe

son petit palais son règne

et personne moi moins que quiconque

ne pouvait exercer là-bas le pouvoir

surtout pas moi chez les corbeaux fille de corbeau sans ailes

assez grandes

pour m’enfuir

 

ma mère mon père les rues de cette ville crachent haut et fort

sur la loi de la gravité et mes gestes hypnotiques pour rester calme

supplier ne sert à rien

il faut seulement baisser les yeux

passer devant le monument funéraire d’un hôtel

et regarder le père dans les yeux dans le troisième œil qui lui est venu en tête

comme une fleur du premier jour

marcher mais sans fuir la ville comme une peau

où les corbeaux picorent quelques douceurs d’un autre monde

où moi aussi je m’évertue à ouvrir le bec

et emporter ma part jusqu’à la plus haute fenêtre de l’hôtel

pour ensuite trembler et mourir tout là-haut

une tempête de plumes quasi bleues

tombera sur la foule des rues

sans applaudissements ni scénarios

seul un œuf survivra

au troisième hiver

 

 

 

 

 

 

 

Nidada

 

el agujero de la ciudad era un nido de cuervos

y mi padre el de las plumas negras

volaba hasta el reborde del hotel

hasta las tejas rotas

para piar a gusto

mientras yo caminaba entre las calles

iguales a hollejos de naranja

con su asfalto roto por los muertos al partir

pero mi padre siempre el predilecto

cuervo de la nidada

me observa cómo no hacerlo si quería

cómo impedir que mi padre abriera el pico

desde la ventana más alta del hotel

y bajara entre chillidos y plumas a enredar mi pelo

y gritarme maldita vuelve a casa

cómo no hacerlo si podía si era mi padre y mi madre

y mi familia

si el hotel era su reino y ahí estaba

como el gran gobernador de la ciudad

que dictaba leyes con las garras

no importaba correr caminar rápido el intento de huir de aquel

hollejo

él estaba sobre mí

y decía aquellas cosas que escuché antes sobre la heroicidad

de las ciudades

sobre los negros las mujeres desnudas en el metro

los homelessde manos extendidas

que tenían un dólar más que yo en el bolsillo

no sé si he dicho que el umbral de aquel hotel era su tumba

su palacete su reinado

y nadie menos yo que nadie

podía ejercer poder allí

menos yo entre los cuervos hija de cuervos pero sin plumas

suficientes

para una huida

 

madre padre las calles de esta ciudad escupen alto

contra la ley de la gravedad contra la hipnótica manera de quedarme

quieta

no vale suplicar

solo es preciso bajar la mirada

pasar frente a la estatua mortuoria de un hotel

y mirar a padre en el ojo en el tercer ojo que le ha nacido en la cabeza

como una flor del primer día

avanzar pero no huir de la ciudad como un hollejo

donde los cuervos picotean ciertos dulzores de otro mundo

donde también yo me afano en abrir el pico

y llevar mi parte hasta la ventana más alta del hotel

para temblar luego y morir arriba

un ventisquero de plumas casi azules

caerán sobre el púlpito en las calles

sin aplausos ni escenarios

solo un huevo sobrevivirá

al tercer invierno.

Ne parlez pas avec elle

 

Quand le chien me mord, la rage et le sang m’effraient.

La bave et l’idée d’hôpital/mort/paralysie me terrifient.

Je refuse d’être clouée comme une fille d’Almodóvar

qui attend la meilleure prise de vue

sous l’angle et la lumière les plus justes.

Ce scenario n’est que la prétention des plumitifs

Qui s’amusent à coucher mon nom sur les affiches et les photos.

 

Oh, mon Dieu, éloigne de moi le calice de la morsure du chien.

Les conséquences de la rage sont imprévisibles

et des centaines d’Almodóvar en meute me poursuivent

de toute leur maudite révérence.

 

 

No hable con ella

 

Cuando me muerde el perro, yo tengo miedo de la rabia y de la sangre.

Me aterra la espuma y los conceptos hospital/muerte/parálisis.

No quiero estar postrada como una chica Almodóvar

que espera por la toma mejor,

por el ángulo y la iluminación precisos.

Ese guión es solo la pretensión de los escribas

que juegan a inscribir mi nombre en los carteles y las fotos.

 

Oh, Dios, aparta de mí el cáliz de la mordida del perro.

Las consecuencias de la rabia son imprevisibles

y una jauría de cientos de Almodóvar me persiguen

con toda su maldita reverencia.

 

15 de octubre de 2013

Meute

 

Les jeunes lions prennent la mort en chasse.

Ils ne sont d’aucune durée.

Ils perdent

toute faiblesse à même les décombres.

 

Les siècles gisent dans la convoitise des baleines

restées sans voix

sous l’eau.

Les fauves prennent le chemin opposé qui détraque

chaque instant.

Et les voilà tout nus,

écrits dans la fragilité des pierres.

Ils s’expriment dans mon sang :

jeunes lions à la poursuite de la mort

chauve.

 

 

Bataillons

 

Aujourd’hui je veux que tu t’assoies 

sur les ossements

de ceux qui sont venus avant.

Sur les ossements aussi

de ceux qui viendront après.

Et même sur les ossements

de ceux qui ne seront jamais.

 

Dis-moi ensuite si tu as vu le monde

dans l’esquille des os

et dans les habits vieillis,

dans les vermoulures

et dans le suaire qui pèse

comme une fleur transparente,

obscène.

 

Elle aussi a rejoint les ossements

de ceux qui ne sont jamais nés

sous la coupole du monde :

là où tout commence.

 

 

Batallones

 

Hoy quiero que te sientes

justo encima de la osamenta

de los que vinieron antes.

Incluso sobre la osamenta

de aquellos que vendrán después.

Y hasta en la osamenta

de los que nunca estarán.

 

Luego dime si viste el mundo

en las esquirlas de hueso,

en las prendas viejas,

en la carcoma,

en el sudario que pesa

como una flor transparente,

obscena.

 

Ella también está encima

de aquellos que no estuvieron

bajo la cúpula del mundo:

allí donde empieza todo.

 

10 de septiembre de 2013

Maternidad

 

mi abuela cuida a la mujer senil

que no es su hermana ni su sangre,

la que le negó hace ya tanto

un trozo de tela veneciana

y escupió el jarro donde mi madre de tres años

tomaba la leche mañanera:

 

leche que era un poco mugre y exilio,

blanca epidemia, brote de nata, jardín de esporas.

 

se abren los gritos uno a uno.

quieren hablar de esa otra vida

grabada en los horcones de la casa

mientras abuela enjabona a la mujer extraña,

al regalo vudú,

a la miseria de la peste,

a los girasoles mustios de las llagas.

 

ya no espera más de la vida.

 

ni una ni otra esperan otra cosa

que el baño de las seis, la comida a las siete,

el desayuno de pan y muerte,

lo que mi mano debió sacrificar.

 

 

13 de marzo de 2014

Maternité

 

Ma grand-mère prodigue ses soins à la femme sénile

qui n’est ni sa sœur ni son sang,

celle qui lui refusa il y a longtemps déjà

un bout d’étoffe vénitienne

et cracha dans le bol où ma mère, trois ans,

buvait son lait du matin :

ce lait d’exil et de suint,

épidémie blanche de la crème qui bourgeonne, jardin des bactéries.

Les cris s’égrainent un à un.

Ils veulent parler de cette autre vie

gravée sur les piliers de la maison

pendant que la grand-mère savonne l’étrange femme,

l’offrande vaudou,

la misère de la peste,

les tournesols flétris des plaies.

Elle n’espère plus rien de la vie.

Et l’une et l’autre attendent seulement

le bain de six heures et le repas à sept,

le déjeuner de pain et de mort,

tout ce sacrifice que ma main eut à faire.

 

 

Mélange

 

La forêt se partage en deux

pour dissoudre la huitième corde.

Je mélange dans la recette l’origami et la surdité,

la tige du bambou et l’hypocrisie :

il faut ensuite manger la portion la plus minuscule

comme les héros dans les poubelles de l’histoire.

Bouchée après bouchée

-Avec les mosaïques réunies des pays-

ce n’est pas difficile de remâcher la théorie :

on vit dans le rêve des insectes

on déchire la nourriture du papillon

qui vole

à cent lieues du frisson.

La voilà la recette du bonheur absolu

que l’idiot et le papillon eurent en partage

au-delà du désastre.

 

 

Mezclado

 

se raja el bosque en dos pedazos

para disolver la octava cuerda.

en la receta mezclo el origami y la sordera,

la caña de bambú             la hipocresía

luego se ha de consumir la porción más diminuta

como harían los héroes en los basureros de la historia.

trozo a trozo

—juntos los puzzles de los países—

no es difícil masticar la teoría:

uno vive el sueño de los insectos

uno rasga la comida de la mariposa

que vuela

a kilómetros y kilómetros del estremecimiento.

 

es esta la receta de la felicidad absoluta

que el idiota y la mariposa compartieron

más allá de la desintegración.

 

24 de diciembre del 2014.

Eleusis

 

en Sión

                  conocí

la paciencia desnuda             sin ojos:

todo en ella me sobraba.

 

los héroes subían por las laderas

con sus cráneos de hueso

con sus manos de hueso.

apacibles bestias

                                   que subían

más hermosas que dios

indiferentes a eso que no pude darles

ni siquiera

                       quedándome

                                                   abajo.

 

8 de diciembre del 2011

Eleusis

 

A Sion

                    j’ai connu

la patience mise à nu      et sans yeux :

tout en elle me dépassait.

 

Les héros montaient par les versants

Avec leurs crânes osseux,

Avec leurs mains osseuses.

Bêtes apaisées

                    qui s’élevaient

plus belles encore que dieu,

indifférentes à cela que je n’ai pas su donner

même

                                 en restant

                                                                  en bas.

 

 

 

Agnus Dei

« La beauté est la vérité, c’est tout… »

Keats

 

La beauté crache sur ma foi,

voilà tout.

Elle dort au creux de ma chair

comme un oiseau déplumé.

Elle a oublié les langages de la mort.

Agnus Dei

 

“La belleza es la verdad, eso es todo…”

 

Keats.

La belleza escupe mi fe,

y eso es todo.

Duerme entre mi carne

                       como un pájaro sin plumas.

 

Ha olvidado los lenguajes de la muerte.

 

29 de diciembre de 2011