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“Apo” et “Le Paris d’Apollinaire” par Franck Ballandier

Franck Balandier – écrivain mais également connaisseur du milieu carcéral où il a travaillé - est aussi l'auteur d'un livre consacré aux « Prisons d'Apollinaire » chez L'Harmattan en 2001, et nous offre cette année, le livre intitulé « Apo ». Apo, apocopé, le nom d'un « pote » presque, dont on voit l'oeil à travers la découpe d'un judas trouant la couverture fort originale du Castor Astral. Assez pour donner une furieuse envie d'y aller voir, sous la couverture, ce que le romancier a bien pu raconter.

On ne sera pas déçu : si une mise en garde annonce au lecteur qu'il lui faudra démêler le vrai du faux, on oublie de l'avertir qu'il dévorera l'ouvrage, que tout lui semblera vrai, tant le talent de Franck Balandier rend vraisemblable chaque personnage, chaque situation. En trois volets, nommés « zones »,  trois époques de la vie du poète sont évoquées : l'affaire de la Joconde et son séjour en prison, les derniers jours et dernières amours ébauchées dans le délire fébrile du poète qu'emportera la grippe espagnole, et sa « survie » par le biais d'une étudiante retrouvant au XXIème siècle des vers inconnus du poète, que nous ne connaîtrons jamais en raison d'un tour du destin imaginé par le deus ex-machina qui nous a bien menés tout au long du récit, où l'on a découvert toute une faune de personnages secondaires risibles, touchants, attachants... croqués avec verve, avec un sens aigu du détail comique, à l'image – pour ne parler que du premier volet -  de Madame Georgette, la fielleuse et pipelette concierge qui aide la police de ses récits enjolivés sur son locataire « dépravé » et qui déclare naïvement « Je ne savais pas que ça rapportait autant d'écrire des histoires que personne ne lit. Moi, si j'avais su, je l'aurais continué le journal de quand j'étais petite. Peut-être que j'en serais pas là où j'en suis aujourd'hui. » Ou l'austère Monsieur Dray, le petit juge qui poursuit le poète de sa vindicte, et qui, traumatisé par un fâcheux événement de son enfance, pratique un onanisme singulier dont nous laissons au lecteur la surprise.

Franck Balandier, Apo, Le Castor Astral, 184 p., 17 euros

Ou encore, pour ne parler que de la première partie, le grotesque à la Albert Dubout du malchanceux Monsieur Anselme, amateur de catch et fan déçu du Vengeur masqué ou des rêveries érotiques du gardien Léon Georges... Tout ce petit peuple grouille autour de « l'histoire », avec la juste distance du regard que Franck Balandier porte sur eux, complice et distancié – comme vu du petit bout d'une lorgnette temporelle dont ses commentaires amusés nous rappellent la focale. Ainsi lors du vol du tableau au Louvre, ces mots : « Le poète n'avait pas hésité longtemps. Pour tout dire, il n'avait pas hésité du tout. Ce siècle encore balbutiant le protégeait pour l'heure, mais il ne le savait pas, de nouvelles technologies qui ne manqueraient pas de survenir pour empêcher les voleurs esthètes de dérober en toute tranquillité les œuvres d'art (...) ».

Cet Apo romancé dans la liberté de l'imaginaire, et pour cette raison- même si vraisemblable, c'est bien le plus bel hommage qu'on pouvait faire au poète pour le centenaire de sa mort : on évitera le mot « disparition », tant il est là encore à travers les mots de Franck Balandier.

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Avec la collection « Le Paris des écrivains », les éditions Alexandrines offrent un catalogue de 28 titres de tout petit format, qui pourraient vraiment tenir dans la poche du promeneur désireux de parcourir la ville avec un guide éclairé. Accompagné de repères biographiques, d'une bibliographie succinte mais suffisante, et d'un lexique des lieux cités, le volume consacré à Apollinaire devrait particulièrement intéresser tout apollinophile.

D'abord parce qu'il est bien documenté, et que les 7 sections qui parcourent la vie du poète nous font voyager depuis les « années de misère » dans un Paris à la Gaboriau jusqu'au « Père -Lachaise, 89ème division, 23ème rangée », où l'on saluera la tombe du poète, en passant par Montmartre et Montparnasse, ou les prisons de la Santé en raison de l'implication du poète dans « L'Affaire de la Joconde » dont parle aussi le second livre dont nous rendons compte.

Franck Balandier, Le Paris d'Apollinaire, 
éditions Alexandrines, 120p. 12 euros

Ensuite parce que ce guide est bien écrit – j'entends par là que son style séduit, parce qu'y souffle l'écho des vers apollinariens et de la modernité, et aussi une réelle poésie comme dans cette évocation de la Grande Crue de 1910 où Franck Balandier évoque ces

 

Etranges paysages, enfilades de rues noyées, commerces à l'abandon. Tout ruisselle. Le fleuve, comme une coulée de lave, se répand insidieusement partout, il prend possession de la ville, étend son territoire, colonise cafés et terrasses, se faufile et rampe jusqu'aux pieds de la tour Eiffel.

« Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin »...

Il bêle et pleure et gémit sous l'assaut d'une vague terrible toujours recommencée. Sous le pont Mirabeau ne coule plus la Seine (...)

 

Enfin parce qu'à ces deux très grands plaisirs de repérage topographique et de rappels poétiques se joint celui de découvrir un Guillaume inattendu – gauche et timoré, infidèle (on l'imagine) en amour mais pas en amitié, incertain de son genre, parfois, sûr de son génie, toujours... sans compter la description d'une époque et des ses contemporains – silhouettes louches ou artistes connus - avec l'aide de l'auteur qui nous donne de quoi nourrir notre imagination, et recréer, le temps du livre, un Paris bohême de début de siècle, les bouleversements qu'il subit, tout une profondeur du temps à découvrir sous le Paris d'aujourd'hui, pour faire vibrer celui que célébra le poète.