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Créolités et création poétique

A l'origine de ce numéro, le désir de donner à lire et à entendre des voix poétiques différentes, à travers le  français tel qu'il est, bien vivant, dans le monde, et à travers les créoles, ces langues locales, liées historiquement au français mais dont le statut est particulier – langues jumelles et charnelles, langues vibrantes des racines et de la famille, constituées contre et en liaison avec la langue dominante - dont l'usage littéraire est encore largement méconnu.

Pascale Monnin.

Créoles, et français langue commune – comme la koiné antique, multiple, nourri de ses voyages, de ses rencontres avec d'autres cultures, d'autres réalités géographiques et historiques – donnant naissance  à des idiomes neufs, des créoles aux racines multiples (aux Antilles, à la Réunion, en Polynésie), longtemps dévalorisés car langues des dominés, colonisés, mais si vivantes qu'elles ont transmis  et fait grandir des littératures parallèles, dans lesquelles le français perdure, mais non pas comme un joug imposé par des maîtres, puisqu'il joue, se gémine, de ces langues vives, portées dans la chair des peuples qui désormais les revendiquent pour créer aussi avec elles, car créer, c'est aussi vivre : vivre plus haut, vivre en prenant appui sur ses ancêtres pour aller plus loin, ailleurs – ensemble !

Les poètes invités pour ce numéro, appartiennent à cette double culture, française, et créole... Certains ont aussi accepté de répondre à un questionnaire ouvert sur leur rapport de créateur avec cette double langue et double culture ((les questions : Est-ce que vous écrivez en créole, ou non? Y a-t-il des sujets qui vous viennent d'abord en créole, et qui sont "traduits" en écrivant directement en Français ? ...

La poésie est-elle un domaine à part de votre pratique langagière habituelle ? comment s'organise pour vous le rapport entre les deux langues et quelle part a le créole dans votre écriture et votre imaginaire? Comment définiriez vous le rôle du créole dans la constitution de votre personnalité poétique?)) :

nous avons retenu les réponses de Kenny Ozier-Lafontaine pour la Martinique, Navia Magloire et Elbeaux-Carlinx pour Haïti, et Frédéric Célestin pour La Réunion :

 

© Kenny Ozier-Lafontaine (Paul Poule) et Vincent Lefèbvre

 

Kenny Ozier-Lafontaine – Martinique :

"je n'écris pas comme De Gaule, ou comme Perse,

je cause et je gueule comme un chien ! "

Léo Ferré

Ce qui m'intéresse principalement dans le travail de traduction de mes textes, du français vers le créole, que je réalise avec ma soeur, c'est le va-et-vient, la tension qui doit naître de cette confrontation entre les deux langues. J'ai toujours cherché dans mon travail à lutter contre l'exotisme, le "doudouïsme", et contre toutes les manières publicitaires de référer au territoire des Antilles. Toutes les manifestations langagières héritées de mon enfance sont d'abord vécues chez moi comme un problème, ayant le souci de ne pas vouloir ancrer mon écriture, m'étant toujours représenté la poésie comme un moyen de navigation vers l'inconnu, et un moyen de restitution de ces voyages dans l'ailleurs. L'écriture serait donc aussi bien la caravelle, que le canoë du Taïnos, ou plutôt la pagaie, le sextan, et enfin la carte où inscrire les noms, les coordonnées de ce nouveau monde qui se dessine devant moi. 

L'écriture pour moi, doit être ce carnet de rêve, grâce auquel la restitution du rêve, et le rêve lui-même, ne seraient plus consommés en des instants séparés. Malgré la distanciation prise au cours du temps, la richesse de ce langage, due entre-autres aux "dominations" successives dont l'île devait souffrir, m’a toujours rappelé à mes fondamentaux.

Pour le recueil Nègre (à paraître aux éditions du Dernier Cri), je me suis attaché à diminuer, exterminer, toutes les références possibles à mon pays natal, afin que le texte que j'allais soumettre à ma soeur pour la traduction ne souffre d'aucune nuance, aucune référence au lieu de notre naissance. Je souhaitais que le foyer d'émission et celui de réception, puissent être les plus étrangers possible, les plus éloignés, comme les deux extrémités d'un élastique bandé, prêt à céder, ou à se contracter, se réduire, se rejoindre. Car ce qui m'attire, m'enchante, avant tout avec le créole, c'est sa violence. Ce n'est pas qu'on y entende vraiment les coups de fouets claquer, mais il y a encore aujourd'hui dans le créole quelque chose d'une souffrance, comme un cri, une sorte de puissance qui se redresserait comme une montée de sève,  une violence "argotique" qui ne rencontre désormais plus aucun obstacle, et qui peut "gicler" comme bon lui semble, une manière de "causer" qui me fascine, pour les mêmes raisons, chez des auteurs comme Burroughs, Céline, Genet, ou encore dans l'argot nègre ou red neck que l'on peut rencontrer chez Faulkner … une puissance donc vers laquelle mon écriture en français me porte naturellement et qui n'a peine à retourner puiser chez moi les mots qui lui font défauts. Les mots donc, la syntaxe, y sont souvent âpres, secs comme des coups bâtons, en témoigne les noms des divinités de la nuit, de l'ombre, tels que les Soukounyans, les Dorlis. Comme dans la poésie de Césaire, la langue créole se déploie le plus souvent comme une coulée de lave violente échappée de la Pelée. Le créole jusqu'à récemment était encore une langue orale, une langue interdite en certains lieux, une langue qui pour mes yeux d'enfants possédait déjà quelque chose du blasphème, de l'injure, ou du cri, elle était aussi la langue des contes de mon enfance, les premiers temps, les premiers contacts avec les territoires des sorciers, des Kimbwasè (Quimboiseurs)

© Kenny Ozier-Lafontaine (Paul Poule) et Vincent Lefèbvre.

 

 

Navia Magloire, Haïti :

Pour ma part écrire en créole est une éducation, un apprentissage, comme on se réapproprie ses racines. J’ai appris à penser l’écriture en français, ce qui revient à concevoir mes textes en français. En revanche pour le reste je pense en créole. Les deux langues ont toujours cohabité et coexisté ; dans un premier temps l’instruction se faisait en français et le créole était la langue parlée,  à présent, les deux sont à égalité même si la majorité choisit le créole qui est une langue viscérale par rapport au français qui est la langue amenée.  La langue de l’instruction a été le français donc pour ma part il est naturel de créer mes textes dans cette langue. Sans oublier que ce fut la langue imposée, celle du colon langue de la colonisation qui est devenue plus tard une arme pour une certaine élite.

Etant donné que je ne conçois pas mes textes en créole, je l’utilise moins. En revanche il m’arrive d’ajouter des mots ou de faire référence à des images créoles dans quelques textes. Mon langage n’est pas insulaire, ce qui diffère de mon identité. Je ne traduis pas mes textes, le sujet ou le thème peut être de culture créole mais la langue dans laquelle elle est pensée est le français. Si je devrais écrire en créole je le ferai directement.

Navia Magloire, Blessures de l'âme, CreateSpace Independent Publishing Platform, 104 pages.

 Je ne pense pas que le créole en tant que langue soit pour quelque chose dans ma personnalité poétique. On ne peut ni réduire ni enfermer la personnalité humaine dans une langue, que cette personne soit ou non un poète. Je lis autant les poètes japonais, coréens, que les poètes français, espagnols, africains ou haitïens. en revanche ma langue viscérale est le créole. Mes peines, mes douleurs, mes émotions je les ressens et les perçois en créole.

J’écris à partir de mes viscères et c’est ce que je transforme en langage poétique. Je me considère comme universelle, une poétesse du monde.  La poésie est omniprésente, chaque rencontre, chaque nature, chaque voyage, chaque expression humaine est poésie. Je ne peux détacher la poésie du quotidien. Le quotidien peut être une expression triste de cette dernière mais c’est tout de même là. 

© Kenny Ozier-Lafontaine (Paul Poule) et Vincent Lefèbvre

 

Elbeaux Carlinx – Haïti  :

Je suis un poète haïtien, j'écris dans les deux langues, le créole qui est ma langue maternelle et le français qui est ma langue de formation, mais ça varie pour moi selon les émotions que je veux partager.  Si le créole est une langue aussi romantique que le français, il n'est pas pour moi seulement un moyen de communiquer mais surtout un moyen de dire que je suis homme, de me révolter puisque cette langue a pris naissance dans des circonstances historiques bien déterminées, c'est le ciment qui a rendu possible la révolution des noirs à Saint-Domingue qui va accoucher la nation haïtienne, première nation nègre.

J'écris dans les deux langues et je parle comme j'écris, ma poésie n'est pas seulement sur les pages blanches mais dans mes actions et mes paroles, elle est devenue un mode de vie. J'utilise le français surtout pour m'ouvrir au monde puisque le créole n'a pas encore fait son chemin, mais aussi parce que c'est une belle langue, polie, assez intelligente.

 

J'espère vivement que ma langue maternelle puisse un jour charmer le monde comme le fait la langue de Voltaire, surement cela nécessite des années de production assidue, raison pour laquelle je produis dans les deux langues avec presque la même passion. Et parfois je publie mes textes en français et en créole pour aider les gens à se familiariser avec les deux.

En Haïti la littérature est surtout francophone et on juge un bon écrivain à sa façon de manier la langue française. Par contre, si j'écris beaucoup plus en français je dois avouer que le créole me fait voir les choses avec plus de précision puisque selon moi il y a des choses de notre entourage immédiat ou de notre culture qui ne peuvent être décrites dans une autre langue sans perdre du coup leur force, leur couleur, leur cruauté. Quel mot français va remplacer l'interjection "Ayida Wedo" en gardant la même force ? Tout comme, je pense, il y a des mots français qu'on ne peut dire qu'en français pour ne pas trahir le sens initial.

Je dis souvent que si les langues se traduisent il a toutefois des mots qui sont jaloux, trop fiers de leur musicalité pour se laisser travestir. Raison pour laquelle je ne traduis pas mes pensées si un sujet me vient en créole il sera écrit en créole, s'il me vient en français il sera écrit en français sauf dans des cas spéciaux et pour des raisons pédagogiques je peux toujours écrire un texte, le même, dans les deux langues.

 

© Kenny Ozier-Lafontaine (Paul Poule) et Vincent Lefèbvre

 

Frédéric Célestin – La Réunion :

Je n’écris presque exclusivement qu’en créole réunionnais, bien que je m’oriente progressivement vers d’autres langues. Ecrire en créole est pour moi un acte militant et engagé : une toute petite goutte dans un océan de bonheur que je tente tant bien que mal d’apporter à la Réunion, en m’inscrivant dans l’Histoire littéraire de celle-ci.

Si je parle mieux français que créole, bien que je sois dans une logique bilingue, j’écris mieux en créole. Surtout, la littérature réunionnaise m’offre un espace accessible, place qui est beaucoup plus restreinte quant à la littérature française. Je vise donc un public local, sans plus d’ambition, même si je commence timidement à écrire en français, quelques vers ici et là. Dans une orientation militante je pense qu’il est essentiel pour nous réunionnais d’écrire en créole, même si, bien entendu je reste très ouvert à d’autres langues, notamment l’anglais et les langues cultuelles de notre île. Ecrire en créole est donc pour moi l’acte militant d’apporter sa pierre à l’édifice.

La poésie est un domaine à part de ma pratique langagière habituelle – d'une certaine façon,  elle m’a sauvé la vie.

 En effet, à la recherche d’une expression artistique à un moment donné de ma vie, je me suis tout d’abord lancé dans la musique (les percussions locales et afro-cubaines) que j’ai découvert avant l’écriture, même si écrire était, comme pour tout étudiant ès Lettres, pour moi un rêve, rêve que l’île a contribué à réaliser. Et j’ai trouvé dans l’écriture ce que je cherchais dans la musique. En effet, j’ai commencé à écrire en 2000. J’ai alors demandé à un de mes mentors si ce que j’écrivais était bien de la poésie. On m’a répondu que non. Alors j’ai arrêté d’écrire. Ce n’est que quelque dix ans plus tard qu’on m’a relancé dans l’écriture poétique. En effet, un peintre réunionnais, ami d’enfance, m’a proposé un travail poétique autour de sa peinture. J’écrivais en créole avec une amie qui elle écrivait en français.

Halima Grimal, Charly Lesquelin, Frédéric Célestin, Triptik an liberté, Editions K'A, 2016.

C’était en 2013 : mon premier recueil de poésie voyait alors le jour : « Triptik an liberté ». En 2009, j’avais commencé un roman autobiographique, mais sans grande conviction. Même si la poésie reste une activité littéraire pour moi, je suis aussi ouvert à d’autres horizons d’écriture : un roman, et un essai dont le but est d’argumenter autour du créole réunionnais en tant que véritable langue (chez l’éditeur actuellement). Donc oui, la poésie reste mon domaine de prédilection, surtout quand mes textes deviennent des chansons.

Le créole réunionnais et le français sont mes langues co-maternelles. Le créole est au cœur de mon expression poétique. Il m’apporte un espace d’expression unique dans ma vie. Le plaisir immense d’écrire en créole est pour moi salvateur.  Au début, mon acte d’écrire était purement cathartique : j’écrivais pour me soigner, pour panser les blessures d’une Histoire, réunionnaise, et d’une histoire personnelle douloureuses. Aujourd’hui, je ne m’inscris plus dans cette logique, l’acte d’écrire est pour moi toujours aussi salvateur, mais le plaisir et la passion y sont au centre. Si, au début de mon écriture poétique, je me suis découvert très engagé, notamment au niveau politique, des thèmes comme la musique, l’amour pour la Femme, la vénération de nos ancêtres, l’amour pour le Monde, l’amour pour mon pays ont pris place. 




Frédéric Célestin, Poèmes fonnkèr

Gran monmon, gran papa 1

Pou sat la fé La Rényon èk zot min, zot kor, dann tan lésklavaz.

Gran monmon

Gran monmon nout péï

            Aèl minm té dann karo zépiss, kafé, kann pou koupé, pou sharoyé

           Aèl minm té i joué maloya dann kan, pou fé viv muzik-là an segré

            Aèl minm la fé pouss son zanfan an réspé

            Aèl minm la bati sof koman inn ti kaz an boisoutol

            Aèl minm la fé roul sèrvis kabaré

            Aèl minm la toujour réspèkte son bann zansète

            Aèl minm la done lamour otour d’El

Gran papa

Gran papa nout péï

            Aou minm la gingn lo kou èk groblan

            Aou minm la fé out travay san ronflé

            Aou minm la manz la mizèr an brède lastron

            Aou minm viktime linjustise lo péï la pa kit rien po ou

            Aou minm la pri Bondié, malbar osi touléjour

            Aou minm la yinm out famiy dann tréfon out kèr

            Aou minm la toujour travay an dignité la vi

Kinm inn tipé la fine gingné,
Azot minm va fini par gingn réspé san tardé, sof koman… Réspé.
Pou Gramoun èk Madame Baba.

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1 - Ce poème est un hommage aux ancêtres qui ont fait La Réunion de leurs mains, leurs corps et leur sueur : esclaves et engagés.

 

 

Maloya à l’affiche 2

Kaf lé dobout
Kaf là na lo kor in Bondié
Kaf na la rokonésanse in péï

            Dann tan té i moung ali !
           20 Désanm la moun ali !

            La Négritude péïdéor
                             Aimé Césaire, Senghor, Damas, Fanon èk d’ot domi bondié konm zot minm.

Nou osi nou nana nout bann Domi Bondié, la travay plis 40 t’an po nou.
                       Isi lo tex la rant dann la mizik La Rényon an révolision i flanm partou.
                       Isi lo tex la sort sépa an fabl, an zistoir, an roman, an fonnkèr, an téat…
                       Nout bann Domi Bondié, nout bann zékrivin la fé in gabié gro travay pou nou.

Parlfèt !
              Nout manzé lé anlèr
                             Nout mizik ? Anlèr !
                                            Nout lang kozé ?

Amoin, m’vé nou viv an multiling !
Amoin, m’vé nou viv an réyoné i débrouy sanm détroi lang.
Tash manièr viv an multikolor !
Batay kont la vi an roklor.
            Nout litératur ? I fleuri jour an jour !
            Lékol ! in gran shantié !
            Nout manzé ! Partou ou i gingn manj ali.
            La télé : sof an kass lé kui sof an sobatkozé !
            La mizik tan k’ali la goute lansan Bondié !
            Nout lang dann biro ! Kréol lé là !
            Nout lang la radio ! Na son plass !
            Nout lang dann la famiy ! La pa toultan i transmète.

Maloya à l’affiche, kabar nout péï l’anlèr.

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2 - Ce texte signale la victoire du maloya à la Réunion (reconnu à l’UNESCO) et de la réhabilitation du Kaf (Cafres : Noirs de La Réunion et descendants d’esclaves) longtemps victimes de racisme, racisme non encore tout à fait éteint à ce jour.

 

Le cri de l’anarchie 3

          Su le mur papié journal konm dann tan lontan !
          Su le papié in tex Danyèl Waro : « pou mwin maloya ».
          In tète. In kor. Lo pié, la min, lo bra. Zidé i koul desi mon doi.
          Roulèr i atann rienk pou moin doné, moin pou moin fé valsé.
          In révoltèr èk pantalon san t-shirt.
          Inn po domyèl sof la tète k’lé tourmanté an gri, rouj, oranj, noir, blan kassé.
          Dobout par dsi roulèr, la min i souplingn, deu min ranpli zidé èk léspoir.
          I joué pi roulèr, sépa i kri an skizofréni, sépa i kri an psikoz, ousansa plito i shante èk
          la voi i sorte dann la poitrine, i anklansh le keur.
          Si la pa la maladi, alor shanté là i sorte dann kor, dann poumon, dann la poitrine,
          dann piédkèr. In gran kou d’pinsso rouj. 
          Rouj si torax, rouj si in koté zépol, rouj dann kolé.
          Rouj pou di par kèr la koulèr in parti. In parti diabolizé, mé in parti rouj la fé bonpé
          pou la Rényon. Rouj. Rouj.

           Quelle est cette gauche intellectuelle ? Cette gauche séduisante à en mourir.
           Quelle est cette gauche, cette gauche mystique et opaque pour la middle class ?

            Quelle est cette extrême gauche, à tout exagérer, même si dit quelque vérité programmatique.
            Fratrie ! Patrie ! Mondialisation ! Homogénéisation !
            Permanence de la différence inégalitaire ! Excellence de notre patience !
            La route est encore longue
            Anou départman Maxime Laope la bien di 
            « nou la rant départman, nou port pa nou plu mal ».
             Cette gauche régionale nous a portés en silence, a négocié avec endurance, n’a rien
             spolié, jamais en transe, avec une rigueur toujours de mise.
             « Gro larzan mé gro dépanse i fo i okip nout dévlopman ».
             Astèr i fo ashèv tué la mizèr ! Kraz la mizèr ! Tué le mo bezoin lasistanse !
             La fine tué pa mal, parapor sat nout bann zayeu la koni !
             La viann ? Kansa ? Kansa té i manj la viann ! Piosh pou koupe fatak, vétivèr, kann tou
             la journé, épisa kan i ariv pou manjé : dori, lo grin, sof in frikassé brède, sof in kanbar
             in konflor, inn patate douce, in maniok pou akonpagné. Ala sa minm pou manjé.
            Jordi la pi lo minm mizèr. Demoun i manj, i gingn bénié sanm dolo sho, i gingn inn ti
            lapartman pou rèst anndan, la poin pou di i viv dann shemin, i rèt vant vide.
            Merci à toi gauche salvatrice qui a gouverné notre région avec raison,
            Même si loin d’être construite est notre Maison. 

F.C. pou P.V.

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3 - Ce texte est un hommage à Paul Vergès, dirigeant communiste incontournable de la vie politique réunionnaise.

Batème maron, batème sakré 4

Konmsi pou lave tout lo bann péshé !
Konmsi pou ékout inn nouvèl voi !
Konmsi pou trass in nouvo shemin !
Konmsi pou gingn in bon déstin !

Oui, nou fane dolo si nout kor.
Na troi bak par déyèr pou gingn lav nout mortaj péshé !
Na dolo an poundiak pou lavé,
                                               Pou rinsé !
                                                        Pou pèrsé !
                                                                   Pou boir !
Lo kor panshé an avan, la tète l’apou garde atèr ! An réspé.

I lav lo kor !
                I lav lo kèr !
                              I lave léspri !

I lav anndan konm déor !

Dolo-là i klate si lo kor in promié kou, épisa i klak atèr !

Vèrse bak dolo-la mon Fra !

           Vide dolo là kabass la vi !

                       Mèt tousala bien prop

            Desi lo kor
                          Ansanm léspri
                                          Anndan konm déor lo kor.

Batème maron,
            Batème sakré.

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4 - « Batème » n’est rien de plus que « baptème » en français. L’eau, élément naturel essentiel à la vie, est à l’honneur. Baptème des marrons (esclaves en fuite dans les hauts de l’île), des spirituels avec les notions de purification du corps et de l’esprit.

 

 

 

Bon moun 5

Bon santiman, bon moun bien rékonsilié èk...            

Son jéografi

                       Son manjé

                                   Son mizik

                                               Son bann lang

                                                          Shakinn son matriss kulturel i fé ali.

Bien rékonsilié èk li-minm.

 

Pou FÉ IN PÈP AN TOUT KOULÈR

            Bien an réspé.

 

La tras lo konba pou la koz l’ankor là,

Konmsi tatoué si la poitrine.

                       Konmsi ankor niméroté dési zépol.

Lo rèv non pli la pa shapé, èk koté gosh an bulle i kontinié révé !

Li la tonm an akor èk li minm.

Regar fyèr, an fyèr batar minm.

La tète lé droite, bien pozé.

Tous les sens sont actifs

            Lo zié pou oir toudsuite, épila osi prépar toujour le demin, kèk soi le demin.

            Lo zorèy pou akoute la parol bann Gran, sat la fé nout kor, sat la fé nout léspri.

            Lo né pou santi in bon ti gato patate apo kui dann four monmon.

            La boush pou goute la lèv inn tégorine, an mièl i rant dann ron.

            La min pou toush kabas dsi zépol kan ou i anbrass ali pou di bonjour.

Na d’profane. Nad réspé. Na d’partaj.

Santiman là lé bon.

Lé gayar. Lé doss. Lé valab.

Lé lib. Lé spirituèl. Lé sakré.

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5 - « Bon moun » en créole signifie quelqu’un de bien. Ici le « bon moun » est enfin réconcilié avec son environnement, ses langues, son identité à facettes multiples et plurielles : le Réunionnais.

 

 

Le bonèr 6

La vi an rozamèr : fini !

            Moin lé bien.

La nuite an krié dann fénoir mon tousèl akoz la pèr : la fini !

            Moin lé anlèr !

Larg mon loto dann la foré Bélouve pou èt lib : fini !

            Mon kèr lé doss !

Ral mon frèr d’kèr dann in fotrin si santié le Col des Bœufs !

Marsh dann shemin kazi touni dann in léranse total

                       San konète ousa i sava

                                   San konète pou konbien n’tan

                                               San koz èk pèrsone !

Gingn kou d’boté dann la mashoire : i arivra pi !

                                               Mon tètfol i pèrde pu le nor !

 

Astèr
Mon janm va pédal bord’mer !

Astèr
Mon molé va shof Piton Mont Vert !

Astèr
M’alé dann la foré nout péï.

Astèr
M’alé kabar èk mon bann kabass. 

Sourir touléjour akoz in vi an nik : zordi.

Bouj inpé son kor sanm in dalon : zordi.

Ekri sat nana pou ékri : zordi.

Fé lo travay néna pou fé : zordi.

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6 -  Eloge du bonheur, et direction nouvelle dans l’acte militant culturel et linguistique qui a dit non à la violence physique et verbale : un bonheur enfin mis sur la route du poète.

 

 

World Man

 

World Man is a good man!
He dances alone in his bathroom all the morning.
World Man doesn’t know consumerism!
He is in the creation, and not productivity.
World man loves life, all the lives we have.
He loves music, all the music we listen.
World Man create all the time.

Il crée tout le temps le Bonheur.
L’Homme du monde a vu du pays
A bu d’autres alcools
A goûté à d’autres plats
A dormi dans d’autres bras
A marché dans d’autres rues
A lu et entendu d’autres langues
A vu d’autres montagnes
A marché dans d’autres forêts
A souffert dans quelconque désert.

L’homme du Monde
S’est brûlé sur d’autres plages
S ‘est émerveillé d’autres Dieux
S’est enrichi d’autres cultures
S’est enivré à d’autres heures
S’est senti vivant à tout moment.

 

La Rényon lé konékté èk lo Monn, … the World Man.

 

 

 

Féré 

Ce poème est accompagné d'un enregistrement 

 

Na 300 z’an Lil té an kan.

            Kan zésklav, jiska an lav

            Kan maron, jiska dann fon

            Kan zangajé jiska krévé

            Kan zafranshi, jiska san riz.

 

Zordi : Domoun mizèr

                        la fré dann kèr,

                        Békèr d’klé baro gran rouvèr

 

            Domoun anlèr,

                        la klé san kèr.

                        Fonksionèr, lo kèr an pèr...

                        Domoun anlèr la klé daa posh

                        Franksionèr la pèr lo rosh.

 

            Kan ? Kansa ? Jiskakan klan groblan...

 

Dann milié in kaskade dofé,

Lo fèr i bate la porte také

Lo fèr i bate la porte sakré

La sérur san okinn klé.

 

Nout Sièl in rien an kapab

Lavnir pou nou, sa nout réskab ;

Nout Somanké anon travay ;

An lav koman fil mouramour,

An mièl tash manièr fil lamour.

Gaingn la pé-là san mèt la pay.