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Gabriel Okundji, Sahara

 

Pour Michèle et Pierre Latour,
de Villeneuve/Lot.

Pour Sylvie Dufranc
de Labrède-Montesquieu.

 

I

Désert !
Par quelle voix divine chanter ton nom divin qui se déplie à l’infini
vierge et majestueuse lumière d’or enroulée comme un turban
étendue de sable resplendit de l’aube au crépuscule, ô miracle !
l’horizon s’incline dune après dune, les cieux ensoleillent ton soleil.
 
Graine semée :
Il faut tout le silence possible des mots
pour dire ton nom

Désert !
Tu ne t’appelles pas, point n’est besoin de nommer le corps de ton âme
le puits spirituel dont le chameau est la corde a les reliefs de ton nom
le ciel n’a de signe que pour l’esprit visible de tes nuages sans larmes
tu es l’offrande bienfaisante, œuvre qui point ne désaccorde le silence.

Graine semée :
Ici, lorsque tu attends Dieu,
tu ne perds pas ton temps.

 

 

  
II

Désert !
A l’aune des commencements, Dieu créa ton visage noir et blanc
il te nomma dès l’instant où la lune, comblée, se retire dans le soleil
Sahhara, Ténéré, Sahel, ultimes vocables natifs des langues de ton sol
terre des hommes, tu connais l’énigme du silence des pierres.

Graine semée :
Qui ne connaît pas le silence du désert
ne sait pas ce qu’est le silence

Désert !
tu es mère des Garamantes, nos ancêtres maîtres des oueds
tu es mère des mers, océan des poissons de sable, mire des mirages
d’oasis aux rives blanches et noires : elles sont au nombre de tes fils
Sahara ! L’âme qui te contemple les yeux fermés tient de ton sang.

Graine semée :
C’est dès l’aurore que l’on reconnaît
la bonne matinée

 

III

Désert !
J’ignore le Tifinagh ! Mon chant qui te chante par ta voix l’entend 
quiconque est né sur ton sol reposera dans ton sol : me voici !
je m’incline, je t’évoque et j’écoute mon corps en ses veines ensablées
songe parmi les songes : à l’homme bien né, un signe suffit, je suis de toi ! 

Graine semée :
Peut-on blâmer un homme qui d’instinct
reconnaît sa terre ?

Désert !
Frères nomades des caravanes, du lac Tchad, et des lointains campements
Donnez-moi la patience d’être Bédouin, Toubou, Touareg, Sahraoui
et vous autres Maures, Haoussas, Arabes, Peuls et Berbères du Mzab
révélez la divination, faites que chaque trace trouve indice sur le sable.

Graine semée :
L’aveugle qui arrive parmi les siens
ne cherche pas le chemin. 

 

 

IV

Désert !
Pas un jour sans le souffle de vie au-dessus des  merveilles du monde
ballet du sirocco, tourbillon d’harmattan en bourrasque du khamsin
la vipère à cornes trace des alizés de sable en vagues de sable
vent du cosmos au destin des gueltas, montagnes, erg, reg et sebkas.

Graine semée :
Vent du désert au visage
rend l’homme sage

Désert !
Sous le toit de ton ciel, voici Monod le fou en quête de sa foi
marchant parmi les étoiles, défiant l’inquiétante passion des mirages
Monod désire le soleil, pas l’éclair ! pareille à la sève dans la tige
Monod baobab de l’homme dans l’âme du cosmos, ne bouge plus !

Graine semée :
Le sage sur terre
est comme l'or dans la mine. 

 

V

Désert !
Sahara désert des déserts, berceau des migrations séculaires
puisque que ton sable est éternel, la mémoire du monde est éternelle
depuis le Toumaï du Sahel, depuis Lucy, depuis le Ra des pharaons
tes montagnes qui soulèvent la foi délivrent l’espoir aux pèlerins.

Graine semée :
Celui qui a bonne mémoire
n’est jamais pauvre.

Désert !
Création des Dieux, te voilà par la main de l’homme devenue terre bafouée
d’enlèvements d’otages, de combats d’Amgala, de Tombouctou, ô Tibéhirine !
par quel doigt désigner cette épave échouée au massif de Termit, ô ma peine !
et qui dira le crime des essais nucléaires sur le sol d’Hamoudia, ô ma tristesse !

Graine semée :
Nul ne connaît
l'histoire de la prochaine aurore.

 

Bègles, le 19 février 2012