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Deux poètes des profondeurs : Michel Cazenave et Gérard Bocholier

 

La collection Poètes des profondeurs de Recours au Poème éditions
 

La poésie des profondeurs, axe reliant le haut et le bas, l’homme et le Poème, est la spirale autour de laquelle respire l’œuvre alchimique de Recours au Poème.

 

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Les deux premiers titres de la collection ont paru en octobre :

 

Le bel Amour de Michel Cazenave

 

Une anthologie accompagnée d’inédits.

                   

 

Michel Cazenave est né en 1942 à Toulouse, d'une famille ariégeoise depuis des siècles. Il a écrit de nombreux livres de poésie, édités par Imago, puis par Arfuyen, par Arma Artis, par Le Nouvel Athanor, par Rafael de Surtis, et enfin, par Littérales. « Sectateur » de la Déesse-Mère, il aura été marqué toute sa vie par l'amour inconditionnel pour sa femme.
Michel Cazenave a longtemps été la voix des "Vivants et des dieux", sur France Culture.
Les poèmes ici présentés dans l'Anthologie, viennent pour la plupart de son recueil L'Avis poétique (1957 - 2006), publié par Arma Artis.
Qui a oublié que Michel Cazenave fut longtemps la voix des Vivants et des Dieux sur France Culture ?

 

La marche de l’aube de Gérard Bocholier

 

Recueil de poèmes inédits du directeur de la revue Arpa

 

                                

 

Gérard Bocholier est né en 1947. Auteur de plusieurs recueils de poèmes, dont Psaumes du bel amour (Ad Solem, 2010), préfacé par Jean-Pierre Lemaire, il contribue régulièrement à la NRF et à la Revue des Belles Lettres (Genève). Gérard Bocholier dirige la revue Arpa

 

A paraître dans cette collection :

Louis Raoul, Echantillons de parole (novembre)

Elie-Charles Flamand, Braise de l’unité. Anthologie préfacée par Gwen Garnier-Duguy et postfacée par Marc Kober (décembre)

Yves Roullière, La vie longue à venir (février)

et une surprise fondatrice en janvier.....

 

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Gérard Bocholier, le Poème spirituel

     Que la poésie ait quelque chose à voir avec le mystère, l’invisible, l’ineffable, cela ne fait aucun doute. Le poète Jean-Pierre Lemaire l’a bien exposé dans son livre Marcher dans la neige (éditions Bayard). Mais un autre poète chrétien, Jean-Pierre Bocholier, va encore plus loin dans un petit livre de méditations et d’aphorismes. « Tout écriture poétique, affirme-t-il d’emblée, n’est-elle pas exercice spirituel dans la mesure où le travail de la langue est aussi travail sur soi-même, dans le sens aussi où, plus ou moins confusément, le poète sait qu’il doit s’effacer devant quelque chose – ou quelqu’un – de plus grand et de plus fort que lui ? ».

Ce « quelqu’un », pour Gérard Bocholier, c’est Dieu lui-même, qu’il ne désigne pas comme tel mais qu’il appelle, dans son livre,  la « Présence » ou la « Source », rejoignant ainsi les propres intuitions ou convictions du poète et philosophe suisse Georges Haldas dans ses carnets sur l’Etat de poésie. Bocholier parle ainsi du « retour à la source qui palpite au fond de nous » mais, dépassant les propos de Georges Haldas, pousse sa démonstration jusqu’à parler de  poète « visité », de poète « porte-parole », appelé à « restituer » ce qui est « inscrit, déjà, au plus intime ». Car, au bout du compte, affirme Bocholier, « la poésie doit donner faim (…) aiguiser l’appétit spirituel ». C’est même, selon lui, l’antichambre de la prière.

     Il faut, pour cela, « l’attention la plus aiguë » et savoir se mettre en quête de signes. « Il faut si peu de choses, affirme l’auteur, pour qu’il y ait un signe : éclair de soleil, échappée de vent, frisson d’herbe sur un tertre ». Ce n’est pas l’apanage des seuls poètes chrétiens. Gérard Bocholier en convient mais note que si certains auteurs « parviennent sur le seuil de l’invisible », ils en restent finalement à la porte. Ainsi nous parle-t-il de Philippe Jaccottet qui « perçoit des messages de lumière mais s’avoue incapable de reconnaître leur signature ». Même constat pour Pierre-Albert Jourdan qui « n’a pas su recueillir de message, tout juste quelques appels à un progrès intérieur ».

      Les références pour Bocholier s’appellent Jean de La Croix, Maître Eckhart, sœur Catherine-Marie de la Trinité, Hadewijch d’Anvers ou Angelus Silesius (« Dieu est un organiste et nous sommes l’orgue »). En clair, une certaine veine mystique, mais qui ne s’affranchit pas du réel. Bien au contraire. Gérard Bocholier insiste : « Tout le réel intéresse le poète, sans exclusive, la merveille en tous ses éclats ». Et d’ajouter : « Il ne s’agit aucunement d’oublier le réel, mais au contraire de le vivre, de le sentir d’une manière suraiguë ». Un réel que le poète doit dire et « non le décrire le mimer ou le recenser, de façon à faire apparaître la part d’invisible qui est en lui ».

     Restent les limites du langage poétique lui-même « malgré les efforts du poète qui polit, affine, aiguise, lave à grande eau la matière du langage ». C’est dans la conscience de ces limites-là que le poète mesure aussi, pleinement, le poids de cette « présence » qui le dépasse.

Notre ami et collaborateur Gérard Bocholier vient aussi de faire paraître deux ouvrages : L’Ordre du silence / La marche de l’aube




Le village emporté de Gérard Bocholier

Il a toujours été là, au centre du jardin, contre la maison. Ses plus hautes branches dépassent à présent le toit, caressent les tuiles. Mes initiales, jadis creusées dans l'écorce, se comblent d'année en année, vont bientôt s'enfoncer dans l'invisible comme tous ces êtres aimés qui se sont éloignés dans la nuit...

 

Sous l'invocation de Gustave Roud, ce village emporté, emporté par le temps, -mais nous verrons que le sens du mot est plus vaste-,  ressemble à cette « Campagne perdue » dont l'ermite de Carrouge déroulait « le ruban des routes parcourues » à l'intention de « tous (s)es amis laboureurs au long d'un demi-siècle (le temps pour l'ancien monde paysan de n'être plus) »(1). Mais Gérard Bocholier est plus jeune de vingt-deux ans que Philippe Jaccottet, lui-même fils en poésie de Roud qui était de trente ans son aîné. Le compte y est, un demi-siècle.

D'abord un sentiment de mise en abyme :

 

Fasciné par les vieux livres d'école, découverts au grenier, j'ai longtemps rêvé sur les pages du Vocabulaire illustré.

Une image de labour, en noir et blanc, avec des V d'hirondelles dans un coin...

 

Signe de ce qui n'est déjà plus, depuis longtemps, qu'un signe. Et pourtant, ces personnes, ces instants, ces objets, tout cela est palpable. Des souvenirs, oui, certainement. Factuel, réaliste, mais où l'on entre, comme dans la peinture de Morandi, en se disant que ça paraît trop simple, que ce sont nos sens étroits qui réduisent ce qu'on voit, et que l'oeuvre offre peut-être une chance de faire autrement le tour de cette cabane, à demi effondrée.(...)S'il pleut, la cabane ne prêtera qu'un bien piètre asile avec son toit crevé, ses chambranles vermoulus. Pourtant quelque chose m'assure qu'ici le temps ne triomphe pas...

L'aspect très vivant de ces poèmes tient aussi au présent de l'indicatif, un invariable présent (à de très rares exceptions, comme JUILLET) jusque dans des sujets qui semblent requérir le passé : Le cinéma Peuf fait halte tous les jeudis dans la salle du café. Que cherche-t-il à dire, cet imperturbable présent ? Quelque chose cloche... Ne pas y voir un présent dit historique ou de narration. L'auteur ne parle pas tant de son enfance resurgie. Le présent  fait être à partir de rien, de l'abîme du manque.

Après tout, réaliste ou pas, là n'est pas la question. Cette poésie se garde de dire ce qu'il convient de dire sur la campagne. Elle fait, quand on ne s'y attend pas, des écarts, non de langage, mais de point de vue, qui nous précipitent dans la perplexité. Ainsi le poème COMMIS, énonçant la nue et brutale réalité de cette condition : Les commis se sont éteints (…) genoux usés jusqu'à la corde.(...)Pas un fils, face au grand trou, pour prêter la main...Constat sec d'une effrayante solitude durant la vie jusqu'à la mort, mais qui s'achève par :

 

Seule la porte étroite d'une aube d'hiver (…) quand il taillait les ceps, gardant au cœur le signe d'un village du ciel, encore inaccessible.

 

Bien des pensées, des méditations, des contemplations pourront déferler dans cette embrasure. Et dans des phrases qu'un regard trop rapide associerait au deuil, Gérard Bocholier n'a de cesse de célébrer de secrètes immensités. C'est le cas de cette évocation de deux êtres inséparables dans leur maisonnette blanche (de ceux que la fausse parole(2) des journalistes appelle avec une condescendance atroce des « anonymes »). Même la fin cruelle que la société hypocritement compatissante leur a infligée ne parvient à effacer l'austère et lumineux amour qui les a unis tout au long de leur vie. Il est de ces victoires, sans éclat.

Sous cette prosodie sans effets rhétoriques, subsiste toujours l'obscur, le nécessaire aliment de tous les feux, ou bien s'ouvre le gouffre brûlant du four (…) ma mère, sortie en hâte, me recueille et m'évite ainsi les ténèbres. Pourra-t-elle intercéder pour que d'autres bras aimants me retiennent, au jour de ma mort ? D'où ces tableaux moins nostalgiques que tragiquement vivants, beaux et terribles. Emportés. Là se trouve la parenté profonde avec Gustave Roud.

On pense aux faucheurs que ce dernier a montrés (par la photographie et par le poème) comme une race de dieux. Gérard Bocholier fait du maître d'école (oh, cet habit verbal, comme neuf !) un dieu sévère gardien de la science, il montre les marchands de charbon en race étrange, d'une force d'Hercule. Et d'un jeune commis, Jean : qui rentre des champs tout en sueur (…). Les vers homériques me suivent cependant que Jean, le front couronné de boucles « aux reflets d'hyacinthe », manoeuvre dans la cour inondée de soleil. L'alexandrin, une fête improvisée. Ils sont tous là, et nous sommes là avec eux.

Ce monde rural, c'est notre mythologie. Vivante. Belle revanche sur ceux qui associent la modernité avec le seul désespoir.

Pourtant le poème TERTRES nous disait ce que l'on sait, que le monde des symboles est fini, fini pour de bon. Aux prix de nombreux efforts, je, l'auteur, quand il est plus jeune, mais c'est aujourd'hui grâce au présent, le poète Bocholier, le poète en général si vous voulez, va dans la nature un livre à la main et contemple le tendre déroulé des champs et des vignes... Je commence à lire Rimbaud. Je m'exerce à voir  le « Palais-promontoire », « les brèches opéradiques », les anges « dans les herbages d'acier et d'émeraude » Comment franchir le hiatus consommé de la poésie et du réel ?

Écrire, ne pas écrire ?

Monde si vieux ! Et moi si jeune guetteur d'inconnu ! Déjà buveur d'une espèce de « liqueur d'or qui fait suer »...

Écrire. La preuve.

 

Notes :

1. Écrits de Gustave Roud, t.3, pp 85 & 87.
2. L'expression est d'Armand Robin, cf. livre éponyme au Temps qu'il fait.




Regards sur la poésie française contemporaine des profondeurs (5) Gérard Bocholier

 

La profondeur de la voix de Gérard Bocholier procède de son regard contemplatif, scrutateur de ce qui se meut au-delà du visible,  de ce qui se cache derrière les ombres, de ce que révèle le visage du vent. Poète de l'imperceptible et de la nuance, lorsque cet imperceptible joue la capacité de la grâce en tout être, et la nuance l'enrichissement salvifique de la conscience, Bocholier aime, dans son long cours d'homme de parole, rapprocher les éléments contraires, marier la mer et le feu, la glace et le soleil. Dans les apparences à priori contradictoires réside une unité que le poète, à l'œuvre, cherche à concilier.

L'attention à la nature, aux petites choses qu'à peine on entrevoit dans notre monde suréclairé vont attirer le regard de Bocholier et mettre sa voix en mouvement. Ces petites choses, révélées par la connaissance du poème dont Bocholier a l'art, tissent une tension sans laquelle tout s'effondrerait, entre le monde ordinaire et le temps sacré. C'est cette profondeur que Bocholier révèle poème après poème. Profondeur qui est verticale, permettant de monter les yeux vers les clartés célestes et dans le même mouvement de les baisser en deçà des racines. Seul le Poème des profondeurs peut ce déplacement simultané, abolissant la loi de continuité imposée à nos vies terrestres. La poésie de Gérard Bocholier permet, depuis ici et maintenant, de percevoir cet au-delà du terrestre.




Gérard Bocholier, Les fleurs de l’amandier volent

 

Les fleurs de l’amandier volent
Les cloches soudain se taisent
Le vent passe au cimetière
Soulever l’obscur des tombes

Tout est prêt un inconnu
Vient guetter à la fenêtre
Il disparaît sous des palmes
Dans un jardin de lumière

Psaumes de l’espérance (Ad Solem, 2012)

Présentation de l’auteur




Gérard Bocholier, Plus fidèle que la brise

 

Plus fidèle que la brise
Au jasmin les senteurs d’ombre
Aux vergers après l’automne
Tu ne quittes pas ma main

Chaque instant que je reçois
Bel inconnu comme un hôte
Porte en secret ton visage
De grâce penché sur moi

 

 

Psaumes de l’espérance (Ad Solem, 2012)

Présentation de l’auteur




Gérard Bocholier, Le bon berger m’a jeté

 

Le bon berger m’a jeté
Son manteau sur les épaules
A l’heure où la main du soir
Sonde l’âme en chaque plaie

Les chiens aboient dans les granges
On ferme toutes les portes
Bientôt ne va plus rester
Que ce manteau plein d’étoiles

 

 

Psaumes du bel amour (Ad Solem, 2010)

Présentation de l’auteur




Gérard Bocholier, Le manteau usé des herbes

 

Le manteau usé des herbes
Achève de disparaître
Au bout du chemin le vent
Se dresse en apparition

Le mort retourne la pierre
Qui bouchait la vue du ciel
Son âme boit tout entière
L’avalanche de soleil

 

 

Psaumes du bel amour (Ad Solem, 2010)

Présentation de l’auteur




Gérard Bocholier, Aimer sans aucun retour

 

Aimer sans aucun retour… Aimer ce qui arrache en nous les dernières esquilles que notre conscience égoïste resserre… Laisser le passé se blottir dans ses lambeaux funèbres…
Ce tilleul, je le sens, vient à ma rencontre, ce nuage, cette rosace radieuse. Ils ne ressemblent à aucun autre, non plus alors que moi à moi-même. Que tout exil, que toute souffrance soient tremplins vers eux !
Plus loin s’annoncent la rive, et puis la mer, la mer allée avec le feu.

 

 

Abîmes cachés (L’Arrière-Pays, 2010)
 

Présentation de l’auteur




Gérard Bocholier, Le mystère s’appuie aux limbes

 

Le mystère s’appuie aux limbes
Mais la lucarne attire
Soudain l’étoile
Dans une extase de neige

Glisse des tuiles
Le livre ouvert
Laisse une parole d’aubaine
Dans l’embrasure avec le feu

 

Belles saisons obscures (Arfuyen, 2012)

Présentation de l’auteur