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Gérard Mottet, Par les chemins de vie

Dès l’ouverture du recueil, une question lui donne sa tessiture : «  La poésie : quoi d’autre que cette voix qui tente éperdument d’apprivoiser l’incertitude ? ». Philosophe de formation, Gérard Mottet, porte en lui cet amour de la question qui le pousse à interroger inlassablement notre essentielle fragilité. A travers ses textes, le temps semble se diffracter en de multiples miroitements où persistent quelques scintillements de l’enfance :

Où vont nos pas dans les poussières

De ces chemins trop incertains

Où vagabondent nos regards

Qui s’usent aux éclats du monde

Retrouverons-nous jamais la mémoire

Perdue de nos contrées originaires. 

Gérard Mottet, Par les chemins de vie, éditions Unicité, 2017

Si à chaque instant la mort est inséparable de la vie et que chaque pas nous en rapproche, il nous faut cependant essayer de rendre « à notre âme l’élan perdu de ses désirs ». La contemplation du monde et de la nature peut ainsi ouvrir la voie à une sorte d’apaisement et de consentement à notre éphémère destin :

 

 Vois comme les rivières et les fleuves

Aiment aller se perdre dans la mer immense

Et tout le firmament de la nuit venir s’y refléter.

Ouvre vaste ton seuil à la nature laisse la venir.

 

Ainsi nous marchons en « ces chemins secrets vers cet ailleurs qui est toi-même », en quête à la fois de nous-mêmes et d’accomplissement, pour maintenir ouvert le champ des possibles, comme un écho « au deviens qui tu es » de Nietzsche : « préfère ce qui n’est pas encore advenu mais le devient. […] préfère ce qui vient à ce qui est déjà venu et ne t’arrête pas en chemin connu […] Laisse-toi devenir. » Alors parfois peut surgir un bref instant de grâce, comme une épiphanie, pour panser notre mémoire endolorie :

 

Connaîtras-tu comme autrefois enfant

Juste la grâce d’un instant

Le pur jaillissement d’une étincelle

Qui te fera soudain renaître

Dans la coïncidence de toi-même. 

 

Si nous nous sentons parfois comme prisonniers d’un « ici » morne et monotone et que « lourds nous semblent nos pieds attachés à la terre », déchirés entre notre besoin d’appui, de stabilité et notre désir de nous envoler avec au cœur cette soif inextinguible d’immensité, toujours l’ailleurs nous appelle à nous dépasser nous-mêmes pour enfin « faire danser toute la terre, danser la vie et danser la lumière, toi voltigeur de l’infini. ». La parole en définitive s’avère être le seul véhicule de cette envolée furtive :

 

Les mots parfois

Ouvrent leurs ailes de colombe

Et s’envolent au loin

S’échappant d’entre les barreaux

Du quotidien. 

 

Mais le désir étant sans fin, le bonheur est toujours autre part, insaisissable, nous enchaînant à une sorte de déambulation forcée car nous ne sommes faits que « de l’étoffe du temps » et seul l’instant présent est en définitive riche de notre éternité. Ceci nous détermine à être à la fois présents et absents à nous-mêmes, à la fois « ici-ailleurs » en même temps dans ce jeu de la vie où s’allient les contraires et les paradoxes. C’est pourquoi la thématique de la marche et du pas fait sans cesse retour car elle est l’essence même de la vie et de notre nomadisme existentiel :

 

En chacun de tes pas

Il y a un chemin impossible

Que tu n’emprunteras pas […]

Es-tu rien d’autre que ce mirage là-bas

Qui te tourmente

Que cette ligne d’horizon

Imaginaire

Que tes pas ne pourront jamais atteindre.

 

L’homme en sa finitude à la beauté d’une « fleur suspendue au bord de l’abîme », mais vaine est sa tentative de fixer l’instant, d’arrêter le flux et reflux du temps à travers l’écriture, seul compte le mouvement d’aller vers ce que l’on ne connaît pas encore et qui reste toujours à inventer, à définir :

 

Laisse Laisse courir la vie en liberté

Ne tente pas de l’arrêter car accomplie

Ne sera ton œuvre de vie

Que lorsque te sera donné d’enter

Dans ton ultime vérité.

 

Alors la vague que nous sommes peut enfin revenir « au flux incessant de la mer » et le vieil homme se reposer « comme s’il eût reçu sa part d’éternité. »

Ainsi en ces « Chemins de vie », Gérard Mottet nous emporte dans une profondeur sans concessions, nulle place ici pour l’artifice, il ne reste plus que l’essentiel en de fulgurantes métaphores ou paradoxes où s’allient les contraires, à l’image même de notre humaine condition. Un très beau recueil à découvrir absolument.

 

 

 

 

 




Gérard Mottet, “La poésie, ce lent déchiffrement de l’absence…”

« Gérard Mottet, en ce recueil, nous suggère que la voix seule du poème accorde chair et souffle / de présence à l’inexistant… aux brumes de l’imaginaire… aux possibles dévoilements. » Chair et souffle : mots révélateurs de ce qui sous-tend les Murmures de l’absence.

Ce souffle est porteur d’une voix qui s’abandonne volontiers au flux des images, à une parole spontanée évoquant aussi bien des gouffres infinis que les presque riens de tous les jours. Revenant avec insistance sur le thème de l’amour (vécu comme une absence / au creux de moi), la voix se trouve plus ou moins doublée par une voix en écho – un répons lointain perçu tel un halo harmonique. Combien mieux je te vois rayonnante / dans la lumière de l’absence… Une lumière née de l’ombre, et que le poète sait rendre visible. » Michel Passelergue

 

Gérard Mottet, Murmures de l’absence, éd. Tensing, avril 2017, 103 p. 12 €

Gérard Mottet, Murmures de l’absence, éd. Tensing, avril 2017, 103 p. 12 €

Ensemencer le vent d’une graine incertaine
apprivoiser la ténébreuse
l’inévitable solitude
et les yeux grands ouverts
l’âme chargée de souvenirs
apprendre à vivre dans l’absence.

Ce recueil de Gérard Mottet, édité chez Tensing, sera suivi de deux autres volumes qui lui sont associé. Nous saluons ici Eric Jacquet-Lagrèze, fondateur en 2010 de cette maison d’édition, décédé en mai 2017. Eric Jacquet-Lagrèze avait donné ce nom à sa maison d’édition « en l'honneur du sherpa népalais Tensing Norgay, vainqueur de l'Everest en 1953 avec Edmund Hillary, soulignant ainsi le choix initial de publier des livres de montagne et le souhait de faire découvrir par le récit ou la fiction des pays, les hommes et leur culture. » Il créa cependant une collection poésie, autre façon de partir à la rencontre des autres et de soi.




Gérard Mottet, Bien en deçà du seuil des mots

 

Les dés du vent nous ont jetés

Les dés du vent nous ont jetés
sur des chemins d’exode
avec chacun nos lots divers
d’errante solitude

un jour pourtant en quelque gîte
nous nous reconnaîtrons
car nous avons toujours chacun
gardé par devers nous

nos parts secrètes de symbole
comme l’empreinte même
de nos mains enlacées

fragments
irrécusables
d’un éden oublié.

 

 

Extrait de Murmures de l’absence
Parution en avril 2017 aux Éditions Tensing J-L.

 

* * *

 

 

Lignes  de  Partage

Je ne sais quelle frontière nous traverse
quelque part en nous   mystérieuse
comme la barre bleue des lointains
au seuil invisible de nos rêves
comme l’écume de la dernière vague
au flot montant de nos désirs.

Est-ce entre nous frontière
que cette ligne courbe du soleil
qui monte et qui descend
ou ce vol brusque de l’oiseau qui déchire le ciel
est-ce frontière que cette arche lumineuse
où s’exalte le chant de la pluie.

Ensemble nous cheminons sur nos lignes de crête
entre versants d’ombre et de lumière
par sentiers caillouteux à travers champs et forêts
par chemins de halage   allant d’écluse en écluse
sans jamais passer pourtant ces lignes de partage
où se croisent nos solitudes.

 

 

(Extrait de Murmures de l’absence
Parution en avril 2017 aux Éditions Tensing J-L.)

 

 

* * *

 

 

Passant  par  les  chemins  de  pluie

Passant  par  les  chemins
de  pluie
j’ai  reconnu  tes  pas  

les  nuages  ce  soir
ont  pris
la  couleur  de  ta  peau

 

à  la  surface
de  l’eau
j’ai  vu

l’empreinte
tremblée
de  ton  visage

                

au  plus  près  de  la  nuit
furtif    passe    le vent
des  souvenirs

 

comme  un  soudain
                  déplissement
                               du  temps

 

au plus près de la nuit   furtif   passe le vent des souvenirs.

 

 

(Extrait de Murmures de l’absence
À paraître en avril 2017 aux Éditions Tensing J-L.)

 

* * *

 

 

 

Bien  en  deçà  du  seuil  des  mots

Bien en deçà du seuil des mots
rien que ce fulgural
instant divinatoire où tout a commencé

Toi et moi branches écartées
d’un même diapason
tout ensemble soudain entrant en résonance

toi et moi pôles opposés
faisant soudainement
de leurs bornes jaillir un grand arc de lumière.

il me souvient
qu’un jour de création du monde
ta main   soudain   s’approcha de la mienne.

 

 

(Extrait de Empreintes & résonances
Prix Y.& S. Blanchard - à paraître en 2017
aux Éditions des Presses Littéraires – Collection Florilège)

 

 

* * *

 

 

 

Souvent le vent venant de l’Étang

     Souvent le vent venant de l’étang
où dorment les esprits de la nuit
traverse le village engourdi
se faufile le long des ruelles
secoue les volets clos des maisons
et s’en va souffler sur la colline
où dorment aux murmures des sources

les ombres du passé

et la lune suit le cours de l’eau
se frayant un chemin dans les prés
pour venir chanter dans les fontaines
du village   passer sous les arches
rebondir de cailloux en cailloux
et mourir doucement dans l’étang
où dorment les esprits de la nuit.

 

(Extrait de Empreintes & résonances
Prix Y.& S. Blanchard - à paraître en 2017
aux Éditions des Presses Littéraires – Collection Florilège)

 
 

* * *

 

 

 

 

Ardent  tu  t’étais  élancé

Ardent tu t’étais élancé vers l’efflorescence du jour
les feux de l’aube dansant dans tes yeux
ton ombre oubliée loin derrière

or la voici déjà    ton ombre    qui s’est rapprochée
et marche à tes côtés    silencieuse
t’apportant réconfort aux midis incertains

et la voilà    ton ombre    à l’amenuisement du jour
qui maintenant allonge un peu le pas
et marche devant toi    en éclaireuse

te frayant le chemin que nul ne sait
vers là-bas    où l’on dit
que naissent les étoiles dans les forges de la nuit.

 

(Extrait de Par les chemins de vie
Recueil inédit)

 

* * *

 

 

 

Comme  sous  l’Écorce  l’aubier

A Claude Cailleau

 

Comme     sous l’écorce  l’aubier
sous      l’apparaître     l’essentiel
et       sous  la  terre    les racines

palpite encore   en le vieil homme  
usé        dont  vacillent  les  jours
le frêle enfant   qui vient de naître

désir dormant d’éternité
persistante étincelle
sous les cendres du temps.

 

 

(Extrait de Par les chemins de vie
Recueil inédit)

 

* * *

 

 

Creuser  de  longs  tunnels

A Guy Allix

 

Il te faudra sans doute 
creuser de longs tunnels de solitude

lancer de frêles passerelles
se balançant au dessus des abîmes

retrouver les chemins perdus du temps
dissimulés sous les broussailles

il te faudra faire preuve aussi de patience
frapper en pleurs aux portes closes de l’absence

attendre du destin
d’improbables alignements célestes

alors peut-être   à la jointure exacte
de ta mémoire endolorie et de tes désirs orphelins

connaîtras-tu comme autrefois enfant
juste la grâce d’un instant

le pur jaillissement d’une étincelle
qui te fera soudain renaître

dans la coïncidence
de toi-même.

 

 

(Extrait de Par les chemins de vie
Recueil inédit)