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Ghyslaine Leloup : Constance des oiseaux & autres poèmes

Ghyslaine - poète vibrante et musicienne de mots - nous avait confié des poèmes, que nous publions aujourd'hui,  avec le regret de n'avoir pu le faire de son vivant. Notre dernière rencontre avait eu lieu en juin 2018, à Paris,  lors du marché de la poésie, place Saint-Sulpice. Nous nous étions promis de nous revoir, dans un lieu et un moment plus propices aux échanges tranquilles : elle nous a envoyé ces textes. Elle les avait accompagnés de reproduction d'oeuvres de Noël Roch, auxquelles elle tenait beaucoup (et particulièrement la dernière, pour illustrer "En marchant". Elle avait joint aussi, en guise de présentation biographique, l'émouvant autoportrait que nous vous proposons, comme un portrait de l'artiste en chercheuse de lumière.

 

Ne pas traquer l'ange

S'adonner à la lumière

Tant est dense l'ombre fondatrice

Laisse œuvrer l'aubépine

 

À force d'évider ton rêve

Il ne restera que le tranchant de sa flamme

Et ton cœur calciné

 

Ce jour, j’ai perdu l’évidence de la rose en découvrant sa beauté

 

Ô vieux mots sédentarisés

Donnez-moi une phrase nomade

 

 

Se présenter ? Comment faire pour éviter cette gêne à se donner tant de place ? Les autocitations de l’exergue me semblent plus proches d’une « vérité » que tout autre exposé.

Des repères biographiques ?

Née pendant le très froid hiver 1956, j’ai passé mon enfance en Normandie, dans un village proche d’Omaha Beach. Nombre de vestiges de la guerre étaient encore bruts, non muséographiés. Par chance, le contact permanent avec la nature, fleurs, arbres, oiseaux, adoucissait cette sauvagerie visuelle.

La découverte d’une photographie d’Isadora Duncan puis de sa danse, me marque à vie.

À partir de 9ans, je retourne en ville vivre chez mes parents.

Et c’est au lycée que je nais…

Quittant le foyer familial à 18 ans, j’abandonne ma 1ère année de fac, petits boulots, reprise d’études universitaires (littérature française et comparée) à 21 ans.

Psychanalyse pendant 6 ans.

Découverte très marquante imaginairement d’une île irlandaise en 1995.

1er recueil de poésie publié tardivement, en 1999.

 

Des repères professionnels ?

Mon expérience est pour le moins variée. Mais c’est la chose artistique que je sers depuis 30 ans. À 27 ans, en intégrant l’IRCAM encore dirigé par Pierre Boulez, le travail m’apparait enfin comme une possibilité d’épanouissement de l’être. Après un séjour de 6 ans, je poursuis en administrant des compagnies de création, un centre culturel. Actuellement c’est le domaine du cinéma d’auteur qui m’occupe, ainsi qu’un volet plus « social », en assurant la coordination nationale d’une association reconnue d’utilité publique.

 

Le dialogue que peuvent entretenir entre elles les expressions artistiques, scientifiques et les sciences humaines, me parait un des rares à donner lieu à de lumineuses épousailles, pouvoir éclairer quelque peu et écarter les barreaux de notre pathétique condition humaine.

 

Et l’écriture dans tout ça ?

Je ne lis quasiment plus, en dehors de la poésie, que des autobiographies, des correspondances et des ouvrages de sciences humaines.

Comme beaucoup, j’écris des poèmes pendant l’enfance et l’adolescence. L’université va dessécher tout ça mais je reviens à la poésie à 26 ans sans la quitter depuis. Quand elle sort de sa solitude, l’écriture épistolaire est ce que je préfère mais la correspondance « soutenue » est une pratique rare. Cette expérience précieuse m’est encore offerte.

 

À relire tout ça, vous voyez bien qu’une présentation est impossible.

 

Comment, et pourquoi, parler de ce qui nous agit au plus intime ? C’est dans ce lieu retiré que s’élabore l’écriture, à notre insu le plus souvent. Le dévoilement de soi serait une forme d’exhibitionnisme sans intérêt dans un tel contexte.

Nous procédons de toutes les rencontres, réelles, virtuelles et théoriques de notre parcours, de toutes nos expériences, et c’est cette combinaison unique d’éléments qui pousse ses mots.

 

Alors il s’agit d’être « à hauteur d’homme », de vivre, sentir et écrire dans le balancement entre mon appartenance à la communauté humaine et ma singularité, de me parler dans l’autre toujours présent. La poésie creuse vers le noyau, ne dissimule pas, cherche inlassablement à ouvrir l’ombre.

 

CONSTANCE DES OISEAUX

 

©Noël Roch

Saisons des dormances

Et nous passons

Dans le silence ascendant des arbres

Ombres sans ombre au soleil frugal

En cette veille

Même si tu doutes de la lumière

Les oiseaux dépêchent l’aube freinée d’hiver

Ecoute-les

Etourneaux pinsons mésanges

Chantent l’étoile tardive et le retour des couleurs

Et demain comme en cette veille

Leurs cœurs rapides éloigneront l’obscurité

 

*

 

DEUX ROSES POURTANT

 

 

J’ai vu un geai derrière la vitre

Des camées d’azur sur ses ailes

Beau geai des millefleurs

Et des miniatures persanes

Tu me ravissais déjà enfant

Le temps s’étourdit d’astres morts (oh Van Gogh)

Peut-être n’y a-t-il qu’un seul jour

Traversé par les nuits, les printemps,

Et les partages de pain et d’étoiles

Il y a en cet instant

Le battement de ton sang

Le chant du premier merle

Derrière la vitre, la neige qui tombe

Et deux roses

©Noël Roch

 

*

 

EN MARCHANT

 

©Noël Roch, De natura rerum, 2011. Dyptique grand format, acrylique sur toile.

1.

Joie

Présence intense au plein du monde

Ressentie par la conscience devenue peau

Nuit dénudée

Vérité pantelante

Et elle, parlant par la voix des merles

Battement d’ailes

Dans une froissure d’encens

Et elle, s’échappant du feu vertical

Flaques de bleuets

Remontées au ciel

Et elle, vaguant dans les blés

Pour la dire

Il faudrait des paroles comme des fleurs

Avec leurs principes, avec leurs parfums

2.

Mains guérisseuses

Insufflez la douceur à nos corps apeurés

Protégez les terres où perdurent les papillons

3.

Insomnie

La nuit t’agenouille

Dans son souffle de velours

Au casino du ciel

Tu as parié sur les comètes

En attendant l’aube baptismale

4.

Printemps, faune résurgent

Une rose lutte contre le plomb des racines

Extasiée par la sève nouvelle

Quand le doute te coupe de la fête verte

Soumets-le aux vergers en fleurs

Leur plénitude blanche éblouit les césures

5.

Malgré les soleils noirs

Nous prenons notre part incandescente

Aux jours et aux nuits bagués de braises

 

*

 

à L.R

MAI, UNE FEMME ET UN OISEAU

La voix est claire, enchâssée dans une rumeur d’arbres et d’ailes.

Le chant d’un merle s’y superpose

Elle dit

Son monde d’ascensions et de larmes

Modelé par un christ-oiseau

Eprouvé par l’enfant volé envolé

Le fils de l’homme et le fils de l’autre

La parole et l’image avivées

Echo et reflet pétris en pâte de lumière

Qu’ainsi se défroisse l’air

Qu’il délivre une pâque domestique

Confiance tisonnée comme un feu

Une fillette brave les bombes sous un toit de fleurs

Sa peur solitaire et nue à l’abri d’un pommier

Confiance à la persistance d’herbe folle

A la croisée du cœur et du silence

L’arbre bienveillant poursuit sa floraison

Elle y retrouve ses voyageurs ineffables

Dilater le présent, dit-elle

Quel jour ensoleillé, n’est-ce pas ?




LES HEURES FROIDES : 4H00

 

Heure engourdie de doute
Pas de chemins
Pas de lumières
Pas de balise en l’instant qui s’effondre
Plus qu’un visage qui se crispe
C’est le regard de l’autre
Un foudroiement sans tendresse
C’est toi moins la bête
Dans les bras d’un ange abattu
Même si tout est voué à se taire
Opposer Mozart à l’hiver
Nos voix funambules aux ciseaux du ciel
Fomenter l’insurrection des souffles
Le défi de l'été en janvier
Frisson d'étole dans le silence
Une aile a rétabli la nuit




LE PROLOGUE DES VERGERS

 

Voici les vieilles sentinelles de mai
Leur floraison énamourée d’oiseaux
Toute cette beauté indifférente
Illuminant la cage et le peu à être

Tout fait tellement blancheur ces temps-ci

Même l’écume s’est tue sous le vent

Que veux-tu
C’est l’énigme du printemps
Son élan infrangible
D’un côté ton ciel qui peu à peu se rétracte
De l’autre les grands retours qui se poursuivront

Tu voudrais pouvoir mourir à 999 vies
Arrêter l’encryptage des chemins
Et renaître une millième fois
Sinon qu’aurais-tu appris
Du baiser de neige dans un cloître
De la tendresse en sa traversée des visages
Des mains qui donnent tout en mendiant

Tout de même
On aura su bien peu des autres et des îles où reposer
 




EST-CE QUE LE CŒUR S’EMPIERRE ?

 

Est-ce que le cœur s’empierre ?
Ou alors de ces pierres issues du chaos

Et le cœur se sidèrerait

Il y aurait les larmes
Mais n’irriguent que ce qui croît et perdure
Précèdent le sourire des enfants
De la belle eau découpée dans du papier doré
Le pain du voyageur sur la terre
Sous ce qu’il croit son ciel

Une étoile a ouvert le ciel
Et celle de chair a plongé dans l’entaille
Non plus dans la chute mais dans l’ascendance

Porte claquée ou cassure du rameau
C’est un écho qui se suspend
Puis s’enclot dans un silence ébloui

Je te pleure sans larmes
Je te parle sans voix
Je ne ressens pas de vide
Je porte un corps étranger entouré d’une poignée de désert
Ce que tu deviens quand ma mémoire se rêve prophète
C’est mon chemin avec toi
Dans un piège à reflets

Et ce qui se dérobe masque la braise commune
Je voudrais tuer ton fantôme

Il n’y a pas de larmes
Il n’y a pas de pierres
Juste un caillot de pénombre griffée de feu
 




ÉBLOUISSEMENT

 

Roch - De toutes choses, des grandes et des petites, 2014

 

 

Un jour blanc sur une plage blanche
Blancs à calciner le mensonge fondateur
D’une blancheur à oublier toute durée
Si l’origine n’était ressassée par les vagues

Front de mer
Tu vois

Un homme
Une femme
Une sculpture de bronze

Promenade
Tu cadres

Une femme un homme
La danse de bronze
Et toujours la blancheur

Image surexposée
Mais voyez

Inscrits noir sur blanc
Le couple initial et l’arbre illimité
Leurs courbes exactes dans la vaste clarté