1

Les Mots nus : entretien avec Rouda

Rappeur, slameur, poète et écrivain, Rouda transmet la parole poétique sur scène et à travers les nombreuses activités qu'il mène autour du langage, comme les  nombreux ateliers d'écriture qu'il anime avec le collectif 129H. Il travaille les mots guidé par cette unique ambition : ré-unir, partager, résister, ensemble, pour que la poésie redevienne ce lieu d'édification d'un horizon commun. . Pionnier du mouvement slam, il est l’un des principaux passeurs d’une culture en ébullition qui vient en droite ligne du spoken word, et de la tradition des joutes vocales. 

Son 1er album sort en 2008, chez Le Chant du Monde-Harmonia Mundi. (Musique des Lettres). Suivent un EP digital en 2013 (À l’ombre des brindilles), puis un nouvel album en 2016 chez Modulor (The French Guy). En 2019, toujours chez Modulor, Rouda sort un nouvel EP digital (Fatras). Le 05 janvier 2023 paraît son premier roman, Les Mots nus, aux Éditions Liana Levi. 

Il a accepté de répondre à nos question, pour évoquer la transmission du poème, cet espace de rencontre au-delà et à travers les mots, et de résistance. 

Vous êtes poète et slameur. Pensez-vous qu’aujourd’hui le slam est le meilleur moyen de transmettre la poésie aux jeunes générations ?
C'est toujours difficile de de catégoriser ou de prioriser. Je dirais que le slam est un moyen parmi d'autres sachant que « Slam » c'est un mot qui désigne des pratiques oratoires qui existent depuis des siècles, et où s’inscrit la poésie. Peut-être que Slam est un mot qui peut apparaître assez attractif et attirer une certaine partie de la jeunesse. C'est vrai que si plus tôt dans ma vie on m'avait invité à une soirée poésie je n’y serais peut-être pas allé. Mais quand il s’est agi d’aller assister à une scène slam (ça s'appelait slam session) le mot m'a interpellé. Et là j'ai découvert une pratique de l’oralité qui est extrêmement proche de la poésie. Elle est simplement un peu plus élargie parce que comme c'est une pratique a cappella elle englobe plusieurs types d’oralités qui sont par définition plurielles. Ça peut être du rap a capella, ça peut être de la poésie très classique, ça peut être du texte lyrique, ça peut être de l'improvisation, mais dans tous les cas c'est un art oratoire.
Pourquoi selon vous les plus jeunes ne vont pas volontiers (pour la majorité) vers la poésie écrite ? Est-elle d’un accès difficile ?
Pour évoquer mon expérience, la poésie je l’ai découverte à l’école. L’apprentissage qu'on a de la poésie est un apprentissage très académique, très scolaire. On va nous faire découvrir les grands noms les grands classiques de la poésie française ou étrangère, et on va analyser ces textes, et les mémoriser pour certains. La véritable nature de la poésie, c'est-à-dire le plaisir de jouer avec les mots, est rarement transmis, de même qu’on ne nous apprend pas que la poésie est partout, qu’il s’agit plutôt d’une manière de percevoir les choses, et que ce qui est poétique pour une personne ne le sera pas forcément pour une autre. 

Rouda, Ça parle, texte et voix : Rouda - Musique : Nicolas Séguy et Pierre Caillot - Réalisation : Kevin Gay - Image et étalonnage : Henri Coutant.

La poésie est ce qui me touche, grâce à la puissance de l'évocation des mots. Je pense que beaucoup de jeunes qui ne vont pas volontiers vers la poésie ont souffert de l'approche très scolaire. Pour ma part, la poésie je l'ai redécouverte grâce au slam, c'est à dire lorsque je suis allé sur des scènes slam et que j'ai re-découvert des poètes classiques avec des formes que j'avais étudiées à l'école, comme le sonnet ou des métriques classiques comme l'alexandrin par exemple. Là ça m'a interpellé et je suis allé relire ces grands poètes abordés de manière superficielle. Je suis allé relire Baudelaire, De Nerval, et des poètes plus proches de nous, et j'ai ouvert mon champ culturel.

Donc peut-être que le slam c'est juste un moyen de transmettre la poésie, pour que les plus jeunes renouent avec elle, et de les ramener vers cet immense champ poétique, celui qu'on peut trouver dans les livres.

LE MUSÉE DES MOTS USÉS, tiré de l'album de ROUDA  The French Guy -  Rouda feat OXMO PUCCINO.

Pensez-vous que les scènes Slam soient de nature à porter la poésie, plus que les moyens classiques tels que le livre, ou les lectures publiques ?
Encore une fois il faut s’entendre sur la définition du mot poésie. J'anime beaucoup d'ateliers d'écriture, et j’essaie toujours de montrer que ce qui peut rapprocher le rap du slam, le slam de la poésie, la poésie du rap, c’est l’émotion, parce que les mots, grâce au travail opéré sur la langue, nous touchent. J’essaie de regarder comment ils créent ces émotions. Du coup si on essaie de dire quelle est la différence entre la poésie, le slam, ou le rap, je n’en vois pas. L’essentiel est que les mots résonnent, nous touchent, suscitent de l’émotion.  
Et le slam permet de partager cette émotion, qui est celle que porte la poésie, et de créer des rencontres entre des auteurs, des orateurs, des autrices, des oratrices, avec des styles d'écriture très différents, et des styles d’oralités très variés. Ce dispositif unique en France je pense de réunir sur une même scène des gens d'horizons extrêmement éloignés permet de rassembler, et de créer des moments d'échanges autour des mots. Et cet échange, ce partage, c'est l’essence même de la poésie.

UN VERS D'AVANCE, tiré de l'album de ROUDA, The French Guy.

Comment pensez-vous, et écrivez-vous vos textes ? Comme un poème qui ensuite sera mis en rythme et en musique ou comme une globalité ?
L'écriture, c'est tellement mystérieux ! Parfois l'inspiration est là, il y a une espèce de fulgurance, qui fait qu’on arrive à écrire un poème en un temps incroyablement court. Parfois je vis des séances un peu plus « délicates ». Je tourne en rond sur un thème et rien ne surgit. Mais toujours, je navigue entre l'écriture et l'oralité : dès qu’un texte est assez abouti en termes de texte je le « mets » tout de suite à l'oral, pour voir comment « ça sonne », comment les mots résonnent entre eux. Ça me permet ensuite d’ajuster mon texte. A l’inverse je peux aussi commencer par l'oral, enchaîner des phrases sans forcément les écrire, avant de les coucher sur le papier. Je garde donc toujours un lien étroit entre ces deux dimensions. On en revient à la tradition orale, avec le slam et le rap, et c'est une manière de créer et de transmettre la poésie.

Rouda, Les Mots nus, premier roman, Texte et voix : Rouda - Musique : Nicolas Séguy - Rec & Mix : Nicolas Sélambin au 129H STUDIO - Réalisation : Kevin Gay.

Dans les ateliers d'écriture l'écriture, on a besoin de quoi ? D'une feuille, d'un stylo, sans oublier que les générations actuelles sont très connectées, elles écrivent beaucoup sur leur téléphone, donc là on a besoin d’un seul objet. Puis qu'on habite dans une grande ville, les possibilités de prendre la parole sont multiples. A Paris par exemple on peut slamer, participer à une scène ouverte, il y a des espaces d'expression qui sont multiples, souvent gratuits, très accessibles. Il y a des endroits où la parole et où la poésie circulent.
C’est très différent des soirées de lecture organisées par les poètes. D’après vous est-ce que c’est juste une question d’appellation qui fait que les scènes Slam attirent plus le jeune public ?
Peut-être que si on appelait ces soirée « slam poésie » ou « poésie slam » ça attirerait plus de monde, alors que ce serait le même dispositif, le même propos. Encore une fois, je pense que c'est un c'est un mot un plus moderne qui annonce quelque chose de plus large que la poésie, parce que ça englobe pour moi toutes les oralités. Il y a de la poésie dans le slam, comme dans le rap, ou le chant lyrique, par exemple...
Avez-vous écrit des recueils à partir de vos textes de Slam ? Les avez-vous écrits, figés dans un livre, et n’est-ce pas différent de les lire dans un recueil ou bien de les écouter ?
Je n’ai jamais publié de recueil de poésie, seulement des romans. Quelques-uns de mes textes ont été publiés dans des anthologies. Mais le slam, le rap, libèrent l'oralité, la parole, et les textes que j'écris pour la scène slam, destinés à aller sur des scènes slam, sont écrits  d'une certaine manière : quand je les écris je sais que je vais les partager sur scène, que je vais les partager à l'oral. Donc ça conditionne mon écriture et je ne suis pas certain que mes poèmes soient destinés à être figés sur du papier.
La différence, ce serait peut-être l’intention qui précède l’écriture, la destination. Avec le slam avant même d'écrire on sait qu'on va on va le partager avec le public sur une scène, et ça ça conditionne vraiment l'écriture. Il y a vraiment cette question de l'intention, et je pense qu’un recueil de textes de Slam ne pourrait pas exister, parce que le slam c'est ce moment où on est vivant, debout, face à un auditoire.
Des textes issus de la scène Slam qui seraient publiés dans un recueil finalement ce serait un recueil de poèmes. On ne pourrait pas appeler ça un recueil de Slam.
Avec la même base écrite on n’aura jamais le même texte, en fonction de la scène, en fonction du public, en fonction des réactions, en fonction des silences, en fonction d'une infinité de paramètres qui sont justement liées au spectacle vivant. On ne transmet pas du tout de la même manière le poème selon son mode de transmission, le recueil, et la scène, où c'est une transmission active, un partage immédiat.
Est-ce qu’il s’agit de la même manière de transmettre la poésie dans les ateliers d'écriture ?
C’est encore autre chose pour moi. Il s’agit d’écritures collectives. Nous écrivons à partir de consignes communes, et nous sommes surpris, à la fin du processus d'écriture, de voir que chacun a une proposition différente.
Pour revenir sur le Slam, c'est Marc Smith, un poète de Chicago, qui a inventé ce dispositif. Il fréquentait des soirées de lecture de poésie. Les poètes se retrouvaient autour d'une table, en cercle, et chacun son tour lisait une partie de son recueil, avant de céder la place à un autre poète. C’était très souvent interminable et ennuyeux. Marc Smith a suggéré de casser ce dispositif. Chacun a alors choisi uniquement un poème et l’a fait lire a quelqu’un d’autre ou l’a lu lui-même sur une estrade ou sur une scène, en en faisant un moment un peu plus vivant, et performatif. C'est comme ça qu’est né le dispositif du slam aux États-Unis. Ça part des lectures de poésie, d’une écriture, mais la modalité de transmission change : on réduit la durée et on met le poète debout face aux autres. C'est là que ça change. On travaille vraiment sur la mise en voie du poème, et là il se passe autre chose, dans la transmission du texte.  Toutes ces pistes, ces manières de diffuser la poésie doivent être explorées, et se croiser, pour toucher tout le monde et réunir autour du poème.