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Je suis là

 

Se peut-il que l’on n’arrive jamais
Au seul pays où l’on puisse vivre
Où le pain a la saveur de ton rire
J’ai déjà arpenté cette terre promise
Aujourd’hui j’habite le désespoir
De n’être pas où tu te bats seule
Contre le mal à l’intérieur de toi
Si mes mains ne peuvent être caresses
Qu’au moins mes mots t’atteignent
Te disent que je suis là et te soutiens
Que chacune des cellules de ton être
Sente la force apaisante des miennes
Mon épaule existe pour y poser ta tête
Mon bras se tend pour soutenir tes pas
A quoi bon mon amour s’il ne t’est utile
Il y aura encore je le sais des étés de miel
Nous irons enlacés au devant du soleil
Et j’attiserai le feu ardent  de ton sourire
Je te parlerai de toi de nous de toi
Que l’amour est plus fort que le mal
Tu verras tout recommence et fleurit
Mille et mille matins neufs renaîtront 
Où ta voix vibrera aux frissons du vent
Le chemin est long qui me ramène à toi
Mon espérance est chevillée à ton cœur.




Le navire

 

Qu’est donc ce rien de lumière dans la nuit
Cette braise sous la cendre qui réchauffe
Sous leur écorce nos cœurs trop meurtris
Quand notre vie se noie et touche le fond

Quelle est cette force qui tient ensemble
Les fragments épars des jours égarés
Ce qui comble le vide entre les rendez-vous
De l’enfance de l’amour de la mort

Quelle est cette frêle musique imperceptible
Qui fait survivre au chagrin d’être séparés
Risquant à chaque instant de se taire à jamais
Si l’autre ne tend plus son oreille de coquillage

Quel est ce point où miroite un ciel clair
Dans la triste flaque des souvenirs effacés
Qui  fait se propager ma passion de vivre
Et ma tendre  persévérance obstinée à aimer

Ce goût cette odeur ce regard qui m’appellent
Qui font que mes poumons s’emplissent d’air
Mon navire dont les voiles se déploient au vent
Arbore à sa proue le nom de Belle espérance.




La Prisonnière

 

Femme voilée enfermée dans ta nuit
Cette cellule de toi  où des oiseaux
Sont sortis de leur cage et volètent
Alentour cherchant la lumière
Ce que tu crois être la réalité
Tandis que tes yeux reflètent le bleu
Du ciel à l’extérieur de ta prison
Et que tu rêves aux plumes de l’ange
Je viens je viens creusant un tunnel
Je ferai tout pour te délivrer
Ferai sauter les murs et les grilles
Tuerai de mes mains les geôliers
J’enlèverai  de ton visage le voile
Qui t’empêche de voir clair et vrai
Mon amour tu es là en désarroi
Confondant les couleurs du damier
Comme le lys blanc qui se penche
Eperdu au milieu des chardons
Je viens qu’importent les difficultés
Parce que tu es la plus merveilleuse 
Parce que la vraie vie est aussi belle
Que tes yeux sont à tout jamais
Les sources de mon espérance
Pour que tes oiseaux vivent la joie
Sans cage de la seule vraie liberté.




La béance

 

Je connais les fruits amers de l’exil
Quand seul le ravin vous ouvre ses bras
Où l’ombre de soi ne laisse nulle empreinte
Où la vie a perdu son fil le reliant à toi
Dans ces jours où le bonheur s’est détissé
Où les espoirs mènent au même désert
S’évanouissant dans une fumée de soufre
Avec au cœur qui grésille de sang
Un désespoir marqué au fer rouge
La vie coule de moi comme d’une blessure
Le soleil que tu es a quitté mon ciel
Derrière un nuage lourd de silence

La béance de l’absence est un sillon
De terre fertile pour les graines de l’amour
Je sais des pays où les rêves s’allument
Où l’on peut réinventer des aurores
Toucher une fois ton visage de pêche
Retrouver ta joue fraîche sous ma main
Je veux me reposer et fermer les yeux
Les rouvrir seulement quand la joie d’être
Aura ouvert les portes de son royaume
Et me baigner avec toi au milieu du fleuve
Vivre encore l’heure présente comme on respire
Avant que notre ombre retourne aux ténèbres.
 




Deux mots

 

A cœur battant ton sang coule dans mes veines
Et loin de tes bras ouverts mon arbre et ma source
Je suis cloué dans une nuit à la porte des larmes
Le destin aux pieds nus pleure dans mes yeux
Les jours passent dans le reflet vide des miroirs
Le magma de ton rire rougeoie dans mes entrailles
Sa cendre et sa fumée brûlent encore mes paupières
J’entends le souffle du monde entre l’exil et l’espoir
Et mes mots se bousculent sur la trame des jours
Mais l’oiseau bleu sous ma lampe s’est envolé 
Entre le fond de la nuit et une aurore sans retour
Les jours sont comptés dans la forêt des remords
La vie se dissout dans le regard vide des humains
Sans soif sans faim sans cœur sans chair sans désir
Toutes ces vies miroitant dans des ombres d’énigme
Au cœur vitrifié sur la carte de contrées sans amour
Je porte en moi des ailleurs encore inconnus de nous
Où chaque jour est un monde dans les lignes de la main
J’erre à l’orée d’un pays fait de voix vives et de rires
Revenu des confins de moi-même en marge des nuits 
Je guette les résurgences d’un fleuve souterrain
Où naviguer avec toi jusqu’au bord du ciel
J’entends tes pieds nus effleurer  la tiédeur  de la terre
Comme un homme assis au bord de la tendresse
Regarde un monde de lumière couleur de miel
Avec des fleurs de froment coulant sous nos pieds
Et des rires d’enfance soulevant le poids du ciel
La lumière de ton sourire illumine mon souffle
J’en vois les sillons incrustés sur les parois du temps
Mon cœur est toujours aiguisé au soleil de l’amour
J’attends deux mots de toi pour me remettre à vivre
Comme un chant venu de dessous les mousses
Ou deux perles volées entre les dents de la mort
Avant que ton soleil quitte à jamais mon ciel
Et que la nuit éternelle ferme sur moi ses volets.




Le pollen des jours de Jacques Viallebesset

  Ainsi, deux recueils auront suffit à imposer la voix du poète Jacques Viallebesset, L’écorce des cœurs et Le Pollen des jours, ce dernier dans la collection « crème » des éditions Le Nouvel Athanor. Une collection qui commence à peser. On y trouve des recueils de poètes tels que Pierre Bonnasse, Frédérique Kerbellec, Matthieu Baumier, Bruno Doucey, Etienne Orsini, Bernard Perroy ou Bruno Thomas. Viallebesset, maintenant. Poètes engagés dans la direction profonde d’une poésie du sens, en quête des retrouvailles avec de lointaines paroles aujourd’hui devenues bribes de langage. Le monde est un son, c’est pourquoi le Poème y vit comme un poisson dans l’eau.

Une trentaine de « pièces » ici. Comment dire la voix d’un poète ? On le lira avant tout, dans ce recueil ainsi que dans les pages de Recours au Poème. Il y a une particularité dans cette voix, quelque chose d’unique même dans la poésie française contemporaine : une espèce de métissage difficile à définir entre les présences d’Eluard, les arcanes de certain chemin spirituel, Aragon, ceux qui philosophent en tout temps par le feu, et l’Amour en forme de Banquet. D’une certaine manière, une espèce de rencontre entre la bonhommie du prolétariat un jour de mai 36 et le Jeu grave des quêtes chevaleresques du présent. Qu’on ne s’y trompe pas, cette position ou situation est profondément poétique et politique. Je parle de la position/situation, bien entendu, et non de la poésie de Viallebesset (rien de plus ennuyeux qu’une poésie qui se veut « politique », cela rougeoie parfois, et honnêtement…). Car en appeler à la poésie, au Poème, à son recours, ainsi que le fait le poète Viallebesset, écrire cette vie du Poème en sa chair de poète, cela est maintenant, par les temps qui courent, politique. Que voulez vous, et que l’on se comprenne bien ! L’Amour, cela est humainement politique. Et si la poésie peut être pleine de rires, elle n’est pas un amusement. La poésie de Viallebesset est jeu sérieux.

Et grave.

Car c’est cela vivre et comme on ne refait pas Viallebesset l’opus s’inscrit sous l’égide du pénétrant Abellio, duquel on conseillera vivement Les yeux d’Ezéchiel sont ouverts : « Ecrire et aimer, seules occupations universelles, expériences originelles et ultimes, mort de la mort ».

La poésie, en sa profondeur, est ce travail au noir, celui de la mort de la mort. Cheminement éclairant vers la porte étroite donnant sur un autre paysage, celui de la vie. Cela demande en effet qu’Ezéchiel ouvre les yeux. Là se trouve la poésie, et là se trouve le Poème dit par Jacques Viallebesset :

 

« Le vieil homme est mort le printemps commence. »

 

Lire Jacques Viallebesset dans les pages de Recours au Poème : ici.

 




Une grenade entrouverte

 

                                                                                                    En mémoire de Bruno Etienne

 

Ma rose des vents éternelle
Indiquera toujours l’axe du monde
Cette flaque d’eau que je nomme
Au milieu de l’océan des terres jaunes

Mosaïque de couleurs ocres et d’odeurs brulées
Fragrances chargées de thym et de sauge
Univers de mon cœur à jamais bariolé
Qui a  pour nom mes Méditerranées

Le sol est imprégné des senteurs de basilic
La sève verticale est promesse d’abricotier
Méandres solaires d’or incandescent
Pollens au vent d’orange enflammés

J’ai le goût aux lèvres d’une grenade entrouverte
Dont les graines sont tous les hommes
Fruits d’un monde dans lequel je mords
Laissant couler en moi les sucs de l’humanité. 
 




Printemps

 

La forge du vent attise les braises du cœur
Endormi sous les cendres grises de l’hiver
Le bélier bondit dans les prairies des constellations
Toute une vie secrète palpite sous l’humus
Une tendresse verte d’herbes se déploie
Dans les limons fertiles des entrailles
La pulsion verticale de la sève
Est promesse bourgeonnante de cerises
Un pollen amoureux se propage sous la brise
De cœur battant à cœur battant
Des oiseaux bariolés fleurissent aux branches
Les corolles des jonquilles chantent la joie
Tandis que je croque à belles dents
Une moelleuse galette d’or ensoleillant
Les ferments du désir bouillonnent dans le sang
Le vieil homme est mort et le printemps commence.

 

 

Mars 2012.
 




Ourobouros

 

Ici les jours recommencent éternellement
Tel le serpent qui signe le rythme de la vie
Ici  l’univers nait et renait chaque matin
Quand ses paupières soulevées entrouvrent le cosmos
Entrainant dans son réveil la marche des galaxies
Elle met en mouvement la ronde des astres
Comme celui de la vie profonde de la terre
Elle est l’arbre bruissant d’oiseaux qui les relie
Ma belle vouivre d’eau à l’escarboucle bleue
Veillant aux berges ruisselantes de la voie lactée
Dans ma nuit de doute et de questionnement
Auprès d’elle ma terre et ma constellation
J’attends que le premier matin du monde se lève
Pour mon étonnement et émerveillement. 




Les Nobles Voyageurs

 

En hommage à OV. L de Milosz

 

Chevaliers errants qui rêvent leurs vies et vivent leurs rêves
Vagabonds solitaires de l’âme chemineaux anonymes de l’esprit
Ils traversent le temps et l’espace sans repos ni trêve
Pour venir allumer des soleils noirs au cœur de la nuit

Ayant l’âge du sable de la mer et du vent du désert
Empruntant les vêtements du siècle où nous sommes
Le pain des forts le feu et le sel leur sont offerts
Dans des haltes secrètes où s’aiment les hommes

Alchimistes du Verbe et forgerons de l’âme
Ce  sont des maîtres sans temple qui ont rendez-vous
Une lanterne sourde à la main protégeant  la petite flamme
Dans la clairière de l’être où règne l’amour fou

Ils pérégrinent de siècle obscur en siècle obscur
Portant sur leur épaule droite un noir corbeau
Eclairant le chemin des consciences pures
Pour que le monde et les jours soient enfin beaux

L’œil est le soleil du cœur comme le cœur celui de l’esprit .
Venus  ici et maintenant dans le monde sans lui appartenir
Réincarner dans le creuset des cœurs  la parole qui vit
En eux s’élève le souffle d’une vie plus forte que la mort à venir .