Rudéral

 

Que dire
que dire du ciel quand la lumière
coule ses jambes entre les arbres
et que les pervenches s'éteignent
dans ce qui fut jadis
un donjon haut et dru ?

La trace du dernier mur
demeure inscrite dans cette levée de terre
et garde le parfum d'une chaux millénaire
comme dans cette chambre vide
le souvenir d'un corps de femme
perle d'un paysage
                                 à jamais disparu
qui tire des flèches d'or
sur le désir enfui.

 

 

(inédit)




Trois douzains

 

Surtout
pas de luxe
insulte aux milliards
d'affamés.

L'austérité du moine
ou du roi qui chevauche
son siècle sans
s'arrêter.

Remplir ta vie
de ta mémoire
de l'unique désir
de comprendre.

            *

Revenir
chaque soir
aux jardins
de tes pères.

Ce qui pousse
entre les fleurs
tout ce qui fleurit
nous abuse.

Seule vérité
le temps
qu'il nous faut
pour grandir.

         *

La neige
pas moins impure
que l'eau
qui la transporte.

Sous la surface
du miroir
la transparence
ondule un peu.

Boire
à la paille d'un roseau
l'autre versant
de ce qui tremble.

                                          (parus dans FRICHES n° 108 – Nouvelle version)
 




De l’imparfait

 

La poésie qui a rongé ma vie
m'en rendra-t-elle des relents dans la mort ?
Chaque poème qui s'ajoute
aux centaines déjà parus
lance un appel feutré à la fin du voyage.
On le reprend à trois heures du matin
ou le dimanche soir quand le spleen s'installe.
On n'en finit jamais de sculpter la façade.

 

                                            *

Et pourtant l'émotion jaillit de nos faiblesses.
La colombe à l'envers dans les vitraux de Chartres
nous dit la dimension humaine du chef d'oeuvre.
Un vers boiteux chez Francis Jammes
trouble mieux qu'un parfait Racine.
La poésie n'est jamais sûre
de franchir la porte secrète.
Avec elle c'est comme avec Dieu
on paie très cher les certitudes.

                               (suite inédite)
 




L’arbre aux poètes

 

Les poètes
                  -- pauvres rameaux –
sont bien malades
sur leurs branches.

Même les oiseaux leur préfèrent
la compagnie des singes
et le jacassement
continu des bécasses.

A chaque coup de vent
l'un d'eux tombe de l'arbre ;
ça fait un bruit de feuille
les jours d'enterrement.

A peine si l'on voit
frissonner les fougères.

 

 

  paru dans le mensuel "Aujourd'hui Poème", n° 25, 2001