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Julieta Lopérgolo

 Introduction et traduction par Miguel Ángel Real

Julieta Lopérgolo écrit une poésie qui se rattache au quotidien, en cherchant un équilibre entre fragilité et espoir. Dans son recueil « Más lento que la noche » les êtres sont souvent en position d'observateurs, face à une nature qui nous appelle mais que nous ne savons pas toujours interpréter.

 

L'issue serait peut-être de s'identifier aux éléments, dans une recherche d'harmonie qui est tout de même problématique puisque la condition humaine semble avoir une tendance à l'interprétation erronée des signes qui nous parviennent, créant ainsi un climat de violence latente.

 

Nous ne cherchons pas des formes dans les nuages.

D'emblée nous y cherchons des animaux

énormes, dangereux.

Nous les faisons se battre,

se donner l'ultime coup

avant qu'ils abandonnent leur forme. 

 

Mais tout n'est pas synonyme de désespoir. L'observation simple de la neige ou de la pluie, si on arrive à se dégager de toute approche herméneutique, est la source d'une jouissance. Mais rien ne semble moins dur, car le problème reste donc, dans cette poésie très humaine, de trouver dans le monde une place d'observateur qui puisse nous permettre d'aller vers la symbiose, quitte à devenir parfois des « espions ».

 

Arrive en parallèle la question de notre positionnement par rapport aux autres, notamment en ce qui concerne le rôle du père, axe principal de « Para que exista una isla ». Le poète veut aller vers l'autre mais avoue succomber parfois à la force des mots, aux poèmes qui raisonnent à voix haute.  C'est alors que la lumière surgit tel un antidote devant nos peurs et notre lâcheté pour faire face au monde et à la douleur de ceux qu'on a perdus. Malgré la solitude et le vide dans lesquels nous laisse l'absence des êtres chers, et surtout malgré le poids du silence, on réclame une beauté nouvelle et profonde.

 

Festival de Poesía en la Escuela 2020 Reconquista.

La poésie de Julieta Lopérgolo s'inscrit aussi dans le regret des paroles non dites, qui auraient été essentielles pour retrouver une certaine forme de paix représentée par une île personnelle, intime, qui reste à construire ; on doit donc survivre en dépassant la nostalgie, les regrets et par dessus tout un questionnement perpétuel qui semble inhérent à sa sensibilité car elle affirme, en effet, écrire « pour vivre dans les questions », en évitant tout de même toute sorte de manichéisme et en luttant en permanence pour que le langage nous apporte le nécessaire pour continuer à vivre.

 

 Afuera,

por donde se camina, 

los chicos corren, 

pasean animales, 

vuela la poca basura, 

hay un charco con flores. 

Apenas brillan. 

Nadie pisa las cabezas de las flores.

Hay cierta admiración por lo estancado, 

cierta piedad en la belleza. 

 

 

∗∗∗

 

No viene una palabra a comparecer, 

un latido, 

una excusa. 

Nada. 

No hay perdón 

para lo que no se comete. 

El perdón es del tiempo 

que clava estacas 

en la carne de los días. 

 

 

∗∗∗

 

Soñé con cadáveres de pájaros 

todavía calientes, 

raíces de árboles porfiados. 

Una maleza crece 

constante como la sangre. 

Los restos de la infancia 

con los hermanos jóvenes, 

la casa demolida 

y todo ese yuyal 

que guarda nuestros gritos. 

¿Quién no acuchillaría 

esas voces ahogadas? 

Si no me acerco, suenan 

como animales que duermen 

en túneles profundos. 

Si me detengo, vienen. 

Si las espero, se apagan. 

La desesperación se parece a un campo

arrasado de gritos.

 

Dehors,

là où l'on marche,

les garçons courent,

ils promènent leurs animaux,

quelques déchets s'envolent,

il y a une flaque avec des fleurs.

Elles brillent à peine.

Personne ne marche sur les têtes des fleurs.

Il y a une certaine admiration pour ce qui stagne,

une certaine piété dans la beauté.

 

 

∗∗∗

 

Aucun mot ne vient comparaître,

aucun battement,

aucune excuse.

Rien.

Il n'y a pas de pardon

pour ce qu'on ne commet pas.

Le pardon c'est le temps

qui enfonce des pieux

dans la chair des jours.

 

 

∗∗∗

 

J'ai rêvé de cadavres d'oiseaux

encore chauds,

de racines d'arbres obstinés.

Des broussailles poussent

constantes comme le sang.

Les restes de l'enfance

avec les frères plus jeunes,

la maison démolie

et toutes ces mauvaises herbes

qui gardent nos cris.

Qui ne poignarderait pas

ces voix étouffées ?

Si je ne m'en rapproche pas, elles résonnent

comme des animaux qui dorment

dans de profonds tunnels .

Si je m'arrête, elles viennent.

Si je les attends, elles s'éteignent.

Le désespoir ressemble à un champ

dévasté par les cris.

De “Más lento que la noche”

 

Hilanderia, "TODA Santa Fe" vidéo.

 

He decidido perdonar

la muerte de mi padre

cuando suceda.

Lo que extraño

no tiene nombre,

no existe.

Aún no sucede.

Sin embargo,

con qué amabilidad

ronda

a veces

lo imperdonable.

∗∗∗

 

En el camino de la sangre

que pasa de hijo a padre

falto.

Se adormece mi sangre,

inútil por lejana,

temblorosa,

se esconde.

¿Qué es lo que pasa

en ese tránsito?

¿Qué de la devoción,

la impotencia

y los ruegos?

El hijo se cura

del peligro de pensar

en un lenguaje que le quite

la palabra padre.

El hijo dona su temor

como un premio.

Lleva tranquilidad

al padre silencioso

tendido en una cama larga

como el temor altivo

de su ausencia.

 

 

 

J'ai décide de pardonner

la mort de mon père

quand elle arrivera.

Ce qui me manque

n'a pas de nom,

n'existe pas.

N'arrive pas encore.

Pourtant,

avec quelle amabilité

rôde

parfois

l'impardonnable.

∗∗∗

 

Sur le chemin du sang

qui passe du fils vers le père

je manque.

Mon sang s'endort,

inutile car lointain,

frissonnant

il se cache.

Que se passe-t-il

lors de cette transition ?

Qu'en est-il de la dévotion,

de l'impuissance

et des prières ?

Le fils se soigne

du danger de penser

à un langage qui lui enlève

le mot père.

Le fils donne ses craintes

comme un prix.

Il apporte de la tranquillité

au père silencieux

allongé sur un lit long

comme la crainte hautaine

de son absence.

Julieta Lopérgolo, le 31/07/20, Sobertanga XI Edicion Virtual.

 

Te hablo.

Apuesto a que mis palabras

te despierten,

se ablanden dentro de tu cuerpo,

pacifiquen el aire,

el líquido que infla tu sueño.

Te hablo

y cuando me voy no quiero

ni una sola de las palabras que te dije.

Imagino que flotan protectoras

a tu alrededor,

vendadas con suspiros.

Son fuerzas delicadas,

salmos entonando tu nombre

a la altura de mi corazón.

Todo intento es pequeño.

Así imagino yo

que te defiendo

con un ejército de palabras.

Lejos

una paz aparece.

∗∗∗

 

Un padre que se muere

limpia antes el jardín,

separa las ramas secas,

la hojarasca,

quema la oscuridad,

los restos de animales,

descarga tierra nueva

sobre la tierra pisoteada,

divide el polvo

que concentra la luz.

Una hija repite

la palabra nunca

mientras poda.

Se hace la idea de un desierto.

 

Je te parle.

Je parie que mes paroles

vont te réveiller,

ramollir dans ton corps,

pacifier l'air,

le liquide qui enfle ton rêve.

Je te parle

et quand je m'en vais je ne veux pas

un seul mot parmi ceux que je t'ai dits.

J'imagine qu'ils flottent, protecteurs

autour de toi,

bandées par des soupirs.

Ce sont des forces délicates,

des psaumes qui chantent ton nom

à la hauteur de mon cœur.

Tout tentative est petite.

C'est ainsi que j'imagine

que je te défends

avec une armée de paroles.

Au loin

une paix apparaît.

∗∗∗

 

Un père qui meurt

nettoie avant le jardin,

écarte les branches sèches,

le feuilles mortes,

il brûle l'obscurité,

les restes d'animaux,

il décharge la terre nouvelle

sur la terre piétinée,

il fend la poussière

qui concentre la lumière.

Une fille répète

le mot jamais

pendant qu'elle élague.

Elle a en tête un désert.

 

 De “Para que exista esa isla”

Présentation de l’auteur

Julieta Lopérgolo

Julieta Lopérgolo (Rosario, Argentine, 1973). Diplômée en Lettres et en psychologie. En 2018 elle publie  son recueil Para que exista esa isla, et en 2019 Más lento que la noche, tous les deux chez les éditions Postales Japonesas. En 2020 est paru Agua de pozo (Editions Arroyo). Pero en el aire, qui paraîtra bientôt, a gagné le 3e Prix du concours du  Fondo Nacional de las Artes 2019 (Argentine). Quelques poèmes de Para que exista esa isla ont été traduits à l'italien par  Alessio Brandolini et publiés dans la revue online Fili d’aquilone (54 – Fiabe y Follia). Elle réside depuis 2017 à Montevideo, où elle travaille comme psychanaliste. Elle travaille aux activités de l'Ecole Lacanienne de Psychanalyse. Elle coordonne avec  Mayra Nebril l'Atelier expérimental d'Ecritures psychoanalytiques à Montevideo.

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