Marie Roumégas, Premiers espaces, Liliane Giraudon, Pot pourri

Marie Roumégas et le silence de l'île

Marie Romégas dépeint une île sans nom, évoquant la Crète ou la Corse. Le soleil, la terre rouge et les maisons chaulées incarnent la dureté insulaire des paysages méditerranéens à travers des scènes simples et puissantes. Bien plus que derrière un objectif photographique une telle poète interroge l’imprévisible, l’improbable activés par le double désir : voir et ne pas voir. Voir enfin ce qui ne se voit pas d’emblée, pas à pas, saisir ce qui s’organise contre ce qu’il y a d’inique sous la loi qui préside à l’absence de vie. Ici l'île devient première : y voir par où ça passe où nous croyons que le monde s’engendre.

D’où ici le commencement, le recommencement, la déliaison, le dé-lire au sein de reliefs peu à peu étrangers dans leur familiarité pour lecteurs et lectrices au prix d’une incessante variation ou fuite. Pas d’événement dans les photographies (Marie R omégas ne fait pas le coup du thème ou du motif : juste des fragments de langue, fragments compacts luttant contre la décomposition ; fragments refaits de clichés retournés, d’images reprises, de mots retenus sous occlusion intestine.

Alors, peut-on parler de déroulement, de dépliement, de levée, de sortie pour reprendre ce qu’écrivait Kafka « le lieu de ma naissance », bref à ce qui fixe, qui fait référence. Écrire revient donc à instruire son propre procès dans une suite de visions, de figures de destin et de mémoire forcée de la langue que ton l'œuvre réactive sans fin.

Écrire l'île c'et donc tenter de se déplacer, faire un pas, exister comme effet du déjà initié dès de lieu. où l'auteure reconstruit des fresques afin de savoir comment c'était avant dans une telle archéologie du savoir. Des traces vibrent d'un bourdonnement d'insectes mais d'insectes qui ne disparaîtraient pas lorsque la lampe s'éteint.

Marie Roumégas, Premiers espaces, Unes Editions, Nice, 96 p., 17 €.

L’artiste du haut de la montagne - où elle s’est sans doute retirée - cherche savoir comment c’était le passé. Elle en suit les traces, reprendre à partir de là. Voici après tout un drôle d’endroit pour une rencontre mais qu’importe. Transferts, rattachements. Mais isolations idem. Dégustation en silence de mouvements qui reviennent, liés à un essieu du temps.

Réunies en scansion les poèmes forment un tour de l'île. Ils inscrivent des légendes en nous de toute sorte de toute confluence où nous ne devenons des insectes fous emportés dans ses tourbillons farouches. Nul peut dire si nous sommes alors avant après la ruine :  nous regardons c'est tout. Mais chaque image reste imprimée sur la rétine par les mots. En conséquence les poèmes sont turbulents, flotte sur l'île. Tout semble stable mais rien ne sera stable et fixe en nous. Puisque, à l'inverse de l'île, rien ne l’a jamais été et l’être ne possède pas de fond.  Mais ici les textes multiplient les images quasi premières  et dans le genre c'est bien.

 

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Liliane Giraudon et son road-mots-vie

Le titre Pot-pourri  malgré son acception s’’apparente, de lie, s’agrippe au genre de la poésie et sans le moindre doute possible. Toutes les sections du livre touchent directement au poème. Er l’auteure de nous aider : « C’est quoi la poésie ? On la fait avec quoi en dehors des mots ? Ça vient d’où ? Ça traverse quel corps ? Avec des retouches, des morceaux de poèmes morts, des laissés pour compte. »

Liliane Giraudon construit une conversation avec sa poésie, son temps et en toute liberté de manœuvre. Elle revient en arrière, retrouve les traces du travail de ses poèmes – exécutions, réussites, échecs. De plus un falbala   d’archives (pages de cahiers, dessins, collages, scénarios de films non tournés, morceaux de théâtre injouables, projets abandonnés) oriente avec émotion et humour vers ses derniers travaux aboutis.

Le livre construit de fait pour Liliane Giraudon le cursus de son autobiographie et de sa poésie. Les deux sont inséparables à la question « comment habiter le monde ? ». Et ses corpus livresques deviennent le réceptacle de traces qui, écrit-elle, s’agencent, « poursuivant la traque fantôme d’une forme-mouvement appelée poème. »

Sa poétique est à l’inverse du surréalisme. Tout est, au contraire, chez elle existentialiste. Qu’importe si parfois les escaliers d’un poème  montent vers un « No Exit ». Mais ses poèmes sont plus des pièces que  des cellules d’un perpétuel huis clos . Et chez elle il n’existe personne à blâmer ( sinon elle-même avec un poil voire une coupe  de  lucidité). Son travail est donc une ascèse et son œuvre rappelle parfois la sourde menace et la vulnérabilité. Dans ce but elle a multiplié les cellules souches plus que mères pour rêver d’harmonie et de paix contre  chaos et  zizanie.

Liliane Giraudon, Pot pourri, P.O.L  éditeur, 2025,  152 p., 20 €.

Saluons aussi une de ses qualités parfois superfétatoires :  Liliane Giraudon ne joue pas les “malines”, ne reste jamais en postures figées. Elle cherche - par différents agencements, dont le dessin lui-même - libérer son esprit. Indulgente pour les Don Juan elle refuse le faux-semblant et le bellâtre. Certes pour elle le geste d’écrire ne suffit pas. Ce qui compte demeure le résultat.

Son livre rappelle enfin que créer reste un acte pas une théorie. C’est une dérive voire une « pathologie sublime » quand ses mots tatouent la béance et le plein. Le tout à la suite de son et de ses temps en ses textes pliés, dépliés, parfois troués, torturés, déchirés, tournés sur eux-mêmes en nœuds de résistance, reprise, répétition, rupture. L’objectif est de sortir parfois de tout effet de réel pour creuser l’énigme, le mystérieux.  Sa poésie est donc Road-mot-vie avec parfois une  belle complicité du mensonge mais pour refuser d’exhiber son leurre.

Reste chez elle la pulsion, la force d’affect, la fragilité des femmes spiralées. Pour Liliane Giraudon la vie est une grotte. Une telle ex-petite fille devient derviche en avers, revers, évocation plus qu’exposition là où dans ce texte, la documentation est accessible sous laquelle se cache une robe rose mais sans faire tapisserie. Une araignée dans sa tête tisse sa toile. Ici l’eau bout et l’au bout aussi chez celle qui dans son agressive douceur devient la sainte diablesse dont le bât blesse. Vampire au besoin elle ne suce pas mais crache son venin, sa puissance

Sans pathos, juste avec le symbolisme de l’élan vital jamais  faire pleurer margot elle dit adieu à la petite fille en elle et veut toujours savoir comment les choses fonctionnent. Aussi bien les étoiles que le corps. D’où son intérêt pour les particules élémentaires et leurs articulations. Afin aussi que sa curiosité vis à vis de ce qui est érotique et sexuel ce qui n’enlève rien à son intellectualisme et mécanisme d’attraction. L’œuvre est avant tout un travail de découvrement, d’investigation contre l’ignorance et la superstition.

Chez elle la poésie est donc connaissance sans parler de sublimation, qui ne reste souvent qu’une habileté. Liliane Giraudon   ne manque ni d’arrogance, ni d’ambition. Elle s’affirme indépendante et affranchie. D’un côté la sans peur, de l’autre (la coupable) qui tremble. Sans doute elle se sens très bien comme ça. D’autant qu’elle sait ce qu’elle vaut :  raisonnable   intelligente et “dérangée” (qui la rend plus riche). N’est-ce pas tout compte fait la meilleure définition de la poésie ?

Ce qui est important pour une telle auteure n’est pas l’origine de la motivation de son travail mais la façon dont elle est parvenue à vivre avec. Les deux sont inséparables. Sa tache reste de se concentrer son travail par tissage d’une toile afin d’accéder à son œuvre. Elle sait jusqu’où, à travers elle, elle on peut aller. Son travail reste guidé par une seule limite : ne pas se déposséder. Passer – au besoin – à côté de la vie mais pas à côté à côté du sujet. C’est prétentieux sans doute mais elle le sait parce qu’elle est modelée par ce qui lui résiste et aussi par ce à quoi elle résiste.

A noter :  Le Centre international de poésie Marseille (Cipm) consacre une grande exposition à Liliane Giraudon à partir du 20 septembre 2025.

Présentation de l’auteur

Marie Roumegas

Marie Roumégas est née en 2003 à Nicosie (Chypre), et a grandi entre Chypre, la Corse et la Crète. Elle poursuit des études en Arts et Littérature à l'Ecole normale supérieure, et en musicologie au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Elle s'intéresse aux relations entre littérature et musique et travaille sur la résurgence de textes médiévaux dans l'opéra contemporain.

Bibliographie 

Premiers espaces est son premier livre.

Poèmes choisis

Autres lectures

Présentation de l’auteur

Liliane Giraudon

Liliane Giraudon est une femme de lettres française, née le . Depuis plusieurs années, elle habite à Marseille. Ses œuvres sont essentiellement composées à partir d'une écriture poétique et prosodique. Parmi elles, on trouve des lectures publiques[1], des adaptations de textes pour le théâtre, une écriture collective et de la traduction. Plus tard, elle devient co-créatrice et co-directrice de nombreuses revues poétiques. Elle développe également un attrait pour le dessin numérique.

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Bibliographie

  • Têtes ravagées : une fresque, Nîmes, La Répétition,
  • Je marche ou je m’endors, Paris, Hachette/P.O.L, , 151 p. (ISBN 978-2-01-008089-0)
  • La Réserve, Paris, P.O.L, , 154 p. (ISBN 978-2-86744-029-8)
  • Quel jour sommes-nous ?, Nœux-les-Mines, Éditions Ecbolade, , avec un polaroïd de l’auteur
  • La Nuit, Paris, P.O.L, , 80 p. (ISBN 978-2-86744-073-1)
  • V, La Souterraine, Éditions la Main courante, , 6 vignettes de N. Balestrini
  • Divagation des chiens, Paris, P.O.L, , 179 p. (ISBN 978-2-86744-123-3)
  • Pallaksch, Pallaksch, Paris, P.O.L, 1990, 123 p. (ISBN 978-2-86744-181-3), prix Maupassant 1990
  • Fur : nouvelles, Paris, P.O.L, , 106 p. (ISBN 978-2-86744-295-7)
  • Les animaux font toujours l’amour de la même manière, Paris, P.O.L, , 119 p. (ISBN 978-2-86744-469-2)
  • Parking des filles, Paris, P.O.L, , 154 p. (ISBN 978-2-86744-621-4)
  • Anne n’est pas Suzanne, La Souterraine, Éditions la Main courante, , 25 p. (ISBN 978-2-905280-83-1)
  • Homobiographie, Paris, Éditions Farrago, , 63 p. (ISBN 978-2-84490-024-1)
  • Sker : homobiographie, Paris, P.O.L, , 138 p. (ISBN 978-2-86744-888-1)
  • La Fiancée de Mahkno, Paris, P.O.L, , 160 p. (ISBN 978-2-86744-997-0)
  • L’Onanisme d’Hamlet, Clamart, France, Les Cahiers de la Seine, , 20 p.
  • Carnet de nuit à Reykjavik, Marseille, France, Éditions Fidel Anthelme X,
  • Greffe de spectres, Paris, P.O.L, , 128 p. (ISBN 978-2-84682-079-0)
  • Les talibans n'aiment pas la fiction : carnet afghan, Paris, Éditions Inventaire-Invention, , 40 p. (ISBN 978-2-914412-42-1)
  • Mes bien-aimé(e)s, Paris, dessins de Christophe Chemin, Éditions Inventaire-Invention, , 104 p. (ISBN 978-2-914412-61-2)
  • La Poétesse : homobiographie, Paris, P.O.L, , 128 p. (ISBN 978-2-84682-302-9)
  • Biogres. Montaigne, Montesquieu, Mauriac, Coutras/ Bordeaux, coéd. Permanences de la littérature/Centre François Mauriac de Malagar, , 58 p. (ISBN 978-2-9535520-0-3)
  • La Vraie Vie d'Angeline Chabert, Barjols, éditions Plaine Page, , 8 p. (ISBN 978-2-910775-23-0 et 2-910775-23-2)
  • L'Omelette rouge : mélodrame, Paris, P.O.L, , 112 p. (ISBN 978-2-8180-1361-8)
  • Les Pénétrables, Paris, P.O.L, 2012, 620 p. (ISBN 978-2-8180-1646-6)
  • Madame Himself, Paris, P.O.L, 2013, 96 p. (ISBN 978-2-8180-1906-1)
  • La sphinge mange cru, images de Fabienne Létang, Marseille, Éditions Al Dante, 2013, 43 p. (ISBN 978-2-84761-781-8)
  • Le Garçon cousu, Paris, P.O.L, 2014, 120 p. (ISBN 978-2-8180-2159-0), Prix Maïse Ploquin-Caunan 2015 de l’Académie française
  • L’amour est plus froid que le lac, Paris, P.O.L, 2016, 112 p. (ISBN 978-28180-4123-9)
  • Le Travail de la viande, Paris, P.O.L, 2019
  • Polyphonie Penthésilée, Paris, P.O.L, 2021, 114 p. (ISBN 978-2-8180-5339-3)
  • Une femme morte n'écrit pas, Les presses du réel/Al Dante, 2023

Écriture collective

  • Some postcards about C.R.J. and other cards, Marseille, avec Jean-Jacques Viton, Éditions Spectres familiers, , livret boîte à rythmes
  • Malmousque, Ivry-sur-Seine, avec Fred Deluy, Action poétique/Parcelle,
  • Benjamin/Baudelaire/Marseille, avec Jean-Jacques Ceccarelli et P. Box, Cornaway,
  • Poème pour la main gauche, La Souterraine, avec Jean-Jacques Viton, Éditions la Main courante, , 15 p.(ISBN 978-2-913919-00-6)
  • Marquise vos beaux yeux, Lyon, avec Michelle Grangaud, Josée Lapeyrère, Anne Portugal, Éditions le Bleu du ciel, , 122 p. (ISBN 978-2-915232-25-7)
  • Pour Walter Benjamin, avec Jean-Jacques Ceccarelli, in Les Yeux Fertiles, Suite Paul Eluard depuis 1989, collection du MAC/VAL Musée d'art contemporain du Val de Marne, Philippe Moncel, éditions cercle d'art, Paris, 2005
  • Vous mettrez ça sur la note, Marseille, avec Bernard Plasse et Jean-Jacques Viton, Éditions Diem Perdidi, , 85 p.(ISBN 978-2-9534544-0-6)
  • A3, Ivry-sur-Seine, avec Fred Deluy et Jean-Jacques Viton, Action poétique, , 64 p. (ISBN 978-2-85463-194-4)
  • Histoire d'ail[6], avec Xavier Girard, Paris, éditions Argol, 2013 (ISBN 978-2-915978-86-5)

Théâtre

  • ACTE Vegas, transposition de La Mouette de Tchekhov, 2010

Collectif

  • Collectif, Écrire mai 68, 2008 (ISBN 978-2-915978-36-0)

Poèmes choisis

Autres lectures