Claude Favre, Thermos fêlé

 Un thermos est une bouteille isotherme dont la fonction la plus répandue est de conserver la chaleur d'un liquide (café, thé). Dès lors, le titre du dernier livre de Claude Favre, Thermos fêlé, nous fait songer à une déperdition, une porosité, aussi à un fonctionnement défectueux : quelque chose à réparer en même temps que difficilement réparable. La citation de Lorca en exergue, Est-ce qu'un homme peut jamais cesser de l'être ?, est précédée d'une dédicace :

À ceux qui, sans nom, sans toit, sans paix, sans soins,sous les coups de la douleur,  du froid, de la faim, du mépris, des oublis, de la haine, du feu, la lâcheté des pierres, des bombes, des oublis, des silences et des cris, des oublis, à ceux qui regardent le monde, entendent les cris du monde et la peur, la peur, l'intolérance, l'obus des oublis recueillent violence sans nom se recroquevillent, et meurent

 

Claude Favre, Thermos fêlé, Éditions L'herbe qui tremble, 2023, 66 pages, 15 €.

On voit d'emblée de qui il s'agit et le mot oubli quatre fois répété annonce que le livre s'emploiera à le conjurer. Il prend la forme d'une sorte de journal, chaque page datée, du lundi 29 décembre jusqu'au jeudi 19 mars (avec des jours absents après le 21 janvier). Journal qui peut-être à la fois intime, je lis « Moujik moujik » de Sophie G. Lucas (l'auteur de cet article le recommande également), et de compte-rendu d'actualités, comme il est convenu de les nommer. Tout cela est entremêlé ; or, on ne saurait réduire le livre à cet entrelacs, il faut en dire d'une part l'empathie et la colère sourde qui tissent ces pages, d'autre part le formidable travail de la langue qui par son architecture en hoquets incarne les brisures des êtres pris dans les situations qu'elle évoque qui sont aussi celles de l'auteure. Claude Favre est une habituée des lectures-performances. Elle a notamment travaillé avec le musicien Dominique Pifarély. Pour qui connaît le violoniste — je pense à sa participation au quintette de Louis Sclavis ou encore avec le groupe Next du saxophoniste François Corneloup — qui sait, donc, l'importance de ce jazzman sur la scène française contemporaine, saura du même coup que l'écriture de Claude Favre est faite de ces métissages, ces ruptures, ces lignes mélodiques interrompues, distordues, reprises et développées.

 

mercredi 18 février, andiamo, quelques années déjà autres
vie à l'os, gaie tout de même souvent, pour liberté choisie
dans la colère heurtée, colère dans ma besace, jusqu'où
L'Insee évalue à 112 000 le nombre de, personnes sans
domicile dont 31 000 enfants, ce qui dit plus dans la douleur
augmentation de 44 % entre 2001 et 2012
au même moment des migrants touchent terre
c'est le mot, dont une cinquantaine d'enfants
certains même naissent dans la traversée
de Syrie, répartis en Toscane, Sicile, sans famille, sans
espoir, que faire de l'amour, l'urgence

 

Que faire de l'amour ? C'est cet amour pour l'autre et son impuissance à changer les choses qui irrigue les vers de Claude Favre, qu'il s'agisse de la misère « ordinaire » de chez nous, 6 personnes / en quelques jours mortes en France / d'hypothermie, 6 retrouvées, pour combien, cette misère dont Claude Favre est très avertie, le mot ne dit pas ce que ressent un père avec son fils / dans un garage abandonné, ou ma mère à l'école, qui / voulait apprendre / désignée par un mot qui tue / indigente, ou la misère extrême plus lointaine géographiquement, mais si proche dans le cœur de Claude Favre, les Français déprimés / compulsifs, quand à Port-au-Prince chaque geste, altier est de la vie aller chercher l'eau. Que faire de l'amour ? Comment éradique la haine de l'autre ? Ces mots écrits après l'attentat contre Charlie Hebdo :

 

dimanche 11 janvier, éloignée je suis des vôtres
conjurer le chagrin conjurer le chagrin
marcher, marcher avec des morts travers avancer
avec sa petite mal langue à soi qui aux autres, doit
marcher, à Paris, cette puissance du non
ce n'est pas vivre que perdre sa part d'humanité
mort aux arabes écrit en breton, mort aux juifs
dans tant de bouches ici et encore, ici et encore
qu'est-ce qu'un slogan, ce mot gaëlique
qui signifie cri de guerre
et qu'en penserait Abdelwahab Meddeb ?

 

 J'ai eu la chance d'assister à un débat œcuménique auquel participait le poète et essayiste, spécialiste du soufisme. Il a toujours dénoncé l'intégrisme et appelé à une réforme de l'Islam.

 Ce livre est un plaidoyer, formule que l'on a coutume d'employer, contre l'injustice, l'intolérance, avec cette dénonciation de notre indifférence et de nos petits soucis dérisoires :

 

[…] la haine contre la présence, l'irresponsabilité dit-on, françaises
on brûle des effigies du président de la France au Pakistan
et c'est Sarkozy, c'est dire notre différente temporalité
à Grozny éclatent des manifestations obligées téléguidées
au Niger il y a 45 églises brûlées, et dedans, des morts
à Ploucville on espère il n'y aura pas de vent

 

Tribut également rendu à celles et ceux qui comptent, qui se dressent :

 

les poètes, les hommes pour qui dire c'est / faire c'est dire n'est-ce, Nasreen, Rushdie, Djaout et cætera, soulever traces, des autres quand le mot blasphème est / un mot en langues, terrain commun de la haine l'assignation / perdre les siennes, tracer plus haut, sans peur vouloir, danser

 

J'ai dit l'écriture particulière de Claude Favre, les extraits que j'ai donnés montrent un aperçu de cette langue, tendue, vibrante d'une auteure qu'il faut suivre. Pour conclure à propos de ce beau livre, accompagné de peintures de Jean Dalemans, je citerai ce long vers, isolé sur une page :

 

un peu comme un thermos fêlé — impeccable intérieurement, mais dedans rien que du verre brisé

 

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Richard Rognet, Dans un nid de flammes

 Rognet emprunte son titre à un vers de Rimbaud dans son poème Nuit de l'Enfer : Extase, cauchemar, sommeil dans un nid de flammes. D'ailleurs, il le signale dans une note en fin de livre et précise : Ainsi, je me rapproche de Rimbaud, comme j'ose penser qu'il le fait pour moi, me signalant où je puis le retrouver, le rejoindre, au sein d'embrassades drues, de frôlements émus, au point que ce qui est à l'un est aussi intemporellement à l'autre.

Il s'agit en effet de frôlements, plus que de références directes, une parenté que ressent peut-être plus l'auteur que ne le fera le lecteur. Formellement d'abord : point de poème en prose comme pour Une saison en Enfer, mais des poèmes rimés (quelques exceptions à l'intérieur de certaines strophes), tous construits sur le même modèle : sept quatrains pentasyllabiques.

Une horrible crasse
couvre les maisons,
je sais les grimaces
qui donnent raison

aux mensonges flous
qui dressent des piques
sous nos chants épiques
immensément fous,

je vais de guingois,
frileux, maladroit,
j'ai l'allure sotte
d'un jour lourd de flotte,

pourquoi contempler
ma misère nue ?
Vaut-elle une nue
jalouse des blés ?

Je ne comprends rien
au couloir sonore
où s'abat l'aurore
sur mes va-et-vient,

regarde ! me dis-je,
ton chemin vaincu,
a-t-il jamais su
où pousse une tige ?

où le vent se colle
à la boue des routes ?
suivant ta déroute
entre les deux pôles.

Et c'est là le deuxième différence : on est loin des fulgurances hallucinées de Rimbaud., aussi du style impeccable de ses poèmes en vers : je vais de guingois, / frileux, maladroit, / j'ai l'allure sotte / d'un jour lourd de flotte ne résiste pas à la comparaison avec : Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache / Noire et froide où vers le crépuscule embaumé / Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche / Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Certes, de légers clins d’œil renvoient à l'homme aux semelles de vent mais sans éclat : il me précéda / partout dans le monde, / ô ma triste ronde, / mes pieds dans le plat ! // dans ses yeux trop bleus / aucune voyelle / ne comprit le feu / qui rampait sous elle. Mais il ne suffit pas d'écrire Mon Rimbe, mon beau, ni pissotière, odeurs, faisant sans doute référence à ces vers On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe, / Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été / Surtout, vaincu, stupide, il était entêté / À se renfermer dans la fraîcheur des latrines, extraits du poème Les poètes de sept ans pour égaler la façon incisive et ciselée du garnement sublime, comme le surnommait Mallarmé. Rimbaud écrit dans son poème en prose Vagabonds, extrait des Illuminations : Pitoyable frère ! Que d'atroces veillées je lui dus ! […] J'avais en effet, en toute sincérité d'esprit, pris l'engagement de le rendre à son état primitif de fils du soleil, — et nous errions, nourris du vin des cavernes et du biscuit de la route, moi pressé de trouver le lieu et la formule. Ce qui donne chez Richard Rognet : Feu, vagabond, frère, / à quoi rêves-tu ? / moi, ce que j'espère / ne sera pas tu, // le lieu, la formule / d'un fils du soleil, / voilà mon éveil / lorsque tout bascule

 

 Richard Rognet débute son poème, page 59, par : Je cours à tes trousses / car tu n'es pas mort

 Gageons qu'il peut courir longtemps...

Richard Rognet, Dans un nid de flammes, Éditions L'herbe qui tremble, 2023, 150 pages, 18 €.

 

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Lili Frikh, Un mot sans l’autre — dialogue avec Philippe Bouret

Attention, pas motus, et bouche décousue ! Un mot sans l’autre, paru chez Mars-A, est un livre fort, plus fort que le café le plus fort, mais en aucun cas fort de café. C'est un livre difficile à lire parce qu'il ne triche pas comme sait si bien le faire le genre humain entre autres en littérature et poésie.

Ac-couchée sur le divan du psychanalyste, mais aussi poète et écrivain, Philippe Bouret, Lili Frikh nous donne en un peu moins de cent pages les clés de compréhension qui ouvrent grandes les portes de ses travaux d'écriture et graphiques. Ici la confiserie poétique, cette perversité consumériste du système marchand, n'est pas de mise. Lili prévient : quand elle écrit c'est dans le vide. Il n'y a pas de chaise pas de table pas de papier pas de stylo...C'est aveugle. Et plus loin, lorsque sortant opportunément du retrait qu'il s'impose, Philippe Bouret pose la question écrire à partir de l'oralité ?elle précise : oui, j'écris à voix haute. Ecrire à voix haute, ce n'est pas lire ou relire à voix haute. J'écris avec la voix qui prononce, dans le souffle de l'oralité. Le passage de cette voix dans l'espace littéraire a été et reste une véritable traduction. Le papier fige la voix, l'embaume, le livre consacre sa mort, ou la renvoie dans la lecture performance où trop souvent la forme colonise le fond. Le livre est une amputation, un livre ça coupe, alors que parler, nous dit Lili, c'est pour tenir dans le vide, pas sur la page. Elle nous ramène au mystère de la création, ce viscéral besoin sans cause diagnostiquée de dépasser les normes, ces tue l'amour nécessaires dans toute leur effroyable dualité, parce que constate Philippe Bouret vous êtes plus une amoureuse qu'une artiste. Et l'artiste, surtout quand il se vend au genre contemporain en oubliant les mots perd pour Lili sa capacité de résistance et de souffrance ; l'obligation à verbaliser dans l'indicible, l'effondrement n'est pas plastique.

Lili Frikh, Un mot sans l'autre, Editions Mars-A, 15 euro.

Lili Frikh nous instruit de la jouissance de la voix d'avant les mots, fluide circulant dans.  l'espace du corps que la sortie en langue mortifie. Elle nous rappelle aussi la putasserie des créateurs de tendances qui vont faire un tour de bidonville pour détecter et s'emparer des trouvailles de la misère matérielle. Quand le fond humain est d'un côté et l'oeuvre de l'autre, le crime est parfait. Pour se guider, sur son chemin, l'auteure plaide pour le renouvellement de l'inconnu qui existe comme tel et fait partie de vivre, la plongée dans l'insoupçonné de nous-même car ça permet de laver les œuvres, et oui faut laver les œuvres pour qu'on ne les prenne plus pour des objets d'art. Il nous appartient de ne pas faire basculer les mots tout de suite dans la langue, ne pas les prostituer trop vite, les laisser parler avant de les égorger dans le miroir. 

Un mot sans l'autre est une œuvre de salubrité publique sur la misère d'écrire en poète. Le poète n'a jamais été celui qui veut être malheureux et crever de faim . La misère n'a jamais été une revendication, pas plus que la souffrance, seulement la conséquence d'une résistance. Pour changer la donne, il faudrait que le refus de, la liberté de, la résistance à , soient côtés en bourse. UN MOT SANS L'AUTRE est un cours de philosophie sans les afféteries absconses de trop de philosophes dont les antiennes séculaires n'ont rien corrigé de la nature humaine. Ainsi relève Lili Frikh, la déconstruction linguistique n'est chargée que de la part conceptuelle de la langue et passe totalement à côté du souffle analphabète qui traverse la totalité du langage et unit tous les mots de tous les pays de tous les hommes. Un mot sans l'autre est l'ouvrage indispensable pour comprendre comment échapper à la dictature du portrait sur la vérité du visage, savoir qui on est et où et coment on va en poésie. Enfin. Quand Rimbaud parlait de changer la vie, c'était pour plus de vie, pas pour moins de vie. Dont acte. 

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Valéry Zabdyr, Injures précédant un amour légendaire

Avec une colère rentrée, profonde et qui ne demande qu'à exploser, avec un agacement pathologique, une susceptibilité exacerbée, une allergie au bruit, aux odeurs et à la connerie, un narrateur bien ronchon traverse Paris. Il se heurte à la foule, aux couleurs, aux formes et chaque aspérité est inacceptable. Comme un sans abri aviné, il déverse un tombereau d'insultes, d'insanités, de grossièretés et d'éructations. Un inculte parlerait de syndrome de la Tourette, sauf que l'homme est archiconscient des énormités qu'il débite dans un flot ininterrompu.

Le lecteur, moi, vous, nous sommes face à un texte énorme et poétique de la veine de Gombrowicz, Bloy, Céline ou Vallès. C'est dire l'enjeu ! Le lecteur, moi, vous, nous sommes pris par l'inventivité et la musicalité, et nous finissons par nous approprier cette colère qui, peu à peu, nous apparaît légitime. D'ailleurs, qui, aujourd'hui, oserait accepter comme normales les pollutions sonores, les réflexes panurgiens d'une foule partout présente, la surproduction d'objets inutiles et, surtout, celle de livres insipides ? Cette déclamation terrible est une ode à la pensée qui n'existerait plus, une ode à un humain qui stupidement s'autodétruit, une ode à la poésie dans ce qu'elle a de plus pur et qu'il faudrait savoir recréer. Valéry Zabdyr prouve par son contraire que la beauté existe dans la fange.

"Quand je me lève, j’en dégueule, faces de rats trompés par des souris et mariés à des ragondins, vieux vikings vaincus par le confort des chaussures d’agents immobiliers, ô planètes étranges, inatteignables comme vos trous de balle odoriférants, salingues, corrompus, je me rue moins que je ne me tue en raison de votre salope saloperie de médiocrité. Un exterminateur, je veux être. Je me sens bien en uniforme, tirant au hasard, butant agneaux et pigeons humanoïdes. Le matin est atroce. La journée est ignoble. La soirée ne vaut rien."

Et, pour que la chose dite soit encore mieux comprise, Valéry Zabdyr l'illustre avec une enluminure du XVe siècle où il repère "nettement cet enculé de Gaston Phébus et cette brêle de Jean de Grailly charger les Jacques et les Parisiens, ces mouches à merde de la révolte qui tentent de prendre la forteresse du marché de Meaux où est retranchée la famille du Dauphin, le 9 juin 1358."

Valéry Zabdyr, Injures précédant un amour légendaire, Ed. Unicité, 2024, 110 pages, 14 €.

Si dans la première partie de ce petit roman, l'atroce est érigé en sublime, la seconde partie montre ce même narrateur dans un autre espace, un autre temps et donc une autre humeur. Brutalement, l'excès s'inverse et devient extase. Une face noire et une face blanche. De l'Enfer au Paradis. Le promeneur-narrateur, sorte de Dante sans Virgile, se défait de son allure de clochard. Il est en Bretagne et a rendez-vous avec Nathalie. Dans les prémices de la rencontre fatale, les tremblements, les doutes, les émois le rongent et le ravissent. Et ces sentiments semblent s'appuyer contre les collines, les ruelles, les murets ou la flèche tordue de la chapelle Saint-Gonery.

J’avais même pensé à l’immanquable et passionnante promenade au bord de la mer avec Nathalie, au dos si beau et musculeux de cette déjà bien-aimée ardente, que le sentier prolongeait intimement, oubliant jusqu’à l’insipide bêtise de la répétition des jours et des nuits, à quelques années-lumière des bagatelles de la vie sociale. J’avais envie de redevenir niais grâce à quoi le cynisme redeviendrait une école de pensée, ni plus ni moins.

Quel effet de balancier entraîne-t-il un même narrateur dans une telle binarité ? Comment peut-on passer d'un pessimisme cynique à une forme de vénération ? La réponse, le narrateur nous la donne : par la force d'un amour démesuré où l'objet du désir se fonde au paysage. Un amour fou dans un cadre idéal, idyllique.

J'avais envie de parler d’amour, du vrai amour, celui qui ne porte ni signe distinctif ni ironie littéraire. Je ne connaissais qu’un roman d’amour réussi, celui de Marcel Moreau, "Nous, amants au bonheur ne croyant...

Celui qui est capable de sonder aussi profondément l'humain a le droit et le pouvoir d'atteindre une sorte d'ivresse permanente, une béatitude terrestre, accrochée au ciel et à la mer. Et si Injures précédant un amour légendaire était unautre roman d’amour réussi ?

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Joël Gayraud et Virginia Tentindo, Les Tentations de la matière, Ocelles

Les Tentations de la matière
sur des sculptures de Virginia Tentindo

Vingt-quatre poèmes, le plus souvent brefs, pour autant de sculptures d’une artiste d’origine argentine, installée de longue date à Paris où elle possède son atelier. Les poèmes n’existeraient pas dans ce cas sans les sculptures, photographiées sur fond noir par Luc Joubert et reproduites dans un beau livre tel que les éditions Pierre Mainard savent les confectionner.

En Virginia Tentindo, née à Buenos-Aires en 1931, Joël Gayraud, traducteur, poète et essayiste voit à juste titre « une créatrice de première grandeur dans la constellation surréaliste des cinquante dernières années ». Pour ceux, si nombreux, qui ne la connaissent pas, nous recommandons de commencer par visionner le film réalisé par Fabrice Maze en 2011 (1). On y découvre une artiste et une œuvre puissante auquel le livre dont il est question ici ajoute les commentaires poétiques d’un maître dont les recueils sont publiés, chez José Corti, Libertalia, l’umbo, etc.

Virginia Tentindo façonne d’abord des petites figures en argile qui seront éventuellement agrandies et/ou non fondues dans le bronze ou sculptées dans le marbre en Toscane (où se trouve son autre atelier). Ses œuvres sont surréalistes sans faire penser pour autant aux artistes de la génération d’avant (comme Bellmer, etc.). Elle crée des chimères, des hommes dans des carapaces de tortues, des corps humains à tête d’animal. On verra dans le recueil une étrange sirène dont la queue est en réalité un énorme phallus. Le sexe et la mort sont partout présents avec de claires réminiscences de la civilisation Mochica (ou Moche) qui fleurit au Pérou entre le second et le septième siècle de notre ère. 

Joël Gayraud, Les Tentations de la matière – poèmes sur des sculptures de Virginia Tentindo, 21,4x27 cm, Nérac, Pierre Mainard, 2021, 62 p., 18 €.

Ainsi les deux figures des pages 26 et 34, toutes les deux au sexe dressé et dont les quatre membres sont réduits à des moignons, l’une à tête de singe, l’autre à tête de mort, sont-elles très directement inspirées d’une sculpture Mochica. V. Tentindo pratique également des emboîtements : le haut d’un crane peut être une assiette (p. 20), une tête de lionne sur un corps de femme peut se détacher pour révéler autre chose (p. 8), etc.

À propos de cette dernière sculpture, baptisée « La Lionne terre-lune » par l’artiste, une femme arc-boutée la poitrine en avant, dont les reins se prolongent en une longue queue qui se termine elle-même par deux courtes pattes et des fesses surmontées d’uns calotte amovible, J. Gayraud commence son poème ainsi :

Elle se dresse de toute la force de son désir
dans la savane des nuits et des jours
des jours enfuis comme le vent
emplis comme le verre à boire
perdus comme le hasard
échevelés comme les saturnales
Elle s’offre aux mille échos de son plaisir
dans la savane des jours et des nuits
des nuits claires comme le jour
[...]

Le poète laissant courir librement son imagination, le résultat peut nous paraître éloigné ou non de notre propre perception de l’œuvre mais ce n’est pas ce qui importe. Le but est bien de « faire poésie » à propos mais à côté de la sculpture, sans chercher à la copier. Néanmoins, dans ce cas, des vers comme « elle se dresse de toute la force de son désir » ou « elle s’offre aux mille échos de son plaisir » traduisent à la perfection l’attitude de la femme-lionne sortie des doigts de V. Tentindo.

La statue « Alice prend son pied » (p. 36) montre effectivement une femme qui prend dans sa main le pied d’une jambe démesurée qui traverse le toit de la maison dans laquelle elle se trouve acagnardée. Ici le poète joue avec toutes les expressions qui tournent autour du pied.

Oui elle jouit elle prend son pied
sans nous casser les pieds
ni faire des pieds et des mains
ni se prendre les pieds
dans le tapis volant
des grandes idées
mais en levant le pied
tout simplement
sans épine à tirer

Ailleurs, à propos, par exemple de la statue intitulée « La fiancée » (p. 48), soit un petite fille la bouche ouverte regardant vers le ciel, avec des seins minuscules mais néanmoins bien formés, assise sur un tabouret recouvert d’un voile d’où sort une tête de diable, le poème ne parle nullement de la sculpture mais se met à l’unisson de l’inspiration surréaliste de l’artiste avec des vers comme ceux-ci :

La fiancée est arrivée en sous-marin décapotable
véhicule idéal pour une créature amphibie
et les grands oiseaux blancs ont déroulé un tapis de guanox

On l’aura compris, ce recueil qui vaut aussi bien par ses illustrations que par les poèmes réserve autant de surprises du côté de celles-ci que de ceux-là.

∗∗∗

Ocelles
avec des dessins de Virginia Tentindo

 

Le propos est ici tout autre que dans le recueil précédent. Ocelles regroupe quarante-huit courts poèmes, le plus souvent de trois vers brefs, sans être pour autant d’authentiques haïkus, à l’instar de celui qui est reproduit sur la couverture :

Lèvres blanches
De la neige
Ne parlez pas

Une poésie minimaliste, donc, et la contribution de Virginia Tentindo est également minimale puisqu’elle se réduit au dessin de la couverture, repris sur la page-titre et dont un détail, le stylo couronné d’une plume (2), apparaît en trois endroits dans le corps de ce livre qu’on considérera peut-être avant tout comme un bel objet, au format inusité, imprimé sur un très beau papier Rives.

Il serait dommage, pourtant, de passer sans s’y arrêter sur les fulgurances de ces petits poèmes, par exemple celui-ci :

Épée de lumière
Dansant sur le fil
De la pensée

Neige, pluie, vent, nuages, grêle, givre, mer, vague, rivage, étang, roche, sable, arbre, olivier, feuilles, lumière, feu, étoiles, lune, éclipses, arc-en-ciel, l’inspiration est naturaliste. Des animaux sont présents, bête, aigles, épervier, lions, troupeaux et les organes du corps humain sont convoqués à plusieurs reprises, les lèvres, on l’a vu, mais aussi la tête, le visage, la joue, les cils, les mains, l’os, le sang ou les yeux, comme ici ceux de rochers troués par l’érosion :

Rochers déchirés
Yeux caves des falaises
Habités par la fièvres

Joël Gayraud, Ocelles – couverture et dessins de Virginia Tentindo, 19x28,5 cm, Toulouse, Collection de l’Umbo, 2014, 20 p. 15 euros (+ 3 euros pour les frais de port). Adresse pour les commandes : jeanpierreparaggio  @yahoo.fr.

Un érotisme discret surgit ça et là. Ainsi dans cette évocation du désir masculin :

Flèche de chair
Aiguisée
De ses désirs

Il y a bien des manières de poétiser. La plus brève, la plus discrète, n’est pas la moins délicieuse.

 

Notes 

(1) https://www.virginiatentindo.fr/films/minimes_innocences/

(2) Plume bien pourvue de son « ocelle » !

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Luce Guilbaud, La perte que j’habite

Arasé. Tel est le premier mot qui m’est venu à la lecture de La perte que j’habite : écrit à ras du langage. C’est la mort qui veut cela. Face à la disparition, rien n’apparait plus – sinon le rien de la mort de l’être aimé avec qui on avait fait la vie.

Plus d’un poème décrit le monde tel qu’on le voit désormais, dans sa platitude : il est devenu muet. C’est que

jamais ne sera rendu
      l’éclat des lucioles dans la chambre ni
      le regard qui me disait vivante.

En même temps, quelque chose veut persister. Pour lui, pour soi.

je ranime le feu
avec mon souffle de vivante
c’est la flamme qui danse

Luce Guilbaud, La perte que j’habite, les Cahiers du Loup bleu, éd. Les Lieux-Dits, 2023, 44 p., 7 €.

vite rabattue

et se prépare aux cendres
mais aucun feu plus jamais

On reste là, dans l’entre-deux, ni morte ni vivante. D’où le projet du poème annoncé d’entrée :

le poème voudrait penser
ce qui a été étouffé    étranglé
ce qui s’est éteint
ce qui s’est tu

Il s’agit pour Luce Guilbaud de penser cette perte où elle se perd, qu’elle habite alors que les mots l’abandonnent. Voilà ce que l’on va suivre à la trace de notre lecture : la résurgence du poète, lestée désormais d’une absence. Tel est son combat, c’est aussi le nôtre, ou le sera un jour. Avec cette difficulté :

ce que je cherche à voir
c’est sans doute ce que je fuis

Une recherche que l’on suit page après page, dans l’attente d’un dénouement qui ne viendra pas comme on l’attendait, parsemée de bonheurs d’écriture, comme : « celui qui part avec mes clés » ; « tenir ta main dans la terre remuée » ; « le printemps sera sans réponse »…

Dans son avancée, Luce Guilbaud convoque des poètes qui l’ont tenue, Marina Tsetaïeva, Georges Séféris, Roberto Juaroz, Pascal Quignard, c’est Aragon qui aura le dernier mot, clouant sur la dernière page du poème « le lieu de nous où toute chose se dénoue ».

Et pourtant, « le sourire est toujours sur le seuil » écrit Luce Guilbaud. Ce sourire qui éclaire si bien son visage, pour qui la connaît un peu. Le mot de la fin pourrait être

Sourire pour accompagner ton départ
Vers ce pays sans nom sans réveil sans rêve

qui est le lieu décrit par Aragon. À moins que nos pensées ne soient que vanité… ces pensées que le poème devait bâtir. Comme si vivre encore serait trahir le mort… alors que, dit le poète cité, Roberto Juaroz, « vivre commence toujours maintenant »

Cette plaquette est la cinquantième parution de la collection du Loup bleu, Sylvie Turpin l’a l’illustrée avec un animal bleu comme il se doit, au regard perçant, on dirait qu’il va bientôt détaler en dehors de la couverture. Lui aussi…

 

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Cécile A. Holdban, Premières à éclairer la nuit

Faire parler quinze femmes poètes du XXe siècle dans des lettres (imaginaires) adressées à des êtres chers : un projet original et surtout ambitieux que l’autrice, poète et peintre, Cécile A. Holdban a réalisé dans un livre qui nous fait traverser les plus grands drames du siècle passé.

« Elles furent les témoins des grands drames qui sont les marqueurs du XXe siècle », souligne d’emblée Cécile A. Holdan. Le nazisme pour les Allemandes Nelly Sachs et Gertrud Kolmar. Le stalinisme pour la Russe Anna Akhmatova. L’Apartheid pour la Sud-Africaine Ingrid Jonker. Le fondamentalisme islamisme (toujours d’actualité) pour l’Iranienne Forough Farroghzad … « Ce qui leur est commun » , ajoute Cécile A. Holdban, « c’est le besoin de transcender la vie par les mots, de ne pas accepter l’insupportable, de braver les habitudes, de porter le poids du destin.»

Mais pourquoi cet intérêt de l’autrice de ce livre pour ces femmes au destin souvent tragique (près de la moitié d’entre elles se suicideront) ? C’est « parce que ces poétesses ont été traversées par cet histoire dont j’ai hérité une part de mes grands-parents, que leur œuvre résonne en moi », explique Cécile A. Holdban (évoquant notamment une grand-mère maternelle née dans l’Autriche-Hongrie du siècle dernier).

Cécile A. Holdban, Premières à éclairer la nuit, Arléa, 240 pages, 21 euros.

Pour autant, en choisissant ces femmes écrivains, il ne s’agissait pas, pour elle, de faire un livre à connotation féministe. « Ce serait réducteur de parler d’une poésie féminine », convient-elle, même si le titre du livre, Premières à éclairer la nuit, entend bien souligner le rôle éminent joué par les femmes en ces périodes troublées.

Il ne s’agit pas non plus, ici, d’une biographie de ces femmes poètes, mais de récits de 8 à 10 pages, où « chacune de ces voix s’adresse, à la première personne du singulier, à un être cher ». L’Autrichienne Ingeborg Bachman s’adresse à Paul Celan, l’Américaine Sylvia Plath à son mari le poète anglais Ted Hughes, Nelly Sachs à Selma Lägerlof, la Russe Marina Tsvetaieva à sa sœur cadette, la Finlandaise Edith Södergran également à sa sœur…

L’originalité du texte de Cécile A. Holdban est d’avoir incorporé dans son récit des passages en italique qui sont extraits des poèmes, journaux ou correspondances de ces quinze femmes. Ainsi quand l’Allemande Gertrud Kolmar s’adresse à sa sœur Hilde Wenzel, on peut lire : « Les persécutions dont nous étions victimes semblaient ne pas devoir connaître de fin (…) Je me disais : je vais mourir comme meurent la plupart, le râteau passera au travers de cette vie et mettra mon nom en copeaux dans la glèbe ». Quand l’Italienne Antonia Pozzi évoque son amour de la montagne à son ami Tullio Gadenz, poète et alpiniste, on peut lire : « Je me suis toujours représenté le paradis de Dante comme un refuge de montagne. Ici il est impossible de mourir. J’y ai connu les premiers émois de ma chair, dans une communion presque érotique avec la nature ». Et Cécile A. Holdban ajoute, en italique, ces mots recueillis dans l’œuvre de Pozzi. « Aujourd’hui, je me cambre nue dans la pureté du bain blanc, et je me cambrerai nue demain sur un lit, si quelqu’un me prend »

Tout est l’avenant dans ce livre en faisant cohabiter habilement des lettres imaginaires (mais fondées sur l’histoire) avec des textes authentiques de ces femmes poètes. Cécile A. Holdban nous révèle, par le fait même, sa profonde connaissance de la littérature féminine du XXe siècle. Elle éclaire pour nous le chemin qui a conduit ces femmes à l’écriture de poèmes pour pointer du doigt des drames absolus, mais aussi pour témoigner de leur amour et de la beauté du monde.

Présentation de l’auteur




Alain Brissiaud, Livres pauvres

La terre blanchie sous le pas
réprouve la trace laissée
air
l’air suffoque dans le paysage
comme aboiement le feu
dit l’ivresse tendue du retour

  

La terre cogne contre la porte
mais tu restes muet
de l’eau
l’eau des poussières inaudibles disent
l’improbable
tu sais cela

 

De la terre coule de tes yeux
dessinant une brèche
ligne
au fond du ciel
entachée

 

Terre immobile
bascule sous l’horizon
laisse venir
s’emparer des failles du langage
tes mains ne peuvent y parvenir
indécence

Me force à garder le visage ouvert
attentif
tenace comme la langue
la terre épouse le vent d’ici
où si peu de réalité

 

La terre marche sous ton pas
saisissant dialogue entre chemin
et
désir quand les mots
deviennent langue
alors l’espace a la taille de tes mains

 

La terre se penche
au chevet des pierres
surplomb improbable
discontinuité de la parole

 

Il y a une lecture de la terre
happée par le vent d’ici
failles et ruissellements
la façonnent

Reviens
reviens
terre d’encre
ultime tentative
mémoire bouche coupée
oubliée
qu’importe

 

Qui nous apporte un rêve
une tentation
sous l’ourlet de l’âme
abîmée
quelle chute pour cette
rédemption

  

Juste un regard
ivre
supplicié donne à voir
le désordre des choses
qui nous lient

  

Ce naufrage est une vapeur de feu
un frémissement de la peau
alors vient le silence
comme pierre sortie de
terre

  

Et nous prends
tout
brassée d’indulgences feintes
descendue des collines poussières
cailloux
innocence

 

Terre au souffle écorché
l’écho des apparences
noie la suie de tes yeux
délaye le souvenir
destructions et carnages
ce que l’on sait
ignorance

 

Ravins terre
meurtrie
talus     haies    broussailles
quand soudain muet
vient l’oubli

 

La terre qui se voit
archipel boueux
joliesse de ces moments
ensevelis

 

Terre improbable
tu cherches le repos
en vain
nue
elle est celle que tu ne vois pas

 

Alors
tu lèves ton regard
songe qui est un signe
où s’ensevelissent
les derniers incendies

demeurent les mots tombés à terre

 à rebours

Le poème est un ciel               

qui s’assombrit

en cours de route

Même décousu le poème

pousse au cœur de l’homme

avec une constance fiévreuse

Paroles de voix
sonnent et se souviennent
dessinent le chemin
vers toi
à la parole absente

viennent à mesure
de la marche
et buttent
sur la pierre
dans la vérité
de cet instant

il écrit
l’écriture du mot
ramassé accroupi
dans le souffle
effacé
il écrit

gratté
gommé
avec l’étoile du bâton
avec les ongles
en venir à bout

aujourd’hui ce silence
demain le cri
au-delà
un éboulement

Je feuillette l’album de photos de ma mère.
Ma grande soeur, Marie- Hélène paraît toujours fragile et Françoise la plus jeune, tellement espiègle.

Mon père pose debout, très droit, sérieux. Jamais il ne regarde vers l’arrière et s’enferme dans le silence.
Ma mère, une femme douce, disparaît souvent à l’intérieur jusqu’au lointain.

Les photos mentent et jouent.
D’elles s’échappe la tristesse.
Alors, mon regard se perd ; demain est déjà si loin.

Tu piétines sous le monde comme les pierres
et tes rêves basculent vers la nuit.

Cette jouissance s’ouvre sur un chemin de cendres.

Juste, tu enlaces mes membres apeurés.

Nous n’étions tenus que par la nuit
ainsi marchant
jusqu’au jour
séparés de peu
et pourtant si pleins de la tendresse
des choses simples

à ce moment
sans le savoir

vibrant lointain
oui
si loin

Partie de voix
cède
au ciel qui s’enflamme

le manche de la nuit s’en empare
et succombe
avec le silence comme équipage

mais bientôt
nous marchons sur la terre hostile

pour l’ultime embardée

Eau de roche ne veut pas venir
elle dort sous le siège
du grand cinéma

sa frayeur rejoint le ciel incertain
sous la nuit que je lui porte

alors de grandes idées l’encerclent
de leurs doigts féconds

plus tard nous reprenons
cette impensable discussion

je suis comme le livre
diras-tu

près de la bouche

Déjà je cours
juste au devant tu cris lâchez-moi
lâchez-moi
bras de fer dans le bois de bouleaux
vers quelle immensité
indéchiffrable immensité
et tu hurles le visage muet
parole contre parole
trop humain ton beau visage désaccordé

déjà ce visage
l’immensité persona
couché sur le soleil
tu cris lâchez-moi lâchez-moi
te lâchent
sous l’arbre
brutalisée
ta pauvre chevelure cette immensité
en finir juste un murmure
venez
venez voir
je suis trop faible j’exhibe ma sotte mélancolie

nos yeux désemparés

répétition répétition
ce petit corps en fuite
gisant au sol ainsi
ficelle d’herbe

immensité
Deux discordes accordées
mêlées
à ne plus voir
qui rançonne l’autre

deux vies mêlées
qui se chassent
ça n’est pas possible
une dérive
retournée ça n’est pas possible
tous les accords affirmés
ajoutés l’un à l’autre
sonnent et tressaillent
se raccrochent aux accords donnés

alors tu hurles
ta haute voix aux anges
aux anges survoltés
la vie
la vie
aux papillons ôtée raccommodée
aux mille instants saturés
et toute l’énergie vole de l’un à l’autre
ne laisse pas de paix les hauts les bas
ta voix
ta voix d’amour vie vie donne donne
voix voix ne laisse pas en paix
s’envole aux flots donnée

pur esprit

Il pleut sur ta voix c’est le matin
nous allons et venons dans la chambre
tout contre le miroir
j’ai entendu ton rêve frissonner
au creux de ma peau

avons-nous le temps

assise derrière ma main tu souris
comme un éclat de ciel
entre les branches
sans bruit le livre chute au bas du lit

aurons-nous le temps

dire l’autre parole de l’errance
sur quelles rives débarquer nos vies
est-ce la vérité cela
tes yeux se troublent et puis s’effacent
comme un unique bien

le temps donné

L’autre rive à bord de l’embarcation
suffoque de lumière
nous sommes allés chercher le passeur
l’éreintement
sa main tient fermement la corde
tirée de l’eau
des éclats de voix dansent dans l’air
les hommes marchent en silence jusqu’à la nuit
et s’éteignent un à un

abandonnés de ce coté-ci du monde
seule la terre liquide nous accueille
elle nous prend dans sa main et nous agite en riant
pauvres rien que de nous

nous sommes sous la voix en dessous
dans la contrainte du mot
un ciel de cendres nous tient lieu d’église
où nos corps désossés flottent au vent

 

Présentation de l’auteur




Poésie et philosophie : des amants terribles — Entretien avec Philippe Tancelin

Poète, philosophe, Philippe Tancelin est profondément engagé dans l'élaboration d'un monde juste et pacifique, et dans l'édification d'une pensée politique qui soit capable de servir cette politique inédite. Son écriture comme ses actes sont empreints de ces prises de position et de cette résistance contre l’exclusion, l’exploitation des démunis, le soutien aux peuples opprimés (Tiers-monde, Palestine, Ukraine…).

Philippe Tancelin, peut-on dire qu’il existe un lien entre la poésie et la philosophie ? Ces deux disciplines sont-elles éloignées, ou bien proches, pour certains poètes, philosophes ?
UN lien ? oui celui « des amants terribles » et je pourrais ajouter en sous-titre : le risque de parler.
Ici,  je fais allusion à un film de 1936 de Marc Allegret intitulé Les amants terribles.
Pour celles et ceux qui ne l'auraient jamais vu, rappelons-en brièvement le synopsis. Un homme et une femme se rencontrent, s'aiment d'amour brûlant, se marient puis le temps passant divorcent, se remarient chacun avec un conjoint. Un jour,  le hasard faisant, lors d'un voyage ces deux couples recomposés se croisent dans le même hôtel et O mystère de la vie, les amants premiers se retrouvent et font à nouveau le voyage de l'amour. Leurs conjoints respectifs formant quant à eux un nouveau couple....
Ce scénario qui n'est pas seulement de cinéma et que l'histoire humaine a sans doute abrité de nombreuses fois, nous indique au plan philosophique que l'amour traverse les ruptures, les divorces, les séparations et continue un chemin égalé soit à travers d'autres visages dans lesquels il s'incarne soit encore, retrouve ses marques premières comme dans cette histoire que nous conte le cinéaste. Il en est peut-être de même  à travers l'histoire de la relation entre la philosophie et la poésie du moins dans la culture occidentale.
A préciser que pour ce qui est de la philosophie et de la poésie les ruptures leur sont imposées par des contextes spécifiques et que ce n'est pas nécessairement de leur libre arbitre que parfois elles se séparent.
Pour ce qui est maintenant du sous-titre « le risque de parler », il faut bien se rendre compte que la parole qui cherche à dire,  à témoigner d'une quête de vérité, je dis bien une quête et non la vérité,   a souvent coûté cher et même très cher à certaines, certains d'entre celles et ceux qui l’ont tenue. Il n'est bien sur qu'à penser à Socrate, non moins qu'à tant d'autres jusqu'en notre époque. Comme lui, ils ont payé de leur vie ou de leur liberté pour une telle parole.

Poèmes Concertants, Philippe Tancelin Le 19 Octobre 2023. Collectif  EFFRACTION - poètes 5 continents.

Si le philosophe peut être condamné à boire la cigüe et le poète à se faire couper la langue, comme cela arriva en particulier sous la dictature de Pinochet au Chili, c'est bien parce que suivant l'époque, leur parole est vécue comme dérangeante, voire dangereuse... On pourrait à cet égard se poser la question de savoir si cette dangerosité de la parole poétique et philosophique  ne repose pas foncièrement sur leur caractère amoureux. Pour la philosophie, c’est l'amour de la connaissance, même si cette connaissance va à l'encontre des certitudes de son temps et pour la poésie, c’est l’amour du rêve de la création, car dans poésie il y à le terme grec « poïein » qui signifie faire, créer.
La poésie et la philosophie ne peuvent qu'être amoureuses l'une de l'autre et cet amour entre ces deux amants n'est-il pas terrible ? En effet on sait d'expérience que  l'histoire des pouvoirs ne supporte pas l'amour. L'amour est leur ennemi premier. Imaginez en effet que l'amour entre les hommes triomphe, il en est fini des pouvoirs qui ne reposent que sur la division et la guerre d'où cette peur panique que suscite l'amour aux marchands de  pouvoir,  aux marchands de guerre,  aux marchands d'armes.
L'amour ne cessera d'être menacé de divisions, de ruptures, de séparations mais il traversera toutes les tempêtes car il a pour finalité la sagesse,  le rêve et la création. C'est pourquoi la philosophie et la poésie malgré les pires tourments de l'histoire ne sont pas mortes, au contraire elles sont aujourd'hui ces amants terribles qui font repères et sont la raison de notre espérance.
Je voudrais préciser ici quelques termes que l'on confond souvent soit par méconnaissance,  soit sciemment  pour entretenir la confusion, l'ignorance et user de pouvoir.
Ces termes en français  sont au nombre de quatre : la poétique, le poétique, la poïétique et la poésie.
Je ne veux pas donner ici de définition, ce qui n'aurait aucun sens pour certains de ces termes, mais éclairer les usages qu'on en fait,  je veux dire les situer.
Si je prends « la poétique »,  cela fait aussitôt référence à l'ouvrage d'Aristote que je ne vais pas vous résumer ici mais qui  concerne  l’élocution, et plus spécifiquement le théâtre soit « l’art d’agencer », et il s’intègre à d’autres arts, comme la musique et la peinture, dans une théorie générale de la « représentation », appelée mimesis. Il est entendu que par mimesis il faut comprendre non la simple « imitation » ou « copie » de la réalité, mais bien une « re-création » ou, plus exactement, une « re-présentation » c'est-à-dire une remise en présence avec l'origine, avec la création.
Lorsque le peintre peint une pomme,  il ne re-crée pas la pomme naturelle, il crée une autre pomme qui peut ressembler à la pomme naturelle mais qui n'est pas elle. Elle est  une pomme peinte et cette pomme peinte c'est lui qui l’a créée,  il en est le démiurge. En ce sens très large, la poétique concerne  non seulement la poésie telle que nous l’entendons couramment, mais encore tout art et tout produit artistique résultant d’un acte de composition.
Pour ce qui concerne « le poétique » qu'on emploie aussi comme qualificatif un peu flou en disant : « c'est poétique... ce film est poétique, ou cette atmosphère est poétique »,  on fait alors référence à une qualité de la pensée qui ouvre notre esprit à de nouveaux horizons, lesquels nous font voir ou entrevoir le monde autrement que dans sa forme visible.
J’ai évoqué le terme « poïétique »  dans lequel il y a en grec le verbe, « faire » pour décrire le processus de création. Quand on parle de la poïétique de telle oeuvre, on évoque le processus par lequel l'artiste a créé cette oeuvre et on décrit minutieusement ce processus. On cherche à comprendre comment l'artiste a fait.
Enfin le terme « poésie » dont je me refuse à donner une définition sous peine de réduire la poésie. Je reprendrai simplement cette formule d'un de mes livres :
« On pourrait dire que si la philosophie forge les outils (en particulier des concepts) pour penser le monde , la poésie elle, s’attache à penser le monde non pas tel qu’il nous est donné, tel qu'il nous apparaît, tel qu'il est visible mais tel qu’il pourrait être en avant même des espoirs et des désirs qu’on a de lui ».
Il y a aussi cette formule du poète contemporain André Dubouchet « la poésie est un étonnement et le moyen de cet étonnement. »
Pour moi,  la poésie est un étonnement des mots entre eux. La langue poétique surgit de l'étonnement que les mots s'offrent les uns les autres dans une rencontre qui est nouvelle, étrangère à leur rencontre dans la langue courante, langue de communication. Lorsque le poète parle de « la lune amère »,  la lune s'étonne d'avoir un goût et l'amertume s'étonne d'être un astre.

Échanges virtuels entre le poète français Philippe Tancelin et les très jeunes poètes de Gaza. Août 2023.

Peut-on être philosophe et poète ? Quelle dynamique unit alors ces deux disciplines ? Pour toi, quel philosophe a vraiment pensé la poésie ?
Avant la philosophie qui naît avec Héraclite ( VIè s av JC) et  nous a laissé des fragments o combien inspirateurs de réflexion,  puis avec la naissance de celle-ci en occident (Socrate - Platon) jusqu'à aujourd'hui, avec des philosophes poètes comme Gaston Bachelard, Yves Bonnefoy,  Geneviève Clancy,  René char),  la poésie et la philosophie n'ont cessé de s'entretenir suivant un dialogue  qui est demeuré souvent éloigné de la scène publique.
Le XXe et le XXIe siècle voient réapparaître plus clairement le dialogue entre philosophie et poésie où la créativité de la philosophie redécouvre,  grâce à l'utopie vivante de la poésie, une dynamique nouvelle.
Je crois profondément que les deux sources de la connaissance (source poétique et philosophique) sont comme le disait Brecht,  la condition nécessaire à la vie en commun des hommes. C'est à dire lorsque chacun, pour reprendre la belle expression du petit Prince de St Exupéry,  chacun est pour l'autre, «  unique au monde » et dans la perspective de l'apprivoisement.  Il est  aussi ce « tous ensemble »,  ce « vivre »,  cet « être ensemble » qu'on entend si souvent mais o combien difficile.
Au 19ème siècle le poète Hölderlin  et à sa suite au 20ème siècle,  le philosophe Heidegger posaient une  question essentielle qui résonne mondialement dans la période que nous traversons. Ils écrivaient : « Pourquoi des poètes en  temps de détresse » ? A cette question il était répondu tant par Hölderlin que par le commentaire de Heidegger : « La poésie est seule capable de capter la lumière dans la minuit du monde ». Mais me direz-vous,  il y à bien des paroles sacrées,  prophétiques qui disent la même chose et c'est en cela qu'elles relèvent du poétique. En retour,  il y à du prophétique dans le poétique. On pourrait en parler une autre fois.
De même que pour les poètes, on doit se poser la question de savoir ce qu'il faut attendre aujourd'hui des philosophes. Ce pourrait être dit ainsi : « comment des philosophes en nos temps de troubles ? » ou encore : « la philosophie n'est-elle pas indispensable à la compréhension de ce qui trouble en ce temps notre monde » ? Je préciserai : ne nous permettrait-elle pas d'être éclairés sur l'objet réel de nos peurs ?
A n'en pas douter, hier comme aujourd'hui et peut-être encore plus aujourd'hui,  étant donné une certaine confusion qui  s'est introduite dans notre pensée et une perte de repères,  ce que nous avons à chercher n'est pas tant une vérité au-dessus des vérités,  que le chemin qui peut nous mener à la compréhension de nos troubles. Ce chemin,  passera sans doute par la remise en cause de vérités établies,  la reconquête d'une grande humilité face aux égarements multiples et variés de ce qui demeure envers et contre tout,  la communauté humaine en ses capacités d'intelligence sensible.
La  remise en cause, le questionnement vis à vis de vérités dites établies,  n’est pas un moment ou  une étape de la pensée sur le chemin de notre connaissance. C'est un mode  de penser,  une façon de penser autrement et en particulier, cesser d'avoir peur de penser car penser et comprendre quelque chose ne signifie pas accepter cette chose mais apprendre à la combattre si cette chose est néfaste.
Pourquoi aujourd'hui comme jadis,  la question que peut poser la philosophie aux troubles du monde est-elle importante ? Peut-être parce qu'il y a une certaine peur de penser aujourd'hui, peur d'y voir trop claire, peur d'être non pas aveuglé mais éclairé sur nous-mêmes avant de vouloir à tout prix éclairer l'autre.
Nous traversons une époque de bouleversement radical. Nous sommes  sous la fascination d'une ère technologique de la communication que nous ne maîtrisons pas. Nous sommes comme des enfants qui grandissent à hauteur de la sophistication de leurs jouets. Sommes-nous encore dans la création au sens de l'éthique  lorsque  nous inventons les outils de notre propre aliénation (Intelligence artificielle) sans contrer,  limiter leurs dégâts ?
N'y a-t-il pas autant besoin du philosophe que du poète pour illuminer l'enthousiasme de l'intelligence sensible ?
Depuis Arthur Rimbaud on le sait, la poésie ne rythme pas l'action. La poésie n'embellit pas les choses et les êtres, la poésie n’ornemente, elle n'enjolive pas la réalité. La poésie est en avant de la réalité, elle vient du plus lointain derrière au plus lointain devant, elle est  résolument moderne disait Rimbaud c'est-à-dire voyante,  à l'inverse de l'action, de l'activisme, de l'agitation qui sont plutôt aveugles ou trivialement, «  les yeux dans le guidon ».
Nous voici arrivés à la rencontre de nos deux amants terribles.
D'un côté la philosophie qui prépare et forge les outils de la connaissance et avec elle,  l'illumination poétique qui la guide au-delà des choses tangibles et d'une connaissance rationnelle.
Poésie et philosophie sont donc liées souvent dans les pires situations mais pour  le meilleur même si,  dans l'histoire de la pensée occidentale, on a eu tendance à les séparer parce que ces amants-là sont terriblement contagieux et porteurs du virus de la connaissance utopique. Cette connaissance entend poursuivre ses rêves toujours inachevés.
À l'inverse d’enjoliver la réalité,  comme certains aimeraient qu'elle le fît pour nous plier  et  accepter cette réalité dans toutes ses turpitudes, la poésie nous immerge dans une réalité transformée par le réel et ses infinis possibles. Il y à quelque chose de poétique à aimer entendre : « Impossible n'est pas français ».
Est-ce que la philosophie sous-tend ton écriture poétique, tes actes, et est-ce qu’écrire est un acte ?
Si concrètement, dans le quotidien, j’applique la distinction que nous venons de faire entre poésie et philosophie, je suis amené à percevoir les événements, et les faits sur d'autres lignes d'horizon, de réception que celle du simple constat ou même de l'analyse.
Un événement a lieu : une guerre, une catastrophe,  une libération ou au contraire une occupation. La question qui se pose pout moi comme poète et philosophe est : comment non pas décrire l'événement comme le ferait le journaliste mais rendre à cet événement,  tout ce qu'il y a d'implicite, d’irreprésentable, ce qui résonne à travers lui et constitue l'essentiel dont il est porteur ? En effet  on ne peut pas le réduire à sa seule visibilité. Ce fut l’exemple des « gilets jaunes » ces « in-vus » de nous qui dirent tout ce qu’on ne voyait pas derrière leur visible. Souvenons-nous de la phrase de Paul Klee «  l’art ne reproduit  pas le visible, il rend visible » ou : « ceci n'est pas une pipe » du peintre Magritte.
Telle est une des  problématiques que me posent la poésie et la philosophie lorsqu'elles m’accompagnent dans la réalité quotidienne.
Je pourrais le dire autrement : comment attester de façon vivante et dynamique de toute la charge de rêve et d'espoir, de cruauté et de renoncement aussi dont un événement peut être l'expression instantanée ? Comment dire ce qui demeure sous l'éphémère ? Comment exprimer ce qui perdure sous la disparition...sous l'effacement dû à la précipitation des événements ?
Un événement sensiblement vécu par ses témoins  directes ou indirectes, un événement qui bouleverse ceux à qui il arrive et ceux qui le voient même de loin, c'est un devenir, c'est à  dire ce qui se crée de nouveau en chacun, bouleverse,  déplace des choses dans nos consciences, dans nos sentiments, dans nos rêves, nos illusions. Quelque-chose se vit,  s'expérimente nouvellement,  ouvre notre lucidité.
Toute mes écritures poétiques-philosophiques in-séparées,  sont sous-tendues par  cette question d'accéder à la lucidité : lucidité à acquérir et révélée à la fois. Cette lucidité  dont René Char poéte et philosophe  disait: Elle est « cette blessure la plus rapprochée du soleil »
Ce n'est pas la lumière qui fait mal nous dit Char . La lucidité est douloureuse  parce qu'elle  blesse ce qu'on croyait avoir compris, elle remet en question ce qui nous apparaissait comme définitivement acquis et sur lequel on se reposait confortablement. La lucidité ébranle. Ce qui était une vérité soudain ne l'est plus et cela blesse mais cette blessure est au plus proche du summum de la lumière...le soleil.... Ici je citerai la philosophe-poète Geneviève Clancy : « l’essentiel n’est plus à dévoiler mais à regarder par l’émanance de la nuit,  au-delà de l’image sensible,  son double de lumière »
Pour ce qui concerne la seconde partie de votre question eu égard à l’acte d’écrire,  je dirai  oui,  pour moi,  écrire est un acte et même un acte qui peut coûter très cher à celles et ceux qui le commettent dans certaines circonstances et pour signifier certaines choses relevant de cette quête de vérité et de lucidité dont on vient de parler. Nous savons hélas combien les exemples ne manquent pas à-travers les cultures d’orient comme d’occident et cela vaut autant pour ce qui concerne les poètes que les philosophes ; le plus souvent les uns et les autres étant les mêmes
Aujourd'hui selon moi,  risquer la parole,  l’écriture,  en prendre le vrai risque,  c'est d’abord résister à la parlotte, à la langue de la communication, détourner la parole communicante qui ne prononce rien que des ordres et entend,  assène en permanence des prétendues vérités dans une langue de l'affirmation et non pas de l'interrogation.
La philosophie et la poésie créent du temps pour que la pensée se mette en mouvement et trouve les mots appropriés. Ce temps pris pour réfléchir et exprimer le mouvement de la réflexion,  permet de questionner et non pas de vouloir systématiquement répondre.
La poésie vient au devant de l'expression de la réflexion ; elle ouvre par sa langue un espace d'écoute, de grande disponibilité.  Je crois que la poésie nous donne la force d'entendre ce qu'on a du mal à entendre ou qu'on refuse d'entendre parce que ce serait intolérable, cela bouleverserait quelque fois trop profondément nos repères ici comme ailleurs. En pratiquant cette ouverture sur notre imaginaire, et en permettant à nos rêves de chuchoter leurs plaintes et leurs délices,  la poésie se joint à l'exercice de la connaissance critique propre à la philosophie.

 

Est-ce que la philosophie, et/ou la poésie, peuvent prendre en charge, et nous aider à penser/panser, les événements effroyables qui se déroulent en ce moment sur la planète ?
La poésie ne veut pas être une méditation secrète de l’ego de chacun sur lui-même. Elle ouvre le dialogue entre des consciences qui ne seraient plus séparées par des systèmes de pensée, des idéologies.
En luttant contre le mensonge des pouvoirs qui isolent les hommes les uns par rapport aux autres, la poésie dégage une perspective philosophique. Cette perspective c'est l'utopie non pas au sens de ce qui n'a pas de lieu mais dont le lieu n'a encore jamais été atteint et cependant existe. Cette utopie est celle d'un partage de vérité possible qui est propre au seul dialogue entre les hommes.

Poème en péniche de Philippe Tancelin Traduction en Chinois Par  Ruiling zhangblein, mars 2022.

Ce dialogue, cette parole sont aujourd’hui un moyen de résistance contre ce qui cherche à faire taire notre conscience face aux échecs de notre histoire ou contre ce qui fait silence sur les causes profondes des tragédies humaines, (les guerres en ce moment à-travers le monde et l’horrifiant massacre des civils palestiniens parmi lesquels 75% sont des enfants et des femmes).
Je crois très sincèrement que la poésie jointe à la réflexion philosophique sur l'expérience pragmatique et sensible du quotidien, permet de restaurer notre capacité à percevoir l'insupportable et renouer avec l'espoir,  avec cette merveilleuse potentialité de l’imaginaire pour sortir de la déprime, de la résignation, du pessimisme. Regardons comment sous les bombardements, les peuples ne perdent pas l’espoir ; les peintres,  les poètes continuent d’écrire ,  de peindre. Le poète palestinien Mahmoud Darwish écrivait : « Nous avons la maladie de l’espérance ». Au regard de ces résistances sous les bombes en Palestine ou ailleurs,  au long des guerres en ce monde,  nous n’avons pas droit au désespoir,  nous qui sommes épargnés pour l’instant. Ceci est une leçon à retenir ce jour et pour demain
Oui la créativité philosophique, grâce à l'utopie vivante du poétique, redécouvre la dynamique qui permet de chercher  un monde de partage qui rend la vie humaine possible entre les hommes avec toutes leurs différences pour en  faire jaillir à nouveau les sources d’une pure joie.
Cette joie  donne la force de se réapproprier l'existence et d’écrire librement un sens pour elle.
Tu as fondé le collectif Effraction et le CICEP (Centre International de Création d'Espaces poétiques). Peux-tu expliquer ce que sont ces entités, et ce qui a motivé leur création ?
Le CICEP (Centre International de Création d'Espaces poétiques) a été créé en 1992 par moi-même avec Geneviève Clancy et Jean-Pierre Faye. Sa vocation est comme son titre l'indique, la création d'espaces poétiques intervallaires des   arts d'où,  la confrontation permanente de la poésie avec la peinture, le cinéma, le théâtre, la danse, la musique, l'architecture et même les technologies du virtuel.
Outre ses membres permanents, il regroupe de nombreux artistes- chercheurs et scientifiques  autour de la poésie en tant qu'elle  participe au même titre que les arts et sciences à la formation de la pensée, à l'enrichissement du champ de la sensibilité, de la connaissance humaine et à l'éveil des potentialités créatrices.
Il fonctionne selon trois axes :
1) CREATION-RECHERCHE : elle s'effectue à partir de programmes thématiques : Poésie et Histoire, Poésie et Philosophie, Poésie et Sciences, Poésie et Voix, Poésie et récit,  poésie et ontologie, poésie et politique.  Sur chacune de ces thématiques,  des équipes mobiles d'artistes, d'universitaires, de scientifiques se forment en vue de la réalisation de créations originales expérimentales. Ces créations se manifestent à-travers des espaces aussi différents que les lieux publics et de circulations, les  galeries, théâtres, salles de concerts, cryptes, hôpitaux, écoles...
 2) TRANSMISSION-SAVOIR : cet axe est constitué par les actes des créations originales du Centre,  rapportés dans la revue  intitulée " Cahier de poétique ".(17 numéros sont disponibles consultables sur demande). Cette publication  se consacre à la transmission de la recherche sur  le langage poétique et les conditions sous lesquelles il peut participer aujourd'hui à la construction d'une nouvelle épistémologie.
3) PRATIQUE EXPERIMENTALE D'ECRITURE : elle se poursuit à-travers des propositions d'espaces de création poétique au sein desquels praxis et théorie sont intimement mêlées.. Ils abordent les problématiques du corps, de la voix, de l'intuition, fondées sur une expérience pratique d'atelier menée depuis trois décennies en milieux universitaires, scolaires, hospitaliers, associatifs, précaires...
Dès mon départ en retraite de l’université voici 8 ans,  le centre qui était adossé à l’université a cessé ses activités mais ses 24 ans de recherches sont consultables à travers le site.*

Philippe Tancelin, Poéthique de l'ombre, 2017, Fonoteca de poesia.

Pour ce qui concerne « EFFRACTION »:  Collectif de poètes des cinq continents (Éditions L'Harmattan),  je l’ai fondé seul en 2009 avec des amis poètes,  artistes, chercheurs et acteurs de la vie civile. Sa vocation est d’intervenir par des actions poétiques- artistiques dans la cité,  à partir de thèmes d’actualité et à plus long terme  de réfléchir sur le devenir poétique de la langue au regard de la langue de communication.
Nous avons publié deux livres aux éditions l’harmattan : « Effraction1  fragments et lambeaux » sur la dimension transhistorique d’écrits poétiques très anciens et contemporains selon leur relation à la cité. « Effraction 2 poseurs de lumière », témoignages poétiques consécutifs à la pandémie du covid 19. Les deux ouvrages sont collectifs.
Le collectif organise également le 4è jeudi de chaque mois une soirée de lecture poétique avec des poètes contemporains ou en salut à des poètes du passé qui s’inscrivent ou se sont inscrits par un effort soutenu dans les urgences théoriques et pratiques de leur pays,  leur cité.
Eu égard à  ces créations du  CICEP et « du collectif Effraction »,  notre motif principal fut et demeure de réinscrire la poésie dans l’histoire,  le devenir de la collectivité humaine.

 

Quels sont tes projets, en philosophie, et/ou en poésie ?
L’ensemble de mes réponses à vos intéressantes questions précédentes,  disent je le pense que le travail d’écriture que je mène,  puise sans las sa dynamique dans les sources conjointes de la poésie et de la philosophie.
Pour ce qui est de «  projets », ce terme souffre trop de connotations propres à la société libérale de production-consommation. Cela nous distrait de notre devenir au profit d’une projection dans l’avenir. Je m’en tiens donc d’une part à ce que je poursuis au jour le jour sur le chemin en devenir de mon expérience sensible dans ce monde dont je suis témoin-acteur et j’écris en résonnance avec l’actuel,  l’événement. D’autre part,  sans volonté de constituer mémoire, Je ne me prive pas néanmoins de la mise en évidence de mon cheminement antérieur de pensée et d’expression poétique,  à travers la recension de textes-articles non publiés ou ponctuellement,  selon des thèmes précis. Ainsi je prépare un tel volume autour de la question palestinienne. Je saisis ici le terme « Question » au sens philosophique et dans son expression poétique.
Pour le reste, comme tout exilé de l’intérieur,  je n’ai pas besoin de la récente loi sur l’immigration pour me sentir de plus en plus étranger aux anti-valeurs que développe mon  pays d’origine,  ses gouvernants et une grande partie de sa population dont j’aurais aimé ne pas avoir à  dire avec Montesquieu (cf, les lois,  les mœurs,  la morale) :«  Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous » ou encore : « les peuples ont le gouvernement qu’ils méritent ».

Présentation de l’auteur




Nous avons perdu Michel Cosem, ne perdons pas Encres Vives ! Rencontre avec Eric Chassefière

Éric Chassefière est l’auteur d’une quarantaine de recueils de poèmes, et a publié dans de très nombreuses revues. Membre du comité de lecture de la revue Interventions à Haute Voix, il a animé avec Jacques Fournier l’action Poézience de la Diagonale Paris-Saclay, destinée à permettre des interactions entre poètes et scientifiques. Une carrière de poète, un dévouement entier, pour porter la poésie, qui aujourd'hui le mène à  prendre le cours de la vie de cette si belle revue, Encres Vives, crée par Michel Cosem, disparu le 10 juin dernier. 

 

Eric Chassefière, vous reprenez Encres vives. Pouvez-vous nous parler de ces éditions ?
Encres Vives, c’est à la fois une revue mensuelle publiant des recueils de poèmes, chaque numéro consistant en un recueil d’un seul auteur, et une maison d’édition éditant des recueils dans deux collections : Lieu, proposant des poèmes liant un poète à l'un de ses lieux favoris (voyage, rêverie, méditation, quotidien, biographie, reportage), et Encres Blanches, plus spécialement réservée aux nouveaux poètes, ou aux rééditions de recueils publiés dans la revue. Ces recueils ont été longtemps calibrés sur 16 pages au format A4, qui vont devenir en 2024 32 pages au format A5.
Certains numéros de la revue sont particuliers, comme des anthologies consacrées aux poésies régionales, issues notamment du pourtour méditerranéen, ou à des maisons d’éditions, ou des numéros spéciaux dédiés à présenter l’œuvre d’un poète. Les recueils publiés dans la revue Encres Vives sont distribués aux abonnés, ce qui garantit aux auteurs un socle stable de lecteurs, tandis que ceux publiés dans les deux collections Lieuet Encres Blanches, à un rythme irrégulier dépendant du flux de tapuscrits reçus jugés de qualité suffisante pour mériter publication, sont proposés notamment, mais pas seulement, à la vente aux abonnés de la revue, qui reçoivent régulièrement des catalogues mis à jour des parutions dans les deux collections.
Il n’existe pas à l’heure actuelle de catalogue complet d’Encres Vives et de ses collections. Le catalogue établi par Jean-Marie David-Lebret sur le site web d’Encres Vives, bien que déjà fourni, présente des lacunes, d’autant plus nombreuses que l’on remonte dans le temps. Georges Cathalo m’a envoyé il y a quelques jours un catalogue chronologique recensant plus de 150 recueils de poèmes publiés par Encres Vives dans la période 1963-1983, 400 numéros environ étant paru dans la période postérieure. 
Le numéro de janvier 2024 sera le 529ème, suggérant d’ailleurs qu’un nombre significatif de recueils de la période 1963-1983 ont été publiés dans des collections annexes, hors série principale. Il faut savoir que dans les années 1970, Encres Vives était aussi une revue d’idées, prise dans les débats qui agitaient la communauté littéraire, notamment autour de la revue Tel Quel et de ses évolutions rapides à travers différents courants de pensée et orientations politiques. Cela n’est qu’au début des années 1970 qu’Encres Vives se stabilise, à travers notamment la relation nouée avec le GFEN (Groupe français d’éducation nouvelle), et l’arrivée dans le comité de rédaction de Gilles Lades, Michel Ducom, Chantal Danjou, Jean-Louis Clarac, Annie Briet et Jacqueline Saint-Jean, personnes qui pour la majorité sont encore présentes dans le comité de rédaction d’aujourd’hui.
Vingt ans plus tard, au milieu de la décennie 1990, apparaissent les deux collections Lieu et Encres Blanches, totalisant au jour d’aujourd’hui, respectivement, ≈400 et ≈800 recueils de poèmes, écrits par, resp., ≈160 et ≈300 auteurs. C’est au total plus de 400 poètes qui ont été publiés dans la revue et ses collections depuis le début des années 1980, le bilan global, incluant les vingt années précédentes, tournant autour de 500 auteurs (une recension exacte reste à faire), dont un nombre non-négligeable se sont fait un nom dans le milieu poétique. Plus que les chiffres eux-mêmes, c’est la constance avec laquelle Michel Cosem a mené son entreprise de diffusion de la poésie pendant plus de 60 ans qui impressionne. Encres Vives, au même titre d’ailleurs qu’un certain nombre de revues de poésie au long cours encore en activité aujourd’hui, c’est l’entreprise d’une vie, s’enracinant dans une démarche militante de libération de la parole par la poésie, revendiquée comme outil de désaliénation de la société de consommation imposée par la classe dominante. Car, pour Michel Cosem, c’est la Parole avant tout ! Et Encres Vives, en tant que lieu de création de la Parole libre, et malgré la modestie de sa présentation, en est la parfaite incarnation.
Pourquoi avez-vous décidé de reprendre Encres Vives ?
Comme de nombreux poètes qui ont dû leur élan initial en poésie à l’existence d’Encres Vives, je n’ai pu m’empêcher, apprenant la mort de Michel Cosem (décédé le 10 juin 2023), de me dire qu’une pareille entreprise méritait d’être reprise et poursuivie, si ce n’est encore amplifiée. Encres Vives est un monument dans le paysage de la poésie française, tant par la personnalité de son fondateur, à la sincérité et à la générosité éprouvées, que par la dimension cyclopéenne du corpus de poèmes réuni en son sein. Beaucoup doivent leur persévérance à écrire et publier à Encres Vives, sans laquelle ils se seraient rapidement découragés dans un paysage éditorial par nature contraint du fait des coûts de fabrication élevés du livre classique (qui ont encore bondi), et du faible nombre d’acheteurs potentiels. Grâce à Encres Vives, une brochure bon marché permettant une publication à bas coût, et offrant aux auteurs un lectorat d’abonnés par définition fidèles, le paysage poétique français est plus riche et diversifié qu’il ne l’aurait été sans cela. Paul Sanda qui, avec sa compagne Rafael de Surtis, fait de magnifiques livres, m’a dit un jour m’avoir édité après avoir téléphoné à Michel Cosem. Encres Vives a été pour beaucoup d’entre nous un tremplin et, ne serait-ce que par respect pour son fondateur, et par foi dans l’avenir de la poésie, dans une époque qui reste désespérément sombre, il m’a paru impensable que quelqu’un ne reprenne pas le flambeau. La proximité de la retraite, avec plus de temps disponible, m’a incité à tenter l’aventure. Quelques échanges téléphoniques avec Gilles Lades, puis, en octobre dernier, une réunion chaleureuse à une petite dizaine dans la maison Lotoise du poète près de Figeac, accueillis par sa compagne Annie Briet, ont fait le reste. Nous allons tenter de maintenir l’élan.
Quelle est la ligne éditoriale actuelle ? Combien y a-t-il de collections ? Allez-vous conserver ces éléments ?
Parlant de l’Encres Vives d’aujourd’hui, voici ce qu’en disait Michel Cosem : « Tout en demeurant dans un format modeste Encres Vives continue d’attirer, de retenir, d’influencer des générations nouvelles, en faisant preuve à la fois d’exigence et d’ouverture. C’est là je pense une volonté affirmée qui regarde plus certainement vers l’avenir que vers le passé. » Cela sera aussi notre ligne éditoriale : exigence et ouverture, loin de toute chapelle et de toute idée préconçue. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls, de nombreuses revues aujourd’hui peuvent s’honorer de maintenir le flambeau allumé, dans un esprit d’indépendance et de liberté. Nous essaierons de nous inscrire au mieux dans le concert de la Parole poétique d’aujourd’hui, dans une démarche qui ne peut être que collective. Pour les collections, elles resteront Lieu, que les voyageurs impénitents que sont de nombreux poètes apprécient tant, et Encres Blanches, ouvrant la voie de la publication à de jeunes poètes. La seule différence est que nous inclurons dans l’envoi aux abonnés des numéros de la revue, trois par trois tous les trois mois, alternativement un Lieu et un Encres Blanches, histoire de faire découvrir les collections et inciter les abonnés à acheter, à tarif réduit, d’autres numéros de ces collections.

Pourquoi la poésie ? Pourquoi vous être engagé dans cette aventure ?
Pourquoi la poésie, c’est une vieille histoire, qui remonte à l’enfance. Une joie ineffable à revenir, après mes études, passer mes étés dans le mas de famille, entre Avignon et Arles, sous l’emprise d’un sentiment d’émerveillement au sein de cette nature bruissant au vent, ces grands platanes du jardin berçant de leur souffle la mémoire des nuits. Des états frôlant l’extase, sur le fond d’une passion pour la musique de Bach, favorisée par la pratique du piano, et de la lecture de quelques poètes qui ont marqué ma jeunesse : Éluard, puis Char, puis Bonnefoy, surtout Bonnefoy, ce poète des clairs-obscurs qui m’a tellement intéressé. Je n’ai pas beaucoup lu de poésie, mon métier de chercheur m’a longtemps absorbé. Et finalement il n’y a que dans le « faire » que je me trouve bien. J’ai créé un master de planétologie, proposé des missions spatiales à destination de Vénus ou de Mars, un instrument pour une mission en cours vers Mercure, élaboré des hypothèses pour un changement climatique précoce sur Mars, créé pour un temps un département « Sciences de la Planète et de l’Univers » à Paris-Saclay réunissant astrophysiciens, géophysiciens et climatologues d’une dizaine de laboratoires de recherche, dirigé un laboratoire de géosciences à Orsay. Et jamais, durant toutes ces années, je n’ai cessé d’écrire de la poésie, même si j’en lisais assez peu par manque de temps.
Cette aventure, en poésie, est de la même nature que celles que j’ai tenté de mener dans ma vie de chercheur, avec plus ou moins de réussite. Fédérer autour de grands projets, faire rêver, agir en dehors des circuits institutionnels trop rigides (avec tous les inconvénients que cela comporte en termes d’efficacité immédiate). La poésie, dans ma vie, rejoint en quelque sorte la science. C’est une nouvelle étape, dans un autre champ. Là aussi, il y a un groupe à fédérer, des talents à révéler, des ponts à construire, en particulier entre poésie et musique, cela me tient à cœur. On verra bien.
Peut-on dire que la période est difficile pour les petits éditeurs ? Encres vives est-elle en danger ?
Je n’ai pas les chiffres en tête, mais la poésie, me semble-t-il ne se porte pas si mal. Il doit paraître pas loin d’un recueil par jour en moyenne, ou de cet ordre, non ? Et je crois que les ventes sont en hausse. En tous cas, la flamme brûle, même si elle n’éclaire qu’une toute petite minorité de citoyens. Il faudrait voir plus grand, que les éditeurs et revuistes se fédèrent au niveau national et trouvent des relais au plus haut niveau de l’État, des relais pour promouvoir un vrai apprentissage de la poésie à l’école, je parle de la vraie poésie, celle qui a la réputation d’être difficile et qui est au contraire celle qui part du plus profond et du plus vrai en nous, celle qu’entendait et parlait Michel Cosem immergé dans la pulsation de son Occitanie tant aimée. Souhaitons que notre ministre de la culture entende cette poésie-là. Mais c’est peut-être une utopie, sans doute la poésie ne sauvera-t-elle pas le monde malheureusement. Alors entretenons juste la flamme pour des jours éventuellement meilleurs.
Je ne crois pas qu’Encres Vives soit en danger. On n’a pas pour l’instant tout à fait autant d’abonnés qu’on l’espérait, même si l’on se rapproche de notre objectif. Cela va aller, on va repartir de toute façon, c’est l’essentiel. Nous avons déjà quelques beaux projets de recueils dans nos tiroirs. Et puis nous sommes une équipe : Annie Briet, la compagne de Michel Cosem, Catherine Bruneau, ma compagne, Jean-Marie David-Lebret pour le site web, et encore les compagnons historiques d’Encres Vives que sont, outre Annie Briet, Gilles Lades, Jean-Louis Clarac, Jacqueline Saint-Jean, Christian Saint-Paul, Michel Ducom. On réussit mieux à plusieurs que seul, pourvu que l’atmosphère soit bienveillante, et elle l’est.
Quelles seront vos premières actions ? Et les suivantes ?
Reprendre le fil des publications de la revue, calibrer un peu mieux la fréquence de publication des collections en fonction des recueils reçus et de notre capacité à les diffuser efficacement, identifier des médiathèques intéressées. Se rapprocher de la Maison de la poésie Jean Joubert de Montpellier, si possible aussi du festival Voix Vives de Sète, mettre en place des événements, lectures ou lectures-concerts, avec les recherches de financement que cela impose à l’échelle du territoire. Donc, tisser la toile, également d’ailleurs en région toulousaine. Les actions suivantes, je ne sais pas encore, nous verrons. À chaque jour suffit sa peine.
Mais en premier lieu, dans les semaines qui viennent, recueillir d’autres abonnements pour être mieux ancrés dans la communauté, et pour que nos auteurs aient plus de lecteurs.

Continuer Encres Vives

 

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