Yvon Le Men, prix Paul-Verlaine

Le poète breton Yvon Le Men vient d’obtenir le Prix Paul-Verlaine, Prix de poésie de   l’Académie française, prix annuel constitué en 1994 par le regroupement des Fondations Valentine Petresco de Wolmar et Anthony Valabrègue.

Yvon Le Men est récompensé pour deux de ses livres publiés en 2021. Le premier est La baie vitrée publié chez Bruno Doucey, livre dans lequel il évoque son expérience personnelle du confinement et qui a été présenté dans Recours au poème le 6 septembre 2021. Le deuxième s’intitule « A perte de ciel » et a été publié chez Bayard. Il est consacré à l’admiration que voue le poète au Mont saint-Michel.

Yvon Le Men (né en 1953) avait obtenu en 2019 le prix Goncourt de la poésie. Auteur d’une œuvre importante (poèmes, récits, essais…), il dit sur scène ses poèmes dans des récitals qui l’ont fait connaître largement au-delà de la Bretagne. Aujourd’hui, de sa rencontre avec le musicien multi-instrumentiste Nicolas Repac est né un spectacle et un CD publié aux Edition Kerig, intitulé « Lampe Tempête »  où l’on retrouve des extraits de  La baie vitrée  et de  A perte de ciel ».

Version longue de la rencontre avec Yvon Le Men, qui a eu lieu le 6 mai 2009 à la librairie Dialogues à Brest, à l'occasion de la parution du livre Si tu me quittes, je m'en vais (éditions Flammarion).

∗∗∗

A perte de ciel

L’épopée du Mont Saint-Michel sous la plume d’un poète : la démarche ne manque pas d’originalité. Mais Yvon Le Men va, ici, bien au-delà de son propre émerveillement devant la Merveille. C’est à un véritable pèlerinage spirituel qu’il nous convie, dont il est le principal acteur.

On ne compte dans ce livre le nombre de portes d’entrée au Mont Saint-Michel. Yvon Le Men les multiplie à souhait nous invitant à la fois à méditer sur ce lieu exceptionnel et à parcourir, dans son sillage, divers épisodes de sa propre vie. Lui qui est passé de la « foi du charbonnier » (celle de son enfance trégoroise) aux interrogations d’ordre métaphysique qui sont les siennes aujourd’hui. « Il faudrait que chacun vide sa propre abbaye/pour la remplir de ses chants et de ses rêves d’abbaye », écrit-il.  « Il faudrait /que tout monte en nous/quand on monte vers le Mont ».

Yvon Le Men gagné par la foi ? Après les Exercices d’incroyance de Gérard Le Gouic (Gallimard) assisterait-on ici à une forme « d’Exercices de croyance » de la part du poète breton (publié pour l’occasion par un éditeur catholique) ? Ce n’est pas si simple, même si Yvon Le Men n’a jamais caché sa quête d’une forme de transcendance. On connaît notamment les liens qui l’attachaient au poète juif Claude Vigée (qu’il évoque d’ailleurs dans ce livre) ou encore à Xavier Grall, à propos duquel il écrit : « Ensemble nous cherchions/lui Dieu/moi eux/les hommes et les femmes filles et fils de Dieu ». N’a-t-il pas aussi parmi ses amis le poète Gilles Baudry, « frère en l’abbaye de Landévennec/où je me rends une fois par an » ?

Yvon Le Men tourne donc autour du Mont – au risque de le perdre, parfois, un peu de vue – pour revisiter ses propres croyances (au sens large du terme) et introduire dans son livre des textes venus d’éminentes personnalités de l’Eglise. Il en est ainsi des prières à l’archange saint Michel, reprises fidèlement, écrites par Saint Bonaventure, saint Louis de Gonzague, Léon XII et même le pape François.

Yvon Le Men, A perte de ciel, Bayard 2021, 196 pages, 16,90 euros.

L’occasion aussi d’évoquer les figures de saint Colomban ou de saint Yves que l’on célèbre à Tréguier dans son Trégor natal. Evoquant les moines copistes comme ceux qui vécurent au Mont, il écrit : « Si j’avais été moine (…) j’aurais recopié/cet hymne sur le paradis de saint Ephrem de Syrie : « Personne n’y travaille/car chacun n’y a faim/personne n’y vieillit/car personne n’y meurt ».

On le voit. Ce livre est un patchwork de confessions, de réminiscences, de tranches d’histoire personnelle. Le poète n’évoque-t-il pas, à nouveau, les doigts des cantonniers (comme l’était son père) ou les yeux des couturières (comme l’était sa mère) ? Le Mont, dans sa magnificence surplombe le récit poétique en miettes de sa propre existence et devient le lieu d’une quête inassouvie, d’un vrai pèlerinage ascensionnel.

Le Men parle d’une « possibilité d’éternité » à propos d’un lieu qui lui était apparu pour la première fois, quand il était gamin, sur le calendrier des Postes et qu’il revisite cette fois par l’imagination «parce que je pouvais plus m’y rendre en vrai, avec le corps, entouré qu’il était, comme nous tous, de la pandémie, de la maladie, de la mort peut-être ». Et s’il fallait « s’inventer une seconde demeure », le poète breton fait même cet aveu : « Elle est/elle serait le Mont-Saint-Michel/comme un escalier que je prendrais pour le ciel ».

∗∗∗

Yvon Le Men derrière sa baie vitrée1

Un poète dans le confinement. Comme beaucoup d’écrivains, Yvon Le Men évoque ici son expérience personnelle de mise à l’écart forcé du monde lors des premiers mois de la pandémie. Le voici derrière la baie vitrée de sa maison de Lannion avec cette peur « de tomber dans la maladie / comme on tombe dans un cauchemar ». Mais le poète sait aussi nous mener ailleurs.

Ecriture lapidaire. Deux vers, trois vers, puis un blanc, puis de nouveau deux vers, un vers… Comme pour témoigner de cette vie en miettes que le/la Covid nous a imposée. Yvon Le Men nous parle de sa « maison enroulée autour de ses fenêtres », des fenêtres qui deviennent des hublots pour accéder à une nature environnante faisant comme si de rien n’était. Car les oiseaux sont bien là,  tout à leurs occupations (« la peur donne des ailes mais seulement aux oiseaux »), mais aussi les fleurs du mois de mars, sans oublier ses deux pommiers « côte à côte / branches à fleurs ».

Le poète a tout le temps de contempler, de s’émerveiller. Sa baie vitrée – comme le nom l’indique – ouvre de larges perspectives. Elle lui permet d’élargir la focale, sauf quand les volets roulants se bloquent et qu’il se trouve brutalement « confiné dans le confinement ». Heureusement un artisan viendra. « J’avais besoin de ses mains ». Opportune visite d’un réparateur accueilli comme le Messie. « J’avais besoin / de quelqu’un / d’un besoin d’humanité ». Besoin, aussi, du « pain de mots / produit de première nécessité » dont il est provisoirement privé quand il casse accidentellement son téléphone.

Yvon Le Men, La baie vitrée, éditions Bruno Doucey,  153 pages, 16 euros.

Mais le poète n’est pas là pour s’apitoyer sur son cas personnel. Il sait que le drame s’installe aux alentours. « La vieille dame qui est morte / hier // n’a pas vu la clochette / seule // parmi les primevères ». Cette mortalité galopante (« les morts débordent ») le ramène à une expérience intime de la mort à travers la figure d’un père trop tôt disparu. Mais s’il se met à l’écoute d’un passé douloureux, il ne se cantonne pas pour autant à son pré-carré trégorois. Le voici en correspondance avec un ami chinois. « J’étais inquiet pour lui / hier // Il est inquiet pour moi/aujourd’hui. »

Elargissant encore plus son champ de vision, Yvon Le Men nous fait envisager notre belle planète bleue (aujourd’hui bien abimée) à travers le regard de spationautes. L’art de prendre de la hauteur. Et il cite Jean-Loup Chrétien parlant de notre planète terre : « Seul un enfant dans son innocence pourrait appréhender la pureté et la splendeur de cette vision ». C’est, sans aucun doute, cet émerveillement que le poète nous invite, en dépit de tout, à retrouver. Et si la pandémie en était l’occasion ! Au fond, laver notre regard sur le monde pour que, à l’image de son ami poète Claude Vigée, récemment disparu, on sache écouter chanter le rouge-gorge « dans l’amandier / invisible ».

Note

  1. Article de Pierre Tanguy publié sur Recours au poème en septembre 2021.

∗∗∗

 

Ma langue est poésie : Yvon Le Men, Massimo Dean, Chris Ames, Les Cafés littéraires : Festival Saint-Malo Étonnants Voyageurs 2022 Du 4 au 6 juin 2022, toute l'actualité littéraire des derniers mois. En compagnie de Maette Chantrel et de Pascal Jourdana.

Image de Une © Frank Loriou.




Gustave Roud, Œuvres complètes

Un coffret de 4 volumes, 5120 pages, 88 photos couleurs et de très nombreuses illustrations en noir et blanc (car Gustave Roud était aussi photographe). Les œuvres complètes du grand poète suisse, décédé en 1976, sont publiées sous la direction de Claire Jacquier et Daniel Magetti par les éditions Zoé.

Une heureuse initiative permettant de regrouper ses œuvres poétiques (dix recueils de poésie entre 1927 et 1972), ses traductions (notamment de Novalis, Holderlin, Rilke, Trakl…), son journal (1916-1976) ainsi que les articles ou études critiques que Roud a consacrés, tout au long de sa vie, à des poètes, écrivains ou peintres et qui ont été publiés par des journaux ou revues suisses.

« Gustave Roud regarde la nature à l’œil nu et la nature ne le distrait pas », disait de lui Jean Paulhan en 1957. Ce marcheur impénitent, parcourant sans relâche les champs et les collines du Haut-Jorat (au nord-est de Lausanne, dans le canton de Vaud), est l’auteur d’une prose lyrique envoûtante qui témoignera, de bout en bout, de sa relation intime avec le vivant et l’élémentaire : les fleurs, les arbres, les oiseaux, les étangs, les rivières… au cœur d’un monde rural que la modernité n’a pas épargné : « Des vergers aux forêts, tout un cloisonnement de haies, jadis, donnait refuge aux oiseaux. Où trouvent-ils retraite, maintenant qu’un immense espace nu rayé de jeune blé, taché d’orge laineuse, unit les villages épars ? », écrivait-il le 18 décembre 1941 dans la revue L’illustré.

Le poète allie deux perceptions de la vie et du monde. D’une part un sentiment aigu de la précarité de nos existences, de la mort, de la disparition (à l’image de cette civilisation paysanne qui brille de ses derniers feux). D’autre part, le sentiment de la beauté du monde et de la présence, autour de nous, de miettes de paradis. Gustave Roud  avait, en effet, repris à son compte la fameuse injonction de Novalis : « Le paradis est dispersé sur toute la terre et nous ne le reconnaissons plus, il faut en réunir les traits épars ». 

Gustave Roud,  Œuvres complètes, éditions Zoe, 5120 pages, 85 euros, 90 CHF.             

Au cœur de son entreprise poétique, il y a, fondamentalement, cette quête de signes et de messages qui lui donnent la certitude d’un accès au paradis. « A la fois chant du monde et méditation sur la fin de la ruralité traditionnelle, la poésie de Roud apparaît aujourd’hui comme précurseur des écritures contemporaines qui tentent de renouer le lien défait entre l’humain, son habitat terrestre et les vies qui le peuplent », n’hésitent pas affirmer les instigateurs de la publication de ses œuvres complètes.

Ce regard « familier » sur les disparus, mais aussi cet appétit pour le « dehors », pour la nature dans ses expressions les plus diverses, on le trouve en permanence chez Roud. « Merveille de pureté cette matinée où j’avance à travers les prairies multicolores, les ombres fraîches, les feuillages (…) les fleurs se tendent vers moi comme des corps affamés de tendresse », note-t-il dans Essai pour un paradis (1932). Dans son livre Requiem (1967) où il évoque la mort de sa mère et le deuil, le poète écrit : « Je pose un pas toujours plus lent dans le sentier des signes qu’un seul frémissement de feuilles effarouche. J’apprivoise les plus furtives présences ».

S’il a vécu solitaire, Gustave Roud a su multiplier les rencontres en allant à la découverte des œuvres des autres. Qu’il s’agisse d’auteurs dont il cultivait l’amitié (Jaccottet, Chessex…) ou d’artistes dont il a parlé avec  bonheur. « En cherchant à cerner le rapport particulier que les artistes abordés entretiennent avec le monde, l’auteur questionne sa propre position et, à travers ces cas spécifiques, il médite sur le processus créatif en général. Rendre compte d’expériences esthétiques nourrit la démarche du poète et l’exercice de la poésie infléchit en retour son regard sur les œuvres d’autrui », note Bruno Pellegrino dans la présentation des hommages, articles et études critiques que Roud a consacrés à des poètes, à des écrivains et des peintres.

Plus de 45 ans après la mort du poète, ce coffret des œuvres complètes (dans une édition critique) est là pour nous rappeler la place majeure tenue par Gustave Roud dans la vie culturelle de son époque. Elle justice à un œuvre lyrique majeure dans la poésie francophone du XXe siècle.

 

 

Présentation de l’auteur




Nathalie Swan, L’Exigence de la chair

L’exigence de la chair ou l’ardent poétique

14 septembre 2022. La Chouette Librairie, Lille. Nathalie Swan se tient fébrile sur sa chaise, les joues rosées, son recueil entre les mains comme un jeune oiseau au cœur palpitant. Son sourire désarmé est accueil.




Les rangées de lecteurs venus assister à sa première fois se forment encore. J’ouvre au hasard le recueil que j’ai acheté la veille sans avoir pu le lire :

entre mes cuisses tu te déverrouilles et cognes ma transparence

l’été m’atteint

entre l’étoilé de mes lèvres tu te vides (p. 37)

J’ouvre une autre page comme on soulèverait un pli de chair, pudiquement :

gros de nuages tes bras soulèvent mon ciel

mes feuilles s’endorment sur ton arbre

lui murmurent l’irrespirable de la vie (p. 59)




Nathalie Swan, L’Exigence de la chair, Editions de Corlevour, 2022. 




Frappée. Je suis frappée par l’abandon total autant que par l’innocence audacieuse avec lesquels Nathalie Swan nous ouvre son intime, nous offre la violence de son désir et l’ardeur amoureuse qui fait battre son sang. Le recueil blanc est peau qui ressent et s’excite au jardin de l’amour. Dans un Eden d’avant la Chute, d’avant la nudité honteuse et flagellée, tout à l’écoute de son silence intérieur, la poétesse nous jette au visage des éclosions de fleurs qui ne connaissent pas l’indécence, sa joie à sa peine mêlée, la beauté en éclats de deux chairs traversées par le monde et devenant corps infini, accouplé sous un ciel qui est aussi solitude. Le sexe de géants aux yeux de bleuets, au cœur froissé de coquelicots. Elle nous ravit enfin par l’invention d’une langue dans la saison de sève, langue ardente qui pourrait résoudre in fine l’aporie de l’érotisation de la chair, dont la finitude intrinsèque se heurte toujours au serment des amants1.

A l’austérité presque janséniste du titre répond une urgence de vivre et une volonté de « faire frissonner l’amour », là « où tant d’amour a manqué » (p. 25). Car c’est une intense déclaration d’amour que ce recueil, une ode à l’amant, et à nous tous qui nous sommes séparés de la chair. C’est un don libre de soi que nous fait Nathalie Swan quand, dit-elle ce soir-là à La Chouette Librairie, « elle met en mouvement le vide qu’est le désir » contre le « Désert » (p. 22) de l’absence. Enivrez-moi, dit la chair désirante dans sa révolte.

Besogner les mots avec la langue

A une écriture qui assècherait le vers, la poétesse oppose la chair tiède et salée des mots, fouille les plis d’une écriture désirante et toute séminale, lancine le verbe, encore et encore :

mon axe creusé d’encore

culmine sur le chemin bleu de ta lumière

tes paumes m’acoquinent

ta langue m’ensevelit au-dedans de toi

le tréfonds de mes déchirures se ravit

des spasmes de vagues

         s’éventrent (p. 36)

Il y a quelque chose d’un laborieux qui se cherche dans ses vers, n’élimine rien de sa patience aimante, accueille la surprise et cherche son plaisir, tend de toute sa bouche vers le jaillissement de l’image inouïe qui saisit toujours par sa grâce simple et nouvelle :

l’élan de ton ruisseau se dresse

         abrite ton corps dans ma parole (p. 81)

Autour de la métaphore qui se détache singulière et où git l’instinct de la beauté : « Tu saccades mon point d’aube » (p. 47), s’expriment aussi l’instinct grégaire des mots de la chair, leur excroissance luxuriante qui répond à l’appel de la vie. Les mots se reprennent, ne se mâchent pas, sont retournés, changent de posture dans le vers et donnent à voir des copulations monstrueuses, toutes rabelaisiennes : « ta comète bombarde ma planète de succulences / le rouge de mes pommes d’amour ravagées fonce // les traversées en sourdine de ton nœud / m’arrachent des éboulis imprononçables / me forent d’euphorie / strient mon azur » (p. 62). Complément du nom du nom du nom jusqu’au fer rouge du plaisir : « l’odeur des fraisiers de tes mots respire le pas de loup / du velours / sur le fuseau horaire du battement de ton cœur… » (p. 43). Froissement, friction des mots, péché de chair, gourmandise et dévoration, tendresse de la prostituée qui se donne sans gain, plus sainte que chasteté triomphante. On est touché(e) par cette nécessité de la besogne qui est amour infini, langue libre et assoiffée : « et le sans-vie circule loin de nous » (p. 14) ; « que le sel de la vie s’en aille / qu’on m’enlève les ailes / mais jamais être descellée de ton amour » (p. 64).

Le répertoire amoureux est riche et entre tout entier dans l’enceinte du recueil comme un cheval de Troie : à l’hypocoristique des amants et bluettes d’un cœur d’enfant : « braconne mon lilas / donne à mon arc-en-ciel la couleur de tes rêves » (p. 19) ; « d’une seule bougie illuminer l’immensité de l’amour » (p. 21) ; « je pense à toi / mon lieu de vie » (p. 100) se mêle le verbe plus cru des alcôves du désir qui est comme Création du monde sortant du Chaos : « tes mains sont le levain de mon désir » (p. 49 ) ; « ton épée cambre ma colonne ruisselante et déchirée » (p. 66) ; « la droiture de ton arbre (…) / burine la béance à sa source » (p. 16) ; « mon effervescence chaude s’écartèle / ma flamme suffoque » (p. 31) ; « mon ciel se penche / tu laboures ma terre / (…) dans mon devenir frôlé / ton plein se vide » (p. 35) ; « que le lit tâche d’écumer ta main sur le tronc qui m’arrache / sous mes yeux notre noyade avale ton regard tout entier » (p. 58). Dans le lèvre à lèvre et la vitalité du verbe, la chair qui dit – trobar – trouve et invente aussi, bousculant les catégories grammaticales de l’amour « honnête » dans un nouveau fin ‘Amor où l’étreinte charnelle n’est ni retardée ni mise à distance et « réchauffe l’indicible » : « ton regard me falaise » (p. 79) ; « ma chair s’oasit à ton franchissement » (p. 30) ; «  mes vaisseaux s’extrasystolent sous tes mains » (p. 20) ; « mes lèvres respirent le longuement de ta peau » (p. 38) ; « le touche-touche au plein du cœur » (p. 15) ; «tu me rages de vivre » (p. 49) ; «le printemps grimpe ma colonne d’air et ses trous noirs » (p. 115) ; « le décousu de mes mots pique au cœur le pas perdu de la joie » (p. 111) ; « Je suis le lieu où tu déposes ton désir liquidé » (p. 38). La part sauvage, asociale du désir, que les civilités de l’art d’aimer n’ont su apprivoiser, se livre dans les assauts d’un épique amoureux et les folâtries qui touchent toutefois de sincérité enfantine : « de mon ventre tu arraches un bouquet de violettes » (p. 12) ; « rends-les plus beaux qu’un incendie de roses » (p. 33). 

La langue poétique de Nathalie Swan est animée d’une ardente pulsion de vie et sujette à toutes les métamorphoses d’une vigueur printanière : « du fond de mon interstice à mains nues / je ponce tes ronces » (p. 13). On ne peut s’empêcher d’y lire l’abrasif « Ronce ard ».

Une vie à bras le corps

Dans un vertigineux blason où le corps célébré devient monde dans le monde, les poèmes de Nathalie Swan épuisent toutes les prépositions du couple, écartelées entre le « sans toi » et « l’auprès de toi, face à toi, sous toi, à toi, en toi » : le « moi » et le « toi » dans toutes les variations de l’intime s’accostent  jusqu’à « s’oublier pour se perdre l’un dans l’autre » (p. 103). Qui est qui ? Qui donne à l’autre ? Qui reçoit quand s’ouvrent deux chairs ? « pour mendier tes explosions je t’affame » (p. 30) ; « tes yeux s’ouvrent dans le fermé des miens » (p. 13) ; « tes bras me rassemblent où vacille la vie » (p. 14) ; « ta peau fait comprendre de près / vivre » (p. 114) ; « ton visage et ta voix sont dans mon tu » (p. 34) : car le « tu » de l’amant vit dans le silence de la chair, auquel la poétesse donne voix. Dans les angles morts des corps accouplés où la vie prend en embuscade, l’oubli qui ramène et l’absorption qui redonne sont généreux entre l’amant-ruche et l’amante-fleur : « ton absence affairée de pollen / bourdonne aux oreilles du silence » (p. 15) ; « la rosée monte l’échelle du souffle » (p. 93) ; « tes mains empruntent à ma peau / la marque de tes paumes / (…) / tu recueilles mon aube pour donner forme à tes dislocations » (p. 41). Le régime des corps est l’effraction qui ne craint pas de perdre son intact. Vie est violence consentie : « égratigner tes brèches / attaquer tes parois / donner l’espace à la lumière » (p. 71) pour lutter contre l’émiettement, l’éparpillement et l’hostilité de la solitude : « Intensément tu contiens / ton amour dans ma chair / il prend corps. » (p. 70) ; « tes doigts touchent l’éparpillement des grains de ma peau / pour agonir en déchirures toute la démence bleue du ciel / se coulissent en dévoration. » (p. 31).

L’espace se fait chair qui se creuse et s’emplit ; le corps devient paysage : « au carrefour de ma surface / se cogne le où-tu-n’es-pas du paysage » (p. 26) ; « sous les mousses de ton corps / nos volontés se sourient / nos sourires se veulent » (p. 82). Et les corps accouplés dans les postures fantasques qu’autorise la chair se renouent au monde et à l’expansion de la matière, deviennent île qui étonne le monde lui-même, en régit les lois et le réenchante : « j’éboule les saisons » (p. 81) ;  « le plus fragile de nos creux susurre le silence / à l’oreille des pierres » (p. 99) ; « la nudité dégrafée du cœur / rend à l’absence le palpable des ronces » (p. 101) ; « de la bordure de la nuit je soustrais la béance » (p. 113) ;  « tu mouilles la lumière » (p. 116) ; « ton centre pur assassine le plein du jour / (…) / le ciel sur ton épaule ouvre la nuit » (p. 83) ; « ton arbre sèche les larmes du vent » (p. 16). Dans la chambre enclose, le monde s’agrandit dans la surprise et la plénitude : «le goût profond du matin hésite » (p. 29) ; « ta sève pousse le printemps à s’étonner de la lumière » (p. 24) jusqu’à l’extase qui dépossède et initie à l’être : « mon visage devient alors plus lointain que moi » (p. 38) ; « où es-tu ailleurs quand tout entier tu étais avec moi » (p. 40) ; « ma plaine neigeuse se fonde de silence » (p. 73) ; « l’horizon regarde nos visages superposés » (p. 20). Chaque caresse ouvre l’immensité ; toute lumière est désir, telle est l’exigence de la chair. 

Poème infini en sa tournure de chair-mots, Nathalie Swan reprend inlassablement l’étreinte charnelle en chacune de ses pages, redit en chacune le grand amour en la chair, remonte à la source de la joie pour vaincre la finitude de toute érotisation : « ton oubli se réfugie dans le ventre de ma mémoire » (p. 108). Elle atteint à la transcendance d’une transsubstantiation poétique : « Ceci est mon corps » sans notion de durée, toujours commencement par le Verbe : « te rencontrer c’est la peine d’exister » (p. 88).      

La Cathédrale du désir

La passion amoureuse déplace le sacré dans l’orbite de la chair. La chair exige en silence de « vivre sur le champ » (p. 39) dans un recueillement et un don de soi, une éternité du maintenant qui est « grâce de l’instant ». Citant Jacques Dupin et déplorant l’effacement du corps dans la philosophie occidentale, Nathalie Swan martelait ce soir-là à la Chouette Librairie : « on ne peut être dans l’impiété à la vie » 

effractionne la chapelle pointée dans notre ciel

le chat de tes vitraux caresse ma lumière

et m’aiguille de couleurs  (p. 19)

Ou plus loin : 

les brisures crissent jusqu’au ciel

les cris des vitraux des cathédrales

 

aux abords de mon silence

se rassemble ta nécessité pour éprouver

là où je t’accoste

où tant d’amour a manqué  (p. 25)

La joie vaut morale qui sanctifie la chair et donne accès au mystère de l’autre : « ta ferveur rudoie mon visage / gravit l’instant » (p. 84) ; « sur les veines de ta peau s’ouvre mon horizon / s’y déchire l’énigme de ton azur » (p. 109) ; « la lumière des moments à tes côtés touche la grâce de l’instant » (p. 24) ; « au centre de notre histoire une fièvre faite d’enfance / l’intranquillité du printemps y flamboie / l’avenir serein s’excite sous tes mains / la nuit se fait calme et fragile » (p. 55). 

Le premier recueil de Nathalie Swan, plein de ferveur amoureuse, se fait cathédrale, où le silence autour de la lumière des mots a la densité et le mystère de la chair, chair blanche des crucifiés et des martyrs heureux peints sur les vitraux : 

sur ta croix s’ouvrent mes bras

le fond de ton cri monte en colonnes de lumière

tes crachats incrustés d’éclats

la clairière de mon intime reçoit ta rage (p. 107)







 




Présentation de l’auteur




Sonia Elvireanu, Ensoleillement au cœur du silence

je marche sur tes traces / sur le sentier de tes mots

Le confinement a été pour beaucoup une occasion rare de se tourner vers l’essentiel, de se retrouver, de s’écrire parfois. Le nouveau recueil de Sonia Elvireanu, en édition bilingue avec les traductions en italien par Giuliano Ladolfi, porte ainsi la trace des journées de solitude obligée.

Derrière les fenêtres, on regarde un mur, / on discute avec le béton d’en face pour tout paysage / dans la vapeur du café du matin

Cette période fut aussi celle des longues marches dans la campagne pour tous ceux qui le pouvaient.

Je marche avec piété dans / le vert silence de la solitude

La solitude, le silence, le recueillement : tout est dit dans ces deux vers. Ce recueil est comme irrigué par la foi en un Autre qui n’est jamais nommé mais dont on sent la présence quand il n’est pas directement convoqué.

La voix du poète s’élève comme une offrande, / l’autre descend d’un Sommet invisible

Sonia Elvireanu, Ensoleillements au cœur du silence – Scintillii nel cuore del silenzio, bilingue français-italien, traductions Giuliano Ladolfi, Borgomanero, Giuliano Ladolfi editore, 2022, 264 p., 18 €.

Deux voix qui « confondent leurs murmures en prière » : on ne saurait être plus explicite.

Les poèmes sont le plus souvent brefs, parfois très courts comme des haïkus.

Chevaux blancs / dans la prairie / fleurie // l’éclat / de l’argile / céleste

Parfois plus longs comme celui intitulé « La feuille comme une mare blanche » qui commence par le court extrait d’une lettre de Mme de Sévigné à sa fille, le 30 avril 1867, où la marquise parle du confinement (déjà !) auquel elle a dû se soumettre en raison d’une épidémie de « flagèle ». Le poème se poursuit, le 30 avril 2020, par la lettre que la marquise aurait pu écrire sur le même thème (« nous t’enverrons un masque blanc, c’est en vogue à la Cour », etc.).

Le thème dominant du recueil demeure néanmoins la nature, thème de prédilection de Sonia Elvireanu, poétesse lyrique par excellence. Ses textes décrivent les sensations qui la traversent au cours de ses promenades. Elle écrit sous leur influence, sous le coup de l’émotion, au gré de ses rencontres dans la nature – pommiers, figuiers ou simples papillons blancs – qui reviennent à de nombreuses reprises dans le recueil. A lire ses poèmes, on est d’abord frappé par leur spontanéité. C’est une âme qui s’émerveille et qui s’épanche.

La nature est aussi un truchement pour se connecter à « l’Autre » jamais réellement présent mais qui n’est pas loin et qui écoute.

Je me suis retirée dans ma solitude / pour être près de toi, / te chercher et te parler

La poésie de S. Elvireanu est fraîche et spontanée. Qu’elle nous parle de pommes, de chevaux ou de « la myrrhe de l’amour », c’est toujours elle qui se laisse découvrir. Sans la moindre impudeur puisque c’est seulement des secrets de son âme dont elle nous livre la clé. 

Présentation de l’auteur




Pierre d’attente (élément d’un discord)

Le terme de « discord » qui apparaît dans le sous-titre du livre semble important pour l’auteur, puisqu’on le retrouve dans le titre d’un premier volume paru ailleurs : « Le Grand Discord ».

Le dictionnaire de l’Académie française nous donne de ce mot la définition suivante : « réfection de l’ancien français descort, « brouille », déverbal de descorder ». En musique, qui sonne faux, discordant. Commentaire : le mot est « vieilli ou litt. »

Littéraire, en effet, dans le mauvais sens du terme. Esthétisant. Pourquoi cette vieillerie alors que la langue de Didier Gambert est résolument moderne, en rien poétisante ? Je prends cette esthétisation pour la mise à distance d’une violence radicale qui parcourt la première partie du livre ; d’autant plus pressante qu’elle se trouve refoulée, comprimée sous ce bel atour.

« Pierre d’attente » : on pourrait prêter à ce titre une jolie brume poétique… alors que c’est un terme technique. En architecture, c’est une pierre faisant saillie à l’extrémité d’un mur, pour faire liaison avec une autre construction à venir.

Ainsi tout est posé dès le titre : il y a discord, et l’attente d’un accord.

On ne pouvait mieux attendre d’un érudit éditeur d’auteurs oubliés du siècle des Lumières, tel l’impertinent Henri-Joseph Dulaurens.

La première moitié du livre commence par une partie titrée « Poème cruel », suivie de « Discorde », « Brisure » … que résume cet extrait du premier poème bâti suivant la métaphore de l’aimant, dont les pôles se repoussent dès qu’ils sont tous les deux également  nord, ou sud :

Didier Gambert, Pierre d’attente (élément d’un discord), Éditions Sans escale, 2022, 120 pages, 13 €.

 

Mais si d’un choc d’une fracture d’une blessure
la haine entre eux s’installe
d’un horizon à l’autre
on les verra se fuir
se rejeter
d’un pôle à l’autre
se défier s’éviter
sans que jamais
la victoire 

Entre eux se décide

La suite est une déclinaison de ces deux mots posés : fracture, haine. L’une et l’autre se trouvent fracturés, défigurés, « c’est d’abord ça » :

visage de lit défait
draps mal tirés fin de partie
visage qui n’a pas d’yeux
ou cousus d’un épais fil de fer qui le fait saigner
et plus loin
silence en lame de couteau
qui tient lieu de visage

Il ne s’agit pas d’une perte seulement affective, c’est le corps lui-même qui est attaqué, défait de sa peau, « écorché sublime » dit le poète qui n’est pas plus épargné :

alors tu te rappelles œil encore gonflé
de toutes les visions des paradis perdus
que tu es bien cet être
mauvais
qu’on écrase comme une mouche sur une vitre
sans plus y penser

Donc pas d’appel désespéré (plein d’espoir puisqu’on appelle encore), pas de plainte destinée à émouvoir l’objet de l’amour, pas de douce nostalgie, le désaccord a fait exploser un monde entier. Nous voici au cœur de l’irréparable qui survient quand l’une ignore l’autre, radicalement. Alors ne subsistent, si l’on peut dire, que la destruction de l’une dans la colère et la disparition de soi dans l’affliction. On parle rarement de ce drame avec cette intensité.

Il faut donc tout reconstruire. C’est l’objet de la seconde moitié du livre, qui s’ouvre sur des « Méditations sur les espaces », et commence ainsi :

bénie soit
l’ombre unique
de l’arbre
dans le paysage dévasté
par cette guerre  

Voici que l’arbre acquiert une vertu tutélaire. Tous les arbres, les tilleuls, les sureaux  les frênes, leurs cimes mouvantes telles des houles laissent entrevoir un monde dénué de drame…

Dans une suite de courtes scènes sensuellement décrites, comme autant d’épiphanies, le monde est progressivement rendu au poète. La mer en Bretagne tout d’abord, « la rencontre du sel de l’eau de la terre et du vent ». Puis « Là-haut » :

Se purifier dans l’effort
franchir le col
là où le vent joue de la lyre
dans les câbles du télésiège

Après avoir retrouvé une stature avec l’arbre debout, s’être baigné dans l’eau régénératrice, avoir conquis les terres les plus hautes, le poète est prêt à redescendre dans les plaines. Ce qu’il nomme l’« Ailleurs » : il lui faut passer par des villes qui lui sont étrangères, Nantes, Passau, Karlsruhe, Valence,  Barcelone, Gand, pour fréquenter à nouveau l’humanité, et écrire :

Passé la frontière 

tout s’éclaircit
le froid purifie l’air
et l’on crierait

Merci
                     Merci

Je suppose que le parcours que j’ai ici  reconstruit n’était pas intentionnel, il ne serait dû qu’à mon interprétation. Il n’empêche : je fais confiance à l’inconscient du poète pour avoir dessiné cette résurgence suite au naufrage.

On aura saisi dans mes citations les qualités d’écriture de Didier Gambert : chacun des poèmes est dicté par une sensation, le sens émane d’un réel qui nous est rendu dans une langue à la fois simple, évidemment concrète, et pourtant chargée de discrètes réminiscences littéraires. L’auteur n’a-t-il pas avoué qu’il avait en ligne de mire un poème de Maurice Scève (1505-1569) quand il écrivit son « Poème cruel » ? On le sait, la Délie fut dédiée à une femme aimée d'un amour impossible.

Présentation de l’auteur




Gilles Lades, Ouvrière durée

Gilles Lades est un poète aussi discret que les paysages qu’il affectionne et qui ont façonné son verbe depuis longtemps. L’intimité du terroir et celle de sa poésie se confondent en un même mouvement, qui est aussi celui de l’intime.

Page à page, au fil des mots inclinés vers le soir, nous entrons dans un autre temps, celui de la patience et de la lumière intérieure. Nous sommes d’emblée invités à une longue confrontation avec ce qui nous dépasse. Avec ce qui prolonge l’instant et le pas solitaire dans la montagne ou sur la lande. Gilles Lades est un veilleur aux sens affûtés. Chaque mot est pesé avec soin avant d’être déposé sur la page. Il s’agit de défricher un peu d’espace et de temps, pour saisir l’esprit du lieu et se rendre intensément présent aux choses. Certes, s’il est des ombres irréductibles dans l’esprit du poète comme en toute âme humaine, un irrépressible besoin d’être au monde traverse l’ouvrage, comme une lumière promise depuis toujours, depuis le premier mot. Guetteur solitaire, Gilles Lades libère les forces latentes du poème, jusque dans l’emprise du soir, jusqu’au face à face avec lui-même, jusqu’à l’heure indivise de la résonance avec l’infini. Ce sont les voix de la vie à l’œuvre que révèle cette poésie précise et belle. Sincère, authentique. Essentielle. Comme ce qui passe et demeure à la fois, tant l’obstiné frisson de l’herbe que la marche inquiète dans un instant vierge de mots, aux prises avec l’ouvrage insatiable des heures. Poésie sans mesure, offerte jusqu’à faire don de l’impossible, tout au bout de l’attente. Celle de Gilles Lades, qui est comme une grâce. Une trouée dans les ténèbres du monde.

Gilles Lades, Ouvrière durée, Le Silence qui roule, 2021, 104 p, 15 €.

Présentation de l’auteur




Regard sur la poésie Native American – John Rollin Ridge : un héritage lourd à porter ….

John Rollin Ridge (Yellow Bird, Cheesquatalawny)né le 19 mars 1827 à New Ecota, alors capitale du pays Cherokee, membre de la nation Cherokee, est le fils de John Ridge et petit-fils de Major Ridge, deux personnages de sinistre mémoire pour certains Cherokees puisqu’ils avaient signé en 1836, sans la présence de tous les leaders Cherokees, le traité de New Ecota .

Ce traité cédait au gouvernement américain le territoire Cherokee à l’est du Mississipi, et cela conduira à la déportation des Cherokees en Oklahoma, un épisode sombre de l’histoire connu sous le nom de « trail of tears », la piste des larmes. Son père avait bénéficié d’une éducation occidentale car Major Ridge avait voulu démontrer aux blancs qu’il était prêt à adopter leurs manières « civilisées », prouver que les Indiens étaient capables de faire aussi bien dans tous les domaines que n’importe quel occidental. Le père de John Rollin épousa donc la fille blanche du directeur de la Foreign Mission School où il avait brillamment fait ses études.

John Rollin à l’âge de douze ans, alors qu’il vivait désormais en Oklahoma sur la réserve allouée aux Cherokees, assista au meurtre de son père, meurtre organisé par le leader John Ross, un de ceux qui n’avait pas voulu signer le traité de New Ecota et qui considérait la famille Rigde comme traître à son peuple. Sa mère quitta la réserve avec son fils et partit pour Fayetteville en Arkansas pour se mettre à l’abri. John Rollin fit des études dans des établissements  pour « blancs », il étudia le droit et pendant ses études il commença à publier des poèmes, en parallèle il devint juriste. 

En 1849, John Rollin Ridge se trouva en présence de David Kell, un sympathisant de John Ross qu’il pensait être impliqué dans le meurtre de son père. Une querelle éclata et John Rollin tua David Kell. Bien que l’argument de l’auto-défense fût recevable, Ridge préféra s’enfuir dans l’état du Missouri pour éviter le procès. L’année suivante il partit en Californie rejoindre les mineurs attirés par la ruée vers l’or, mais la vie de mineur lui déplut, aussi il commença à écrire des poèmes publiés dans des magazines californiens, il rédigea également des essais pour le compte du parti démocrate. 

John Rollin Ridge, premier auteur amérindien publié.

Il plaidait contre le racisme et défendait la politique d’assimilation des Indiens d’Amérique ainsi que son père l’avait fait ; comme ignorant la réalité des traités non respectés, il semblait encore faire confiance au gouvernement américain malgré les violations des droits des Indiens. Plus tard ses prises de position seront critiquées, en effet John Rollin Ridge avait possédé des esclaves en Arkansas, et il exprimait son avis que les Indiens de Californie étaient inférieurs aux Indiens d’autres nations ou tribus. Ces contradictions n’empêchèrent pas à son livre The Life and Adventures of Joaquin Murieta de remporter un succès certain. Considéré comme le premier roman écrit par un Indien, ce livre fait le portrait d’un jeune mexicain courageux et travailleur venu tenter sa chance aux Etats Unis. À travers le récit le lecteur prend conscience du racisme régnant, et des lois discriminantes, comme la Foreign Miner’s Tax Law, qui, de fait décourageait les mexicains à devenir mineur, pour eux l’espoir de trouver de l’or ne rimait pas avec fortune. Et ces discriminations menaient certains à la violence, ils basculaient dans le banditisme ainsi que Joaquin, dépeint comme un gentil garçon très respectueux, y compris des femmes, le deviendra.

Cherokee Almanac : John Rollin Ridge.

Après la guerre civile, à la fin des années 1860, John Rollin Ridge ralliera le parti sudiste Cherokee et se rendra à Washington DC pour tenter de renégocier avec le gouvernement, la restitution des territoires Cherokees, car les confédérés avaient promis que les Indiens d’Amérique obtiendraient un état qui leur serait propre s’ils gagnaient la guerre… encore une promesse en l’air, jamais le peuple Cherokee, ni aucun autre peuple Indien, ne fut autorisé à créer un état indépendant. Par ailleurs, John Rollin Ridge blâmait les abolitionnistes d’avoir provoqué la guerre et il était opposé au président Lincoln.

Pendant des années il occupera le poste de rédacteur au journal Daily National en Californie. Il mourra le 5 octobre 1867, seulement âgé de quarante ans. Sa veuve fera publier ses derniers poèmes à titre posthume chez Henry Payot & Company.

La poésie de Ridge est qualifiée de romantique, elle laisse transparaître la difficulté de vivre avec une double identité, une double culture. Clamant son identité Cherokee, ne cherchant pas à l’effacer, il était pourtant favorable à la politique d’assimilation qui tuait cette culture et la langue Cherokee. Le conflit interne permanent est à la source même de son élan poétique. C’est un homme profondément divisé qui dans sa poésie nous fait part de ses espoirs d’unité, aussi bien individuelle qu’à l’échelle du pays : il croit en la promesse de l’expérience démocratique, là où des Indiens plus « clairvoyants » ou plus méfiants avaient compris que la société dominante était profondément raciste et que la « démocratie » telle que pratiquée était inégalitaire. C’est pourquoi le professeur de littérature Edward Whitley, spécialiste de la littérature du 19ième siècle et de Walt Whitman en particulier, a pu dire que John Rollin Ridge était un écrivain « white arboriginal », c’est à dire un Indien blanchi. Il ne fut pas un novateur, il suivit le courant romantique, cherchant à offrir une expérience mystique et transcendantale. Il évoque souvent les formes idéales de la femme, une muse, la mémoire irrévocablement perdue, mais dans le but de donner un sens politique à cette esthétique poétique.

John Rollin Ridge : lieu de sépulture.

“Mount Shasta”, ce poème de John R Ridge, fut publié à plusieurs reprises et dans des journaux qui n’étaient pas destinés à des Indiens d’Amérique. La dernière strophe du poème rend compte des étapes à dépasser pour que la Californie devienne prospère. Ce poème méditatif, lyrique, introduit des thèmes politiques là où un lecteur embarqué dans l’expérience romantique ne l’attendait pas. La figure de cette montagne californienne présentée avec les attributs habituels de majesté est cependant solitaire et glacée, comme indifférente au sort des humains, mais pourtant elle voit, elle a une conscience. Cette montagne deviendra plus loin dans le poème, l’esprit de la loi. Conscient des dérives dues à la ruée vers l’or, John R Ridge croyait en un système légal pur, transparent, impartial, implacable en ce qu’aucune émotion n’y a sa place, et qui élèverait le genre humain vers une vie morale avec des principes de vie héroïques, voire donquichottesque… Mais sachant son appartenance à la nation Cherokee et son implication dans l’assimilation des Indiens et autres cultures émigrées aux USA, il lui fallait cette croyance d’une contrepartie moderne à l’abandon de valeurs tribales, bien souvent pas moins morales ou éthiques, pas moins démocratiques, d’ailleurs !  

MOUNT SHASTA

Behold the dread Mt. Shasta, where it stands
Imperial midst the lesser heights, and, like
Some mighty unimpassioned mind, companionless
And cold. The storms of Heaven may beat in wrath
Against it, but it stands in unpolluted
Grandeur still; and from the rolling mists upheaves
Its tower of pride e’en purer than before.
The wintry showers and white-winged tempests leave
Their frozen tributes on its brow, and it
Doth make of them an everlasting crown.
Thus doth it, day by day and age by age,
Defy each stroke of time: still rising highest
Into Heaven!

     Aspiring to the eagle’s cloudless height,
No human foot has stained its snowy side;
No human breath has dimmed the icy mirror which
It holds unto the moon and stars and sov’reign sun.
We may not grow familiar with the secrets
Of its hoary top, whereon the Genius
Of that mountain builds his glorious throne!
Far lifted in the boundless blue, he doth
Encircle, with his gaze supreme, the broad
Dominions of the West, which lie beneath
His feet, in pictures of sublime repose
No artist ever drew. He sees the tall
Gigantic hills arise in silentness
And peace, and in the long review of distance
Range themselves in order grand. He sees the sunlight
Play upon the golden streams which through the valleys
Glide. He hears the music of the great and solemn sea,
And overlooks the huge old western wall
To view the birth-place of undying Melody!

     Itself all light, save when some loftiest cloud
Doth for a while embrace its cold forbidding
Form, that monarch mountain casts its mighty
Shadow down upon the crownless peaks below,
That, like inferior minds to some great
Spirit, stand in strong contrasted littleness!
All through the long and Summery months of our
Most tranquil year, it points its icy shaft
On high, to catch the dazzling beams that fall
In showers of splendor round that crystal cone,
And roll in floods of far magnificence
Away from that lone, vast Reflector in
The dome of Heaven.
Still watchful of the fertile
Vale and undulating plains below, the grass
Grows greener in its shade, and sweeter bloom
The flowers. Strong purifier! From its snowy
Side the breezes cool are wafted to the “peaceful
Homes of men,” who shelter at its feet, and love
To gaze upon its honored form, aye standing
There the guarantee of health and happiness.
Well might it win communities so blest
To loftier feelings and to nobler thoughts—
The great material symbol of eternal
Things! And well I ween, in after years, how
In the middle of his furrowed track the plowman
In some sultry hour will pause, and wiping
From his brow the dusty sweat, with reverence
Gaze upon that hoary peak. The herdsman
Oft will rein his charger in the plain, and drink
Into his inmost soul the calm sublimity;
And little children, playing on the green, shall
Cease their sport, and, turning to that mountain
Old, shall of their mother ask: “Who made it?”
And she shall answer,—“GOD!”

     And well this Golden State shall thrive, if like
Its own Mt. Shasta, Sovereign Law shall lift
Itself in purer atmosphere—so high
That human feeling, human passion at its base
Shall lie subdued; e’en pity’s tears shall on
Its summit freeze; to warm it e’en the sunlight
Of deep sympathy shall fail:
Its pure administration shall be like
The snow immaculate upon that mountain’s brow!

∗∗∗

Voyez le redoutable Mt Shasta, il se tient
Impérial au milieu de moins hauts sommets, solitaire et
Froid, comme quelque esprit non passionné.
Les tempêtes du ciel peuvent le frapper 
Furieusement, mais avec grandeur il se dresse immobile 
Vierge ; et depuis le roulis des brumes il élève
Sa fière tour encore plus pure qu’avant.
Les averses d’hiver et les tempêtes aux ailes blanches laissent
Leurs tributs gelés sur son front, et lui 
Font une couronne éternelle.
Donc jour après jour, âge après âge, faites-le
Défiez chaque coup du temps tout en vous élevant,
Le plus haut dans le ciel ! 

 Aspirant à l’altitude sans nuage de l’aigle
Aucun pied humain n’a souillé son flanc neigeux ;
Aucun souffle humain n’a embué le miroir glacé qu’il
Tend à la lune, aux étoiles et au soleil souverain.
Les secrets de son sommet chenu ne nous deviennent
Peut-être pas familiers, sommet sur lequel le Génie
De cette montagne construit son trône glorieux !
Loin soulevé dans le bleu infini, il
Encercle, de son regard suprême, les vastes
Territoires de l’ouest, qui s’étendent sous
Ses pieds, en des tableaux de sublime repos
Qu’aucun artiste n’a jamais dessiné il voit les collines
Gigantesques paisiblement se dresser
En silence, et qui dans la longue distance
Se rangent par ordre de grandeur. Il voit la lumière solaire
Jouer sur les torrents dorés glissant
Par les vallées. Il entend la musique de la grandiose mer solennelle
Et surplombe l’immense vieux mur occidental
Pour regarder le berceau de la Mélodie éternelle !

 Lui-même toute lumière, sauf quand un très auguste nuage
Étreint quelque temps l’interdiction qu’est sa forme
Froide, cette montagne monarque répand son ombre
Puissante sur les pics plus bas,
Qui, comme des intellects inférieurs à quelque grand
Esprit, par contraste se montrent dans leur petitesse !
Tout au long des mois estivaux de notre
Année la plus paisible, il pointe son axe glacé
En l’air, pour saisir les rayons étincelants qui tombent
En pluies de splendeur autour de ce cône en cristal,
Au loin elles roulent en flots de magnificence,
A l’écart de ce vaste Réflecteur solitaire dans
Le dôme du ciel
Immobile sentinelle surveillant le val
Fertile et les plaines ondoyantes en dessous, l’herbe
Se fait plus verte. Dans son ombre, douce éclosion
Les fleurs. Purifiants puissants ! Depuis ses flancs
Neigeux les brises froides sont dispersées vers les « foyers
Paisibles des hommes », qui abritent à ses pieds, et aiment 
Observer sa forme vénérée, oui là
Réside la garantie de la santé et du bonheur.
Puisse-elle gagner les communautés bénies 
À des sentiments et à des pensées plus nobles—
Le merveilleux matériel symbole des choses
Éternelles ! Et je devine bien comment, dans les années futures
Le laboureur à l’heure suffocante au milieu
Du sillon de son champs fera une pause, il essuiera
La poussière à son front, et avec révérence 
Il admirera ce pic vénérable. Le gardien de troupeau
Freinera sa monture dans la plaine, et abreuvera
Son âme la plus intime du calme sublime ;
Et les petits enfants, jouant sur la pelouse s’arrêteront
De pratiquer leur sport, et se tournant vers cette vieille
Montagne demanderont à leur mère : Qui l’a créée ?
Elle répondra — « Dieu ! »
Cet état doré prospèrera, si comme
Son mont Shasta, la loi souveraine se soulève
Dans une atmosphère plus pure—si haute
Que le sentiment humain, la passion humaine à sa racine
Reposeront domptés ; même des larmes de pitié sur
Ses sommets gèleront ; même le soleil de profonde
Sympathie échouera à le réchauffer :
Sa pure législation sera comme  
La neige immaculée sur le front de cette montagne !

Pour continuer dans le registre nostalgique et pour souligner le déchirement d’un être hybride, Indien mais cherchant à satisfaire les critères occidentaux pour se faire accepter dans une société hypocrite faisant semblant de promouvoir l’intégration alors qu’elle est fondamentalement raciste, voici cette « chanson » de la douce jeune-fille Indienne. Rêve romantique et refuge pour celui qui regrette certainement certaines valeurs et une qualité de la vie « à l’Indienne », tout en reconnaissant sa perte tant la vision du poète ne voit possible qu’une petite île pour sauver la part Indienne et de son être et de l’Amérique en entier.

SONG -- SWEET INDIAN MAID

Oh come with me, sweet Indian maid,
My light canoe is by the shore --
We'll ride the river's tide, my love,
And thou shalt charm the dripping oar.

Methinks thy hand could guide so well
The tiny vessel in its course;
The waves would smooth its crests to thee,
As I have done my spirit's force.

How calmly will we glide, my love,
Thro' moonlight drifting on the deep,
Or, loving yet the safer shore,
Beneath the fringing willows creep!

Again like some wild duck we'll skim,
And scarcely touch the water's face,
While silver gleams our way shall mark,
And circling lines of beauty trace.

And then the stars shall shine above
In harmony with those below,
And gazing up and looking down,
Give glance for glance, and glow for glow.

And all their light shall be our own,
Commingled with our souls, and sweet
As are those orbs of bliss shall be
Our hearts and lips that melting meet.

At last we'll reach you silent isle,
So calm and green amidst the waves, --
So peaceful, too, it does not spurn
The friendly tide its shore that laves.

We'll draw our vessel on the sand,
And seek the shadow of those trees,
Where all alone and undisturbed,
We'll talk and love as we may please.

And then thy voice will be so soft
'T will match the whisper of the leaves,
And then thy breast shall yield its sigh
So like the wavelet as it heaves!

And oh! That eye so dark and free,
So like a spirit in itself!
And then that hand so sweetly small
It would not shame the loveliest elf!

The world might perish all for me,
So that it left that little isle;
The human race might pass away,
If thou remainedst with thy smile.

Then haste, mine own dear Indian maid,
My boat is waiting on its oar;
We'll float upon the tide, my love,
And gaily reach that islet's shore.

∗∗∗

Oh viens avec moi, douce jeune-fille Indienne
Mon canoé léger est près de la rive —
Nous chevaucherons le courant de la rivière, mon amour,
Et tu charmeras la rame ruisselante.
 

Il me semble que ta main pourrait si bien guider
La course de ce petit vaisseau ;
Les vagues adouciraient leurs crêtes pour toi,
comme je l’ai fait pour la force de mon esprit.

Comme nous glisserons calmement, mon amour,
À la lueur de la lune dérivant sur l’eau profonde,
Ou, préférant la berge plus sûre,
Sous les saules rampants !

Comme des canards sauvages nous frôlerons,
Et rarement toucherons le visage de l’eau,
Alors que des rayons d’argent marqueront notre passage,
Et des lignes concentriques de beauté traceront.

Et puis les étoiles au-dessus brilleront
En harmonie avec celles dessous,
Regardant en haut et en bas,
Echangeront coup d’œil pour coup d’œil, brillance pour brillance.

Alors toute leur lumière sera la nôtre,
Emmêlée à nos âmes, et aussi doux
Que ces cercles bénis seront nos
Cœurs et lèvres qui fondant se rencontreront.

Enfin nous t’atteindrons île silencieuse,
Si calme et verte au milieu des vagues, —
Si paisible aussi, elle ne rejettera pas
Le courant qui lave amicalement ses berges.

Nous tirerons notre vaisseau sur le sable,
Chercheront l’ombre des arbres,
Là-où seuls et tranquilles
Nous parlerons et aimerons autant qu’il nous plaira.

Ensuite ta voix sera si basse
Qu’elle coïncidera avec le murmure des feuilles,
Ensuite ta poitrine rendra son soupir
Pareille à la vaguelette quand elle se soulève !

Oh ! Cet œil si sombre et libre,
Si pareil à un esprit !
Et puis cette main si douce et petite
Qu’elle ne ferait pas honte au plus adorable des elfes !

Le monde entier pourrait périr,
S’il ne me laissait que cette petite île ;
Le genre humain pourrait mourir,
Si tu restais arborant ton sourire.

Donc hâte-toi, ma chère jeune-fille Indienne,
Mon bateau et ses rames attendent ;
Nous flotteront sur le courant, mon amour,
Et gaiement atteindrons les rivages de l’île.

La poésie sans nul doute a joué un rôle thérapeutique dans la courte vie de John Rollin Ridge, capable de transformer l’historique et les traumas, personnels ou impersonnels, en une expérience de beauté et de vérité. Le premier vers du poème ci-dessous fait référence aux paroles de Moïse disant : « j’ai été un étranger en terre étrangère », mais cela est aussi la vérité inscrite, non sans une certaine amertume si l’on en croit certaines déclarations, dans la chair même du poète, qui à plusieurs reprise a dû déménager, a dû quitter le territoire Cherokee et se mêler à une société qui ne voulait pas de lui malgré ses efforts d’intégration et sa relative réussite sociale. D’où un mouvement de nostalgie parfois en pensant au temps de son enfance heureuse à New Ecota. Ridge rêvait d’un territoire Cherokee indépendant gouverné par des Cherokees qui auraient abandonné certaines de leurs coutumes pour adopter certaines mœurs occidentales considérées comme progressistes. Mais ainsi qu’il l’a écrit, en plus des politiques militaires impitoyables menées par le gouvernement, il y avait des conflits entre les Cherokees eux-mêmes : « to see the fire-brand of discord and contention hurled in their midst, to blast and whither their energies and almost effectually to cancel all the good which they had wrought themselves, was truly a painful contrast, and a heartrending sight. »(Constater les brandons de la discorde et de la tension précipités en leur sein, pour faire exploser et affaiblir leurs énergies, et suffisamment efficacement pour annuler tout le bon qu’ils avaient forgé eux-mêmes, contrastait douloureusement et ce fut véritablement une vision déchirante)

THE HARP OF BROKEN STRINGS

A STRANGER in a stranger land,
Too calm to weep, too sad to smile,
I take my harp of broken strings,
A weary moment to beguile;
And tho no hope its promise brings,
And present joy is not for me,
Still o'er that harp I love to bend,
And feel its broken melody
With all my shattered feelings blend.

I love to hear its funeral voice
Proclaim how sad my lot, how lone;
And when, my spirit wilder grows,
To list its deeper, darker tone.
And when my soul more madly glows
Above the wrecks that round it lie,
It fills me with a strange delight,
Past mortal bearing, proud and high,
To feel its music swell to might.

When beats my heart in doubt and awe,
And Reason pales upon her throne,
Ah, then, when no kind voice can cheer
The lot too desolate, too lone,
Its tones come sweet upon my car,
As twilight o'er some landscape fair
As light upon the wings of night
(The meteor flashes in the air,
The rising stars) its tones are bright.

And now by Sacramento's stream,
What mem'ries sweet its music brings --
The vows of love, its smiles and tears,
Hang o'er this harp of broken strings.
It speaks, and midst her blushing fears
The beauteous one before me stands!
Pure spirit in her downcast eyes,
And like twin doves her folded hands!

It breathes again -- and at my side
She kneels, with grace divinely rare --
Then showering kisses on my lips,
She hides our busses with her hair;
Then trembling with delight, she flings
Her beauteous self into my arms,
As if o'erpowered, she sought for wings
To hide her from her conscious charms.

It breathes once more, and bowed in grief,
The bloom has left her cheek forever,
While, like my broken harp-strings now,
Behold her form with feeling quiver!
She turns her face o'errun with tears,
To him that silent bends above her,
And, by the sweets of other years,
Entreats him still, oh, still to love her!

He loves her still -- but darkness falls
Upon his ruined fortunes now,
And 't is his exile doom to flee.
The dews, like death, are on his brow,
And cold the pang about his heart
Oh, cease -- to die is agony:
'T is more than death when loved ones part!

Well may this harp of broken strings
Seem sweet to me by this lonely shore.
When like a spirit it breaks forth,
And speaks of beauty evermore!
When like a spirit it evokes
The buried joys of early youth,
And clothes the shrines of early love,
With all the radiant light of truth!

∗∗∗

La harpe aux cordes cassées

ÉTRANGER en terre étrangère,
Trop calme pour sangloter, trop triste pour sourire,
Je prends ma harpe aux cordes cassées,
Un moment d’épuisement à envoûter ;
Et bien qu’aucun espoir sa promesse n’apporte,
Et que la joie ambiante ne soit pas pour moi,
Immobile au-dessus de cette harpe j’aime me pencher
Éprouver sa mélodie brisée
De tous mes sentiments éclatés mélangés.

J’aime entendre sa voix funèbre
Proclamer combien mon sort est triste, combien solitaire ;
Et quand mon esprit se fait plus sauvage,
J’aime référencer son ton plus sombre, plus profond.
Et quand mon âme plus follement luit
Au-dessus des épaves gisantes qui l’entourent,
Au-delà de la position mortelle, haute et fière,
Pour ressentir sa musique monter en puissance,
Je suis rempli d’un étrange plaisir.

Quand mon cœur bat de doute et de crainte,
Que la raison pâlit sur son trône,
Alors, quand aucune voix douce ne peut réconforter
Le bien trop désolé, trop seul,
Ces tonalités m’arrivent tendres sur ma voiture 
Comme le crépuscule sur un paysage clair,
Comme la lumière sur les ailes de la nuit
(Le météore étincelle en l’air,
Les étoiles s’élèvent) ces tonalités sont brillantes.

Et maintenant au bord du torrent de Sacramento,
Quels doux souvenirs sa musique procure —
Les vœux d’amour, ses sourires et ses larmes,
Sont suspendus au-dessus des cordes cassées de la harpe.
Elle parle, et au milieu de ses peurs, rougissante
La splendide se tient devant moi !
Pur esprit dans ses yeux découragés,
Et comme deux colombes ses mains pliées !

De nouveau elle respire—et à côté de moi
Elle s’agenouille, avec une rare grâce divine—
Puis une pluie de baisers sur mes lèvres, 
Elle cache nos bisous de ses cheveux ;
Ensuite tremblant de délice, elle jette
Son être splendide dans mes bras,
Comme si surpuissantes,  elle cherchait des ailes
Pour la cacher de ses charmes conscients.

Elle respire encore une fois, courbée par le deuil,
L’éclat a quitté ses joues définitivement,
Tandis que, ainsi que mes cordes de harpe cassées maintenant,
Il contemplait sa forme en frissonnant !
Elle tourne son visage inondé de larmes,
Vers lui afin que le silencieux se penche au-dessus d’elle,
Et au nom des douceurs d’autres années,
Elle le supplie encore, oh, de l’aimer encore !

Il l’aime encore—mais l’obscurité tombe
Sur ses chances à présent ruinées,
Et c’est son exil condamné à fuir.
Les rosées, comme la mort, déposées sur son front,
Et froide la sensation de son cœur
Oh, cesse—mourir est agonie :
C’est plus que la mort quand les bienaimés partent !
Alors puisse cette harpe aux cordes cassées
Me sembler douce sur cette rive désolée.
Quand tel un esprit elle point,
Et de plus en plus parle de beauté !
Quand tel un esprit elle évoque
Les joies enfouies de la prime jeunesse,
Et habille les autels d’un amour précoce
De toute l’éclatante lumière de la vérité !

Si la harpe aux cordes cassées représente le pays Cherokee désormais dépecé et distribué aux colons, si elle représente les différentes tendances conflictuelles au sein du peuple Cherokee, ou encore si elles représentent la culture Cherokee qui du fait de la déportation en Oklahoma n’a plus les moyens de prospérer et de faire entendre son chant unique, on peut parier que le « sacrifice » de John Rollin Ridge, le choix politique de son père et grand-père, ne lui ont pas apporté la paix souhaitée. Reste à louer une attitude qui ne cherche pas à se présenter comme victime mais qui essaie de chercher une solution pour l’avenir, bien que secrètement, regrettant le passé.

Présentation de l’auteur




Chronique du veilleur (48) : Gustave Roud

Les œuvres complètes de Gustave Roud paraissent enfin aux éditions Zoé, en 4 volumes réunissant les 10 livres d'oeuvres poétiques, les traductions, le journal et tous les textes de critique. Les français vont-ils enfin découvrir un de nos plus grands écrivains lyriques du XX ème siècle ?

Depuis longtemps, Gustave Roud est honoré à sa juste dimension dans son pays, la Suisse romande. Né en 1897, il est très vite devenu un acteur culturel helvétique majeur. Installé avec ses parents dans une ferme de Carrouge, il n'a jamais quitté sa maison, arpentant la contrée, participant aux travaux des champs, photographiant ses amis paysans. Dès 1915, ses premiers poèmes ont dit son incurable solitude. « Je serai celui qui va seul au crépuscule / seul -en pleurant, par les routes du crépuscule... » « Seul à tout jamais », dans la souffrance d'une homosexualité impossible à vivre pleinement.

Mais cette solitude, nous dit-il, lui « rendait le monde ». Adieu, le premier livre paru en 1927, célébrait avec une ferveur intense, les villages, les champs, les paysages du Haut Jorat, où chaque marche lui offrait de goûter une véritable communion. Les notes, consignées au fil des promenades et des saisons dans de petits carnets, recopiées dans le Journal (1916-1976), reprises souvent dans les livres achevés, regorgent de sursauts, de rencontres, d'admirations. Et c'est d'abord avec la terre et les plantes que se passe la communion :

Aux haltes, meilleure que l'herbe fraîche à nos pieds en sang, plus douce que l'ombre où l'on s'allonge, nous buvions la couleur des feuillages, comme iune gorgée d'eau ce vert profond (…) Communion, échange, mots insuffisants, c'est incorporation qu'il faudrait dire... (Feuillets)

Gustave Roud, Oeuvres complètes, Editions ZOE, 4 volumes, 5056 pages, 85 euros.

Les corps des jeunes paysans s'accordent au paysage contemplé. Le Journal abonde en désirs inassouvis et en tentations. Le désir est comme transcendé par « l'innocence sublime parce qu'éternelle » que Roud perçoit en chacun. Pour un moissonneur, en 1941, célèbre « les moissonneurs pris dans leur toile blanche comme de grands anges maladroits :

Tu ne disais rien, les lèvres seulement entrouvertes sous le dur crin d'or, une main dans la mienne, l'autre enroulée au manche de ta faux. 

Le poète est ainsi hanté par ces présences frôlées, ces témoins d'un « Paradis dispersé » selon la vision de Novalis, que Roud étudiait et traduisait. Ces présences devenues avec le temps de doux fantômes, dont la vie n'est pas moins proche et sensible :

                  Où es-tu ?

                   Est-ce que tu ne peux plus entendre ce cri ? Est-ce que tu ne peux me dire si tu respires encore, si ton cœur bat, si cette épaule où poser ma main, une seule fois encore, m'est refusée ?

                  Le jour où je n'en pourrai plus d'attendre, je retournerai vers l'oiseau et cette fois, je l'appellerai comme ce soir je t'appelle. Son cœur est plein de pitié (…) Il m'écoutera. Il écoute ce que les morts lui disent, toutes les paroles des voix sans lèvres. Il porte aux vivants les messages des morts. Il écoutera tout ce que je pourrai lui dire et il s'envolera vers toi. 

Ce sont des instants d'éternité que saisit Gustave Roud, il accède alors, par eux, à une « vie profonde et pure », grâce à l'intercession de ceux qu'il désire. Il les réunit tous en quelque sorte sous le nom d'Aimé, à la fois « homme de chair » et créature « d'une transparence de cristal. » Ils appartiennent à  un monde voué à la disparition, à une Campagne perdue, comme l'évoque le dernier livre paru en 1972, 4 ans avant la mort de Roud. C'était un monde de lenteur et de cadences paisibles, où le poète avait le sentiment de toucher là à la « vraie vie ».

Monde défunt, que le regard intérieur, aidé par la mémoire, retient dans ce qu'il a d'essentiel et d'éternel. Rien n'est perdu, quand la Poésie vient sauver l'éphémère, l'instant suprême qu'un certain état extrême de l'âme et du corps a pu connaître. C'est là toute la foi « terrestre » de Gustave Roud, qui nous confie dans Requiem, son livre le plus composé (1967), le plus émouvant sans doute :

Oui, j'ai été cet homme traversé. Les doigts noués au mince tronc d'un frêne adolescent (j'en sens encore la lisse fraîcheur à mes paumes), j'ai soutenu de tout mon corps l'irruption de l'éternel, j'ai subi l'assaut de l'ineffable, j'ai vu la vraie lumière, la même, baigner toutes ces choses périssables autour de moi, leur infuser une splendeur de symphonie. 

Présentation de l’auteur




Francis Coffinet, Le signe vertébral sécable

Poésie et Fictionnalisme scientifique

Ou cette part du souffle glissée dans la mort que l’on incise.

***

1/ Si l’on considère la substance de notre lendemain comme l’unique possibilité de  nous identifier dans le temps, nous pouvons alors tenter par le subterfuge de la langue poétique d’en entrouvrir la chambre, que nous définirons comme secrète : glissement à l’intérieur de notre bouche d’un caillot de verbe qui pourra  déployer dans notre corps fractal et fictionnel  [éternel ] le principe actif romanesque, la formule chimique: le sel des possibles. 

Tous les écrits sacrés sont nés ce même principe de Fondation.

L’écriture comme nouvelles tables de la loi revient, conglomérée, comme un boomerang vers la grande épopée romanesque de chacun.
Elle nous  fixe ainsi  un coin dans le cœur - et  le tient entrouvert - 
Elle vampirise le vide  et nous assure une descendance  réelle dans la pensée. 

2/  Le jour où nous pourrons mesurer les constantes sanguines de nos rêves nous remonterons le fleuve des morts.

La fiction est en quelque sorte un art quantique, et la rétine  est pour chacun «  la boîte de Schrödinger ». Qui  se risque à briser l’oeil connaîtra la fin de l’histoire. 

Dans l’enlèvement de Patrocle par Achille de Fussli / on assiste à un combat cosmique où à l’inverse des  stratégies déployées en ce monde la fiction aspire  notre vie et notre sang.

« Visite l'intérieur de la terre ». · « En rectifiant ». · « Tu trouveras la pierre cachée. » peut on entendre dans la tradition.

« Avec de l’ici on biffe du là-bas » écrit Michaux 

Il faut non seulement analyser toutes les combustions mais sans relâche jeter la fiction  dans le foyer du réel pour l’alimenter et tenter la mise en orbite du sens.

"Patience, patience, patience dans l'azur ! Chaque atome de silence est la chance d'un fruit mûr !" écrit Paul Valéry- Notre histoire c’est aussi  cette patiente observation de la germination des symboles… [ à regarder longuement mûrir la foudre  on en devient le maître plus que la victime].

3/ Mâcher la fiction comme du kath, en écraser les aspérités sous la dent , et avancer, à tâtons , dans le système nerveux central. 

Ainsi nous conduisons le Vaisseau fantôme dans les coronaires.
Nous hissons le grand mât du fictionalisme à hauteur du réel - et nous pouvons répondre au chant des fées qui nous appelle.

Paul Éluard introduit une phase quasiment chorégraphiée du verbe :« On rêve sur un poème comme on rêve sur un être »  / ainsi il existe une sémantique génitrice dans l’écriture, ( une captations d’image(s) et de racines  qui équivaudrait, par un geste de la main, à la capture d’un papillon  en plein vol - / au réveil nous en gardons les traces sur les doigts/.
Figer  le vivant à hauteur de lévitation et de mythologie comme un lac d’huile nous  met à l’arrêt tel un  fixeur devant le réel.

***

Un texte reprend forme comme une fleur de thé dans le pavillon de l’oreille et vient porter la promesse jusqu’en l’aire de Wernicke, là où se forment, en quelque sorte, la lave et  la compréhension du mot. Voilà ce qui initie le nourrisson à la durée et à la construction du soi.
Un monde de chair nommé croît dans le jardin des fictions . Mais il faut le nommer et le renommer sans cesse afin qu’il persiste.

Concept percé au foret le jour ou transmis comme un onguent par  imposition du verbe la nuit. Golem et cataplasmes de terre humide ne nous quitte plus. Il faut savoir se battre avec la fièvre [ derme, épiderme et organes] comme avec un tigre.

4/ Mutation de l’être / lent déplacement  dans l’espace mental, il n’en tient qu’à nous que la chorégraphie du mot ouvre un geste, une échappée dans le monde physique. Le léviathan sommeille toujours à nos pieds. 

Nos corps prêts à danser sous l’impulsion de la secousse tellurique qui dessinent notre futur par frottis. 

L’épistémologie, c’est le babil des dieux.

Une symbolique des arcanes de la sémantique et de la grammaire qui à chaque fois  donne un tirage différent.

Ce nouveau codex recèle sur le recto de chaque page les griffures écrites et sur le verso la cristallisation de la matière même du vivant. Le papier qui porte l’une et l’autre, c’est cela que nous appelons fiction. 

***

Le livre de la grande science humaine se tiendra là, ouvert,  tant que quelqu’un pourra sans hésiter, sans peur du risque, se saisir à main nue de la lame aiguisée qui à la fois pourrait lui ouvrir les veines et lui permettre en même temps la découpe de chacune des pages. 

Toute la substance du temps , selon saint Augustin, tient dans l'instant indivisible qu'est le présent.

***

« C’est l’alouette ou c’est le Rossignol ?  » écrit Shakespeare dans Roméo et Juliette bien avant que Deleuze et Guattari ne songent à mêler ( dans la philosophie du rhizome) le chant des deux oiseaux donnant ainsi tous  trois la réponse dans une même trille. 

***

Poèmes extraits du Signe vertébral sécable

Le corps non exempt de corps

et l’œil :  petit cadran qui implose

 sous la ligne de flottaison du visible.

Premier principe alchimique :

à chaque fois que tu me tournes le dos, une saison se fane -

ou bien : 

en raclant les cellules de l’intérieur de la bouche 

on y trouve ton schéma, ta crête biologique-

ou encore : 

ouvrant une toute petite trappe dans ta joue

                       j’y glisse un destin à ton insu. 

  ∗

Une langue pour désapprendre,

une langue, à l’inverse du baiser,

 pour dénouer une à une les 

                                   bandelettes du sens.

Ligature

 

parole dissoute 

 

lumière criblée de sel

 

petit ange lingual.

 

Grain de fleur et pression sur la phalange de la tendresse-

 

l’aube évide le jour de sa matière

 

- dans chacun de tes os résonne l’une de tes vies –

 

quatre baies posées sur ton corps suffisent à m’en ouvrir les portes.

Toute lumière s’accroît de la somme des sourires qu’elle incise-

une chirurgie sans fin

où chaque corps touché reste en équilibre sur le fil –

je mords la chair

j’ouvre les deux plaies

j’appelle en toi tous ceux de l’intérieur-

le poids de chaque organe est un code chiffré :

même densité pour le cœur, l’âme et la rétine.

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur




Michel Gendarme, Les Poèmes Arrangés (Le fils du muet n’a pas la parole), extraits

Cette poésie parle de ce qui est en lisière, de ce qui peut être vu depuis un refuge du point de vue d'un être indéfini, caché, par besoin, par survie Son refuge est une forêt dans laquelle il enfouit sa vie Dans laquelle il s'enfuit De laquelle il ne peut s'enfuir vraiment Alors il longe ce qui le sépare des hommes Les sons, les allures, les rires, les gestes, les mots séparent Voir sans être vu, entendre sans être écouté, jouer sans y être appelé L'être maudit a pour lui la confession intérieure et les actes de solitude Cette poésie exprime la crainte que le monde atteigne par trop de folie l'être démuni de naissance.

Avertissement : les mots entre parenthèses ne sont pas lus, mais leur présence est nécessaire, les mots en italiques restent ainsi.

10

ainsi arriver marais et flaques trouver ramasser inventer des choses bruits des rayons lumière dans les yeux devenir petit minuscule c’est le silence de l’eau avec des éclats de chatoiement des odeurs de lune alors marcher par l'ennui les dents mordent ma langue marcher par l'ennui les dents cassent en morceaux marcher par l'ennui briser des branches (casser) rompre des planches fouler les orties massacrer les orties les orties ennemies trancher les têtes puis les corps écraser les pousses admirer le lieu du combat s'assoir sur une souche pleurer là sans savoir sans eau qui coule, dans nuit attendre dans cabane demain je grimperai en haut des arbres voir le soleil admirer plaine le clocher du village vers l'école prendre route vers sur la grande route vers sur la très grande route noire route dessinée (de) les lignes blanches zozotantes (ou)… longues parfois (très)… dessous les arbres saisir les nuages

11

les mains de l'homme de fer la poigne empoigner secouer secouer secouer la souffrance ça commence un jour jour précis l'instant de brute ça devient brute c'était mais devient alors (et) ça s'appelle la la brute coups le mal grimaces cassures brisures rien à briser le rien qui dit qui fait ça suffit à tuer ça du bonheur on est dans bonheur puis d'un coup frayeur le corps meurt de ça il meurt le mouvement meurt la grâce quand elle et qu'elle la grâce non non plus jamais plus élégance... parfois si encore un peu elle danse en elle dernière joie joie... dans dans cabane je vois encore (sa) la joie le vent des robes elles tournoyaient je riais... dans forêt les arbres dansent c'est elles et chantent... je ralentis je freine je stoppe comme si comme si je restais je moi dans le mouvement de ses robes

12

ils gagnent le terrain mangent la terre bonne bétonnent goudronnent ça on sait ils arrivent avec leur vitesse sûrs des moteurs de vie la leur une mécanique d'anges anges détournés de l'attente déjouée leur esprit des anges tordus (des) anges perverses des anges ont ils ont mangé la loi les cathédrales elles protègent leurs mandibules croch(ues)ets les gargouilles dirigent recrutent repèrent crachent les petits je je les appelle les petits ils cavalent alors aux ordres aux ordres je me suis réfugié oui un réfugié ne plus quitter ça la quiétude d'être dans le silence mais pas le silence la solitude mais pas la solitude être immobile mais pas immobile je suis mes mots mes mots mes mots

13

je fais plus vite plus mieux (que) le temps du jour avant le jour pour être prêt (avant) toujours avant toujours j'éclaire tout les étoiles qui les appelle(nt) qui le matin avec le réveil rayon le réveil soleil du chasseur du luisant des nuits avec des voyelles avec des consonnes (à) avec des sons la quiétude d'être dans le silence mais pas le silence la solitude mais pas la solitude (que) le temps les vagues de géant j'en ai devine mes mots mes mots mes mots mes mots

14

je ne songe pas pas à moi pas à moi mais pas à moi un barouf du barouf du fracas même l'orage ne fait pas ça ô rage ma colère je ris quand l'éclair je ris quand tonnerre quand la grêle je me marre j'entends le cristal archange déluge de chant d'étoiles 

ici l'eau fait ça si on veut sur des bateaux de glace sur des voiliers de l'été feuille de noix coquille radeaux de chêne plouf plaf pluf toc coulé re-coulé dépanné sauvé font ça les livres aux couleurs inventent les mares ce qu'on fait là 

ça explose là-bas je sais mille bombes dix mille j'entends plus j'entends plus (geignent) ça geint les ruines ruines décharnées les corps fumées fantômes aux écoles les sons les rires les souvenirs muets j'entends plus le chien le chat vente vent ce n'est plus un souffle en haleine, charogne, les nuées les mouches des monceaux des monceaux

au bord (de) regarder la peau de l'eau attendre l'eau à soi attendre l'eau à soi c'est ça mais là-bas immense incroyable immense les yeux ne s'arrêtent pas le loin est loin loin loin sans jamais d'arrêt tirer l'eau à soi la plage l'immense mare salée c'est ça

des monceaux gémissants des vers, plein, le ventre ouvert geint et ça coule un liquide du fiel noir ça coule un son diable sa peau écorchée peu à peu ça s'ébruite ça se déshabille en sang caillotte et bulles ça pourrit avec des sons bruits de ça ça pourrit sur les champs de ça une guerre les nuées carillonnent de leurs ailes il suffit d'elles (de) elles sept mouches pour un nuage un silence ça n'existe plus

(et) je ramasse aux champs les chutes de voix célestes

15

gouttes qui font ding dong
poings défaits mains ouvertes
posées sur la terre posées vers le ciel
mains de gouttes (clignent) de chatouillis
mains libres de pluie de gouttes mains nénuphars
des mains libellules

il me reste la guirlande du rêve
ange grenadine
elle est venue là et
elle chante rit
je mire la lumière dans ses yeux
stop
puis les mots les gestes
stop
rien
juste dans l'éclat
juste un éclair

nous aurons les gestes minimum pulsations infimes les sons du cœur des vaisseaux à fleur de peau avec des fleurs les toisons d'or

il y a une vie qui bouge partout sous les écorces dans un caillou ça grouille même à la queue de la comète

16 et 17

grand arbre mon ami je t'embrasse mais tu grattes

une bête sent la fourrure la terre feuille sauvage (d')étoiles filantes incandescentes dans le corps les yeux lâchent des balancelles stop la magie stop elle parle elle sourit bouge ne fait plus la lumière (parle s'enfuit) explique raconte elle ment ajoute ça multiplie ça soustrait elle additionne elle divise (perd je perds) elle montre sa tête ses bras ses jambes sa chair rose ses yeux bruns ses cheveux tous frisés elle met du bleu des bleus sur ses ongles du vert sur les orteils bijoux au cou à la cheville (les doigts) des bijoux (les) diamants avec de l'or encore les améthystes et les rubis encore les émeraudes (et) en chrysalide

elle cache puis elle laisse une trace quand partie loin elle disparue une bague comme en toc tic toc accrochée dans le rayon soleil contre la pendule tic tac j'attends un mirage sans lumière je plie et je replie bras jambes corps têtes pieds mains lesoreilles même ferme tout ça et pose ça en rond sur les fougères oranges

des millions et une fourmis bavassent elles torturent le cadavre encore dans la vie elles (déchirent) découpent arrachent (piétinent acidifient) percent et boivent et rongent, le cadavre hurle des faux cris, (ce sont) elles qui tchatchent qui montent au ciel le (un) vrombissement des maux humains les bouffent les digèrent les crachent en sons incroyables tuent les oreilles

moi j'entends tout ça assis moi plié contre l'arbre (j')écoute les peurs humaines toutes les terreurs mondiales de la nuit moderne je me plaque contre le tronc (j')ouvre grand ma gueule et (je) mords l'arbre

un hellébore de fin d'hiver (elle) tombe dernier(s) (r)appel(s) (l')avant le (à) présent

 18

donne-moi de la gaieté l'univers (en) dans la poche une pierre un pétale une écorce donne-moi que ça et toujours que ça chante des instants de trésor à garder siroter l'été réchauffer l'hiver je fixerai la lune je peindrai la lune je la frôlerai la lune elle me fera une note suspendue en attendant que le requiem s'élève

19

le maître me donne à moi (moi) contre le radiateur la bonne place c'est (ce) qu'il faut trouver toujours avec des gommettes (et des) les images les mots des autres les additions des autres ah les récitations ah les récitations les mots des récitations les images des récitations écho des mots des récitations ah les images des récitations  ah les images des récitations longtemps en écho même en récréation écho des images et des mots à dessiner sur le sol des faux mots des fausses images

allongé je regarde le ciel venir établir l'ordre je croyais que la terre elle allait vite si vite quand le vent et ça filait dans le ciel les nuages ils défilaient si vite sans bruit le vent si mais les nuages non ils imitaient les sons des songes m'emmenaient loin dans la terre à l'intérieur(e)

 20

tu veux jouer aux billes je suis bon aux billes (bonne bille) (bonnes billes) le champion peu s'affrontent je pique toutes les billes (car champion) peut pas perdre car champion le terrain connu gratté du regard promenade des doigts du doigté paf la bille dedans au pied de la racine (un) tilleul (doit) dix billes vingt billes gagnées les belles (billes) agates (belles) brillent elles s'amoncellent petite vasque au pied de l'arbre nid de billes richesse des lumières mettre la bille entre les doigts s'éblouir au soleil il y a des mondes là-dedans si je bouge si je tourne des mondes magiques des planètes interdites (seules connues seules) je les gagne toujours alors perdent déçus eux pleurent eux jalousent eux voudraient les billes les planètes les cieux du(e) magicien jamais me les prennent mes agates eux boudent s'éloignent ne jouent plus jamais (longtemps longtemps) car eux savent mon armée mes galaxies de couleur

moussaillon, à l'abordage de la vie ha ! ha ! tout droit, courir, sauter, berlinguer dans tous les sens ! bourlicoter avec espoir, c'est quoi (l'espoir) ? la peau s'éveille ! les fantômes (ils) rapetissent ! sympa ! belle journée ! ce sera comme ça, avec le cœur ! vas-y mets(-y) la joie !