Franck Bouyssou, 5 poèmes

Tu veux mimer une saison morte
être un bois flotté sur une plage en hiver
un grincement de porte, une couleur sur un mur qui ne sépare pas

ce qui est là pour être là
que rien ne traverse

arrière-pays qui ne manque à personne
mais dont l'absence mutilerait l'apparence du monde.

∗∗∗

À portée du temps
tu façonnes un lieu avec des mots
couverts du silence des rivières
boisés comme un rêve en novembre

où le seuil est une ombre qui danse
dans l'espace mesuré d'une page non écrite

et tu attends, errant,
que l'encre bleue de l'enfance se lève
et vienne mourir sur les fleurs de ta tombe.

∗∗∗

Tu trembles d'un incessant refrain
qui du dedans cherche une fenêtre
au bord de ton corps grillagé

tu ne vois plus ni la tourterelle
ni le visage des saisons ni le garçon qui t'appelle
du fond de sa forêt

prisonnier d'un printemps sans oiseaux
tu te répètes comme cette goutte
dans le ventre de l'évier

automate rouillé criant au bord du vide.

∗∗∗

Tu sens l'odeur chaude de la pierre
prêt à te brûler aux ailes de l'été

dans la chambre moite
               un après-midi de sable
                               emplit ton sommeil

une gorgée de bleu comme une griffe
dans une carrière d'ombres

tu te délectes – animal assoiffé de feu !

Tu saisis toute la densité du temps
sincère intervalle
                          où passe
                               l'impeccable clameur de ton être
renonçant à vivre ou à mourir.

∗∗∗

On t'a parlé une langue de sable
tu as su l'aube, le vent, la dune
le ciel à côté du ciel réparer la beauté

et cette main errante
dans l'abîme du jour

cherchant un reste de nuit
au fond d'un sarcophage.

Présentation de l’auteur




Philippe Leuckx, Christophe Pineau-Thierry, 12 poèmes inédits

Foudre et fulgurance
tout fut signe
dès le premier regard
la beauté de tes yeux
l'accueil de ta voix
nous parlions la même langue
et nos poèmes avaient
le même goût de vivre
j’ai l’impression
de te connaître
de longtemps
nous avons la même main
pour cueillir le don
et le désir de nous comprendre
loin en nous

∗∗∗

face à l’adversité
qui s’empare de chacun

avec toi pour ami
je m’engage sur la voie

je sens ta présence
parmi ces étoiles

qui à mes côtés
brillent pour éclairer

ce magnifique chemin
qui s’offre à nous

∗∗∗

Ta belle voix douce
rameute les étoiles
vers le cœur

tu cherches à mieux
voir je t’accompagne
en pleine lumière

j’ai besoin de ta main
pour écrire le soutien
et retenir tes mots

∗∗∗

quand le sort s’acharne
que les combats s’engagent

avec l’épée de nos mots
nous écrivons le chemin

avec pour seule lumière
le sens de nos vies

∗∗∗

Je recueille tes mots
à l’aune de l’amitié

le chemin est lent
devant

parfois un peu de gêne
m’égare

les amis osent-ils
tout se dire ?

ta vie en tout cas
m'importe

∗∗∗

les mots ont aussi à nous dire
les joies de nos présents

quand l’horizon s’éclaire
accompagné par les anges

et que nos vies filent si pressées
de retrouver l’origine du monde

∗∗∗

Si mes mots peuvent
être ce velours pour toi
et si la confiance
dont tu m’honores
ne prend aucune ride
je vais devant
les yeux fermés
cœur ouvert
pour sabrer la voie
du renouveau
demande moi l’impossible
je serai là
sans défaut

∗∗∗

l’impossible est un chemin
emprunté par les heureux

les oiseaux nos regards
qui portent au plus loin

les bienfaits de l’amour
et l’espoir du lendemain

c’est le chemin des amis
qui voyagent en confiance

pour rire ensemble de la vie
et écrire ce qui rassemble

∗∗∗

Oui nous nous ressemblons
et nous rassemblons
pour l’autre
ces mots
baumes peut-être
quand le tourment
torpille le cœur
nos mots pour que l’autre
vive mieux
se soulage de vivre

∗∗∗

ces mots qui viennent de loin
de cet autre qui me ressemble

installé sur une terre brûlante
bercé par le chant des cigales

j’invite le gris-bleu de ton ciel
veillant sur les contrées du nord

à rafraîchir mon âme errante
et ainsi apaiser ses tourments

∗∗∗

Te rappelles-tu
ce n’est pas si loin
puisque c’est proche
en nos cœurs
nous avons décidé
l'un et l’autre
d'emprunter le chemin
d'unir nos mains
aux mots de l’entente
j'ai trouvé des réponses
grâce à toi
je t’ai assuré
de ma fidèle présence
et toi de même
tu t’es engagé
et je suis heureux
de te ménager la voie

∗∗∗

au cœur de nos mots
émerge le projet

d’une quête
d’une vie apaisée

de découvrir le sens
de nos rêves cachés

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




Danielle Bassez, Contre-chant

« Il y a des livres qui fabriquent leur propre forme. Proses poétiques, fragments, récits auto-fictifs, explorations imaginaires ou essais non académiques : la collection Grands fonds récolte ces textes uniques en leur genre, qui ont en commun la puissance de la langue, la liberté de leur voix. »

(Quatrième de couverture)

 J’ai posé la main sur toi 
(...)
Je lis en toi à livre ouvert 

Tu t’appelles Elvire, ton nom (un prénom de théâtre) n’est prononcé qu’une fois, dans une réplique de A., ton amant, à celui qui fut ton mari, le père de tes enfants : « J’ai couché avec Elvire ». Sinon, tu es « tu ».

Ta vie ? Inachevée, sans œuvre, et pourtant accomplie. Et voici que A., Alex, l’Amant, le fidèle et le dévoué, l’enfant grâce à qui tu as osé « trahir » ta famille (et pourtant, l’ersatz, le succédané, l’Infidèle - c’est qu’il a 22 ans de moins que toi, « J’ai vingt-six ans, tu en as quarante-huit. » (P.21)), lit tes carnets après ta mort. Il croyait te connaître et te découvre autre, se découvre tout autre dans ton regard. Et voici qu’il fait de cette souffrance une œuvre, un récit qui chante, - mieux que toi-même ?... contre-chante plutôt, celle que tu fus, lumière et ombre.

Danielle Bassez, Contre-chant, Cheyne éditeur, 2022, 192 pages, 23 €.

Car tu es un personnage tragique, comme Phèdre, t’étant mariée par dépit avec un homme que tu n’aimais pas, après avoir vécu une passion impossible, être tombée enceinte de cet homme de l’Est que le rideau de fer t’empêcha de rejoindre. Tu te laisses enfermer dans cette vie familiale : « Dans cette affaire, tu es l’acolyte. Indispensable. Secondaire. Encensée. Accessoire. A côté (…) Tu regardes devant, très loin, quelque chose en toi. » Tu cherches ailleurs. Enfermée dans ta solitude, tes souffrances, tes passions, tes amours impossibles, la mort de tes enfants. Ces douleurs, tu ne peux les partager avec personne. Même pas avec A. Surtout pas avec A. Avec toi-même, seule, dans tes carnets. Pourtant, A. c’est ton Hippolyte « Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après [soi] » (P.27) Tu l’aimes ainsi, d’abord, avant de déchanter.

« Et toi-même (comme) tu t’es perçue, équivoque, contradictoire, comme cette Pasajera, qui a envie de tous les hommes, de toutes les femmes qui croisent son chemin. Femme-delta. Mais après tout, as-tu conclu, les gens qui m’aiment, c’est cela qu’ils aiment. » (P.113)

Tu es bien une « Femme delta », une femme du Sud, tu viens d’Algérie, tu es cette étrangère qui portes « sur toutes les questions débattues un regard inhabituel. » (P.21) Pour A, tu es la mer et, aussi, la mère.

Récit à la fois simple, sobre, rempli de révélations et plein d’ellipses, où se côtoient prosaïsme et mystère. La si simple complexité d’une vie, les ambivalences si naturelles d’une âme. Le récit de détails et d’anecdotes qui complexifient. Comment la vie se mêle à la mort. Vous vivez avec A. une relation amoureuse non sans trahisons ni ambivalences, non sans mauvaise conscience ni intermittences du cœur.

Je t’aime, cela me suffit, te dis-je.
Je t’aime, cela ne me suffit pas, répliques-tu. 

Ce déséquilibre presque métaphysique entre « tu » et « je », leurs deux façons de vivre leur relation, nourrit l’ensemble du récit. Vérité et mensonges de la tendresse, cruauté, intensité de la passion, des rencontres, infidélités, absolues mais éphémères, poésie des souvenirs, parfois délicieux, parfois terribles. Et A., ce témoin avide de tout comprendre de l’Incompréhensible qui se déroule sous son regard. Cet amoureux sans condition qui t’aura accompagnée jusqu’à la fin. Qui t’aura observée, entendue plus qu’aucun(e) autre. Pourtant, chacun dans vos solitudes. T’a-t-il comprise, t’a-t-il trahie ? Pourquoi cherche-t-il tant à te comprendre ? À te cerner ? Phrases sèches et incisives, comme des lames de rasoir.

Tes amants sont des amants de rêve, de nuages, et dans les faits, ils sont peu nombreux. Dès qu’ils prennent chair et os, ils te déçoivent. En quelque sorte, tu mènes une double vie, dont les niveaux se superposent : celui de l’imaginaire, où poussent les fleurs de l’amour idéal, et l’autre que tu nommeras, sachant de quoi tu parles, la réalité rugueuse. (P.27)

Un récit naît de la douleur, un poème d’évidence et de mystère celui d’une vie qui n’est pas arrivée à se dire, ni à s’écrire. Qui finit par se dire et s’écrire, pourtant, grâce à un(e) autre. Un poème comme une tragédie est un poème. Toi, tu resteras pour toujours silencieuse, désormais. Tragique de ce qui se dit, de ce qui ne peut se dire, de comment on le dit ou ne le dit pas.

Tu élabores des plans, cherche (sic) un ordre. Classes des brouillons qui s’empilent. Y reviens, les transformes. Tu n’arrives pas à coudre ensemble toutes les pièces de ce roman. Tu te fatigues. Tu traînes derrière toi cette œuvre inaccomplie, comme un remords. (P. 136-137)

Il faut attendre ta mort

Tes carnets, il m’était interdit de les lire (…). Tu te méfiais de moi, à juste titre. J’étais curieux de ta vie, je voulais tout savoir (…), je les lis.

J’encaisse les coups. J’apprends d’abord que tu écris la nuit (…) Ainsi, je dors, et je n’ai rien senti. Je n’ai pas senti que tu ne dormais pas, que tu te levais, que tu t’installais à la table de la cuisine, à trois heures du matin, pour t’y délivrer de choses que tu ne pouvais dire en plein jour. (P.13-14)

Mais A. accomplit-il cette œuvre que ta vie porta sans pouvoir la réaliser, ou la trahit-il avec Contre-chant ? Qu’il ait lu ces carnets intimes et qu’il en ait révélé le contenu, qu’il en ait « compris » la portée, est-ce un accomplissement ? Il écrit moins pour toi que pour lui. Post mortem, il a dû se déshabiller de celui qu’il avait cru être, accepter cette douleur que tu lui avais cachée : qu’il ait pu te décevoir, que tu aies pu regretter d’avoir tout aban-donné de ta vie pour lui. « Je lis. Il me faut des jours pour m’en remettre. J’écris pour donner forme au torrent qui m’étouffe » (P.14)

Néanmoins, A. fait ton éloge, conte dans ses nombreux méandres ton histoire, qui est aussi celle, tragique, de l’Europe, une histoire pleine de bruit et de fureur, de rideau de fer et de liberté. Tu as vécu la guerre et la Résistance au Nazisme, les débuts des purges tchèques du communisme naissant, ton premier fils vient de là. Et tu deviens, avec ce Contre-chant, grâce à l’amour de A., un personnage, un symbole, un emblème, un mythe moderne ?

Un récit brûlant, haletant, puissant et sans complaisance, d’amour adulte.

Présentation de l’auteur




Coralie Poch, Tailler sa flèche

La force de l’image-titre…

Et dès les premiers textes, l'émotion de reconnaître ce moment où la poésie agit.

 Je suis entrée par là
par le silence du cheval
par le verre à moitié vide
et j’ai reconnu le poisson
sur ton dos
 son œil ouvert
sur ma plus grande nuit. 
(…)
j’ai soulevé – c’était facile- la montagne
sa présence de mère
et j’ai pleuré. 

Coralie Poch, Tailler sa flèche, éditions La tête à l’envers, 2022.

Le lecteur est invité dans un univers qui semble chiffré, peuplé de signes récurrents - le poisson, le cheval, le sel, la montagne, la robe-. L’initiation à ce monde se fait par les images, alliances du concret et de l’abstrait, de l’onirique et du réel, du trivial et de l’étrange, marquées par  la tradition poétique qui a nourri l’écriture.

 J’irai dans l’écriture
entre deux oiseaux nus
tombant à pic
toujours sauve 
(…)

Ces rapprochements fulgurants ne relèvent pas du  procédé, mais caractérisent cette écriture qui nous fait accéder à son propre agencement du monde et à son ressenti charnel, dans la justesse d’une vision.

Tu mélangeras
les pluies et les mots sans savoir
on plantera notre infini ici
sur cette herbe sèche qui appelle tous les vents
(…)

Grâce au choix d’écarter la poésie narrative, ce n’est pas la perte d’un être essentiel, ce n’est pas le temps interminable d’un amour qui se défait, d’êtres qui se disjoignent, qui sont évoqués dans un discours, mais la souffrance crue, le tourment, qui sont donnés à éprouver par les flèches des mots. Vivre, c’est être un corps, qui endure, exulte, s’apaise, se fondant  dans les éléments du monde où il évolue jusqu’à se confondre avec eux. 

Mon corps s’est replié
coquille
tu ne sais plus me défaire
je fais l’équilibre sur les mains ne cherche plus
à te plaire mais je regarde quand même si
en bas de l’escalier
je m’entends dire :
la lumière qui reste
emporte-la. 

« Tailler sa flèche », n’est-ce pas le travail même du poète ? Affûter les mots, pour toucher le lecteur au plus juste, donner à éprouver son propre ressenti, plutôt que de raconter ou de discourir ?

L’arrondi du matin m’attendait
c’était le visage de ma mère
je me suis couchée dedans
toute nue 
(…)

-------------

Tailler sa flèche
au bord du lit
et n’avoir plus rien
à défendre
au bord du lit
jeter le mur par la fenêtre
(…)
tout ce qui vient de l’élan
nous suffira

Les phrases sont comme émises dans un souffle, portées par les vers courts, qui les déroulent jusqu’au bout de la strophe, dans le rythme d’une parole spontanée. Ce qu’il y a de vivant dans l’écriture - la voix, l’oralité-  est perceptible sur la page.

J ’écoute
ce qui en moi n’écoute pas les autres
et réclame
l’inverse d’une maison

un espace où passe le ciel

un cercle qui parle avec les vents. 

Les encres de Jean-Marc Barrier scandent les phases du recueil ; taches, traits et points inscrivent sur la page le jaillissement, et accompagnent  les trajectoires. En exergue, une citation de René Char, extraite des « Feuillets d’Hypnos », journal intime du temps de résistance, gardé longtemps secret, où sont tirées au jour le jour les leçons du vécu. « Dans nos ténèbres il n’y a pas une place pour la beauté. / Toute la place est pour la beauté. » Lui aussi porteur d’une « Leçon de ténèbres », le recueil  se place sous l’égide de cette formule. « Les mots sont des flèches qui nous aident à traverser le vivant, à être vivant » dit Coralie Poch. C’est dans cette violence, avec rapidité et précision, que sa poésie nous atteint. En plein cœur.

Présentation de l’auteur




Liza Kerivel, Nos

Nos vies pressées

Trois lettres pour un titre de livre de poésie. Ce « Nos » un peu énigmatique nous renvoie au quotidien de nos existences. Liza Kerivel a pris le parti de la « jouer collectif ». En parlant d’elle, elle parle de nous tous (mais sans doute un peu plus des femmes), truffant son texte d’expressions bien connues de la conversation courante. On y entre, en tout cas,  de plain-pied.

Si l’on convient que « la forme dit le fond », alors on peut l’affirmer sans conteste pour ce livre. Les 65 poèmes présentés ici sont comme des blocs compacts, composés chacun de 8 lignes et demi très précisément. Pas de ponctuation, pas de blanc pour retrouver sa respiration. Manière sans doute pour Liza Kerivel (elle vit dans la région nantaise) de souligner la façon dont la vie nous happe et de pointer du doigt « le vertige de nos existences » comme le dit si justement Albane Gellé dans la préface de ce livre. Voici donc « nos semaines par-dessus la tête plus vite plus vite » ou « nos instants volés nos actes manqués ». Dans les mini-tableaux poétiques de Liza Kerivel (« précipités de réel », note encore Albane Gellé)  il y a toujours une forme d’urgence et cette conscience aiguë du parcours chaotique de nos vies : « Nos dédales de tournants décisifs pas encore décidés nos situations de plus en plus complexes à force de bifurquer nos labyrinthes de mini-torts… »

Ce qui fait profondément l’originalité de ce livre, c’est le recours par l’autrice à des formules bien connues de nos bavardages quotidiens. Indiquées en italique au cœur du poème, elles en sont en quelque sorte le pivot. Leur surgissement dans le texte donne finalement cette respiration et ce recul qui permettent de prendre une forme de distance (parfois matinée d’humour) avec nos existences pressées. 

Liza Kerivel, Nos, éditions Diabase, 80 pages, 12 euros.

« Nos entorses à la règle nos lésions faute de mieux nos corps meurtris mais peut mieux faire nos services de grands brûlés elle prend tout au premier degré de toutes façons nos vexations nos fractures ouvertes ». Ou encore ceci, filant la métaphore apicole : « Nos tailles de guêpes nos bourdonnements d’oreilles  elle a été piquée au vif nos reines d’un soir nos ouvrières en trois-huit… »

On pourrait ainsi faire un « inventaire à la Prévert » de  toutes ces phrases qui ponctuent nos vies et qui en disent long : « C’était une simple visite de routine », « vous cherchez un modèle en particulier », « mais ils se prennent pour qui ? », « j’ai coupé court à la conversation », « C’est moi ou il fait froid », « le pauvre avait totalement perdu le nord », « enchanté de faire votre connaissance », « tu vas me parler autrement »… Avec parfois, en toile de fond, une critique acerbe de nos « sociétés de l’indécence » et de nos « réseaux antisociaux ».

Cet inventaire des bruits de fond de la vie (après un Inventaire des silences publié en 2010 aux éditions MLD) n’est pas sans rappeler certaines intonations des poèmes de François de Cornière, ponctuant lui aussi d’expressions courantes certains poèmes de son recueil ça tient à quoi (Le Castor astral,2019). « Cette nuit tu as parlé en dormant », « J’ai pas été trop longue », « Il y a combien d’années déjà ? »… Mais la tonalité n’est pas la même chez les deux poètes. Il y a chez Liza Kerivel une forme de désenchantement. Beaucoup de « bagages trop lourds » de « trop pleins » de « fortes tensions ». Mais elle nous dit aussi, au passage, « Y a pas de quoi en faire tout un foin ».

                                                                      

Présentation de l’auteur




Florence Saint-Roch, Au bout du fil, encres de Maud Thiria

Pour présenter le sens de cette démarche d’une création à quatre mains tentant de conjurer l’oubli, la maladie et la mort, rien à ajouter à la précision délicate de la quatrième de couverture de cet ouvrage condensé à l’essentiel, resserré, sur un fil, ce fil d’humanité si fragile : « Ce livre est une composition à deux voix, une écriture au cœur de la maladie d’Alzheimer.

Au bout du fil, la mémoire d’une mère s’effiloche jour après jour. Pourtant, malgré l’éloignement des corps, le lien est encore là – vivant – cheminant peu à peu vers l’inutilité des mots. » La première, Florence Saint-Roch nous invite donc au plus intime de cette relation, puis, la seconde, Maud Thiria en explore tous les aspects avec profondeur, la poésie touchant ainsi à « l’expression nue de notre rapport à l’inéluctable oubli ».

Cette écriture en dialogue voit le passage d’une voix à l’autre, dont l’effacement de la première devient l’écho de la seconde, des textes de Florence Saint-Roch des pages 11 à 21 aux textes de Maud Thiara des pages 25 à 35, dont le poème liminaire de la page 11 donne l’enjeu crucial : « au bout du fil, une heure par jour et plus encore, ma tête occupée par l’oubli qui évide la tienne, je ne sais pas exactement à qui je parle quand je t’appelle, tu t’effiloches, t’embrouilles, confonds tout, vite, je redéfinis les paramètres, pour toi je refais le monde avant qu’il ne s’effondre pour de bon », ainsi le rendez-vous quotidien de l’appel téléphonique sonne comme un double appel, appel à la lutte contre la mémoire défaillante et appel au secours dans un monde qui vacille…

Florence Saint-Roch, Au bout du fil, encres de Maud Thiara, collection Poésie, Éditions Musimot, 38 pages, 12 euros.

Les textes suivants se tissent, se mêlent les uns les autres dans ce combat au jour le jour dont le contexte du confinement exacerbe le tragique : « confinement et maladie t’assignent à résidence, te ferment les portes à double tour, tu marches à pas comptés dans ton deux pièces, un rien te désoriente, t’enlève tes repères, pour te sortir de ton errance, en ce moment, je n’ai qu’une seule solution, composer ton numéro tous les jours ». La bienveillance de l’attention dans cet exercice de la lenteur fait de la toile de fond des habitudes, la trame où se rejoignent l’infime et l’intime pour mieux dire l’éphémère de l’existence : « depuis des lustres, grâce à toi, j’ai appris l’attente et la patience, pendant si longtemps je t’ai regardée de loin, jumelles ferventes ou lunettes d’approche, quand désormais tu me racontes ta vie en ses détails infimes, bouts de vaisselle, menues lessives, là, changement de focale, je t’observe au microscope »…

Du macroscopique au microscopique, ce « changement de focale » indique combien la vie est ténue, ne tient qu’à un fil, celui minuscule, à l’unisson de ces deux voix dont l’une cherche l’autre, dont l’une a pour mission de faire tendre l’autre à l’éveil, de venir la réveiller, de maintenir dans la conscience lucide, les noms et les choses, le savoir du mot juste qui fait que chacun, chacune se trouve à sa place adéquate, en vain, à peine avant que les termes perdent leur sens et que le silence de connivence s’impose : « sept jours sur sept, opiniâtre, fidèle au rendez-vous, je t’épelle, implacablement je te force à toi-même, je te redonne les noms et les choses, sachant que bientôt, il n’en sera plus question, tout sera oublié, nous serons dans la relation à l’état pur, nous n’aurons plus besoin de mots »…

Enfin, c’est sous la plume de Maud Thiara, l’image du cordon ombilical, symbole du lien de mère en fille comme de fille en mère dont l’écrivaine file la métaphore du rapport à la matrice au bout du fil téléphonique, en passant par les chemins, le labyrinthe ou le cordon littoral, vases communicants où la fille qui reposait jadis contre l’épaule de la mère, voit cette dernière reposer désormais contre son épaule, tant que dure la relation, et même au-delà des limites spatio-temporelles, dans ce lien indéfectible jusqu’à l’ultime murmure : « tu tiens la corde lourde / du temps et de l’espace / où les murs et les heures / infinis se rejoignent / sur vos cadrans lignés / méridiens de vos pôles / tu es / piste terre géomètre / aimant au cœur rougi / animant animal éperdu en sa course / d’un bout à l’autre du fil / votre cordon de chair / route de veines en tendons / vos vibrations de voix / échos désaccordés / jusqu’à ce qu’il n’y ait / plus mots / que / soupirs sources souffles / nus crus absolus »

Présentation de l’auteur




Matthieu Lorin, Souvenirs et grillages suivi de Proses géométriques et Arabesques arithmétiques

Il n'est pas si aisé de rendre compte d'un ouvrage singulier, car assurément le livre de Matthieu Lorin l'est. C'est à dire étonnant, remarquable. Le titre en est un premier témoignage.

Je salue donc tout d'abord la concision et la grande justesse de la préface de Claude Vercey : « Matthieu Lorin [...] a mesuré combien l'entravaient les œuvres anciennes, comme autant de grillages [...] devenus barbelés dans le poèmes final, et qu'il faut couper avec une pince, et écarter pour se faufiler. ».

Pour ce qui est de la forme, ce sont des poèmes en prose et en effet, ils font la part belle à des souvenirs de lecture, des auteurs évoqués dans le titre, dont on suppose qu'ils ont fait impression sur l'auteur (Thierry Metz, Jean Giono, William Burroughs, Malcolm Lowry...). Je dirais qu'il y a plus clin d’œil ou image rémanente que réel hommage ou influence. Ainsi, dans le texte se référant à Hervé Bazin (nous avons tous en souvenir le terrible Vipère au poing) :

L'enfance fait voler en éclats fenêtres, bouches humides et collection de timbres-poste. Seules les déceptions ne peuvent se briser. Bien qu'en forçant un peu, en tapant dessus avec un marteau, il doive tout de même être possible de les réintégrer dans leur logement.

Matthieu Lorin, Souvenirs et grillages suivi de Proses géométriques et Arabesques arithmétiques, éditions Sous le Sceau du Tabellion, 2022, 106 pages 18 €

Une teneur, sinon sombre, du moins très désabusée, jalonne le recueil :

Autrefois, je rayais des journées entières de la carte du temps. Je frottais mes paumes l'une contre l'autre et tombaient au sol des miettes de ma jeunesse.
Tout se fane, même la fleur de l'âge.

  […]

Tout s'écroule, même l'espoir.

On ne saurait laisser de côté le goût certain pour les mots, avec, en premier lieu la présence de mots rares : syrphe, psoque, ou encore pyrrhocores, qui ne nuisent cependant en rien à la lecture. Ensuite, comment ne pas situer des pans entiers aux frontières du surréalisme, attention, je dis bien aux frontières :

Assis à regarder les enfants se jeter dans le vide, je m'accoude paresseusement à ma folie. J'aspire les rires comme autant d'élastiques rappelant à ma raison qu'elle est tenue en laisse.

Cela est surtout vrai pour la deuxième partie du recueil : Aujourd'hui, il pleut des segments et des diagonales venteuses, non sans humour : Il pleut des cordes et je n'ai pas d'arc, seulement deux mains incapables de me hisser, deux pentagones flasques proposés sur un étal d'algèbre.

Cette deuxième partie (son titre annonce la couleur) jouera de la chose mathématique : Malgré la pluie, tracez à la craie un cercle dont le rayon reprendra la distance qui vous sépare de vous-même.

Avec toujours cet humour désespéré :

Le polygone n'avait pas prévu que la faiblesse viendrait de ses droites. Il s'est effondré et ses angles se sont abattus. Devenu aussi écrasé par l'existence qu'un étendoir qui se casse la gueule, il a néanmoins fini par se relever.
(Image du fantassin après une salve ennemie)

On retrouve dans cette deuxième partie des souvenirs de lecture (encore Bazin et Brautigan, mais aussi Deleuze) :

Sous l'éclatant soleil, je me suis aperçu que j'avais dans ma mémoire – que l'on peut comparer à un atelier d'origami en désordre – des plis vertigineux comme des falaises, ainsi qu'une mappemonde usée, perdue dans un silo désaffecté.

Matthieu Lorin semble beaucoup douter de la qualité de ses poèmes (il a tort) et de leur capacité à trouver un éditeur (doublement tort) :`

Me restent aujourd'hui deux recueils sans éditeur, un crayon à l'encre au trois-quarts consommé // et ce poème. (page 20) Sans même savoir si cela fera un bon poème... (page 32) Et, au bout de cette année, mes poèmes ne sont toujours pas publiés... (page37) Je me croyais capable de déposer un obus entre chaque mot. Mais j'ai mal géré la mise à feu et tout à explosé à la relecture. (page55)

C'est le seul petit reproche que je lui ferai : cette dévaluation inutile, encore que dans le dernier exemple que je relève, l'humour et la formulation poétique absolvent l'auteur.

Tu ne veux pas comprendre que tu fais partie de ceux qui vivent à l'ombre des murs des grands domaines. J'habite, moi, un jardin étriqué où je coupe les fleurs du lilas et mes rêves paisibles. Je les prends à la main, les arrache à leur origine.
Je bousille tout en un sens.

Mais non, mais non, rassurez-vous, Matthieu Lorin, vous avez trouvé au moins un lecteur qui trouve que vous avez, étrangement certes, mais bellement construit.

Présentation de l’auteur




Richard Rognet, Le Porteur de nuages

Les amateurs et défenseurs de vraie poésie, au nombre desquels je m’efforce de figurer, ne manqueront pas de se convaincre de la nécessité de lire le dernier recueil de Richard Rognet, dont il est question ici. 

Je me souviens en d’autres temps avoir relevé quelque part dans une revue de poésie contemporaine pilotée par un poète ami, que trop de recueils sont inutiles. Dont acte. L’auteur du présent ouvrage, rompu depuis des décennies à l’exercice de l’intime et de l’authenticité, fait encore une fois la démonstration du contraire, tant son propos sonne juste et clair. Les habitués de son œuvre seront sans doute quelque peu déroutés, davantage par la forme que par le fond. Quatrains et tercets en vers libres s’enlacent pour tisser un maillage de lignes de forces qui convergent vers le ciel, comme une évidence qui nous dépasse. Une grandeur qui procède à la fois de l’écriture et s’en absout, ne serait-ce que par la beauté heureuse des fleurs. Nous ne sommes pas très loin du vers fulgurant d’Arthur Rimbaud : La main d’un maître anime le clavecin des prés et de ses résonnances qui traversent toute la poésie moderne. De page en page, nous suivons Richard Rognet dans sa pérégrination intérieure, où son verbe exprime sa pleine maturité. Porté par un temps qui fait et défait le monde, le poète se fait messager / des étreintes amères sans renier pour autant les enchantements clairs / de l’enfance. Et c’est cette oscillation permanente entre le clair et l’obscur, cette lucidité précise, aussi nette que l’acier, qui convainc sans peine le lecteur qu’il a affaire à du grand art. Nul propos qui ne soit pesé à l’aune de ce qui fait l’essentiel de notre existence, que les frôlements indicibles du silence rendent habitable. Richard Rognet sait à quel point la disparition et l’absence sont à l’œuvre au sein de la vie elle-même, et combien elles en délivrent toute la saveur.

Richard Rognet, Le Porteur de nuages, éditions de Corlevour, 2022, 80 p, 15€.

Il demeure d’ailleurs sans illusion sur la vanité de l’écriture et l’impuissance des mots, leur préférant une sorte de détachement apaisé. Alors oui, lire un poète comme Richard Rognet est nécessaire. Non pour passer le temps ou consommer des mots, mais pour se confronter, par la grâce d’une écriture des plus raffinées, à la réalité de la vie et au mystère d’être au monde.

 

Présentation de l’auteur




Lea Nagy, Le chaos en spectacle

Quel est ce chaos offert au regard qui donne son titre au recueil mais aussi à un poème énigmatique dans lequel Lea Nagy « caresse l’incaressable » ? On ne le saura pas vraiment, mais on le vivra assurément.

La caresse est geste de surface. Lea Nagy effleure (par petites touches quasi impressionnistes) pour laisser le lecteur pénétrer par lui-même dans ce qu’elle nomme « l’incaressable ». Dès le premier texte, elle l’immerge dans une atmosphère prégnante faite d’absence, de vide, de silence et de mélancolie. Un monde dans lequel les vivants restent dans l’ombre, le non identifiable, l’anonymat. L’angle de vue évacue les descriptions de contacts physiques et privilégie l’évocation de situations. On a devant les yeux des images qui font penser aux toiles d’Eward Hoppler.

Mais Lea Nagy surprend à chaque poème, et si le questionnement et la nostalgie s'insinuent dans de nombreux vers, si les hésitations nous envahissent car Nous bégayons tous, chacun à notre façon1, des images furtives laissent affleurer une émotion maîtrisée et discrète (les plus grandes émotions ne rendent-elles pas la parole muette ? ). Le rêve entre dans le poème Comme cela, comme ceci : /c’est ça le rêve. / Dans cette cavité douce, / où le réel n’a pas de signe et soudain, au détour d’une page, une lumière fulgurante vient éclairer le chaos : Dieu m'a embrassée en silence et de manière inattendue.

Il y a dans ce livre une succession de rencontres qui n’en sont pas ou qui ont pris fin, au cours desquelles les êtres sont  « ensemble séparément », la seule rencontre possible s’effectuant avec l’invisible et le divin. Lea Nagy dialogue avec l’au-delà, invite musiciens et poètes défunts comme Bartok, Pilinszky ou Géza Szocs à partager ses instants de vie.  Le présent se veut un hors-temps où se mêlent passé et futur, instant et éternité.

Lea Nagy, Le chaos en spectacle, préface de Patrice Kanozsai, traduction du hongrois par Yann Caspar, Éditions du Cygne 2022, 68 pages, 10 €.

Si le chaos domine le recueil, il n’en est rien au niveau de la forme qui vient en contrepoint de la juxtaposition de faits intimes où la violence côtoie la douceur, la perversité la candeur et l’innommable le dérisoire : aux images inattendues et hétéroclites s’oppose une écriture rigoureuse, structurée, précise, mesurée, lapidaire et sibylline dans une mise à distance qui à elle-seule justifierait le terme de spectacle. Car il y a construction, scénographie élaborée faite de répétitions, de jeux de lumière, de mises en abîme du poème dans le poème :

tout cela devient de plus en plus intense
ici et maintenant. Je devrais écrire un poème,
moi Pilinszki et Bartók,
dans cette chambre.

Ainsi le chaos s’organise à travers l’écriture poétique, devient un spectacle qui attire le regard pour le précipiter dans un surgissement de non-dits, de figures connues et inconnues, parfois terrifiantes et fantasmatiques, parfois nostalgiques et désenchantées mais toujours surprenantes (les cheveux de Bartok pourrissent dans le brouillard, une amante apparaît comme un grand violon déprimé…)

N’oublions pas ces quelques moments de grâce au cours desquels Lea Nagy entre en communion totale avec une nature rendue à sa virginité, d’où l’humain est écarté, où seul règne le silence. Le silence est roi. Le silence est moi.

La poésie est chemin de connaissance. Lea Nagy a entrepris de mieux se connaître à travers l’écriture. Mais le rendez-vous n’a pas eu lieu et le livre se termine dans l’inachèvement.

Je suis horrifiée.
Par çà.
Que mes phrases
ne sont pas finies,
que j'en ai pas su plus
sur moi-même

Pourtant l’inachevé est
sans fin
et ce qui est sans fin est éternel.

Mais à quoi bon l’éternité ? se demande-t-elle. Aurait-elle la possibilité d’en apprendre davantage sur elle-même ? Rien n’est sûr, et le doute renvoie à l’un de ses aphorismes des toutes premières pages du livre : Plus l’homme sait, plus il a tendance à interroger ce qu’il dit.

Saluons la belle traduction de Yann Caspar qui nous permet d’entrer dans ce chaos d’ombres habité d’étincelles apocalyptiques.

Parlant de sujets dont on ne peut parler, enterrant votre âme à chaque instant, Lea Nagy inquiète tout autant qu’elle séduit. Dans la préface plus qu’élogieuse de Patrice Kanozsai (l’éditeur), ce dernier qualifie le livre de merveille poétique. « Je vous le dis, il faut avoir encore du chaos en soi pour donner le jour à une étoile qui danse.2 »

Notes

[1] Épigraphe de Lea Nagy en début de recueil.

[2] Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra.

Présentation de l’auteur




Cypris Kophidès, La nuit traversière

On connaît la flûte traversière. Voici que l’on découvre la « nuit traversière ». C’est celle qu’évoque Cypris Kophidès dans un court recueil de 20 poèmes en édition bilingue (français-grec). Comment, la lisant, ne pas penser à L’Hymne à la nuit de Jean-Philippe Rameau - dont il existe des partitions pour flûte traversière - même si l’autrice nous propose plutôt une vision onirique de la nuit, peuplée de songes mais aussi de cauchemars. Avant que la lumière ne vienne tisser un « espace de lumière et d’ardeur ».

« La nuit ne parle que du jour », affirmait Maurice Blanchot. On le ressent profondément à la lecture de cette nuit traversière qui là est pour sonder, au sein du cosmos, le mystère de l’être humain, capable à la fois de sauvagerie foncière comme d’humanité rayonnante. « L’ombre chuchote que seule la cruauté est salutaire », écrit Cypris Kophidès. « Le regard des grands fauves s’allume du désir des proies ». Oui, la nuit traversière peut être cette « nuit de fuite où les poignards parlent » et où « la lune noire perd son sang/entre les jambes des femmes ».  La poétesse nous dit, sur l’espace/temps d’une nuit, ce qui agite à la fois le cosmos et l’humanité. Place, en effet, aux frayeurs, aux rêves, aux cauchemars. « Tout tourbillonne dans les labyrinthes de ténèbres palpables qui se nichent au cœur de l’âme des choses », notent Katina Vlachou et Vassilis Pandis , dans la préface de ce petit livre. Mais il existe, ajoutent-ils, « une lumière qui émane des ténèbres ».

Voici, en effet, « la lumière des regards » ou « l’amour qui fait persévérer les étoiles ». Voici l’aube avec « la plénitude aiguë d’un chant d’oiseaux ». Arrive le moment où « le jour se déploie »,« les petits enfants clignent des sourires embués ». Il a fallu, pour cela, traverser une nuit peuplée de rêves avec tout son cortège de mystères. L’écriture de Cypris Kophidès témoigne elle-même, par une forme d’opacité, de l’énigme profonde contenue dans la nuit.




  Cypris Kophidès, La nuit traversière, Diabase, 57 pages, 10, euros.

Le poète iranien Sorab Sepehri parlait de « la nuit de bonne solitude » et des « pulsations humides de l’aube ». Cypris Kophidès le rejoint souvent dans sa propre évocation de la « nuit immobile » ou de « l’opacité du silence ». La même ardeur, chez les deux auteurs, pour associer la nature tout entière à l’évocation de la  nuit et pour témoigner de « ce temps immobile/que traverse une musique/errante ».

Présentation de l’auteur