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Battre le corps

Dominique Boudou publie, avec Battre le corps, son sixième livre, essentiellement des recueils de poésie, même s’il est aussi l’auteur d’un roman paru en 1999 chez Gallimard. Boudou est un poète, et Battre le corps ne manque pas de confirmer cet état de son être. Ce récent recueil est préfacé par un autre poète, Jean-Luc Maxence, lequel fait un rapprochement très juste, et même évident, à la lecture, entre la poésie de Boudou et celle de Giovannoni. C’est que Maxence connaît bien la poésie des deux hommes/poètes, et singulièrement celle de Dominique Boudou, dont il édite les poèmes depuis les années 70 du siècle passé. L’opinion de Maxence est claire et nette : « Il faut lire Battre le corps jusqu’à la lie, personne n’en sortira indemne. Voilà bien un univers personnel et rare. Et il n’est sans doute pas donné à tout le monde de dire à son amour en péril de mort : Tu as tout lu / Des morts qui continuent à crier ».
Cela commence ainsi :

Une mémoire sans oubli
Pèse sur toi depuis toujours
Des souvenirs même dans le silence
Autour du pain coupé
Et tes sœurs droites sur leur chaise
Qui te regardaient tomber
Tu avais dix ans
Un train passait
Dans la neige

Une poésie tendue vers la femme/compagne, poésie marquée par les périls et la présence de la maladie. C’est une douleur profonde, humaine, qui creuse souvent la poésie de Dominique Boudou, et c’est en cela qu’elle touche à l’universel. Cette douleur qui secoue le corps du poète / homme Boudou est celle là même qui touche en dedans de chaque homme, ici ou maintenant, ou encore demain ou hier, selon les vécus personnels. Qui croit échapper à la maladie ? À la mort ? Une poésie qui parle de nous, des êtres qui tombent. Et la violence de ces mots :

Le charbon s’en allait sur la neige
Dans le vacarme du train
Tu voulais déjà disparaître avec lui
Punir ton visage d’être né

Nous ignorons ce qu’est ce train récurrent, ce train précis, mais tout lecteur un peu attentif sentira le poids des trains de bois roulant sur les neiges de l’Est de l’Europe. C’est de la tragédie d’être humain dont parle la poésie de Dominique Boudou. Il y a de la douleur, une profonde douleur, à être humain aujourd’hui, dans le reste des larmes du siècle passé. Et vouloir jouer à ne pas sentir cela ne change rien – et peut-être même cela joue-t-il un mauvais rôle dans l’état occidental dépressionnaire dans lequel nous vivons collectivement. On peut bien organiser « boums » festives et vagues surprises parties à l’échelle continentale ou mondiale, cela ne bouleversera rien. Les autruches n’ont que la tête ou le cerveau sous terre. Le reste affronte silencieusement le réel.
Et là, « Le jour ne peut pas naître ».
Je n’épiloguerai pas : lire ce livre de Dominique Boudou, c’est lire les pages d’un poète profond, posant cette question fondamentale : « Comment creusent les mots du père et de la mère / sur ta peau qu’ils ont tuée ». Cette peau, celle de la femme, mais sans doute nos peaux, notre peau, qu’ils ont tuée, qu’ils tuent à chaque instant, à coups violents d’oubli de ce que signifie être au monde. Qui est ce « ils » ? Tout ce qui travaille contre la poésie, le fait poétique d’être ce miracle, un homme dans la vie. La poésie, c’est simplement cet écart : celui qui fait encore de nous des êtres vivants dans le monde.

Poèmes de Dominique Boudou dans Recours au Poème :

http://www.recoursaupoeme.fr/po%C3%A8tes/dominique-boudou

Voir aussi : http://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique_Boudou#sthash.IV1VW7ki.dpuf