Quentin Baffreau, Pratique du disparate

depuis ma vieille haine l’idée ce mythe du cerveau ce morceau d’ocre ensanglanté j’essaye de
comprendre ce que fleur veut dire rapporteur de son chiffre que je ne connais pas

vieille photo de toi l’herbe folle la charolaise derrière toi la sentence au fond du tiroir plein
d’eau dans le ventre ton cou tordu par l’éclair la corde la poignée de porte

une bouche un système de vents et tu es tombée malade et le vent est rentré dans ton ventre tu
étais allongée sur la table sur l’album photo tel l’oiseau rapporté par le chat l’après-midi la
tondeuse est passée sur ta robe

un pot de fleurs pris avec un portable celui de maman de ma main qui tremble l’abeille se noie
dans son miel je suis prise dans l’ambre

des coulées de boue la veille de ton départ le matin de la salive sur les draps sortie de ta bouche
la nuit des monceaux de mots mais pas la moindre trace tant de points de suspension dans tes
yeux ton absence les nuages de fumée derrière la fumée

petite image exemple de ciel

le sirop dans l’eau la glace fond on apprend du désert tu es passée devant des images du monde
entier tu glanais les nouvelles peurs imaginais les nouvelles fleurs toutes anciennes toutes
déchiffrées le tour était joué la famine des cartes chacun son petit enfer les missions noires de
l’aube les blancs manteaux carcéraux les graines dans les têtes la banquise craque tu m’as appris
la poussière pulvérisées mémoires j’étais de celles-là

j’ai mille pattes chacune est une folie qui te prend dans ses bras tu aimes trop fuir j’en suis
tombée amoureuse le chien sous le banc n’a pas cette chance il souffre des mêmes mots que le
silence j’ai tous ces noms dans ma poche qui ne servent à rien qui ne servent qu’à te parler qu’à
t’épeler dans le vide lointain où tu es j’échangerai tous les regards je troquerai tous les fantômes
pour te voir

j’ai deux blessures dans la glace police des reflets tu me manques comme l’ombre à mes
trousses mémoire sous vide par peur d’un regard parce qu’on ne regarde que ce qu’on ne peut
regarder

nos noms signent nos arrêts de mort nous en avons parlé dans la chambre contre le mur
des malentendus comment ai-je pu te mentir aimais-je jusqu’aux os on ne pleure pas mes coudes
saignaient jusqu’à rougir le bois c’était une longue histoire qui sommes-nous pour la dire qui
êtes-vous pour juger un peu de tout est une parole de saint

c’est une maison qu’on veut brûler les conjugaisons aussi planches par planches chutes par
chutes ces lignes droites qui nous menèrent au suicide à chaque pilonne nous attendions la pluie
mais les nuages toujours venaient panser nos plaies nous tracions les constellations de nos
erreurs comme l’enfant les paquets d’encre sur sa copie

sursaut la chaise face à la fenêtre est une tentation à laquelle il faut parfois succomber au risque
de rendre le monde plus beau qu’il n’est

cet océan j’aurais voulu l’ouvrir avec toi

les hommes de tous les temps table ronde de leurs yeux perdus dans une forêt de clous écrasée
par leurs haillons je ne suis que le dessous d’une nappe scintillante les îlots de ciment sous leur
éblouissement les carreaux sombres de la mer les poumons noirs auxquels s’abreuvent les
frelons

je serai mort qu’est-ce que je voulais dire caillou dans la bouche dans la chaussure hors cette
poussière trouvée dans les boîtes les os d’un oiseau éteint ce bateau pris par les glaces

je suis au milieu du zéro mon rythme j’ai du mal à vivre j’ai du mal à vivre
j’ai du mal à vivre battu par les vents j’ai craché dans l’océan pour écrire l’e dans l’o pour voir ce cœur avec un
sac sur la tête même si la buée n’a plus le temps de se déposer

oui oui oui parfois je me demande parfois je me tords je me torture les doigts oui parfois pendant
l’averse j’appelle au secours oui parfois les voisins me marchent dessus me déplacent tel un
meuble oublié oui sur mon visage pavé oui ça ne se fait pas de demander de s’arrêter pour un
peu de silence oui ça ne va pas la tête au moins il ne pleut pas oui parfois c’est le cas et les
gouttent tapent contre la fenêtre comme de petits oiseaux kamikazes oui parfois ça devient le
bruit de fond de ma perception lors d’après-midis brûlantes ou de nuits blanches dans lesquelles
je me perds comme ce futur qui s’éloigne oui parfois je laisse des chutes derrière moi oui parfois
je suis l’otage de mes rêves qui me rongent et dont je suis l’os à moelle

la grisaille du soleil sur mon visage la mine pâle d’une personne ces quelques grains que je
n’arrive même pas à porter le vide le creux ce peut être quelqu’un

le jasmin a l’odeur du soufre

je ne sais même pas quelle forme ont les arbres paysage d’après technique boule de feu au loin
je suis dur de visage mon sourire est une butée sur combien d’images suis-je passé pour ne pas
le savoir ? combien de fois me suis-je tuée en glissant sur ce miroir ?

ces coordonnées dans lesquelles je me fonds en pensant être aussi indiscernable qu’une fenêtre

je suis à vie mais qui ? mais quoi ?  comme si ma vie n’était que post-mortem vais-je marcher
dans ce siècle ? quatre chiffres font-ils quatre pas ?

soutenance des nuages

j’aimerais toujours ce vœux éternel vivre l’existence parallèle d’une étoile de jour comme de
nuit fantôme

malheureusement on a mis le soleil sous cloche pour fabriquer de la mémoire

je suis rentrée pour écrire une lettre je me fiche de savoir si c’est moi qui l’écris sur ces mots
aussi durs ces lettres que je n’envoie pas car déjà dans le ciel comme nul autre avion j’étais en
fait toujours sur le quai piégée dans ce rêve
larmes devant l’ultimo elles rejoignent les mille faisceaux de ce fleuve toxico de la peine

même était un masque ma mort est-il encore temps de devenir ? juste quelques secondes de
lévitation

il se passe que c’était une erreur à refaire dans toute sa beauté

Dahlia

 

d’emblée certaines déchirures
entretemps incertains
racontent-elles ?
des briques, des bancs désertiques dans les jardins, des murs pastels, des folies par excellence

chutes
neige un matin
tes morts successives et variables

faire le tour du proprio, un seau plein d’ardoise à la main ; aux murs rétrogrades, substituer un
monde

incompréhensibles ressorts
mais peur du peu d’avenir
panique, laisserai du silence
et si la vie avait un titre

grandes gerbes osant demain
pourtant fauchées aux confins de la table

payer même la mort
la merde qu’on laisse après son passage
lui renvoyer la baballe

sur le lit de mort, portraits des épreuves, relecture des travaux préparatoires
pas de danse oubliés
indéclinables
du balais

demande qu’on te chante une chanson
cherche tes accords, même dissonants
débarrasse-toi du complexe de la rose

vies qui se passèrent dans l’oubli

à deux poumons sur la carte
les radios ne disent rien
enfant de bois sur le billot glacial
masque et opacité
le ciel préfabriqué de l’hôpital
se referme sur lui
un parmi les autres
des heures d’opération dans la nuit
il rêve de son corps à ciel ouvert
sous les radars médicaux
des mots tapés à la machine

mélatonine
trafiquante d’espoir

ta carapace sera une passoire
tu absorberas les déserts comme les oasis

chienne piquée aux yeux lunaires
poches de sang dans le frigo

soleil d’enfant dans la marge
plus proche des nuages que de la carte
d’identité

Papier de soi

 

d’abord et longtemps
un tout petit fragment
devant mon couteau
dans les vagues de la page

j’avais l’habitude du noir
un bloc de sel sur la lagune
j’avais du ciel et de l’eau dans les yeux
j’essayais de me capturer
je cherchais ce gouffre à la frontière

trop fugitif, me disais-je
mais aussi trop poli, trop lisse
ravir du regard

je pensais aux yeux des bêtes
je pensais à la rivière
je pensais au médecin
je pensais aux pouvoirs
je pensais à la loupe qui craquelle le visage

puis, peu à peu,
la pourriture dorée a succédé
à la hache polie
on payait, on tuait pour être semblable
on vérifiait qu’on était bien humain

il m’est arrivé quelque fois
de passer à travers
je me disais que ma maison se trouvait sur l’autre versant

j’ai attendu
j’ai veillé tard dans les siècles
et j’ai tapé contre le mur
et j’ai tapé la surface de l’eau
pas la moindre trace
pas le moindre écho

j’ai fini par feuilleter cet amas par la fenêtre,
un grand miroir dans la pierre jaune,
et suis devenu l’otage des nuits blanches

et soudain et longtemps
ce rêve disséqué
comme un caillou gris sur la table

           

Words fail me

Je vous écris dans l’instant qui me sépare de l’incendie. Vous êtes ce départ de flamme
1 minute
Tu as dit
quelque part à quelqu’un : pourquoi la couleur orange, si vive et vivante, leur donne-t-elle la
mort ?
Et plus loin, ailleurs : de quelle couleur est le ciel de l’apocalypse ?

Ça me touche, ça met le doigt quelque part. Ces deux questions n’en forment en vérité qu’une
seule, elles poursuivent la même épiphanie, elles disent les plus grandes souffrances qui passent
et qui repassent, elles souffrent des mêmes insuffisances qui font poésie. Elles sont trop grandes,
trop belles, elles me donnent les yeux et les larmes en même temps, non pas pour voir, mais
pour embrasser ce vertige grâce auquel nous voyons, cette angoisse de ne plus voir

Quoi

Qui

2 minutes

Nous plongent dans le noir

J’ai essayé de faire le suivi de ces couleurs, de les dater. En vain. C’était faire l’épreuve de
l’acidité du temps. Les perles sont aussi poussière ; la conservation, destruction.

J’ai caressé l’illusion de les trouver dans un livre, de les surprendre au détour d’une peinture

J’ai cru qu’en promenant mes yeux

As far as the eye can see

3 minutes

En fait, elles ne faisaient qu’accentuer ce que je pressentais comme l’irréversible variation de
l’obscurité, elles me rappelaient mon oubli de ce blanc qui accompagne toutes les fins, lorsque
tout bascule

Chouca

 

reçu en ces murs
créneau de l’histoire

ce n’est plus le soleil qui frappe

j’écoute les séquelles d’une voix à la radio
roulement rocailleux

nouvelles des cadavres
sous les gravats de l’est

je ne compte plus les loups dans les ruines
ni les enfants qui jouent au loup

toutes les mers rouges
les guerres avec les ossements des cultures 

j’ai pris la porte

elle me disait : que veux-tu ?
son nom était dans une corbeille
avec quelques pommes moisies
et d’autres choses inoubliables

écrire le mien mais je n’avais pas de quoi écrire
parler de mes paysages sans croyances

ce que je ne n’écrirai jamais est poème

boussole qui s'affole
qui perd le cap
et qui distribue, non plus les vents,
mais les voix de lettres errantes
à des inconnus

Prague, 882km

chat qui reste des heures devant la fenêtre
monomaniaque à regarder les oiseaux

je donnerai tout pour changer de cri

Présentation de l’auteur

Quentin Baffreau

Né en 1998, Quentin étudie la psychothérapie institutionnelle, l'art brut et le surréalisme à l'université Paris 8 et à déjà publié des textes dans des revues de poésie (La Page Blanche, Hurle-Vent). Il est aussi co-fondateur et rédacteur d'un fanzine, Les Nyctales. Son écriture peut être vue comme une tentative, toujours à faire, de reconstitution de bruits, de traces, de cris, d'indices.

Autres lectures




Quentin Baffreau, D’hier soir

1.

A l’ombre de la chandelle
Le marron pâlit

Les cailloux de sang de l’automne
Frappent
Aux fenêtres dépouillées

J’ai peur
J’ai froid
Je ne peux pas

2.

Un matin
Il y eut le bruit d’un papier que l’on froisse

Ouvrant les yeux, nous
Sommes devenus muets

Nos yeux ouverts sur le grand noir :
L’argus piégé dans un verre obscur,

Entre deux briques, le ciel,
Une rose cernée de marbre rose,
La douce-amère sous le joug du soleil

Nos muses, des murs,
Des lointaines prisons,
Des horizons carcéraux

Il y eut aussi
Ces deux hivers
Et d’autres,
Moins silencieux

Il eût fallu
Que la neige fonde,
Que les cendres absorbées,
Que la chair des noms
Soient adressées,
Par nos lèvres noires, creuses,
Que le silence soit rendu

3.

Sur le bas-côté,
L’horizon bleuâtre
Bridé par d’obscures lignes
Tournées vers l’enfer

La mue humaine
A perte de vue
Semble un ciel embourbé,
Un diamant de poussière

D’hier, l’horizon était un sac d’orange
Sur un vélo qui passait,
Un infini de poche,
Des livres dans une chambre,
Et dans cette chambre
Une fleur blanche à la fenêtre

Aussi reculé
Que les bogues d’automnes,
Qu’une fleur de muguet dans les ombres

Ton sourire, toujours
Un pli de boue,
Une pluie qui va d’est en ouest,
M’accompagnait vers quelques gouffres de fleur

De nuit sur le chemin,
Le visage creusé
Du soir, ton visage
En grève noire de sourire

De nuit sur le chemin
Aux ongles noirs de la terre :
L’inavouable séjour

Chaos bleu du soir
Je serais mort
S’il ne m’avait ravi
Aux serres de la seule vue

Quelques morceaux de miroir
Sous des pas. Aux prières crissaient
Le silex noir et proche,
Le noir grouillement des rêves
Dans une haie flammée

Epars reflets sous les bottes
Trouées de l’écriture
Que les astres étiolaient, silencieux

D’une vague impossible, d’une rive amère, ces mots sont passés des pâles cailloux du ruisseau jusqu’au coquelicot au rebord de la nuit ; une réponse à l’ombre : que la mort soit une réponse, que demain soit la maison, une voix sans savoir, et ce visage entre les murs, et ce visage étreint de brume et de feuillage.

4.

Désert de veiller au silence
L’effort du mot
Vacille

Les murmures de la braise
A l’heure du chant cadet,
A l’heure des bûches blêmes
Et des bouquets pourpres

Je fuis

Des cailloux blancs
Sous une robe rouge sang

Sur la barque rosée du rameau
Sous une pluie fine de cendre

Vers un sourire

Une ruine ajoutée à l’histoire

Mais je n’ai fait, ce soir-là, qu’effleurer

L’autre sourire,
Plus opaque, plus tardif,
Porteur d’une rumeur
Plus sombre qu’une fenêtre d’été

Le voir
Je ne peux

Mais un sifflement dans un brasier,
Un éclat au-dessus du gouffre

5.

Je regardais le ciel
Et ses ombres sur la terre

Les averses gâtaient mes fruits
Mais ce n’était pas grave

Je les laissais tomber
Comme des étoiles dans l’herbe

Vous les regardiez comme on regarde
Les yeux ou le sourire
De quelqu’un qui s’en va,
Vous regardiez cette chute bénite,
Vous souriiez au sourire d’été de cette ruine

Les tertres qu’ils formaient
Etaient comme autant de fêtes,
Autant de concerts dans les squares en fleurs,
C’était leur dernière danse
Avant d’être cueilli par la mort
Jusqu’aux prochaines chansons de mai
Des étoiles sous un pommier
Comme des refrains de feu

J’ai peur et froid, je ne peux pas. La nuit m’ouvre son regard noir, mes doigts s’y posent sans y laisser leur ombre, à pas de loup, comme un duvet, comme une fleur sur un banc de neige. Parfois, avec le tranchant emprunté d’une étoile, je coupe les plis de ses pages brunes. Mais son cœur est de craie et s’écrit avec du vent, et c’est moi qu’elle coupe, et c’est moi qu’elle brûle, et comme l’éphémère, entre jour et nuit, je ne peux, de ce peu de lumière.

Présentation de l’auteur

Quentin Baffreau

Né en 1998, Quentin étudie la psychothérapie institutionnelle, l'art brut et le surréalisme à l'université Paris 8 et à déjà publié des textes dans des revues de poésie (La Page Blanche, Hurle-Vent). Il est aussi co-fondateur et rédacteur d'un fanzine, Les Nyctales. Son écriture peut être vue comme une tentative, toujours à faire, de reconstitution de bruits, de traces, de cris, d'indices.

Autres lectures