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Rémy Soual, Ouverture et autres poèmes

Ouverture

Il y a cette ligne à dessiner
comme un sillon sur le sable.
Ô tracement perpétuel,
entrelace tous les linéaments
vers une autre trajectoire,
décris ta courbe confidente,
fais du paysage traversé
le gardien de l’énigme,
tourbillonne en souffle vigoureux,
loin de balayer sur ton passage,
épouse contours et replis,
étends le silence jusqu’au geste,
le geste jusqu’au voyage…

Extrait de L’esquisse du geste, 2013.

 

La nuit souveraine

Clarté,
clarté de l’aube,
clarté de l’aube naissante,
soleil levé sur une terre vibrante
où sur la pierre
la révolte
se trouve
gravée.

Les rayons apparaissent
et tout autour demeure
le carcan des heures
mais au fond de l’être
s’illumine
l’aspiration
à une vie plus digne.

Clarté,
clarté de l’aube,
clarté de l’aube naissante,
jour souverain
où émergent d’autres possibles
à même de tracer ses contours salvateurs.

Clarté du mur qui se fend
clarté de l’instant,
clarté du temps,
clarté de chaque seconde,
clarté de l’air vif,
clarté du ciel bleu.

La tiédeur du matin
augure d’âpres luttes
contre tout ce qui humilie,
mais en toi, en moi,
se loge la flamme
à conjurer l’horreur.

La terre a reconquis
la précieuse incise,
conviant
à écarter le sort.

La rosée annonce
le ruissellement des eaux
qui irrigueront les vallées sauvages
pour que germe la graine de la liberté.

Clarté du chemin,
clarté de l’étoile,
clarté de la chaleur,
clarté de la joie,
clarté de l’ami,
clarté de l’aimée.

La lueur retrouvée
est ce noyau de sens
à garder au fond de soi
comme un éclat.

Nous voilà libres d’explorer
toutes les dimensions
pour remplir nos besaces.

Que la lumière
et sa compage,
la chaleur,
accompagnent
longtemps
chacun de nos pas…

Extrait de La nuit souveraine, 2014.

 

L’ocre bleu

            Bleu, bleu nuit des secrètes fantasmagories, bleu outremer des grands voyages, bleu
ciel des ultimes espérances, bleu, bleu, bleu encore, à perte de vue, magnétique, salvateur.

            L’apaisement de la couleur ne doit pas nous faire oublier les bleus des coups, acharnés 
à  nous cogner pour trouver la percée d’azur, d’art sûr, serein, à la lisière du minuscule et du 
sublime, cosmos des trous noirs et des nébuleuses mirifiques.

            Bleu comme un sésame qui ouvre la palette intérieure de l’âme, cette énigme du corps 
qui invoque un peu plus de sens, un peu plus d’absolu, de grandiose, dans ces à-plats presque 
divins s’étendant au-dessus de nos têtes.

      1.

            J’ai cherché le bleu toute ma vie, dans une quête de toiles en toiles, de poèmes en 
poèmes, qui fasse de moi l’oracle d’une couleur s’avérant bien plus qu’une 
couleur, une légende de lumière et d’infini.

            J’ai écarté le bleu jeans de ma civilisation pour élire l’émeraude de mes aspirations où 
le souffle intime ne fait qu’un avec le grand vent de l’univers, tous unis vers…

            Le bleu me dépasse, il me relie, impalpable, à tous les êtres qui me 
sont chers, me donnant ce vague à l’âme plus profond que l’excitation des nerfs, ce blues primordial qui 
parcourt les chants noirs des origines.

            2.

J’ai cherché encore dans le mauve trouble de la mort et des violettes que l’on cueille 
pour des séparations qui ne se nomment pas, mélange impossible de ruptures, de deuils, et de 
renouvellement.

            Dans cette seconde couleur rougie, le bleu était la ressource, la mer où plonger, sentir 
les embruns, nager, marcher, nu comme les premiers hommes à la conquête du monde, le bleu 
était la clé des possibles.

            Oui, le bleu du possible, de la perspective qui s’ouvre, de la rencontre inattendue, des 
retrouvailles inespérées et des découvertes essentielles, la fenêtre sur le dehors du dedans…

            3.

           Dans les variations chromatiques, il était le repère, l’écrin de l’arc-en-ciel comme un 
fuseau de lumières dans son fourreau si intense, avant de décrocher la flèche du printemps.

           Bleu du ciel contre l’ocre du sable sur cette plage sans fin qui invoque l’été des jeux 
solaires, où le tutoiement des deux éléments ; la terre-rive et la mer-ciel, me prend à rêver 
d’un oxymore qui dépasse les déclinaisons.

 L’ocre bleu, ce sera l’ocre bleu...

          4.

Pour mon étoffe,
j’ai trempé dans le bleu du ciel
et dans l’outremer des océans.

J’ai puisé dans le rouge sang
et le vert si jeune.

Pour mon étoffe,
j’ai volé
l’éclat jaune de l’astre,
la noire ébène de la nuit,
et la blancheur du jour.

 J’ai mélangé les couleurs
et à ma grande surprise
l’ocre-bleu de la terre a surgi.

 

Extrait de Parcours, 2017.

 

Figures

Peuple dans l’ombre
ou peuple dans la lumière,
montreras-tu un visage
dont nous puissions
être fiers,
celui des héros
interrogateurs ?

Peuple dans l’opprobre
ou peuple dans sa gloire,
goûterons-nous aux fruits
qui rendent nus
mais droits
comme des i ?

Peuple en jachère
ou peuple en récoltes,
serons-nous les laboureurs
des sillons de la mort
ou du creuset de la vie,
à l’infini ?

Peuple en poussière
ou peuple en vertèbres,
redresserons-nous l’échine
contre les tyrannies
faciles
qui nous mettent
à genoux ?

Peuple à l’écoute
ou peuple anathème,
resterons-nous
les maillons d’une chaîne
ou deviendrons-nous
les fers de lance ?

Peuple que j’abomine,
peuple que je chéris,
ou atomes épars,
entends-tu
l’appel
à conquérir
ce que tu as perdu ?

Peuple à demi-mots,
vulgaire foule,
à moins que ce ne soit
cette silhouette
que je devine
et qui m’est plus chère
que mon rang ?

Cette silhouette
que je devine,
et trace.

Extrait de Variation(s) 3042, 2020.