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Salah Oudahar, Les témoins du temps & Autres traces

Qui sont les témoins du temps et que nous disent leurs traces ? Salah Oudahar se met à l’écoute du silence pour déchiffrer le récit du monde, celui des pierres, d’une maison et d’un pays. À travers eux, il rejoint l’histoire d’un temps fracassé, la sienne et celle de tout un peuple.

Les poèmes et les photographies de Salah Oudahar se répondent ici comme sur une partition à deux voix, dans ce qui est un chant de l’exil. La maison en ruines sur la couverture n’a plus que l’ampleur du ciel pour toit. Plus de porte à la demeure, rien qu’une poutre de bois qui en barre l’entrée, en même temps qu’une partie du ciel. Comme si le livre était placé sous le signe d’une maison et d’un passé raturés, devenus inaccessibles...  Les pierres ne sont pas muettes, écrit le poète, en quête de bribes et de fragments, pour exhumer une dévastation qui commença dès l’enfance. Car c’est elle qu’on lit sur l’ancienne photo dans le regard trop grave de l’enfant resté debout face à l’objectif, alors qu’il est désarmé par le spectacle incompréhensible du feu qui le brûlait. Images de guerre, première expérience de la perte, de ce qui s’ébranle à jamais du toit d’une maison :  Rabah Oudahar,  écrit le poète, nommant ainsi Rabah, son frère mort après avoir pris le maquis et le chemin de la liberté pour son peuple. Car Rabah était avec Ceux qui ont fait le terrible, l’inaccessible choix de mourir. / Pour vivre. / Pour rendre possible le rêve de vivre.  Rabah est le frère perdu, mais il est aujourd’hui aussi le fils, qui porte le nom de son oncle, doublé du prénom de Frantz Fanon. Mémoire transmise, souffle vivant de ce qui perdure d’une soif de vivre et de tout ce qui a été donné aux autres à travers la mort. Si le toit de la maison s’en est allé, le ciel reste, comme la mer, comme l’oiseau ivre d’espace qui s’essore au crépuscule au-dessus du Cap Tédlès. Le ciel et la mer demeurent, au-delà du deuil et de l’exil. Ils restent, comme le  minuscule grain de sable /... / Qui a résisté aux vents / Aux tempêtes / Témoin blessé de la trace / De l’imperceptible trace / De notre présence en ces lieux.  

Salah Oudahar, Les témoins du temps & Autres traces, Les cahiers de poésie, Editions A plus d’un titre, 110 p., 15 euros.

Au-delà de la perte et des désillusions, le poète choisit de garder vivant ce qui fait sens pour lui, cette mémoire vive du sillon qui continue de nous habiter et qui nous garantira peut-être notre part d’humanité future. Salah Oudahar a cherché très loin dans le passé ce qu’il appelle la pierre native, remontant la succession tragique des soubresauts de l’histoire de son pays, celui des hommes libres. Il appartient à chacun de poursuivre, toujours porté par le même élan, tel le grain de sable qui demeure et traverse le temps, si minuscule soit-il. Le noir et le blanc des photographies célèbrent les reflets de l’ombre et de la lumière. Saisissantes, elles captent le muet chatoiement des choses, cette infinie mouvance où tout se fait et se défait. C’est sans doute en leur nom que le poète affirme qu’il faut : Continuer malgré tout à vivre. /.../ À faire l’éloge du jour. De la venue du jour. / L’éloge du multiple / De la multiplicité complexe et lumineuse du vivant. La silhouette debout face à la mer qui accompagne le dernier poème du livre souligne si bien la détermination à ne rien laisser ni de nos rêves ni du vertige que procurent la vie et le vivant. Un très beau livre, profondément émouvant.

Présentation de l’auteur

Salah Oudahar

Salah Oudahar est un poète, metteur en scène et comédien. Diplômé de sciences politiques, il a enseigné à l’université de Tizi Ouzou jusqu’en 1992, date à laquelle il a quitté l’Algérie pour s’établir à Strasbourg, dans l’est de la France.

Salah Oudahar a fondé, notamment avec Mokhtar Benaouda, le collectif de théâtre “Vibrations algériennes” (1995-2000), laboratoire de création, de diffusion, de rencontres, de débat et d’échange sur les écritures algériennes.

L’artiste a également créé le théâtre “Mémoire et citoyenneté” (1997-2003) sur les thématiques des mémoires coloniales, postcoloniales et de l’immigration. Salah Oudahar a organisé de nombreux événements culturels, créé des spectacles dont Dialogues d’Alsace et d’Algérie de Joseph Schmitbiel, Marianne et le Marabout de Slimane Benaïssa, Vibrations algériennes, qui est un montage de textes d’auteurs algériens (Kateb Yacine, Matoub Lounès).

Il a dirigé l’ouvrage collectif Tomber la frontière (L’Harmattan 2007) pour le Festival Strasbourg-Méditerranée de la même année, dont il est membre fondateur et directeur artistique. Salah Oudahar est président de la “Cie Mémoires vives” (théâtre).

Par Ali Bedrici pour babelio.

Poèmes choisis

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