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Yona Wallach, Poèmes

Traduits de l’hébreu moderne par Virginie Genest et Amotz Giladi

La biche monstrueuse

 

Et tous les oiseaux étaient dans mon jardin

Et tous les animaux étaient dans mon jardin

Et tous chantaient l’amertume de mon amour

Et la biche chantait plus merveilleusement que tous les autres

Et le chant de la biche était le chant de mon amour

Et tous les animaux se turent

Et les oiseaux cessèrent leur cri

Et la biche monta sur le toit de ma maison

Et me chanta le chant de mon amour

Mais dans chaque animal se trouve un monstre

Comme il y a quelque chose d’étrange dans chaque oiseau

Comme un monstre existe en chaque homme

Et la biche monstrueuse tournait autour du jardin

Et les oiseaux inclinaient leur tête au chant de la biche

Et les animaux sommeillaient au chant de la biche

Et j’étais comme si je n’étais pas quand la biche chantait

En ce doux moment elle a brisé mon portail.

Et tous les animaux ont fui et les oiseaux se sont envolés

Et la biche est tombée du toit et s’est brisé le crâne

Et j’ai fui et dans le jardin de mon amour je renferme un monstre

Gorille noir et mauvais comme l’oubli.

 

 

 

 

 

 

Yona Wallach, Bande annonce officielle.

Yonatan

 

Je cours sur le pont

Et les enfants sont derrière moi

Yonatan

Yonatan ils m’appellent

Un peu de sang

Juste un peu de sang pour recouvrir le miel

Je suis d’accord pour une piqûre d’aiguille

Mais les enfants veulent

Et ce sont des enfants

Et je suis Yonatan

Ils coupent ma tête avec une branche

De glaïeul et ramassent ma tête

Avec deux branches de glaïeuls et enveloppent

ma tête dans un papier froissé

Yonatan

Yonatan ils disent

Vraiment, excuse nous

Nous ne savions pas que tu étais comme ça.

 

∗∗∗∗

 

 

 

 

 

 

 

 

Je n'aime plus vraiment avoir peur

 

Je jouais avec la peur

Comme avec un enfant

Je la secouais devant moi

Je la regardais

Et je l’appelais

Peur peur viens,

Je lisais

Les choses

Les plus effrayantes,

Je devenais accro à ces sensations

Comme si c’était la chose la plus importante

Et je le fais encore

La peur,

Les petites peurs ne m’intéressaient pas

Seule la grande peur

Emporte tout

Maintenant je n’aime plus vraiment avoir peur

Je me suis retrouvée assise

Et l’ai encore appelée dans un murmure

Comme dans ces jours-là

Peur peur viens

Viens jouer à la peur avec moi

J’ai pensé que c’était ce

Que je devais faire

Encore dans ces jours là

Avoir peur,

Je frémissais de peur

Voyais des choses terribles

Les entendais aussi

Ça a commencé un jour

J’ai découvert la peur

Et découvert d’autres choses

La folie par exemple

Mais c’est ailleurs

Sous une forme similaire

J’ai découvert les perceptions humaines

Après ça j’ai découvert le choc de l’interprétation

Des choses différentes j’ai comprises

Et j’en ai eu marre d’autres choses

Mais la peur était la dernière

J’ai marché dans de longs corridors

Toujours de longs corridors

De monastères hôpitaux

De bâtiments publics

Et je me suis dit

Que d’emblée toute cette peur et cette folie

Je pars j’en ai marre

Je n’aime plus vraiment avoir peur

Il est maintenant temps de récolter

Je récolte les fruits de la peur

Pour la plupart pourris

Je les regarde avec un sourire

Pas avec horreur

Et les rejette de ma vue

Je n’aime plus vraiment avoir peur.

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait du documentaire Les sept bobines de Yona Wallach.

 

La femme devient arbre

 

La femme devient arbre

Dont voici les deux mains les bras

Qui s’élèvent vers le ciel

Deux branches qui se séparent

De son corps

Du tronc de son corps reposant

Sur d’invisibles genoux

Elle est visible jusqu’aux genoux

Et ses cuisses sont

Les racines de la terre

Son ventre séduisant une cavité

Un creux dans son ventre le tronc

Ses cheveux abondants

De longues branches

Des rames

Voici que la femme devient

Un tronc antique

Elle est si belle

Et splendide

Je ne l’ai pas vue

Avant

Mais je savais

C’est la femme

Devenue tronc

Pas de feuilles vertes

Pas de signes de croissance

Tout est asséché depuis longtemps

Le beau visage est devenu bois

Tout est uniforme

Est-ce que tout cela est arrivé d’un coup

Sans déroulement

Ce qu’il n’est pas possible d’accomplir

Pour celui qui est vivant

Se produit instantanément en vision

Ce qui est possible se produit avant

La matérialisation après cela

Aucun intérêt

Car c’est seulement la sensation

Qui crée une telle image

Je sais bien de qui on parle.

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Virginie Genest

Formée en langues et civilisations hébraïques et juives à l’INALCO, Virginie Genest a traduit, pour le CNRS, les témoignages audiovisuels donnés par Simon Srebnik, rescapé du camp d’extermination de Chelmno, à la Shoah Foundation et à la Fortunoff Video Archive for Holocaust Testimonies. Elle travaille actuellement à la Maison d’Izieu, Mémorial des enfants juifs exterminés. L’œuvre de Yona Wallach est sa première traduction de poésie hébraïque.

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Présentation de l’auteur

Amotz Giladi

Amotz Giladi est un écrivain et traducteur franco-israélien. Il a traduit en hébreu, entre autres, le roman Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach et une sélection de poèmes en prose par Max Jacob, ainsi que des ouvrages par Claude Lévi-Strauss, Jean Baudrillard et Jean Laplanche. Les récits d’Amotz Giladi, parus dans plusieurs revues israéliennes, seront rassemblés dans un recueil à paraître prochainement chez l’éditeur israélien Pardès.

© Crédits photos (supprimer si inutile)

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