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Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire

Lire et relire la poésie de Yves Elléouët. Surtout connu pour ses deux récits (Falch’un et Le livre des rois de Bretagne), il était aussi poète. Voici rassemblé, dans un recueil édité par Diabase, l’essentiel de son œuvre, marquée à la fois par ses origines bretonnes et l’influence qu’exerça sur lui le surréalisme.

« C’étaient les grandes outres du ciel/dans un pays de lointaine mémoire (…) la nuit couchée sur les troncs couchés/les bourrasques dans le cœur d’août/la pluie veuve et se traînant ». Ce pays de lointaine mémoire avec « la pierre levée des clochers » est celui dont est originaire le père d’Yves Elléouët : la vallée de l’Elorn du côté de Landerneau, plus précisément La Roche-Maurice. Le jeune Yves y passera les années d’Occupation chez sa grand-mère paternelle, avec sa tante et son oncle Yves. Il y retournera régulièrement dans les années qui suivirent (celles d’une courte vie puisqu’il mourra à 43 ans en 1975). « Je suis d’Armorique cette péninsule barbare//où les eaux de la terre crèvent sa peau d’herbe et d’épines//nous Celtes ivrognes errants/et tout pleins d’amertume ». Des lieux surgissent dans ses poèmes qui témoignent de son attachement à ce « terroir » (Pencran, Guimiliau, Argenton…) avec ses « fermes en toit de beurre » et ses « molles pluies ». Mais Yves Elléouët n’est pas un écrivain régionaliste (surtout pas !).  

Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire, poèmes
et lettres
,  Diabase Littérature, préface,
avant-propos et
notes de présentation de Ronan Nédélec,
 181 pages, 19 euros.

Ce pays de lointaine mémoire, il le transfigure d’une plume qu’il a trempée dans l’encrier du surréalisme. Ce qui rend son œuvre d’une certaine manière « inclassable »,  même si on peut la qualifier « de Bretagne certainement », comme le souligne Ronan Nédélec dans la préface de ce livre. « Il erra dans un lieu – la Bretagne – comme dans la langue avec le désir que ces deux errances ne fassent plus qu’une », expliquait le poète Michel Dugué dans un numéro spécial de la revue « Encres vives » consacré à Elléouët en janvier 1983.

Voilà donc un poète « de Bretagne », mais aussi de Paris où il vivra et travaillera. D’abord dans les métiers de l’imprimerie avant de se consacrer à l’écriture et à la peinture (il épousera en 1956 Aube la fille d’André Breton). Quelques uns des ses poèmes seront publiés de son vivant sous le titre La proue de la table (éditions du soleil noir, 1967). Mais il faudra attendre 1980 pour que paraisse Au pays du sel profond (éditions Bretagnes) puis Tête cruelle (éditions Calligrammes, Quimper 1982). Les poèmes de ces deux recueils avec quelques inédits sont aujourd’hui réédités sous le titre Dans un pays de lointaine mémoire.

A la sortie du livre Au pays du sel profond, le poète et journaliste Xavier Grall avait parlé, dans le quotidien Le Monde, à propos des poèmes de Yves Elléouët, de « scènes surréalistes », de « petits tableaux crépusculaires », de « voyances brèves ». On en retrouvera deux ans plus tard dans Tête cruelle.

Des scènes surréalistes ? Il suffit de lire ces premiers vers du poème intitulé Limericks : « une angélique ingénue de Toulouse / buvait du gin en tondant la pelouse / un crocodile survint qui lui mangea un pied ».

Des petits tableaux crépusculaires ? Il y en a dans le poème intitulé Pencran : « petit café-tabac / je m’y vois jadis lamper du vin fort / dans des grands verres la pluie crible la vitre / on lève la tête/tout est noir / un ruban de papier tue-mouche pend dans la pénombre ».

Des voyances brèves ? Attardons-nous sur le poème Les diables : « au bord des routes / sur les chevaux pommelés des journées lentes / en automne / une femme noire de foudre attend / un promeneur malade ».

On voit aussi, dans de très nombreux poèmes, circuler des figures de la mort. Yves Elléouët n’a pas connu pour rien l’ossuaire de l’enclos paroissial de La Roche-Maurice. L’Ankou (messager de la mort en Bretagne) y est sculpté dans la pierre. Il interpelle les vivants : « Je vous tue tous ». Dans un de ses textes, le poète nous dit  qu’il entend les morts « monter l’escalier » et, sous sa plume, l’horloge qu’on voit dans les maisons de campagne  peut devenir « un grand  cercueil noirci ».  Quant aux danses macabres qu’il a du entrevoir sur les murs de certaines églises bretonnes, elles lui font écrire que « tous les morts sont venus danser / autour de nous autour de nous autour de nous ». Ajoutant : «  il est vrai que les morts dansent depuis des temps immémoriaux ».

Ces visions de la mort – leur côté fantastique – rejoignent son penchant pour le surréalisme. C’est le cas aussi pour la mythologie celtique, dont le « flôt tumultueux » (Michel Dugué) imprègne de très nombreux poèmes. « Un certain paysage celte est ancré en lui, le constitue. C’est sa signature », souligne Cypris Kophidès dans la postface du livre. On voit ainsi, au fil des pages, surgir Tintagel ou Galway, mais aussi deux grands poètes des pays celtes : le gallois Dylan Thomas, l’Irlandais James Joyce. « Je vous vois / James Joyce  /je vois votre figure multicolore ».

Si le sentiment de la mort, si la Bretagne ou si la « magie » des pays celtes imprègnent l’œuvre poétique d’Yves Elléouët, il ne faut pas oublier pour autant son aspiration à la vie sous toutes ses formes et notamment à l’amour (« l’air des falaises habitait ton visage »). Ce mélange rend souvent sa poésie déroutante mais elle nous le montre « fidèle témoin de la blessure ténébreuse de l’homme », souligne Cypris Kophidès. Et elle ajoute : « Ce qu’elle dit s’échappe d’un lieu et d’un temps car elle parle de la condition humaine ».

Dans une deuxième partie du livre sont publiées les lettres d’une correspondance que Yves Elléouët a entretenue avec André Breton, Michel Leiris, mais aussi (lettres plus rares) avec Per Jakès Hélias, Xavier Grall, Georges Perros. Elles apportent un éclairage nouveau et inédit sur l’auteur. Il a 23 ans quand il adresse sa première lettre à André Breton en ces termes : « C’est avec le désir de me joindre à vos Mystères que je vous écris. Le surréalisme étant la seule voie menant à la Découverte. La seule lampe d’alchimiste allumée sur la nuit. Le seul guetteur sans doute accoudé aux tours de garde des siècles passés et à venir ».