Ewa Sonnenberg

 

Auteur d’une dizaine de recueils de poésie, d’un choix de poèmes paru en 2014 et de proses, Ewa Sonnenberg est née en 1967.  Elle a publié dans toutes les revues littéraires polonaises. Ses poèmes sont traduits en anglais, français, espagnol, allemand, suédois, turc, russe, hongrois, slovène, slovaque, tchèque, serbe, macédonien, bosniaque, italien, ukrainien.  Boursière de « Kultura Niezależna » (Culture Indépendante) à Paris en 1996, époque à laquelle nous nous sommes rencontrées, deux fois boursière (2001, 2008) du Ministère de la Culture et du Patrimoine National, elle a reçu le Prix Georg Trakl pour son recueil Hasard [Hazard, 1996], le Prix du meilleur poète du Festival Ilinden à Skopje (Macédoine, 2008), le Prix des Quatre Colonnes pour l’ensemble de son œuvre (2012). En 2016 elle est finaliste du Prix Orphée - K. I. Gałczyński de Poésie pour son recueil Hologrammes [Poznań 2015, WBPiCAK.]  dont sont extraits les poèmes ci-dessous.

Elle est membre de l’Union des Ecrivains Polonais. Elle vit à Wrocław.




Quarantaine

 

1 (on dit pas hein on dit comment)

Par écrit.

 

2

Fête de la sono, fête de la cacophonie. Les amplis se superposent aux amplis, dans les rues on enjambe les câbles électriques, micros, électro, musique nucléaire. La banquise fond, il pleut des cordes.

Je n'ai pas envie, pas envie, pas envie.

La jalousie est un sentiment qui pourrait me motiver, à la limite.

 

3

Une femme qui n'a pas d'enfant se dessèche plus vite que les autres.

Non.

 

4

La table est méchante, méchante la table, han, han, han. Maman a dit à la poissonnière qu'elle était méchante et que si jamais elle redonnait à maman du poisson avec des arrêtes, maman irait voir la police et la poissonnière irait en prison.

 

5

Aux douleurs et aux absences qui ne me concernent pas mais que je ressens infini(tésimale)ment.

 

6

Subversion est le mot que je ne trouve jamais.

 

7

Quand on agite l'eau elle devient rose, mais le sirop retombe au fond, au bout d'un temps.

 

8

Et l'espoir que parce que je souffre mieux, j'écris mieux.

 

9

 

10

Je suis seule avec mes chips.

Ce qui est terrible, c'est que ce qu'on croyait nous constituer passe aussi.

À force de ne pas savoir pourquoi on fait les choses, on n'a plus envie de les faire.

À force de trop se demander pourquoi on les fait, on n'a plus envie de les faire non plus.

 

11

D'avoir ce petit matériel avec moi qui permettait d'inventer des occupations et des images.

Mangé du chocolat au lait-noisettes avec du pain pour retrouver l'accord des deux goûts.

Dessiné ma maison les yeux ouverts sans regarder la page.

12

(Rapido presto)
Je joue dans un grand festival, je suis motivée. Mais trop relâchée, presque débonnaire : quand la lumière s’éteint, je me rends compte que les rideaux des fenêtres ne font pas un noir noir. Et que j'ai oublié d'enlever ma culotte sous mon maillot.

Je joue une scène que je ne connais pas avec deux enfants qui ne savent pas leur texte. Ils disent le contraire de ce qu'il faut comprendre. C'est un fiasco. Les lumières se rallument. Je m'excuse et dis qu'il y a un problème. Marie-Josée Nat (oui) se lève de son fauteuil, vient vers moi avec un sourire. ça n'est pas à moi qu'elle sourit mais un couple d'amis derrière moi, à qui elle dit qu'elle s'en va, que tout cela n'est pas sérieux, que c'est se foutre de la gueule du monde. La gueule du monde (répéter). Je crie que je vais rembourser la gueule du monde mais on ne m'écoute plus.

 

13

Quand tout cela sera dépassé, j'écrirai peut-être un truc fort.

C'est comme des secrets de la vie qu'il m'est donné de recevoir (répéter).

J'ai froid, je me mets au-dessus du four entrouvert.
Il est midi, je vais me coucher.

 

14

Sur la route, un nœud de serpents salement amochés, aux corps partiellement écrasés, essayent de se dégager et de s'enfuir.

23h44. Pour mon anniversaire je voudrais baiser avec trois hommes.

Ou bien qu'on m'organise une belle partouze.

Nous finissons par nous asseoir par terre face à face emboîtés l'un dans l'autre au pied d'une marchande de poupées.

 

15

  • ça a participé si tu veux à ma faiblesse, à ma souffrance. Tout de suite d'ailleurs, on m'a dit à partir de ce que j'ai fait, j'étais en surcharge de travail. J'avais les dossiers les plus lourds et puis ben heu, mais y avait un facteur physique, j'ai fait un burn-out. J'ai fait un burn-out, le facteur physique était dégradé. Ça je peux le résoudre seulement un an et demi après. Il a fallu que je sois hospitalisé en clinique.
  • Mais tu ne...
  • non ben c'est pas ça si tu veux : c'était palliatif, ça pouvait aller mieux mais c'était pas dans la durée.
  • Ben oui oui oui...
  • ben oui ça fait vingt-deux ans. Mais il y avait des facteurs précurseurs : c'est une maladie qui se déclare chez les adolescents ou chez les faibles.
  • Mm...
  • non et puis il faut que j'ai du temps à moi, même par rapport à ma fille.
  • Oui oui.
  • du temps physique.
  • Mm.
  • Non mais y faut juste s'organiser quoi.
  • non mais c'est bien.
  • C'est pour ça que je refuse pas. J'ai pas mis longtemps à réfléchir. Le lendemain. Le soir, même. Au minimum.
  • Mais oui c'est ce qu'il y a de bien.
  • Voilà.

 

16

Retrouvez-vous et des milliers d'autres sur moi.

(Chuchoté consonnes rythmées crescendo) Tout tabou sera puni (Chuchoté consonnes rythmées decresendo)

 

17

Deux poignées de noisettes sur le chemin

Juste de quoi me réconcilier

Avec moi-même

 

18

Fêter son anniversaire c'est se payer une grande déclaration d'amour collective.

Je me souviens qu'un jour j'ai renoncé à vouloir le meilleur.

Traverser des villes et des paysages, traverser seulement. Ne jamais rien avoir à y faire.

Un herbier des moches pensées.

Tu l'as voulue cette fête. Sois raisonnable.

Sois raisonnable.

Tu es belle en maillot.

J'ai pris sur moi.

Changer pourrait englober aussi accepter de ne pas changer.

En ce sens, c'est une renaissance.

 

19

Mes mains sentent les chats et les noix, oh j'aime ça.

 

20

 

21

  • Le cinq part en un.
  • Trois ? 
  • Trois ça reste. 
  • Quatre ?
  • Quatre aussi. 
  • Le cinq part en un c'est bon. 
  • Le six y'a rien 
  • Donc sept.
  • Euh... le sept part en deux.
  • Le huit ?
  • En un.
  • Le neuf ?
  • Y reste.
  • Le dix ?
  • Pareil.
  • Le onze.
  • En douze.
  • Le douze ?
  • Y'a rien.
  • (Un temps) Le douze y'a rien ?
  • Ben non.
  • Attends on vient de faire le onze en douze ?
  • Mais celui qui était sur le douze y'avait rien d'autre dessus.
  • D'accord, euh... le treize ?
  • En onze.
  • En onze.
  • Le quatorze en huit.
  • Le quinze ?
  • En sept.
  • Touc touc touc touc touc touc touc... le seize, y'a rien ?
  • Non.
  • Le seize euh c'est en dessous mais pourquoi j'ai rien ? Après t'as vingt.
  • Ouais, dix neuf en quatorze.
  • (au ralenti) Dix-neuf en quatorze.
  • Et c'est bon.
  • OK. On récapitule ?

 

22

 

23

Entre quatre z'yeux

à plates coutures

 

24

Tous ces airs graves autour de moi, ces airs de vouloir me protéger d'une chose qui m'arrivera fatalement, je le sais, je ne suis plus une enfant depuis longtemps.

 

25

(Main sur la bouche.)

 

26

La seule réserve que j'ai osé émettre, elles l'ont rendue caduque en un rien.

Je n'ai pas dit

je n'ai pas dit

je n'ai pas dit

je n'ai pas dit

j'ai tout gobé

tellement j'étais

 

27

Attention Attention à l'auto-sabotage. (Je répète)

Ouverture, souplesse, concentration.

Attention Attention Le texte ne suffit pas. (Je répète)

Je cherche un pilier qui tienne ma pauvre personnalité inconsistante.

Mâchouillages et désossement.

Anosmie, agnosie, anadiplose et apostasie.

Vieillir est une réalité.

Vieillir est moi.

Vieillir est visuel.

Une très vieille femme traverse le plateau, elle est nue, courbée, ses seins pendent, ses jambes flageolent. C'est elle qui trouve le serpent. Elle manque tomber sous sa menace (dans ce sens, manquer est un semi-auxiliaire). Elle finit par lui manger la tête. Elle rajeunit.

 

28

Aujourd'hui je n'ai pas envie de pleurer devant la glace.

Espère et passe.

 

29

Une chansons à peine effleurée avec de vrais morceaux de mots dedans.

Parler pour ne rien dire

Une petite violence du quotidien

Une phrase rassurante malgré tout.

 

30

Je m'en fous un peu mieux.

 

31

À l'heure où nous écrivons ces lignes, nous ne savons rien. Ni ce que nous voulions dire, ni même si nous voulions dire quelque chose.

 

32

 

33

La veste me bouffe

Un œil brille

Surgissement de méchanceté

Elle hésite

Suspendue à mes lèvres

Y'en a encore

 

34

C'est toujours plus facile de se souvenir d'une chose que de la vivre.

Passer de dix-sept ans à quarante sans transition, c'est violent. Je n'ai rien vu venir.

J'ai besoin qu'on aime ma surface (répéter jusqu'à plus rien dire).

 

35

On voit quelqu'un qui s'agite alors que le sujet demanderait plus d'intériorité.

Trop propre.

Trop beau.

Pas engagé.

On ne diffuserait pas ça en l'état.

ça ne te va pas.

ça ne te ressemble pas.

Il faudrait.

On aurait voulu.

On aurait eu envie.

On ne comprend pas ce que tu veux nous dire au final.

C'est inquiétant.

 

36

C'est l'espace qui est responsable de la situation.

Le paradis est un jardin clos alors que le désir, lui, ne l'est jamais.

 

37

On n'est rien

On n'est rien

On n'est rien

Cette rengaine pêchée au fond d'une relaxation profonde me fait sourire et m’apaise. Je peux mourir, me décrépir, ça n'est pas si grave, c'est dans l'ordre des choses.

 

38

Elle veut en avoir pour son argent.

Elle finit sa crêpe lentement consciencieusement.

Avant la fin, elle roulera dans sa serviette les trois petits paquets qu'elle a réservé depuis le début dans un coin de son assiette, discrètement, en vérifiant que le garçon ne la regarde pas.

 

39

Du choix d'une broutille au choix existentiel, du choix d'un sandwich à celui de ne pas avoir d'enfants, je fais toujours le mauvais.

S'empêcher de réfléchir.

Besoin de me regarder dans la glace quarante fois par jour.

S'empêcher de réfléchir.

Quarante fois les choses.

S'empêcher de réfléchir.

Sable mouillé dans les pieds.

S'empêcher de réfléchir.

Seins nus.

S'empêcher de réfléchir.

S'empêcher de réfléchir.

S'empêcher de réfléchir.

S'empêcher de réfléchir.

Entre profiteroles et pizza envie de rire comme une folle alors que ce n'est pas l'endroit.

S'empêcher de réfléchir.

La fenêtre est grande ouverte sur les pins et les acacias, le vent souffle, l'orage gronde. J'aime ça.

Ordure ménagère

Couverture nuageuse

S'imaginer des choses

Passer le temps

Naufragée dans la foule

Passer le temps

Seule à être seule

Passer le temps

Toujours pressée d'être après

Passer le temps

Passer le temps

Passer le temps

épuisé par tant d'effort

 

40

Excusez-moi madame, je suis un peu longue.

Oh non j'ai tout mon temps y'a pas de soucis.

 



Ève Nuzzo

Comédien(ne)

Après la danse contemporaine, l’architecture et la scénographie, Eve Nuzzo s'est dirigée vers le théâtre. Depuis qu'elle habite le Périgord, elle tire le fil de l'écriture, désormais au cœur de sa création et se met en scène dans des spectacles et de courtes formes théâtrales.

Publication : "Fragments d’une petite comédienne de campagne suivi de Ouf", chez L'Harmattan.




Le Promeneur du Mont aux Vignes et un autre poème

 

 

Le Promeneur du Mont aux Vignes

 

Jamais jour n’avait si bien commencé
Mêlant dans le lointain vent et soleil
Et le silence à la douceur de l’aube.
Derrière la Cité des Morts,
Paris s’éveillait, rejetant ses ombres
À grand renfort de brises et de soupirs.
Tu venais de mourir. Où allais-je
Vivre ? veuve de ta conscience,
Mon cher promeneur du Mont aux Vignes

 

Les gens pleurent, des pleurs dans les plis

Du Temps. Larmes des Métamorphoses,
Les tombes ruissellent d’eau :
Voile frémissant sur l’azur matinal.
Lorsque les amis font cercle pour dire
Une dernière fois la vie au vol rapide,
Leurs regards s’arriment au coffre de bois,
Aux aspérités du cercueil où tu dors,
Mon triste promeneur du Mont aux Vignes !

 

Arbres scintillants à l’obscur feuillage
Où l’âme errante bruisse comme un ruisseau :
Ce n’est plus l’éternité mais la fin
Qui se mêle aux minutes écoulées
Au rythme de la sève. Dis, ton corps
Oublie le néant d’avant la naissance.
Il joue de ses muscles dans le limon
Du grand Fleuve. Quel corps renaît ? Le tien ?
Mon cher promeneur du Mont aux Vignes.

 

Les flammes triomphent de la texture
Des os. Ce sont libations et brûlures
Dans l’espoir d’une nouvelle aventure.
L’œil fomente une vision qui dure.
Hélas ! les âmes sensibles ne verront pas
À travers la vitre, le corps qui brûle,
Sans les fleurs, ô Nature, déposées
À terre, leurs pétales aveuglant
Le cœur d’un ami qui se souvient
Du cher promeneur du Mont aux Vignes.

 

Ah ! laissez-moi accomplir le rite
D’infinie douleur où je m’unis
À ces hautes couleurs qui fleurissent
Le dernier combat ; anémones et violettes,
Chrysanthèmes et lys, cycle fini !
L’ami comédien récite un poème
À ta mémoire. Mehr licht, implorait Goethe,
À l’heure où le paysage est noir, l’heure…
Divin promeneur du Mont aux Vignes.

 

Vois ! les têtes inclinées ont fait cercle.
Les bouches soufflent au seul récitant
Leur haleine tandis que la souffrance
Fixe à jamais ces fatales figures.
Le bonheur banni s’en prend à la Mort.
On meurt de l’impuissance de son corps.
Les chagrins renversent le sablier
Du Temps qui efface tous les voyages,
Mon vieux promeneur du Mont aux Vignes.

 

Encor happée dans la Danse de l’ombre,
Sans savoir le chemin, j’ai brassé la Terre
Pour planter du muguet dans ma chambre.
Les parfums poussiéreux du cimetière
Sont la force subtile des corps végétants,
L’odeur gutturale qui embaume, quand je prends
La terre noire dans mes mains. Mes doigts
L’ont creusée pour revivre avec toi,
Promeneur Bien Aimé du Mont aux Vignes.

 

J’ai dissous le parfum végétal de l’enfance :
Mystère païen du désir en larmes.
Mon ciseau sculpte le limon fertile,
Porteur de semences au jardin de la terre.
La germination des plantes, les spirituelles
Fleurs, les herbes, les arbres accomplissent
Le voyage de la décomposition
Dans notre Terre-Mère et les tombeaux,
Ô bon promeneur du Mont aux Vignes !

 

Le cercueil chavire au milieu du bûcher
Voilé d’une glace sans tain, et il devient
Une tente lunaire tissée de cendres.
Je ferme les yeux, j’écoute…
Des chants d’oiseaux enregistrés ont fusé
À l’instant où tu as basculé de l’autre côté.
Quelle affreuse nacelle immolée à l’enfer
Dont l’air s’emplit de fausse allégresse !
Pourrais-je écouter les oiseaux à ton réveil,
Éternel promeneur du Mont aux Vignes.

 

Heures tombant dans le vide,
Heures parcourues de sang, heures d’hiver,
Qui retentissent dans le blanc du ciel
Sous des chapiteaux corinthiens.
J’entends le choral surgi des profondeurs,
Une valse de Vienne que nous aimions
Pour des oreilles qui se ferment.
Le Chant se nourrit de la chair immortelle
du cher promeneur qui vole vers l’Orient.

 

 Une ancienne version est publiée sur : http://camilleaubaude.wordpress.com,  une autre éditée dans Le Messie en liesse (L’Ours blanc éd., 2014). Il existe une version manuscrite dans le Livre d’Or de la Maison des Pages, consultable dans la maison musée, et une version en papiers pliés de l’artiste new yorkaise Vivian O’Shaughnessy, un livre d’artiste manuscrit en exemplaire unique, disponible sur demande à camille.aubaude@pandesmuses.fr

 

... et un autre poème :

 

De si loin, tu es revenu.
Quelle joie, ton sourire face à moi,
Tu sais, je ne l’espérais plus :
Comme je m’éloignais de Toi.
— Monde en attente de mémoire,
J’aime encore ton beau visage.
Il m’a souvent réjouie le soir
Où l’espoir immole la rage.
Tant d’êtres sourient à l’amour. 

  

Sais-tu qu’avant notre rencontre
J’aimais mal, je ne parlais plus.
J’aiguisais un sort de vaincue,
Je savais débusquer le monstre
Qui se plaisait à me meurtrir.
Te revoilà pour me ravir
À l’ombre des blessures, des larmes,
Là, pour sonner le glas des drames :
Tant d’êtres sourient à l’amour. 

  

Las, l’étreinte enfante des pleurs
Honteux d’exister. Alors, fuis
Les préjugés, les lois, les ennuis,
Les vivants affamés qui meurent
Toute leur vie faute d’aimer !
Souffle avec ferveur les cimes
De tes nuits aux sources damnées,
Esprits dont se raillent mes rimes.
Tant d’êtres sourient à l’amour. 

 

Ô Toi sublimant l’harmonie,
Écho du Ciel, la Pulsation,
Marche en mon cœur. Bois ton miel,
Sauveur du rêve, et ma raison !

 

*

 

 




Camille Aubaude

 

Atypique par son mode de vie, Camille Aubaude est considérée comme une figure majeure de la poésie française. Ses recueils sont publiés dans plusieurs langues et sa poésie est présentée dans les manuels scolaires. Elle est régulièrement invitée dans des rencontres internationales de poésie.

L’œuvre littéraire de Camille Aubaude, La Maison des Pages, L’Ambroisie, Voyage en Orient, L’Egypte céleste, pour ne citer que quelques titres, mêle les formes médiévales des Poèmes d’Amboise au style pamphlétaire de La Malcontente. Personnalité célèbre de la ville d’Amboise, Camille Aubaude publie des poètes contemporains dans la collection « la Maison des Pages ».

Son essai sur Nerval et le mythe d’Isis publié en 1997 se vend aujourd’hui mille deux cents euros sur des sites. Camille Aubaude est un objet littéraire non identifié : vagabonde des plateaux télés, elle a vécu dans une chapelle des Ursulines et une maison réputée hantée, la Maison des Pages, déambulant du bazar du Caire jusqu’à la pyramide de Lima. Sa poésie épouse ces temps anxiogènes. Tantôt, elle exprime le courroux, tantôt elle vous ressource, telle une aubade.

J.-M. Monod




Abel épuisé par la Trahison des symboles

 

(Traduit de l’arabe par Mongia Montacer)

 

 

Parce que pas un jour je n’ai fait scission
vis-à-vis de ma tristesse
Le sel des larmes s’infiltre dans ma carte d’identité
Comme fuient les fourmis vers leur sourat par peur des soldats de Salomon
Je fais couler la pulsation sur le ciment de la parole
Pour échafauder un mémorial pour les yeux de tous les pendus aux titres de journaux

Nulle vertu ne complote contre moi hormis le zézaiement de mon sang
A la prochaine fête de la guerre, je modifierai le retentissement de mon corps sur le brouillard de la solitude
Et j’ornerai la ceinture de ma patience d’une rose noire
Pour ruser avec l’aveuglement des couleurs de la mort
A la prochaine fête de l’amour,
Je contraindrai la nuit à lancer sa pièce de monnaie dans le bassin du cœur
Pour connaître par l’écriture-la tristesse des ports- les secrets de l’absence
Et que j’enseigne au sourire du souverain les étapes de l’épuisement
La résurrection est mon dernier espace, j’y reviendrai avec le retour des soldats fuyants vers le combat

Jacques Derrida a échoué à déconstruire ce qui est resté collé de toi sur le marbre de la pierre tombale
Comme Roland Barthes a échoué à interpréter ta descente vers la fenêtre sud du lit

Parce que Abel est épuisé par la trahison des symboles, il ne me reste plus de choix face à l’ingratitude de ma passion
Ô aube, ralentis ! Ne dérobe pas l’étendue de mon rêve
Ce mètre d’enlacement froid est mon langage
Avec sa terre je baptiserai la fossette de vent
Pour ne pas suffoquer du même éclat de rire par deux fois.

 

 

هابيل أثخنته خيانة الرموز

 

لأني لم أنشق يوما عن حزني

يتسرب ملح البكاء إلى بطاقة هويتي

كما يهرب النمل إلى سورته، خوفا من جنود سليمان

أسكب النبض على إسفلت الكلام

لأقيم نصبا لأحداق المعلقين على عناوين الصحف

لا فضيلة تتآمر عليّ غير لثغة دمي

في عيد الحرب القادم، سأغير وقع جسدي في ضباب العزلة،

وأزين حزام صبري بوردة سوداء

لأحتال على عمى ألوان الموت

في عيد الحب القادم،

سأجبر الليل أن يرمي قطعته النقدية في إناء القلب

لأعلم بالكتابة ـ شجن المرافئ ـ أسرار الغياب

وأعلم إبتسامة الملك أشواط التعب

القيامة متسعي الأخير، سأؤب إليها مع عودة الجنود الهاربين إلى القتال

جاك دريدا عجز عن تفكيك ما علق منكِ برخام الشاهدة

مثلما عجز، رولان بارت، عن تأويل إنحداركِ إلى نافذة السرير الجنوبية

لأن هابيل أثخنته خيانة الرموز، لم يعد لي خيار مع عقوق شغفي

أيها الفجر تمهل، ولا تسطو على مساحة حلمي

هذا المتر من العناق الجاف لغتي

وبترابه سأعمّد غمازة الريح

كي لا أغص بالقهقهة عينها مرتين.
 

°°°°°°°°°°°°°

 

 

 

De la nudité des mots
dans leur ultime délire

Chaque jour, à une heure tardive de la patience
Je ramasse les miettes tombées de ma voix
Sur la table de la parole…la parole sur le monde bien évidemment…
Je ne suis pas passionné du ramassage de ces miettes éparses…
Car  il en est une quantité que les pieds foulent sur les marches sans qu’on l’entende lever le ton…
Moi, je les ramasse en souvenir de mes délires
Quoiqu’ elles ne dépassent pas le manche d’une hache, comme  mémoire de l’arbre
Ma voix ressemble au balbutiement du manche de la hache à la tête de l’arbre
Elle n’avance pas d’un pas vers les portes qui retiennent derrière elles nos délires
Mais elle dépasse parfois ses tourments,
Pour ressembler au visage d’une actrice de cinéma au genou si haut
Ou imiter l’enrouement de la voix de Zorba, dans la mélancolie de son chant,
-Alors qu’il refaçonne ce genoux- pour qu’il ressemble au genou de sa veuve
Avant que la lumière ne s’incline dans ses yeux,
Il l’introduit alors dans la mémoire en bois de son santouri
Qui contient les miettes de sa parole nocturne
Les voix , quand elles se dressent sur le corps de l’abîme,
Ressemblent à la nudité des femmes à la dernière heure de la patience
Tout comme les délires de ma voix
.

 

عن عري الأصوات في هذيانها الأخير
 

كل يوم، وفي ساعة متأخرة من الصبر،

أجمع الفتات المتناثر من صوتي،

على مائدة الكلام... الكلام عن العالم طبعا

لست مولعا بلملمة شتات تلك الكناسة...

فكثير منها تطأه الأقدام على العتبات، ولا يعلو له نبر...

أنا أجمعه كذاكرة لهذياناتي...

رغم أنها لا تفوق ذراع الفأس، كذاكرة للشجرة

صوتي يشبه لعثمة ذراع الفأس في رأس الشجرة

لا يتقدم خطوة بإتجاه الأبواب التي تحتجز هذياناتنا خلفها

لكن أحيانا يتجاوز مضاضاته،

ليشبه وجه ممثلة سينمائية عالية الركبة

أو ينتحل بحة صوت زوربا، في غصات غنائه،

وهو يعيد تشكيل تلك الركبة - لتماثل ركبة أرملته -

قبل إنكسار الضوء في عينيه،

فيدمجها في ذاكرة (سنتوره) الخشبية

التي تحتوي كناسة كلامه الليلي

الأصوات، إذ تنتصب على جسد الهاوية،

تشبه عري النساء في ساعة الصبر الأخيرة...

كهذيانات صوتي.

 

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Des choses qui se libèrent la nuit

 

Le sang des choses se tait la nuit pour qu’elles s’endorment

Il change de couleur, comme la tresse d’une veuve trentenaire,
Du noir vers la quiétude du gris,
Pour que refroidisse son poids dissimulé, et qu’elle s’endorme,
La mer, elle aussi,
Éteint sa mémoire la nuit…
Pour que refroidissent le corps de ses poissons et qu’ils s’endorment
Ma voisine aux jambes si longues
Qui sacrifie sa féminité, comme Jane Fonda,
dans ses films à la voix si dense
Et moi,
Nous enlevons les vêtements de trop
pour les besoins du rêve pour dormir…et nous ne nous endormons pas
Nous éteignons les lumières de nos doigts et de nos oreilles
Nous étendons les manteaux du froids sur les vitres de nos yeux…
Et sur le crissement des os de nos fenêtres
Pour nous isoler avec nos vieux lits…et nous ne nous endormons pas

Vers une heure fuyant l’insomnie
Nous mettons les habits de notre inquiétude et nous sortons…
Nous partons dans deux sens opposés
Mais elle laisse son parfum m’accompagner
Jusqu’à la boulangerie du coin
Et quand elle s’éloigne pour acheter son paquet de cigarettes,
ma parvient le retentissement des pas de ses longues jambes,
Comme  le chuchotement de deux arbres automnaux
Les arbres, leur sève rouge s’épuisant la nuit, ils s’endorment

 

 

أشياء تفرج عن نفسها ليلا

يصمت دم الأشياء ليلا لتنام

يغير لونه، كضفيرة أرملة ثلاثينية،
من الأسود إلى سكون الرمادي،
ليبرد ثقلها المختبئ وتنام..
البحر، هو الآخر،
يطفئ ذاكرته ليلا
لتبرد أجساد أسماكه وتنام..
أنا وجارتي الطويلة الساقين،
والمضحية بأنوثتها، كجين فوندا، 
في أفلامها الكثيفة الصوت،
نخلع ملابسنا الزائدة 
عن حاجة الحلم لننام... ولا ننام
نطفئ أضواء أصابعنا وآذاننا
نسدل معاطف البرد على زجاج عيوننا
وعلى صرير عظام نوافذنا...
لنختلي بأسرتنا القديمة... ولا ننام
في الواحدة هروبا من الأرق
نرتدي ملابس قلقنا ونخرج...
ونمضي في إتجاهين متعاكسين...
ولكنها تخلف عطرها ليرافقني
إلى المخبز القريب
وعندما تبتعد لتشتري علبة سجائرها،
يأتيني وقع ساقيها الطويلين،
كوشوشة شجرتين خريفيتين
الأشجار يخور نسغها الأحمر ليلا وتنام

 

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Ma voisine et moi, comme les chats centenaires,
Nous sortons à l’aube acheter
les choses de trop pour le besoin du sommeil
Par les nuits pluvieuses,
Il n’en est pas vraiment autrement,
Nous rentrons tout mouillés et nous entendons l’aboiement des chiens
Plus distinctement…pour nous distraire…
En séchant les chiens de notre insomnie
Jusqu’à l’heure du prochain sommeil

 

 

أنا وجارتي كالقطط المعمرة،
نخرج فجرا لنتبضع
أشياءنا الفائضة عن حاجة النوم.
في الليالي الممطرة،
لا يختلف الأمر كثيرا،
نعود مبللين ونسمع نباح الكلاب
أكثر وضوحا... لنشغل أنفسنا
بتجفيف كلاب أرقنا...
حتى موعد النوم التالي.

 

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Jeu improvisé
 auquel ne manque quun peu découte

 

Nous avons essayé le saut plus dune fois
Ce saut que font les fillettes dans leurs jeux d
été
Et qui ne leur fait pas quitter le seuil des maisons pour plus du rêve du lit
Et nous voilà qui chutons, pour la millième fois, de notre rêve éveillé sous les draps froids
Alors essayons de fuir, de  fuite folle comme n
importe quelle robe dété légère que soulève un vent impromptu
Essayons de courir, comme les personnages des dessins animés, partout
et nulle part
Essayons de chuter, d
une dégringolade libre qui ne laisse ni  bosses ni égratignures
Essayons le vol impossible qui frôle la cime des arbres
et cueillons les plus grosses des pêches mûres
Nous ne nous arrêterons pas, car nous ne nous fatiguerons pas et personne n
attend notre retour
Et il n
y a pas de chemin pour que sen égarent nos pas
Nulle branche ingrate ne déchirera le bout de ta robe et ta chaussure gauche ne tombera pas
Car personne n
attend la fin de lhistoire dans son lit aristocratique
Imitons le cri des singes heureux, alors que nous traversons le bois,
Pour annoncer notre insurrection sur le sommeil et l
inquiétude de ses fantômes qui gâtent lhumeur
Comme tout ce qui marche vers nous hors de la paresse des décontractions des  doux après-midis
Nous ne dormirons pas, pour ne pas nous réveiller sur la voix du présentateur du journal à la télé
Nous ne construirons pas une cabane dans la forêt pour ne pas être obligés de suivre le journal de la météo  d
une présentatrice avec une robe bleue sans manches
 

 

لعبة مرتجلة، يعوزها بعض الإنصات فقط
 

لقد جربنا القفز أكثر من مرة
ذلك القفز الذي تجربه الفتيات الصغيرات في ألعابهن الصيفية...
ولا يغادر بهن عتبات البيوت لأكثر من حلم السرير
وها نحن نسقط، للمرة الألف، من حلم يقظتنا تحت الملاءات الباردة
فلنجرب الهروب.. الهروب المجنون كأي فستان صيفي خفيف تطوح به ريح مفاجئة
لنجرب الركض، كشخصيات أفلام الصور المتحركة، في كل مكان... وفي لا مكان
لنجرب السقوط والتدحرج الحر الذي لا يخلف الكدمات والخدوش
لنجرب الطيران المستحيل الذي يحاذي قمم الأشجار
ونقطف أكبر ثمار الخوخ الناضجة
لن نتوقف، لأننا لن نتعب ولا أحد ينتظر عودتنا...
ولا طريق هناك لتضله خطواتنا
لن يمزق طرف فستانك غصن عاق ولن يسقط حذاء قدمك الأيسر
لأن لا أحد ينتظر نهاية للحكاية في سريره الأرستقراطي
لنقلد صراخ القرود السعيدة، ونحن نعبر الغابة،
لنعلن تمردنا على النوم وقلق أشباحه المعكرة للمزاج،
ككل ما يمشي إلينا خارج كسل إسترخاءات الظهيرات الدافئة
لن ننام، كي لا نصحو على صوت مذيع التلفزيون في نشرة الأخبار
لن نبني كوخا في الغابة، كي لا نحتاج متابعة نشرة الأحوال الجوية من مذيعة بفستان أزرق بلا أكمام

 

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Nous utiliserons nos sens pour savoir
 tout ce qui nous intéresse
Et laisserons le reste à ceux qui ont besoin de protéger leur crainte de clôtures en béton armé et de murs en  fils barbelés, de vitres colorées et de rideaux qui empêchent la lumière de passer

Nous allons sauter, tomber et nous rouler dans la terre, dans tous les endroits que les yeux des hommes et leurs doigts natteignent pas
Les douaniers,  les gardes des frontières et les détecteurs de leurs harcèlements avec leur  bêtise  animale

Nous épargnerons nos larmes pour la naissance de la lune du ventre de la baleine et pour les saisons sans pluie
Nous planterons une pomme rouge souschaque langue pour  que la feuille de mûrier se réconcilie avec la nudité de nos péchés
Et que la vipère garde notre absence.
Reviendrions-nous à présent vers notre mort en riant, en sautillant à cloche-pied dans un jeu improvisé
 ?
 

 

سنستخدم حواسنا لمعرفة كل ما يهمنا...
ونترك ما تبقى لمن يحتاجون حماية مخاوفهم الكبيرة بأسوار الخرسانة وجدران الأسلاك الشائكة... والزجاج الملون والستائر التي تحجب الضوء
 

سنقفز ونسقط ونتحدرج ونتمرغ في التراب، في كل مكان لا تصله عيون وأصابع رجال الكمارك وحراس الحدود ومجسات تحرشهم بعبثنا الحيواني
سندخر دموعنا لولادة القمر من بطن الحوت ولمواسم إنقطاع المطر
سنزرع تفاحة حمراء أسفل كل لسان كي يصالح ورق التوت عورات خطايانا وتحرس الأفعى غيابنا.. 
هل نعود الآن لموتنا ضاحكين، ونحن نحجل على ساق واحدة بلعبة مرتجلة؟

 

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La Quête de la couleur authentique de la mort…qui ne ressemble pas au hurlement des chiens blessés

La mort est autre chose…
Tout autre chose,  ne ressemblant ni à la chute d’une étoile
Ni au hurlement d’un chien dont la patte est cassée…
Elle ressemble à l’écroulement du cygne de tristesse
Nul abîme ne peut contenir le suicide d’un oiseau qui se tue de chagrin
Les oiseaux sont comme les arbres, ils tombent de haut
Cherchant le lit de l’éternité,
Pour que la mort soit immuable et paisible,
Pour qu’elle soit autre chose que ce qui figure sur les murs des églises
Et sur les poitrines de ses prêtres angoissés par la solitude
Pour que le voyage soit jusqu’au bout du voyage
Et jusqu’au plus lointain filon dans le mur silencieux de la nuit
Immuable comme le désir de la divinité du marbre bleu.
Nul n’enlève la terre sur le corps du corbeau
Pour que la mort soit plus qu’une sortie d’urgence.
Le cygne se suicide à la mort de sa femelle, Il plane haut si haut puis joint ses ailes et se laisse tomber vers le sol…jusqu’à trépas.
 

 

 

البحث عن لون الموت الأصيل... الذي لا يشبه عواء الكلاب الجريحة
 

الموت شيء آخر...

شيء آخر تماما، لا يشبه سقوط نجمة

ولا عواء كلب مكسور القائمة..

يشبه إنحدار طائر التم حزنا

لا هاوية تسع إنتحار طائر حزنا

الطيور كالأشجار، تهوي من أعلى

بحثا عن سرير الأبدية،

ليكون الموت مستقرا وآمنا...

وليكون شيئا آخر، غير ما جسدت جدران الكنائس

وصدور كهنتها الخائفين من الوحدة...

وليكون سفرا إلى آخر السفر...،

وأبعد عرق في جدار الليل الصامت...،

والثابت كشهوة آلهة الرخام الأزرق.

لا أحد ينفض التراب عن جسد الغراب...

ليكون الموت أكثر من خروج إضطراري.

طائر التم الذكر ينتحر عند موت أنثاه، يحلق عاليا عاليا ويضم جناحاه ويسقط نفسه إلى الأرض... حتى الموت.

 

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La seule certitude dont j'aie besoin

 

La seule certitude dont j'aie besoin est un pont avec un passage unique
Qui me mène jusqu'à ton visage chaque matin
Je hais les autobus épuisés du soir, comme un mendiant boiteux
Parce que je déteste les retours obligés
Ils accostent ma certitude sur une route que n'empruntent ni les passants ni la première pluie du matin
Cette pluie d'automne qui fait coller les robes de fin de saison
Sur les corps des femmes s'agrippant aux éclats de rires charnels de l'été
Cette certitude semblable à une colombe blanche, c'est elle qui me fait passer le pont
Pour que je vienne te réveiller chaque matin et te dire: j'aime ton visage
Je l'aime avec la voracité des enfants
Je sais qu'il vient en retard comme une pluie blanche
Et comme les bateaux de pêche que mouille la tempête
Comme le visage de ma mère parti en voyage depuis trente ans
Me laissant à mi chemin de la certitude
Mais il vient parce qu'il est l'unique tunnel et que je dois le traverser pour te dire:
J'aime ton visage...avec toute la douleur du soldat revenant de sa guerre perdue.
 

 

اليقين الوحيد الذي أحتاجه
 

اليقين الوحيد الذي أحتاجه هو جسر بممر واحد
يوصلني لوجهك كل صباح
أنا أكره باصات المساء التعبة، كمتسول أعرج،
لأني لا أحب العودات الاضطرارية
إنها تستوقف يقيني في طريق لا يطرقه المارة ولا مطر أول الصباح
ذلك المطر الخريفي الذي يلصق فساتين آخر الخريف
بأجساد النساء المتشبثات بقهقهات الصيف الجسدية
ذلك اليقين الذي يشبه يمامة بيضاء، هو الذي يعبر بي الجسر
لأوقظك كل صباح وأقول: أحب وجهك
أحبه بنهم الأطفال
أعرف إنه يأتي متأخرا كالمطر الأبيض
وكمراكب الصيد التي تبللها العاصفة
وكوجه أمي الذي سافر منذ ثلاثين عاما
وتركني في منتصف اليقين
لكنه يأتي لأنه نفقي الوحيد الذي يجب أن أعبره لأقول لك:
أحب وجهك... وبكل لوعة الجندي العائد من حربه الخاسرة.

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Mes herbes courtes…courtes
comme un signe étranglé de la main

 

Comme la mer, je voyage avec la moitié d’un corps et la moitié d’une mémoire
Je voyage avec la moitié d’un ticket et la moitié d’un chemin de passage,
Parce que je laisse la moitié d’une étape à ton visage
La moitié des arrêts du temps à ton arrivée
Et ce qui reste à la moitié de mon désir
Que je laisse en gardien de l’absence
De nombreux agents de police et d’inspecteurs me croisent
Pour m’interroger sur tout ce qui les préoccupe :
Les dernières nouvelles à la télévision officielle,
La couleur du costume de l’empereur ou de la toge  noire du prêtre,
La couleur de la robe de la présentatrice des informations quand elle lit l’édition du journal des informations,
Et, parfois, par souci d’éprouver mon endurance patriotique, sur la couleur du pantalon dans lequel Bukowski a été enterré
Ou la couleur du signe de la croix avec laquelle le prêtre a béni ses sujets
Ils ne m’interrogent pas sur la tristesse de la pluie en septembre
Ni sur la passion de la mer qui célèbre ton éloignement
Ni sur la perte de la face de l’empereur quand le surprennent les couleurs de ses habits…
Mouillés dans les toilettes
Ils ne m’interrogent pas sur la voix de ton visage
Me surprenant sur les routes
Qu’habite le vent endormi…
D’habitude il ne me compare pas à Bukowski, ton visage
Il me parle de mon habitude d’offrir des fleurs aux portes en acier…
Les portes auxquelles nul ne vient frapper…et aux clôtures des rails désertés
de l’habitude de ta conversation qui, où qu’elle traverse dans le petit champ de mon passage, laisse un baiser rouge sur mes herbes courtes
Les herbes de mon désir qui poussent seules, dans ton absence, comme un signe étranglé de la main
 

 

أعشابي القصيرة... القصيرة كتلويحة مخنوقة

 

كالبحر، أسافر بنصف جسد ونصف ذاكرة
أسافر بنصف تذكرة ونصف طريق عبور،
لأني أترك نصف محطة لوجهك
ونصف محطات الوقت لوصولك
وما تبقى لنصف شوقي 
الذي أتركه حارسا للغياب.
يصادفني الكثير من رجال الأمن والمفتشين،
ليسألوني عن كل ما يشغلهم:
آخر أخبار قناة التلفويون الرسمية،
لون بزة الامبراطور أو جبة الكاهن السوداء،
لون فستان مذيعة الأخبار وهي تقرأ نشرة الأخبار،
وأحيانا - وإختبارا لطاقة تحملي الوطنية - 
عن لون سروال بوكوفسكي الذي دفن فيه 
أو لون إشارة الصليب التي حصن بها الكاهن رعيته.
لا يسألوني عن حزن المطر في أيلول
ولا عن شغف البحر الذي يحتفي ببعدك
ولا عن ضياع وجه الامبراطور، عندما تفاجئه ألوان ثيابه...
المبلولة في الحمام...
ولا يسألوني عن صوت وجهك،
وهو يفاجئني في الطرقات،
التي تسكنها الريح النائمة..
عادة هو لا يشبهني ببوكوفسكي - وجهك..
يحدثني عن عادتي في إهداء الورود للأبواب الحديدية
الأبواب الحديدية التي لا يطرقها أحد... وأسيجة السكك المهجورة...
وعن عادة حديثك، الذي أينما يمر في حقل مروري الصغير،
يترك قبلة حمراء على أعشابي القصيرة...
أعشاب شوقي التي تنمو وحيدة، في غيابك، كتلويحة مخنوقة.

 

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Une Marque sur le genou de la guerre

Chaque matin, je te racontais le rêve de la veille
Et comme à ton habitude, et comme chaque fois, tu disais : tu me racontes un film
Tu disais : toi, tu réorganises les choses de manière puérile,
Comme tu l’as fait quand nous étions à l’école, quand tu as dessiné mon visage sur ton cerf-volant
 Pour que je puisse cueillir  le nuage qui trônait au milieu du ciel du lac
Ce jour-là, avec la naïveté d’un enfant, j’avais eu peur que ma robe logue soit mouillée par l’eau du lac
Tu as voulu, toi,  que mes tresses touchent le visage du la nue et que mon rire rayonne de sa couleur blanche…
Ce jour-là j’ai couru avec mon cerf-volant pour qu’il transperce le silence de la nue et que je la traîne jusqu’à toucher tes doigts
Mais j’ai trébuché à marquer mon genou droit d’une cicatrice
De la même couleur que celle qui pare ton genou gauche, alors j’ai dit : nous sommes à présent semblables au point de marcher d’un seul des pieds de chacun d’entre nous…
Quand nous avons grandi jusqu’au rougissement de tes joues aux mots Je t’aime, tu as refusé de me dévoiler ta jambe,
Pour que nous puissions voir à quel point nos marques sont restées fidèles à leur ressemblance enfantine
Mais tu as permis que j’embrasse ton genou et, toute frissonnante, tu as dit :
Je ne me laverai pas la jambe pour que le frisson de ton baiser demeure imprimé sur mon genou

 

 

شامة على ركبة الحرب

 

كل صباح، كنت أحكي لكِ حلم الليلة السابقة

وكعادتك، وكما في كل مرة، كنت تقولين: أنت تروي لي فلما سينمائيا

كنت تقولين: أنت تعيد ترتيب الأشياء بشكل طفولي،

كما فعلت ونحن في الإبتدائية، عندما رسمت وجهي على طائرتك الورقية

كي أقطف الغيمة التي كانت تتوسط سماء البحيرة

يومها، وبسذاجة طفلة، خفت أنا أن يبتل فستاني الطويل بماء البحيرة

وأردت أنت أن تلامس ضفائري وجه الغيمة

وأن تشرق ضحكتي بلونها الأبيض..

يومها ركضت بطائرتي لتخترق صمت الغيمة

ولأسحبها لتلامس أصابعك

ولكني تعثرت لأوشم ركبتي اليمنى بندبة،

بلون الشامة التي تزيّن ركبتك اليسرى فقلتِ:

الآن تماثلنا حد المشي بساق واحدة لكل منا..

عندما كبرنا لحد إحمرار خديك من كلمة أحبك،

رفضتِ أن تكشفي عن ساقكِ،

لنرى مدى إخلاص شامتينا لتماثلهما الطفولي،

ولكنك سمحت لي بتقبيل ركبتكِ، فقلتِ وأنتِ ترتجفين:

لن أغسل ساقي كي تبقى رعشة قبلتك مطبوعة على ركبتي..

 

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A cet instant-là, nous avons décidé de danser au cinéma Sémiramis avec Zorba
Quoique la guerre fût à la portée du tir d’une seule balle

La guerre ne nous a pas laissé danser ce soir-là
Et tu craignais de ne pas danser le soir d’après alors je t’ai dit :
Zorba est trop pur pour laisser la guerre lui voler sa danse,
Et tu avais peur  de ne pas  retrouver nos sièges tout près de la cicatrice du cœur de Zorba,
Qu’il danse seul, dans le dos des cicatrices de la guerre,
Car la guerre a poussé sa malfaisance jusqu’à un pied du pied du vendeur de tickets.
Le jour suivant, la guerre a élevé la voix plus haut que l’enrouement du chant de Zorba
Ton genou a continué à suer le frisson de mon baiser

Alors que je le frottais avec les sanglots de  ta robe bleue

A une heure avancée de l’obscurité de la nuit tu as dit :

Parfois la guerre n’est pas si mauvaise,

Mais mes doigts étaient plus inquiets pour ta cicatrice
Ils n’ont pas compris ta douleur de cet instant-là,
Même après que tu as embrassé mes doigts
Depuis cette nuit j’ai détesté la guerre avec dévotion
Pour que ta cicatrice ne frissonne pas encore une fois.

Ce soir-là nous étions rentrés seuls, et la guerre se faufilaient entre les jambes de nos marques
Tu as dit en accrochant à ma taille la ceinture de ton bras :
Merci à ton amour qui me préserve de prendre l’autobus
Car malgré le malheur de la guerre, j’aime encore vagabonder par les rues des nuits pluvieuses.

 

في تلك اللحظة، قررنا أن نرقص مع زوربا في سينما سميراميس،

رغم أن الحرب كانت على مسافة رشقة رصاص واحدة

لم تسمح لنا الحرب بالرقص تلك الليلة

وكنتِ قلقة أن لا نرقص في الليلة التالية فقلت لك:

زوربا أكثر نقاء من أن يدع حربا تسرق منه رقصته

وكنت قلقة من أن لا نجد مقعدينا قريبا من ندبة قلب زوربا،

التي يرقصها وحيدا، خلف ظهر ندوب الحرب،

لأن الحرب أوصلت عبثها لمسافة ذراع من ساق بائع التذاكر.

في اليوم التالي رفعت الحرب صوتها أعلى من بحة غناء زوربا

وظلت ركبتك تتعرق رعشة قبلتي،

وأنا أحكها بشهقات فستانك الأزرق

في ساعة متأخرة من عتمة تلك الليلة قلتِ:

أحيانا لا تكون الحرب سيئة جدا،

ولكن أصابعي كانت أكثر قلقا على شامتك

فلم تفهم وجع لحظتك تلك،

حتى بعد أن قبلتِ أصابعي.

من تلك الليلة كرهت الحرب بإخلاص

كي لا ترتعش شامتك مرة أخرى.

تلك الليلة عدنا وحيدين، والحرب تتسلل من بين ساقيّ شامتينا

قلتِ وأنتِ تشدين طوق ذراعك على خصري:

شكرا لحبك الذي يحميني من ركوب الباص؛

فرغم خيبة الحرب، مازلت أحب التسكع في شوارع الليالي الماطرة.

 

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Une goutte lisse d’éclair

Je me purifie par une goutte d’éclair
Pour pénétrer dans une mort qui me contienne
Et contienne
nt la dispersion des livres de mon Thorah
Je me réfugie de moi-même  en amassant de la poésie
et  les malheurs de Oumaya Ibn Abissalt
[1]
Esseulé, je ramasse mon ombre de dessus les portes des vielles tavernes
Pour raccrocher l’espace, mémoire de la solitude de l’eau
J’exhale le frisson de ceux qu’il cerne
Ceux qui écrivent la poussière du désir
comme histoire de leurs sens dans les contours du sein
L’absence est mon semblable
Et mon giron fait partie des tiroirs du mystère

 

قطرة برق ملساء

أتوضأ بقطرة برق

لأدخل موتا يسعني

ويسع شتات أسفار توراتي

أحتمي مني بخصف الشعر

وأحزان أمية إبن أبي الصلت

مستوحشا، ألملم ظلي من على أبواب الحانات القديمة

لأعلق المكان، ذاكرة لوحدة الماء

وأعبق برعشة من يحاصرهم

ومن يكتبون غبار الشهوة

تأريخا لحواسهم في حواشي النهد

الغياب صنوي
وحجري من أدراج الغيب

 

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Les adaptations des morts
Sont mes défaites déployées aux bienfaits des fenêtres
Quand les souvenirs me contestent disant : purifie-toi
Par une goutte de jeune éclair
Et prie pour la joie du sel en toi
Ainsi que pour le siège du cercueil de la langue
Et pour la patrie tachetée du sang de la chemise lointaine

En me réveillant pour distribuer aux cerfs le don du feu
Je m’étrangle de l’innocente toux de tristesse
Comme une gazelle inspectant la passion du trottoir
Et déchiffrant la froideur du livre scolaire
Qui inventera une autre résurrection de l’eau…
Qui annoncera la défaite des toits ?
Je m’inclinerai plus qu’une tête de vipère
Pour serrer la main à mon fantôme
Et ramasser les coquilles de soupçons

 

إقتباسات الموتى

إنكساراتي المشرعة لفضائل النوافذ

إذ تماحكني الذكريات تقول: توضأ بقطرة برق يافع

وصلي لبهجة الملح فيك

ولحصار تابوت اللغة

والوطن المرقش بدم القميص البعيد

وإذ أصحو لأوزع ملكة النار على الأيائل

أشرق بسعال الشجن البريء

كغزالة تتفقد شغف الرصيف

وتتهجى برودة الكتاب المدرسي

من يبتكر قيامة أخرى للماء...

ومن يجاهر بهزيمة السقوف؟

سأنحني أكثر من رأس افعى

لأصافح شبحي واجمع ودع الظنون.

 

 

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Sylvia Plath se défait de sa camisole de froideur

Sylvia Plath se promène encore
Avec le même degré de tristesse
Et traverse la route qui s'étend au pied de ma nuit
Avec son petit manteau poussiéreux
Sans penser au vieux Ted Hugues
Elle relève désormais le col de son pardessus, un peu plus haut
Que son ton
Prêtant l'oreille au vent du sud
Elle dit: ainsi je serai au-dessus du niveau de son charme...
Ou un peu en-dessous de l'appel de sa calomnie Il était une taupe silencieuse...
Non! Il était un gros rat , il enchaînait mon rire avec la longueur de ses dents
Et je devais le tuer avant de partir vers la mer
Oui, il ressemblait à la couleur d'un arbuste parfois
Et il était suffisamment têtu pour tuer un poème
C'est pour cela que je haïssais sa joie
Qui ressemblait à l'arrogance d'un chemisier rouge
Oh! Je ne voulais pas dire tout cela
Tout ce que je voulais vous dire c'est
Que je suis triste comme une vigne qui s'offre de tous ses os
A la virilité du premier automne
Alors le vin des lèvres du petit Ted me manque
Désolée Teddy, mon bébé, je n'emporterai pas ta photo cette fois,
Car les dents de ta joie
Sont trop longues pour une mort douce
Cela t'énervera-t-il que je ressemble à Virginia Woolf dans son silence?
Laisse-moi trébucher dans ton ombre, Ted
Pour garder la cadence (Tu es là)
Dans la jubilation de mon sang qui t’a aimé.

سيلفيا بلات تنضو قميص برودتها

سليفيا بلاث مازالت تتنزه
بنفس الدرجة من الحزن
وتعبر الطريق الممتد أسفل ليلي
بمعطفها الرمادي المغبر
دون أن تذكر (تيد هيوز) العجوز
صارت ترفع ياقة المعطف، أعلى قليلا
من مستوى نبرته،
وتعطي أذنها لريح الجنوب
تقول: هكذا أكون فوق مستوى سحره
أو أدنى قليلا من نداء وقيعته كان خلدا صامتا
كلا! كان جرذا سمينا، يكبل ضحكتي بطول أسنانه،
فأضطر لقتله قبل خروجي للبحر
نعم، كان يشبه لون شجرة صغيرة أحيانا
وكان عنيدا بما يكفي لقتل قصيدة
ولهذا كنت أكره فرحه
الذي يشبه غرور قميص أحمر
أووووه! لم أكن أقصد كل هذا
كل ما أردت أن أقوله لكم هو
إنني حزينة كدالية عنب، تستبيح عظامها،
فحولة أول الخريف،
فأفتقد نبيذ شفتيّ (تيد) الصغير
آسفة (تودي صغيري)، لن أصطحب صورتك هذه المرة،
لأن أسنان فرحك 
أطول مما يحتمل موت رحيم
هل سيغيظك أن أشابه فرجينيا وولف في صمتها؟
دعني أتعثر بظلالك (تيد(
كي أحافظ على إيقاع، (أنك هنا(،
في بهجة دمي الذي أحبك.
 

 


[1]     Poète arabe du VIIe siècle

 




Sami Al Badri

 

Sami Al Badri  est  poète , romancier et critique littéraire irakien né à Bagdad le 08 aout 1960. Diplômé de l’université de Bagdad , il est titulaire d’un doctorat en  littérature  portant sur la structure du roman moderne (2002). Après avoir enseigné la critique littéraire à l’université de Bagdad, il se consacre, depuis quelques années, entièrement à l’écriture.
Auteur d’essais critiques littéraires et philosophiques, de  deux recueils de nouvelles, de deux recueils de poésies et de deux romans dont le dernier est
Une Mort d’une toute autre couleur

 




Falaise (extraits)

 

 

Dedans falaise
immiscée fore son ouvrage
toujours loin
des arborescences fusent entre chien et loup par vagues

Entre peaux est ce flux dans les veines
caillou de réalité certes
confondue dans l’épreuve
des limites

 

 

 

       *

 

 

 

Dans même le fini des rayons
ce qui des jambes se balance et balancé
du reste ce qui tient

pauvres articulations

Donc aujourd’hui genouillé tout contre
le flanc massif
une drôle de diagonale d’ombre
commerce avec l’âge et ses inflexions
que tendre ainsi racines et patience

 

 

 

       *

 

 

 

D’ici à ici-même glissé
les rouages implicites à quelques centimètres
du monde et peu s’en faut

s’entrouvre une terre tenue
pour vierge

Dix ans peut-être moins des voix creusent
et chute lente par manque de poids
ces jambes maigres de l’enfance

 

 

 

       *

 

 

 

Où des balises mordent la succession des jours
laisse arpenté nous laisse a-terré
ainsi la tentation de remonter
dans un cri soudain dans
le cri de remonter
la peau falaise d’un cri
dans la peau

 

 

 

       *

 

 

 

Devant brûlent quelques instants de grâce
à peine perçus mots dégondés
-fond de tiroir- de leurs phrases quels corps
ne sait plus

Traversés parmi tous au fond
sépare tel une mine
à ciel écartelé défaire l’espace gris
de falaise
que peut une silhouette

 

 

 

*

 

 

 

Désordre
entre la main face contre terre est
poussière de silice
empoumonée
comment résoudre une équation sans mouvement
chasser l’air même

Détourner les yeux ne déplie pas le regard
de naître encore
presque rien d’une enveloppe

 

 

 

*

 

 

 

Inspire que rien ne soit entaché comme
rien de pureté
dans l’arythmie des liens
cordes et sangles indécidables

ce qu’il faut

Étirer le silence au point de l’entendre
se rompre continuer
peut-être la distance écorce
gifle
joues genoux

 

 

 

       *

 

 

 

Distance inavouable durée pourtant
d’un clignement claque
hier
son corps tremblé
battu comme ça suspendu
comme ça contre falaise flotté

Une illusion parfaite il a dix ans
gracieux au-dessus d’un vide sans margelle
ses os d’ange décalcifiés

 

 

 

       *

 

 

 

Et dans le repliement du rêve ainsi suspendu
des couches de vêtements usés
long de jambes
linéaments lambrissés dix ans
vingt ans trente ans quarante le bruit tape
résonné sur la peau
l’entendre sans que rien n’apaise
son nom

 

 

 

       *

 

 

 

Vidé plus peur de chute ni vide
car de substance émondé – corps
et crâne- prend place au centre exact
de l’instant plus de mal non de vertige
que dix ans toujours

a quitté ses habits

l’horizon de ses cheveux rature
un ciel à la renverse

 

 

 

       *

 

 

 

Sentir tout est rien
l’avalanche des visages où tenir

sous l’averse pesante l’âge confond
décors et puanteurs -tabac froid verdure
masques d’hiver-

Des lames inouïes serpentent le regard tels souvenirs
desserrent le poing du manche
retour à-pic tâché d’ombres lentes

 

 

 




Fertilité de l’abîme

 

 

 

Poèmes d’amour et de mort à déchirer avant la guerre

 

 

 

1

 

 

La mort de Marina T.

 

 

Petite fille si fragile et si forte
Ne tends pas la main
Tu n’es pas prête encore
La mort ne s’attrape pas
Comme un animal en fuite

Petite sœur si forte et si fragile
Retiens ta main
Écoute-moi encore
La corde est trop rugueuse pour ton cou
Tu ne réussiras pas à la serrer

Petite fée des neiges russes
Écoute ma prière
Ne me repousse pas
Ils sont morts oui
Mais ton cœur palpite encore

Petit cadavre déjà rigide
Mes bras ne sauraient t’abriter plus longtemps
Tes yeux si grands me dévisagent encore
Marina
Par-delà les siècles et les siècles
Je suis russe par ta poésie
Les bras repliés sur ton coeur

 

 

2

 

 

Sur le mur nu
Crevassé de douleur
La photo s’étire
Elle a beaucoup vieilli
Tu voudrais tendre la main
Pour t’en emparer et la déchirer
Mais ta main tremble.

Les yeux sont écarquillés
Et le grand front désert
Le sourire s’est détérioré
Comme une ride au milieu du temps
Le plâtre ruisselle de  regrets
Ta main tremble encore
Ta bouche s’ouvre
Et se ferme.

Au-delà de la photo
Ils avancent dans la nuit
Cherchent d’autres mains auxquelles s’agripper
Et toi
Tu imagines le hurlement
De cette femme habillée de noir
Qui a perdu son amour emporté par l’Histoire
Elle cherche d’autres mains auxquelles s’agripper
Mais on la repousse de tout côté
Et toi
Toi
Tu écris fébrilement
Une lettre qu’elle ne lira jamais

 

 

 

3

 

 

Marina
Tes yeux sont si grands
Et ta douleur infinie
Nous nous sommes déjà rencontrés
Dans un de tes livres
Je te souriais
Un ciel de sang reflétait la terre
Marina
Tu étais penchée sur moi
Qui n’osais lever les yeux
Nous étions côte à côte
Tu t’échappais déjà
J’aurais voulu m’en aller
Loin de tout
Avec toi

N’aie pas peur Marina
Je te parlerai de Paris
Qui t’attend encore
Ne pleure pas je t’en prie
Tu n’es pas morte Marina
Dis-moi que tu n’es pas morte
Tu t’effaces déjà dans le lointain
Ne proteste pas
La Russie sera belle Marina
Essaie d’y croire

Tu es partie
Attends-moi
Attends-moi
J’ai froid
Ne me laisse pas
Tu marches trop vite
Beaucoup trop vite pour moi

 

 

4

 

 

Ils se sont donné rendez-vous
Pour te mettre à mort
Sans savoir
Que le travail était fait depuis longtemps
Tu t’en souviens bien
C’était en 1942
Il a suffi d’ouvrir le secrétaire en acajou
Pour comprendre
Sous l’abattant reposait
La condamnation en lettres rouges
Der Tod
Le sang coule toujours de tes doigts
Dans une langue étrangère
Der Tod

Ils se sont donné rendez-vous
En hurlant son nom
Qui résonne dans la nuit épaisse
Quel est donc cet homme dontT
Tu te réclames
Petit garçon ?
Que faire de sa condamnation à mort
Qui ruisselle le long de tes doigts ?
Der Tod
Tu n’as pas su consoler
la jeune femme brune aux yeux bleus
Qui s’est déchiré le coeur
Aux fils de fer barbelés de sa douleur
Dans la nuit qui s’en va
Der Tod
Der Tod

 

 

5

 

 

Je te rejoindrai
Tôt ou tard
Par un jour de grand vent
Je ne me souviendrai plus de ton nom
Svetlana
Irina
Ou Milena
Tes cheveux reposeront sur tes épaules
Tu les attacheras avec les nœuds rouges
Que j’aimais tant
Nous marcherons dans Moscou déserte
Il neigera sur nos deux silhouettes
Nous ne trouverons plus de mots
Pour nous parler
Il fera nuit
Une nuit sombre comme le malheur
Le vent soufflera encore plus fort
Sans parvenir à décoiffer notre amour
Je me sentirai de trop sur terre
En rêvant de Saint-Pétersbourg
Tu essaieras sans doute
De me retenir
Avant que je grave un dernier poème
Dans mon cœur
Avec un couteau ébréché




2 traductions des “Fleurs du Mal”

TO A WOMAN PASSING BY

 

All around me howled the deafening street.
Tall and slim, with sorrowful majesty,
a woman in full mourning passed me by,
her sumptuous hand swinging her festooned skirt.

 

She was lovely as a statue, lithe and tall.
I tensed like a raving fool, drinking in
the heaven of those grey eyes where storms begin –
bewitching sweetness, pleasure that could kill.

 

One lightning flash… then night! – Fleeting beauty,
whose glance lifted me back to life,
will I ever see you again this side of eternity?

 

Elsewhere, faraway, too late, maybe never!
Where was the other going? Neither of us could tell.
Yet I could have loved you. And you knew it well!

 

 

À UNE PASSANTE

 

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet;

 

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

 

Un éclair… puis la nuit! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité?

 

Ailleurs, bien loin d’ici! trop tard! jamais peut-être!
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais!

 

 

THE GAME

 

Old ladies of the night, in faded chairs,
with pencilled-on eyebrows and winning looks,
simpering and ogling, angling skinny ears
so gems and metal dance with little clicks;

 

around green baize, faces with no lips,
lips with no colour, jaws devoid of teeth,
infernally twitching, groping fingertips
searching empty pockets, picking at cloth;

 

dusty chandeliers, a grubby room,
enormous oil lamps doling out dim light
to famous poets, foreheads wracked with gloom,
squandering all they’ve earned through blood and sweat.

 

That’s the black tableau that I was shown
once in a dream. Or call it second sight –
I saw myself there watching in that den,
cold and mute and envious of their lot.

 

Envious of the men’s tenacious passion
and the dismal gaiety of those old whores,
all trafficking to my face some final ration
of the beauty or esteem that once was theirs.

 

I felt my heart contract. What, envy these –
poor souls who race at the chasm with elation,
so drunk on their own blood they’d clearly choose
pain over death, hell over annihilation!

 

 

LE JEU

 

Dans des fauteuils fanés des courtisanes vieilles,
Pâles, le sourcil peint, l’oeil câlin et fatal,
Minaudant, et faisant de leurs maigres oreilles
Tomber un cliquetis de pierre et de métal;

 

Autour des verts tapis des visages sans lèvre,
Des lèvres sans couleur, des mâchoires sans dent,
Et des doigts convulsés d’une infernale fièvre,
Fouillant la poche vide ou le sein palpitant;

 

Sous de sales plafonds un rang de pâles lustres
Et d’énormes quinquets projetant leurs lueurs
Sur des fronts ténébreux de poètes illustres
Qui viennent gaspiller leurs sanglantes sueurs;

 

Voilà le noir tableau qu’en un rêve nocturne
Je vis se dérouler sous mon oeil clairvoyant.
Moi-même, dans un coin de l’antre taciturne,
Je me vis accoudé, froid, muet, enviant,

 

Enviant de ces gens la passion tenace,
De ces vieilles putains la funèbre gaieté,
Et tous gaillardement trafiquant à ma face,
L’un de son vieil honneur, l’autre de sa beauté!

 

Et mon coeur s’effraya d’envier maint pauvre homme
Courant avec ferveur à l’abîme béant,
Et qui, soûl de son sang, préférerait en somme
La douleur à la mort et l’enfer au néant!