Isabelle BONAT-LUCIANI, Quand bien même

 

 

 

"J'ai beau regarder
partout l'éternité
me dépasse."

 

 

Un carnet – posé là, sur la couverture du recueil ou serait-ce plutôt celui qu'on tient entre les mains, un carnet pour déposer là tout ce qu'on saura lire entre les lignes, dans la sensibilité d'Isabelle Bonat-Luciani, parce que, quand bien même, il faut bien une surface pour dénouer la complexité des marées d'émotions, celles qui vous submergent longtemps après, la vie durant, « peut-être parce que je n'ai jamais touché ta peau »...

Le recueil est un récit poétique qui rassemble entre prose poétique et poèmes verticaux, des formes variées dans les jeux pronominaux, un je et un elle indifférencié, on glisse du tu au elle, puis à nouveau au je, du elle au « on », comme pour démultiplier la présence de l'absent et la sienne du même coup, remplir l'espace du seul vide creusé dans la violence subie.

 

« elle disait « on »
on a bien mangé
« on » est entré dans ma vie ».

 

Quand bien même dit l'absence, le manque, le creux au ventre fécond, la mort dans la vie, la vie dans la mort, les failles de la vie, la vie dans sa disparition :

 

« Derrière tes mots
j'ai cherché
tous tes gestes
en fermant les yeux
comme les gosses
qui comptent
ça-sera-toi »

 

Chercher un visage, remplir un vide, fouiller les méandres du cœur et de la mémoire, retrouver une ressemblance, s'attacher une identité, une part de soi manque, une part secrète, impossible  à combler. « Demain, on te dira qu'il n'y aura rien à dire de plus ».

Et la porte se referme sans cesse sur le vide, la fillette demeure, seule, face à elle-même, personne dans le miroir, même quand elle aura grandi.

 

« La fillette rose fée de juin retardait son souffle guettant du coin de l'oeil l'absent qui lui creuserait ses années une fois de plus ».

 

Il faudra avancer, suivre un chemin pavé d'ombres, de remparts, se forger une armure, se fabriquer des racines, parler un langage, discours qu'on n'aura jamais prononcé.
Attendre ne suffira plus, parfois l'exil des mots et du temps se creusera un nid, une « tanière »,

 

« après les ruines
le plus loin possible
que la terre vienne en moi
comme une aurore
dans ma mémoire. »

 

C'est une absence inconsolable qui a laissé l'enfant loin d'elle-même, dans ce temps où le père encore se tenait là tout près d'elle.

 

« J'ai pensé n'être nulle part,
ni vivante ni morte.
J'ai pensé l'ombre des montagnes
et le vol des oiseaux.
J'irai creuser la terre. »

 

Mais les disparitions se font parfois longtemps avant que d'être définitives, muets présages, empreintes douloureuses, creusement dans la chair. L'autre parti sans rien dire pour une autre  un jour, réapparaît pour justifier ses silences dans une disparition tangible qui dira enfin son vrai nom.

 

« Il est devenu mon père ce jour-là
le jour où désormais
il y aurait une excuse à son silence
et je n'aurai plus rien à attendre
Ce jour-là j'ai reposé en paix. »

 

Créer, recréer, à l'infini cet autre qui a été, qui aurait pu si... , qui aurait dû même ! quand bien même... « Parfois je crois avoir la mer en moi, et je déborde ».
Cet autre qui, si elle avait pu... mais non, il faudra bien qu'elle-même un jour devienne qui elle est.

 

« C'est peut-être dans ce parfum d'immuable que la pierre tenait ma poitrine au chaud. C'est peut-être le tien qui me gardait le plus au bord des intimes à la juste frontière des pudeurs où chaque don, chaque réserve s'accrochaient péniblement dans un présent inquiet. C'est peut-être nos ombres qui se parlaient entre elles obstinément, nos présences tenues en échec de toute tentative. Parce qu'elle est restée en moi si forte qu'une fois l'éternité à ta porte c'est bien droite que je suis venue poser la mienne sur ton lit, ma présence pour certitudes. »

 

*

 

Isabelle BONAT-LUCIANI est née en 1974. Elle vit et respire à Montpellier, tente de voler aux riches pour donner aux pauvres, ne craint pas la kryptonite, est plutôt punk et parfois poète pour regarder le monde dans un minuscule quand il est trop grand, dans un immense quand il est trop petit.

 

Eric PESSAN est né en 1970 à Bordeaux, romancier, nouvelliste, auteur dramatique, auteur  de jeunesse, essayiste, poète, il s'adonne au dessin en marge de ses carnets de note – allant jusqu'à les publier aux éditions de l'Attente  sous le titre « Parfois, je dessine dans mon carnet » - il n'est absolument pas illustrateur.

 

*

 

 

 

 




Roger Dextre, Des écarts de langage

 

 

Cinq parties composent ce recueil : suites de poèmes et longs poèmes en plusieurs parties ; mais cela n'a sans doute guère d'importance…

La      première partie, qui court de la page 7 à 39, est une sorte de journal sans complaisance car les pentes sont boueuses et la rivière grasse et brune. Sans complaisance car le dernier mot du premier poème est possession"Avant la possession" : que désigne ce vers ? L'imparfait qui commence le poème semble indiquer au lecteur qu'il s'agit d'un temps où la découverte du langage avait lieu… Ce serait donc une exploration du passé propre au poète. Impression renforcée par La Suicidée (p 15) où la voix est avant tout un son, le poème tout entier semblant exprimer la stupéfaction… Cette première suite, en tout cas, hésite entre le journal où chaque poème immortalise un moment (l'exemple le plus probant en est Fleuve) et le récit du rapport au langage à travers diverses expériences…

La deuxième suite, "Travail", situe la tonalité des poèmes : élégie à la gloire des travailleurs du temps passé ? Ce serait l'histoire d'une grève ("Dans son bleu de travail, mon père arrête l'usine"), la poésie parle rarement des grèves ! Mais nul ne sait si le poème est une illustration-dénonciation du "Arbeit macht frei" inscrit à l'entrée des camps de concentration ou d'extermination nazis… À moins que ce ne soit l'occasion de parler de la désindustrialisation et de la fermeture des usines… Élégie donc, mais ambiguïté…

"Le regard, du dedans" est plus intimiste, plus introspectif. Il est consacré à la lecture et Roger Dextre note : "Sur les lèvres, lentement, ira la langue. / Ses lèvres attendent le rêve / pour y trouver la parole, // la rallier." Le temps du langage s'échappe-t-il toujours ? La méditation se poursuit ; "Le temps de parler / était-il passé dès qu'on a senti / son imminence. " Les écarts se comblent-ils ?

Roger Dextre continue à déchiffrer le monde à travers différentes expériences de "lectures" (livres, poèmes, photographies, souvenirs, paysages…) dont la moindre n'est pas celle d'un recueil de poèmes choisis d'Apollinaire : "Ce livre de poche / ouvrit ainsi plus que le monde / à l'insolite parole qu'il comportait". Tout est toujours à reprendre car le monde est perdu. Je retiens ces vers : "L'image qui vient en souriant / est cependant d'un père / dans les années soixante, / sortant de l'usine tranquillement…" Oui, quelque chose échappe toujours…

"Une catastrophe" part d'un mot prononcé par la mère âgée en maison de retraite : pour la première fois, elle peut voir et dialoguer, via l'ordinateur, (avec) sa petite-fille qui se trouve au Japon. Sa réaction est de s'exclamer "C'est une catastrophe" qu'il compare, dans le poème, à une phrase trouvée ultérieurement dans un livre consacré à Peter Sloterdijk : "La catastrophe serait alors la présence simultanée de toute chose". Hasard objectif ? Ou plus ? C'est ce mot de catastrophe qu'ausculte Roger Dextre. Et si ce qui n'est qu'un outil (immatériel, de surcroît) n'offrait qu'un simulacre ? C'est une invitation à retrouver le réel que signe Roger Dextre, un réel avec ses odeurs et ses goûts…La réalité, quoi !

Un  recueil nécessaire !

 

*

 




Emilien CHESNOT, Il est un air

 

 

Après Faiblesse d’un seul publié en 2015 aux éditions Centrifuges, Emilien Chesnot (né en 1991) vient placer son jeune âge comme un nouveau regard sur ce que devrait être la poésie : une recherche d’une autre façon de voir, avec le regard de la jeunesse “Chaque oeil au singulier d’un monde / ouvert”.

 

“les yeux / ce qui dépasse le plus / du corps / avec et plus loin / qu’un simple arriéré / de perception”.

 

Le jeune poète veut développer un “regard matière” avec sa propre façon de voir au delà des apparences “glissant / sous l’aspect des choses”, “dans une transparence / restée sans contraire”.

Mais Emilien Chesnot cherche à voir l’invisible en convoquant tous ses sens, au-delà de la vue. “le sens / va dans l’épuisement / du sens”. Et le peintre Jean-Noël Bachès vient conforter cette tentative de perception extra-sensorielle avec de belles peintures, soulignant parfois visuellement les assonances du texte. Une complicité entre le peintre et le poète que Claire Perrin l’éditrice, a voulu placer en une du recueil : les deux noms à égalité entourant le titre, pour un très bel et bon ouvrage.

Avec la solitude comme point d’équilibre, il est un air n’est pas qu’une réflexion sur le “je” mais aussi sur le “nous” : “un tous / repensé chaque”... et sur le temps “filet de mémoire / si proche de n'être rien  / et si peu de corps   / autour de la blessure” et plus loin “sans fin le jour passe  / dans le mouvant des ombres  / fermées sur leur soif  /  le passé l’avenir  / s ’observent / sous la porte du présent”

La quatrième de couverture évoque “une écriture qui se cherche”, nul doute qu’Emilien Chesnot l’a trouvée avec ce deuxième ouvrage car il est un air de promesse d’avenir dans cet ouvrage-là...

 

*

 




Hélène Dorion, Tant de fleuves

 

 

Le dernier recueil d'Hélène Dorion occupe seize pages de quatrains, à l'exception de deux tercets, en vers libres sur le papier aux bords dévorés des éditions du Petit Flou. Toutes ces strophes ou presque expriment, au moyen de la répétition du groupe verbal " on voudrait ", un désir violent qui, dans sa litanie, prendra finalement un sens encyclopédique.

Il s'agit, dans un premier temps, de connaître " l'histoire de l'univers" et, à l'intérieur du monde - fleuves, bateaux, ponts –, l'amitié elle-même mais également les mots et leur poésie comme  l'enfant, grâce à son imagination, " invente son aventure ". Au point que la vie réelle ou créée  ne fasse plus qu'une.

L'important c'est que tout soit nommé, que la nature - le jour ou la nuit - et les éléments – sur terre ou sur mer – soient favorables et " l'espérance encore possible dans nos mains ".

Le leitmotiv du désir revient jusqu'à la toute fin du livret. En effet, comme les mots eux-mêmes et leur expression poétique, ce sentiment est ici illimité : " des rêves / des rêves pour toute une vie ". Il s'étend à la possession du temps et de l'espace et, cela, sans peur de l'imperfection puisque " on voudrait les remous incertains " et " le  vent qui lèche les regrets ".

" Tant de fleuves " donc mais aussi tant de choses, tant de solutions possibles avec la joie et la pureté qui servent de mots-clés à la chute du texte.

 

*

 

 




Etienne ORSINI, Répondre aux oiseaux

 

 

Sur des dessins de Pierre Lancelin (10 vignettes en noir et blanc, aux traits mouvementés et brouillés), le poète, né en 1968, auteur de six autres livres de poésie, décline en brèves pulsations une solitude majeure.

L’avenir, bouché, « une année morte », « cette soif d’étoiles », oui, bien mélancolique, sont quelques fragments d’une vision où le poète « presse/ Le ciel de rester » avec lui.

Les « jours révolus », une nostalgie cuisante parsèment ces poèmes courts :

 

« Je me suis sorti des décombres
À l’état de poème
Il faisait jour sur la page (p.32) »

 

Plus loin, « Vivre n’est plus de mon ressort »  ou « Je m’effondre épuisé ».

Une désespérance noire aliène les relations, les lieux (« J’ai longtemps cru qu’ailleurs/ Était un nom de lieu/ Avant d’avoir/ à ne plus t’appeler »), l’être (« J’ai dû quitter la fête/ Le cœur y était trop »)

On suivra avec beaucoup d’intérêt ce jeune poète qui corsète son écriture pour lui faire signifier le plus âpre, le plus nu, avec un sens aigu des formules, des images, de la concision :

 

« Partir
Pour ne plus sentir les distances
À l’intérieur de soi (p.36) »

 

Le vœu intense de l’auteur – rejoindre l’oiseau dans son libre chant – s’abîme contre des constants cinglants (« Au fond du jour/ Je pars extraire/ le minerai d’être ») : un apologue désespéré.

 

*

 




Eliane VERNAY, En noir et blanc

 

 

Eliane Vernay nous parle d'un deuil, quand la peau devient marbre avec un visage au regard infini.

Pourtant le flambeau de la parole est encore vivace, les mots dansent toujours, même si c'est sans musique, les ailes peuplent le ciel. Mais le vide est là, plus puissant que le silence, absence qui bat jusqu'à l'os.

Des larmes de pierre, plus lourdes que toutes les montagnes, tombent et creusent le présent dans un puits sans fond.

La rive n'est plus, plus de repère, plus d'amer, plus de rêves, alors on cherche l'écho des ombres, le fracas du silence dans un monde sans haut ni bas.

Heureusement il y a le souvenir de quelques images à travers des hommages à de grands peintres, Le Caravage, Vermeer, Delacroix, Goya, Rembrandt entre autres, où la peinture est à fleur de peau, où la lumière et les cendres ont engagé une bataille sans vainqueur.

On a pu croire un moment que la mer « laverait » la douleur, quand les poissons d'or viennent à la surface, se reflétant dans le ciel, quand le jour qui point prend son juste poids.

Alors n'y-a-t-il plus d'espoir de vivre à nouveau ? Si, car finalement l'air allège, avec « au bord des paupières un élan », où brille encore « la flamme du silence ».

 

 

« les notes accrochent aux branches
un train de voyelles
comme autant de guirlandes du ciel à la terre
et les ombres

...

noircies
au feu des jours

 …

 

niée alors,
ou dépassée et comme absoute,
l'image d'un ciel trop bas

 

cet éclair furtif qui scalpe, incise, sectionne
puis ouvre, tranche, fouille
écarte mortaise, caresse
puis casse
brise fracasse

 

Englouti, le néant de ta nuit
qui ne tenait qu'à un fil.
Le tien.
Sectionné.

 

Et moi, accrochée à ce fil m'agrippant
toute la nuit
mordant
garrotant
étranglant
le fil -

 

Etrangléel
la nuit.

 

La tienne. »

 

*

 




Poèmes

 (traduction : Agnieszka Malinowska)

 

 

 

 

 

Débuts

 

 

 

 

Cela commence par des nœuds de rubans d’azur du genre:
sois mince. Cela commence par des écharpes de couleur

du type: garde la forme. Puis cela ne va
que de mal en pis. Sueur, sang et larmes. Lettres du front et, ô, ma

bien-aimée. Patrie, mort pour la patrie et ainsi de suite.
Donc tu cours. Tu avales tous ces débuts,

tu bois de l’eau. Tu poses sur la langue tous ces
débuts et bois de l’eau. Quitte enfin l’uniforme.

Accélère, ralentis, dévie du chemin pris.
Comprends enfin que tu ne fais la course qu’avec toi-même.

 

 

 

 

 

Le vide

 

 

 

Il paraît que dans la perspective de la physique nous sommes complètement
transparents. Et il y a en nous plus de vide que de matière.

C’est assez amusant. Le vide imagine le vide.
Le vide va au magasin et demande trois kilos de vide.

Et ensuite se vide du vide. Le plus drôle
est le fait qu’après tout c’est un pur matérialisme, zéro

d’esprit. Mais de quoi parlions-nous? Ah,
je sais. Quelqu’un a-t-il vu mon verre?

 

 

 

 

 

Fenêtre

 

 

 

Quant aux étoiles, en effet, j’aime les observer.
Surtout après une journée comme celle-ci. Après une journée

chiffonnée, comme un journal froissé. Une fenêtre immense,
grande ouverte, me restitue à la matière.

Dans les registres bleus on ne trouvera pas de place
pour la querelle de ce jour dans un office ni pour une grandissante

aversion pour son propre reflet dans la glace. Le journal
se défroisse et se réduit à un point. Des milliers de points

blancs en tant que preuve de l’inutilité des actes
humains, écrire une telle dissertation. Ou alors: Le mutisme

du ciel, ainsi que les avantages en découlant pour les plus
et les moins malheureux habitants de la planète.

 

 

 

 

 

Langues étrangères

 

 

 

Nos parents parlent le russe, nous – l’anglais,
et nos enfants? Je parie qu’ils apprendront

le chinois. Rien d’étonnant à ce que nous ne pouvons
nous comprendre. Même Marx ne prévit pas que les choses

prendraient une telle tournure. Sans parler de Nietzsche
ou de Freud. Si l’on vient à parler d’eux, les choses

évidentes me paraissent les plus suspectes.
Par exemple l’association de l’acte d’écriture de poèmes

à la poésie. Ou du hurlement de slogans nationaux
- au patriotisme. Mais ce sont des détails.

Le plus beau est le moment où nous nous tenons debout devant
nous-mêmes et contre toute attente nous savons nous entendre.

 

 

 

 

 

Premier poème sur l’amour

 

 

 

Je nique les rues qu’essaient de s’approprier
les promoteurs bavants et les employés écervelés.

Je nique les copains qui s’annonçaient
être copains et qui m’exclurent ensuite de la copinerie.

Je nique les étagères dans mon petit appartement qui
plient sous le poids de théories inutiles.

Je nique les solvants du sens et autres détergents
qui détournent l’attention des choses importantes.

Je nique les idiots qui savent tout
sur chaque sujet, et les roublards au nez retroussé.

Je nique les lettres de motivation dans lesquelles je vendais
mon temps car il ne faut pas vendre le temps.

Je nique les grosses boîtes qui me niquent à chaque
pas, même quand je nique et quand je meurs.

Je nique l’église qui nique des enfants, bénit
des chars et pille la terre, cette terre.

Je nique les philosophes qui créèrent Dieu et tuèrent
Dieu car le pouvoir d’un homme sur les hommes est infini.

Je nique l’amour des gros et pesants romans d’amour
car le vrai amour fonce dans tous les sens.

Quoi encore ? J’aime et il m’arrive d’être insupportable.
Mais avant tout j’aime.

 

 

 

 

 

 

Empire du milieu

 

 

 

Quand on fit déjà le tour de toute la ville, on peut tranquillement
faire demi-tour. C’est-à-dire arrêter de bêtement regarder autour de soi

et enfin observer l’étiquette de cette belle
soirée. Mettre le décor à l’envers.

Chinois est le biscuit et chinois est le cartable.
Les soupes et les jouets. Penses-y, tout est chinois !

Chinoise est la police. Et l’art de la censure.
Chinoises sont les croix aussi. Et chinoise est la Pologne.

Et alors? La soirée est apprivoisée. La forme? Sûrement pas
une épigramme. Ce n’est que maintenant que la route s’agrandit vraiment.

 

 

 

 

 

Niekłańska

 

 

 

Rue Niekłańska habitait jadis un sculpteur.
Celui de Quatre Dormants et de la Statue de la Gratitude.

Il mourut, mais sa maison se mit à vivre sa propre vie.
Tout d’abord, y résidaient des sculptures. Il paraît

qu’elles apparaissaient dans le jardin encore longtemps après la mort
de l’artiste. Le jour, elles sommeillaient. La nuit, elles sortaient

dans le quartier Saska Kępa. Et elles effrayaient. Elles chantaient d’un homme fou
qui tua avec une hache toute sa famille.

Et puis, elles lançaient sur les passants des canettes
de bière et des préservatifs. Rien d’étonnant

à ce que quelqu’un finit par ordonner de démolir la maison. Maintenant
y est érigé un bâtiment moderne, un immeuble de bureaux ou

une résidence.  Ses murs sont blancs comme un os.
Et on ne sait pas à quoi on peut s’attendre de lui.

 

 

 

 

 

Je m’arrête

 

 

 

Je m’arrête. Un quartier étranger me regarde
indifféremment. D’autres que moi imaginèrent ici

on ne sait pas quoi. Un kiosquaire lutte contre
son cadenas et sa cigarette. Une fleuriste vide

dans la rue un seau d’eau. Et alors c’est tout?
C’est tout. Je ne dois vraiment plus rien. 




Marcin Orliński

Marcin Orliński (né en 1980) – poète, prosateur, critique littéraire, commentateur. Diplômé de philosophie à l’Université de Varsovie, diplômé d’études doctorales à l’Institut de recherche littéraire de l’Académie polonaise des sciences. Lauréat d’une bourse du Ministre de la Culture et du Patrimoine National « Jeune Pologne », d’une autre bourse accordée par le Ministre de la Culture et du Patrimoine National et d’une bourse de la ville de Varsovie dans le domaine de la littérature. Il a publié des recueils de poèmes : Mumu humu (Cracovie 2006), Parada drezyn (Łódź 2010), Drzazgi i śmiech (Poznań 2010), Tętno (Łódź 2014), un recueil de textes courts en prose Zabiegi (Poznań 2014) et un ouvrage de critique littéraire Płynne przejścia (Mikołów 2011). Ses textes ont paru entre autres dans ”Gazeta Wyborcza”, ”Tygodnik Powszechny”, ”Twórczość”, ”Odra”, ”Akcent”, ”Lampa”, ”Kresy” et dans ”Dwutygodnik”. Il a été rédacteur d’une rubrique poétique dans l’hebdomadaire ”Przekrój” et d’une collection éditoriale ”Biblioteka Debiutów” publiée par la revue ”Zeszyty Poetyckie”. Ses poèmes ont été traduits en langues : anglaise, allemande, suédoise, russe et ukrainien. Il habite et travaille à Varsovie. Site officiel : www.marcinorlinski.pl.




Coeur de renard

 

 

 

 

                     Cœur de renard

 

 

 

Etre une pierre dans la chair
mais tout sourire en société
et être chat au milieu des souris

Porter des habits fleuris
et dans les poches des vipères

S’amuser boire et rire
avec des amis avec des sœurs et frères
et en sous main préparer  la guerre

Susciter çà et là le dialogue
se dresser comme un bienfaiteur
en leur vendant chars et canons

Chanter partout le bonheur
et auteur des juteux malheurs
cueillir son or dans la terreur

 

 

 

 

 

 

La feuille verte

 

 

 

 

La feuille verte parle en silence
le langage fermé aux hommes

elle livre à la pluie et au soleil
ce à quoi toute âme aspire

qui va ouvrir aux cœurs de pierre
le langage de la verte feuille

qui communie au champ de l’harmonie
avec le beau soleil et la douce pluie

 

             

 

 

 

 

 

 

                                       L’Immensité

 

 

 

 

L’Immensité dévore la puissance de l’œil
et s’ouvre lentement à la clarté de l’âme                                        
le silence ici cache une puissance inouïe
le feu et l'eau dictent leur puissante loi

l'harmonie est mon paradis manquant
et le vent mon prince riche en abondance
ici on n’évolue pas les yeux voilés
la nature même dialogue avec les sens

la vie se fait toute petite
et l’âme humble se jette à genoux
à l’autel de cette puissante Immensité
le néant nous prend subitement à la gorge

toute notre fierté n’est plus que poussière
le visible affiche l’empreinte de l’invisible
et l'on pleure la mélodie des tisserins
en marche vers des profondeurs inexplorées   

 

 

 

 

 

 

 

                                          Regard

 

 

 

Je pousse très haut les pas de l’inquisition
jusques au domaine de l’autre

et projette les flèches de l’enfer
vers l’intérieur de son âme

 

 

Je détiens l’imbattable record
de la vaine pénétration du cœur

alors je calque les réalités extérieures
pour pénétrer le monde intérieur

 

 

Je suis un maître génial
dans l’art de critiquer le monde

et sais voiler dans mon cœur
le trésor de mes crasseuses réalités

 

 

J’ai une âme à tout pénétrer
le visible et même l’invisible

j’aime ouvrir l’univers à mes appétits
hélas ! l’horizon toujours bloque mes avancées

 

 

 

 

 

 

Four  du  soleil

 

 

 

Je suis dans la nuit immergé
mes yeux sont voilés d’épais brouillards
les mains agissent pour la renaissance
et le ventre se lève puissant dévorateur

et s’approprie les raisins dédiés à tous les cœurs
alors demain se voile les yeux
les méninges s’enfoncent dans mon cruel abîme
et la vie joue au cache-cache avec le temps

                                                                            

Je suis dans la nuit immergé                  
 Mon cruel abîme se fait père noël
et chante le mauvais chant du réveil
les vrais chants sont giflés en plein jour

les fans des chants bien popularisés
dansent au plein cœur de la nuit
et vantent les pépins de l’émergence
hélas ! je suis immergé jusques au cou

 

 

Je suis dans la nuit immergé
je crie aux étoiles du fond de ma nuit
ma voix brisée jamais ne les atteint
qui va porter le vent aux mains du temps

pour me sortir de mes profondeurs nocturnes
oh !  j’adore mon cruel abîme
le temps demain - ciel bleu
ira cuir mon cruel abîme au four du soleil




Michel Saltaire

J’ai suivi mes études primaires à Njombé et à Kékem, et mes études secondaires au Lycée de Bafang, couronnées par le diplôme de Baccalauréat littéraire en 1980. J’entre à l’ENS de Yaoundé en 1985 ; va en stage linguistique à Edimbourg en 1988. De retour au pays, j’obtiens ma licence bilingue en 1989 et mon DIPES II en 1991. Actuellement, je suis Inspecteur de pédagogie à Ngaoundéré dans la Région de l’Adamaoua. J’ai publié aux Editions L’Harmattan Berceau des chats et des Souris en 2009, et Judas de jadis, Judas d’aujourd’hui en 2013. J’ai encore de nombreux recueils de poèmes qui attendent d’être publiés.