Isabelle Alentour

Isabelle Alentour est née en 1962 près des Calanques à Marseille, où elle vit.

Sa trajectoire va de la recherche scientifique à la psychologie clinique. La rencontre avec la psychanalyse et la longue fréquentation qui s’en est suivie - côté divan, aujourd’hui côté fauteuil ; son attention quotidienne à la subjectivité et aux jeux de langage nourrissent son écriture poétique. L’étonnement est un de ses principaux moteurs.

Elle participe activement aux travaux du Scriptorium, à Marseille.

Et est publiée dans différentes revues papier ou numériques : Terre à Ciel, Les Archers, Ce qui Reste, Dissonances, Thauma, Recours au poème, ainsi que dans l’Anthologie poétique de Terres de

Femmes.

Page Facebook :

https://www.facebook.com/isabelle.alentour.7

 




Paolo UNIVERSO, Dans un lieu commun j’ai fini par te trouver, poésie

 

La présentation juxtalinéaire des poèmes en italien et français de l’auteur, né en 1934, décédé en 2002, offre au lecteur la possibilité d’entrevoir l’ « univers » d’un poète rebelle, réticent à l’édition, bien dans l’esprit de l’irrédentiste Trieste.

L’irrévérence, l’insolence, la liberté génèrent des poèmes à contre-courant du sens commun. Certains y verront même une quête blasphématoire en certains endroits, dès le premier poème :

« je me dévore
un beau carré
de christ ressuscité
dans le temple antonien »

La bourgeoisie, le consumérisme, le sexe, la vie banale en prennent pour leur grade, eux aussi, tant il est vrai que le regard décapant du poète pointe « la misère/ de ta condition/ de maquereau »,  voudrait « boire une coupe céleste/ de ce ciel trituré/ par le vent frais/ qui vient du frigo »…

De brefs poèmes, donc, pour fustiger ce qui passe, ce qui lasse, le drapeau national, avec un esprit de dérision amère, des formules ramassées en coups de poing (« je t’effleurerai la main/ d’un coup de marteau/sens-tu/ comme je t’aime ? »

Autocritique aussi, autodérision jusqu’à se portraiturer sur le mode acide  entre propos de café triestin et valse de Lehar.

Les aphorismes de « pensieri per versi » affûtent la même pensée d’un pessimisme lourd (« l’homme – ce succédané ») et « la ballata del vecchio manicomio » décrit l’atroce réalité des asiles :

« un barrissement d’infirmiers rembarre l’air »

ou

« fou
par la grâce de Dieu
et volonté de la Nation »

Le poète,  qui a pu écrire « par temps obscurs l’aveugle voit clair » , cerne la poisse, la vanité, exhibe le peu, le cru, la mort, et nous enjoint à relire le monde, sous l’angle de la perdition.

 

*

 

 

 

 

 




Marie-Claire BANCQUART, Qui vient de loin

 

Ce dernier recueil de Marie-Claire Bancquart est celui du temps qui passe, qui est passé, du temps de la maladie et de la mort qui se rapproche.

Pourtant sa voix reste transparente, limpide, même si des objets sont fichés au-dessus de l'inutile, dans une sorte de terrible beauté. Elle pose cette perpétuelle question de qui sommes-nous, et cette question se traduit par la poésie qui chante encore, malgré les mots qui tombent parfois en désordre, à la recherche du silence.

Et puis renaître avec la nature, d'abord au plus simple, avec l'humus qui invite à la caresse, si proche de l'humain, pour ramasser quelques miettes d'éternité. Mais l'être ne connaît pas le tout de l'être, que fait-il faire alors, courir au galop sur les poèmes pour traverser l'épaisseur des mots, célébrer l'innocence, donner forme à l'inconnu ou simplement arroser sa bruyère sur son balcon. Une odeur peut suffire à voyager ou à enlacer le tronc d'un arbre.

Notre chemin est aussi celui des entrailles, du cœur battant et du squelette si fragile, jusqu'à ce que tout finisse par des questions, celles qui nous traversent tout le long de la vie, celles qui nous fondent, celles qui résistent aux réponses toutes faites, celles qui ne cherchent pas de réponses, celles qui peuplent les ruines, celles qui germent, celle qui unissent l'espace, celles qui espèrent... La poésie est-elle alors la clé universelle qui peut sauver, non pas le monde, mais l'individu ?

 

"Il y a des mots meurtris
devant la porte

n'ouvre pas

ils sont amoncelés, ils tomberaient en désordre
certains montent encore l'escalier

ils cherchent
peut-être
le silence. Leur silence

Si tu ouvrais la porte
ils entreraient dans les dictionnaires

ils occuperaient ces calmes logis
d'ordre alphabétique, où rien ne prouve
que l'horreur existe vraiment

mais le sang
coulerait d'eux
chaque fois que nous arriverions au mot Sang."

 

"Serrer les durs rayons des lampes
les jeter à la face du crépuscule
organiser un monde net
contre
la nuit tombale.

--- Et si le crépuscule
naissait de nous ?

--- Non. Cueillir d'éclatants tournesols
s'éclairer d'un reflet
à caresser...

Se faire à vivre...aomer la vie...

Bonjour, mathématique incarnée, notre monde !

...Mais peut-être
dans une autre partie d'univers
dans un ailleurs tout à fait ailleurs
règnent des claculs différents, inconnus,
et d'autres poésies,
d'autres dispositions de l'amour, des cristaux."

 

"Qui vient de loin, qui espére et appelle,
graine folle parmi les hommes ?

Qui germe,
qui veut aller vers l'accomplissememnt ?

Qui peuple les ruines
des fantômes vivants ?

Qui unit les espaces
et,
parfois,
caresse simplement le bois de sa table ?
Qui rêve à une seule lettre
ouverte
sur l'innombrable? "

 

Marie-Claire BANCQUART, Qui vient de loin, Le Castor Astral, avril 2016

 

*

 

 




Au moment du Printemps des poètes, quatre poètes du Québec : Jean-Marc Desgent, Hélène Dorion, Élise Turcotte et Denise Desautels

en visite et lectures à Paris et Abbeville.

Calendrier des lectures :
 
Le jeudi 16 mars, 18h00 : Librairie du Québec à Paris, 30 Rue Gay-Lussac, 75005 Paris, France
+33 1 43 54 49 02  Isabelle Gagnon direction@librairieduquebec.fr
 
Le vendredi 17 mars, 19h00 : 10 rue Portefoin 75003 Paris 
métro : Temple (lignes 3 et 11), République (lignes 3, 5, 8, 9, 11) Bus : 20, 75, 29, 38, 65
Tél. : Tél. 01 44 78 55 20 
 
Le  samedi 18 mars, 19h00 Poètes en résonances qu’anime le poète Seyhmus Dagtekin :  8, rue Camille Flammarion - 75018 PARIS
Tél : 01 44 85 53 86 - fax 01 46 06 43 79 infos@compagnie-resonances.com   Seyhmus Dagtekin seyhmus.dagtekin@free.fr
 
Le dimanche 19 mars, 15h00, Salon du livre de Abbeville et de la francophonie : Espace culturel Saint André, 45/47 rue du Moulin Quignon 80100 Abbeville HOCHART helene.hochart@ville-abbeville.fr
Le 21 mars, Journée mondiale de la poésie, 17h30 : récital à la  Maison de l'Unesco, Salon du Cercle des délégués, 1 rue Miollis, 75015 Paris, Métro Ségur  Réservations obligatoires : 01 44 43 25 91




Aventures de l’œil déserteur de lumières

 

(extraits)

 

 

Le pignon dressé dans le ciel va s’écrouler un jour dans l’herbe sans faire de mystère. Petit à petit le vide grignote les pierres. Le vide blanchit sans que personne n’en soit sûr. Et la poussière des pierres s’éparpille comme des os noirs lorsqu’ils menacent les pas des hommes. En attendant une barre de fer pour danseuse suicidaire les soude d’un seul trait. Il est temps de se souvenir que le lierre n’a pas toujours raison et qu’être funambule en dessous masque les vertus du confort. Personne ne sait d’ailleurs de quel côté le ciel démarre.

 

***

 

Les chemins de la campagne aboutissent trop vite à cette fente où coule la source synonyme de vie à brève échéance. La preuve est qu’à l’extérieur subsistent des pierres à contempler dans leur désolation. Le lierre y arrache un peu de vie à la nature comme il arrache des morceaux de craie par dessus la source trop étroite pour que le jour puisse y être découvert.

 

***

 

Le vertige tombe à l’intérieur d’une fenêtre coupée par du lierre grimpant à sa source. Comment un corps à l’entrée d’un autre souterrain  peut-il s’en sortir ? Mieux vaudrait battre le linge à sa terrasse. A cette profondeur toutes les trajectoires ne cessent de se contredire. Il n’y a plus jamais de printemps dans ces ruines assemblées en toiles imprécises. Peut-être la fenêtre attend-elle que des ruines blanches la bouchent un jour que le barrage de la source aura sauté.

 

***

 

Le chemin qui descend a un parfum de religion à faire peur aux enfants. Cette odeur de buis en tournant autour des ruines se révèle insupportable. Les arbres accumulent de l’ombre sur un point du malheur enfoui. Personne ne sait jamais où. Par nécessité toutes les branches se réfugient contre les murs qu’elles griffent comme des bougies vacillantes. Il faudrait devenir un géant pour comprendre ce monde à moitié enterré qui meurt chaque jour sans nulle comparaison.

 

***

 

Les trous à l’intérieur des murs sont des meurtrières qui n’attendent que la chute des pierres. Dans cet ensemble de perspectives mourantes il fait toujours nuit. Le visage implore et glisse sur les parois de moins en moins glabres. Le grain de la pierre à suivre est rendu brillant par le gel. Il sait se durcir au point de couper les doigts de l’esprit qui veut s’élever en faisant des cauchemars en plein après-midi. Et ce monde se compose de mouches paralysées dans les interstices par des signaux qui ne bougent plus qu’une fois les corps précipités à terre.

 

***

 

Sur le ciel tapissé de feuilles entre ces quatre murs ouverts l’air ne circule que s’il est froid. Et en bout de course demeure une impression de volume fait âme. Il serait facile d’en rester là puisque personne ne surveille le lent travail de la mort. Partir pour le ciel debout nécessiterait un peu de calme à la dernière main enfouie dans l’ombre. Déjà les portes du paradis s’entrebâillent avec un regard fuyant lorsque l’essentiel est de vivre dans le bruit.

 

***

 

La vie échoue dans un trou de verdure noir où la nuit ne respire pas au dehors. Tandis que les arbres passent derrière les encadrements de silence des portes les serpents de bois se pétrifient en hiver faute de pouvoir s’élever entre les murs. Le brouillard des cœurs monte lentement entre les tombeaux vides après que soient remués les débris des poutres. Comment trouver l’équilibre au milieu des décombres qui pourrissent moins vite que les corps ?

 

***

 

Les fenêtres sont tombées avec la lumière entre quatre murs dépourvus de transparence. Des fantômes ont dû se relever pour les mettre à bas. Au passage ils ont enlevé la lumière sans allumer de feu. Et maintenant le corps passe à travers les montants engoncés d’orties. Il coule en apparence dans cette eau teintée de brou de noix. A l’intérieur le voici prisonnier d’une gangue retardant toujours la route. Ses pas avancent masqués comme s’ils appartenaient à un criminel qui aurait perdu son visage à force de le frotter contre des miroirs obscurs.

 

***

 

Le corps ne bouge plus. Tapissé de paille verdâtre il songe à réveiller l’absolu. Mais il faudrait pour cela des prières à dormir debout avec de la mauvaise lumière dans les yeux. Si la paille sent le refermé d’innombrables fleurs sont à écarter comme les minutes d’une vie végétative. Le visage n’absorbe pas ses paillettes mais demande juste des preuves que la place qu’il occupe peut toujours s’évanouir. Par contre l’odeur de vomi se réfugie dans la terre de crucifiés anonymes. Contre leurs bois rampent dans cette maison des bêtes à bon dieu.

 

***

 

L’enfer semble s’être déplacé sur la terre. Là-bas l’eau noire disparaît avec sa source à distance en signe de respect pour un déluge inconsistant et il n’y a même plus d’eau dans la maison aux galeries cerclées de briques. L’hiver est devenu un désert aux allées sourdes. C’est à peine si les robinets coulent des murs ininterrompus. Les pierres ont moulé les visages de travailleurs pétrifiés. Prendre congé de ces lieux revient à laisser traîner son âme loin de la fête laïque. Personne n’a parlé d’être robot. Personne n’a parlé. La soif reprend vite quand la tête dépasse l’ombre du corps allongé.

 

 




Patrice Maltaverne

 

Né en 1971 à Nevers, Patrice Maltaverne vit à Metz.

Il a publié depuis 1990 des poèmes dans une trentaine de revues.

Il anime le poézine « Traction-brabant » depuis janvier 2004, ainsi que le blog : http://www.traction-brabant.blogspot.fr

En 2012 il a créé deux blog de chroniques poétiques : http://www.poesiechroniquetamalle.blogspot.fr et http://www.cestvousparcequecestbien.blogspot.fr et enfin les micro-éditions Le Citron Gare : http://www.lecitrongareeditions.blogspot.fr

 

Dernières publications :

 

 « Venge les anges », (collection Minicrobe, supplément à la revue Microbe, 2013)

« Même pas mort à Vienne » (Vincent Rougier Editions, 2013)

« Perte / Perdu » (Asphodèle Editions, 2013)

Participation à l’anthologie « Buck you » (Editions Gros Textes, 2013)

«  Lettre à l’absence » (Editions La porte 2014)

« Patrice Maltaverne and Cie » (Mgv2>publishing, 2015)

« Indiscrétions d’une vie souterraine » (La Girafe à pistons diffusion, 2015)




Maurice CAREME, Sac au dos

 

 

Edité depuis 1925, le Prince des Poètes 1972 a connu nombre d’éditions et de rééditions depuis 1978, date de sa mort, à 79 ans. En outre, sa compagne, Madame Jeanine Burny, devenue responsable morale de l’œuvre de Carême, a tenu à publier les recueils inédits. Sac au dos, ainsi, rassemble des poèmes de sa vie nomade, au fil des vagabondages « sac au dos », des rivières et de la nature, lieux d’inspiration insignes pour ce poète marqué au sceau de la transparence et de la lisibilité.

Beaucoup de critiques officiels d’alors se sont gentiment moqués du « poète des enfants », ils étaient parfois poètes eux-mêmes, et certains détracteurs aujourd’hui complètement oubliés, tel Adrien Jans, académicien, porte-flambeau des détracteurs au « Soir » et ailleurs, poète mineur mais doué semble-t-il pour la critique facile qui l’a englouti. Soyons juste : 1905-1972. Que l’oubli ait son âme !

Il y a une magie de la transparence carêmienne, carrément efficace et poétique. Sac au dos aligne des célébrations de sites de Belgique, de France, surtout, qui l’inspirent et le poussent à offrir au lecteur des blasons de l’instant voyageur, qu’accompagnent des clichés de toute beauté de Madame Burny, en noir et blanc, aux contrastes de lumière que l’eau et le surplomb des rives honorent d’une élégance rare. La photo de couverture, à ce titre, conjoint les atouts photographiques de ce bel album poétique, dernier jalon posthume du maître de Wavre.

Les vaches revenaient en vagues blanches.
Des hirondelles suspendaient leurs cris aux branches. (p.63)

Le poète a une ferveur pour les bords de  fleuves, de rivières : le Loing, la Meuse, la Seine, la Moselle, etc. mais s’insère aussi dans ces villages perdus dans un temps jadis (Saint-Cirq-Lapopie).

L’écriture le préoccupe, prend toute la place, alors qu‘il pourrait se contenter de flâner, de courir l’insolite, de bâiller aux corneilles, au lieu de ça :

Ah ! Qu’il aurait été gai de me laisser vivre
Si je n’avais toujours en tête un nouveau livre, (p.59)

L’enfant, qui a survécu à tant d’écriture, reste bien vif sous le poème et prêt à rebondir, le temps de quelques images :

Je me promène avec mon âme
D’enfant un peu distrait
Au milieu de toutes ces femmes
Dont plus rien n’est secret (p.138)

Un beau livre de vagabondage poétique, très libre, très dépaysant, sensible comme un regard qui se pose sans effraction.




Le dispensaire, et autres poèmes

Pour  Pierre K. Malouf

 

 

 

Le dispensaire

 

 

 

Accroupi dans l'ombre poussiéreuse et chétive d'un épineux, il me prend la main.

Je ne vois pas ses yeux.

L'arbuste me semble hirsute et comme planté là par hasard, au beau milieu de cette place  aux ombres colorées.

Nous  parlons d'abord du désert, séducteur d'angoisses, de son charme insinuant.

Avant de survoler mille ans d'histoire.

En quelques hauts faits, racontés sur le ton de l' anecdote.

II  me parle comme s'il avait toujours vécu à Byzance,  « sublime rempart de la

chrétienté médiévale » , ajoute-t-il dans un sourire.

Ému, comme un vieux prof auquel on aurait redonné un auditoire attentif.

Mais il faut abréger.

On nous attend.

Devant ce qui reste du  pauvre  dispensaire.

Dans quel ciel est écrit: ce qui a  été détruit et qui pouvait servir, sera reconstitué par des mains anonymes ?

 

 

 

***

 

 

 

Pour José Acquelin et Francine Alepin

 

 

 

Ciel ouvert

 

 

 

Je livre à ciel ouvert
une page de rêve
le bleu unanime
et c'est tout
dire que dans l'azur
j'ai perdu mes repères

Oh! les jolis métiers
du temps dont on se passe
les deux pieds sur la foudre
j'apprends à naviguer

Le rire en pointillé
la machine à découdre
et les seins sautillés
(on se poussait du coude
on gloussait pour un rien)

Hasard des caresses
tendresse du brasier
album ouvert
à la page  d'aimer

Les souvenirs de classe
au classeur à trier
2ème rang à droite
- arrête de bouger-
une ombre bien peignée

Les plaisirs de guerre lasse
morosité des fées
et le frisson des routes
la maison de poupée
où prendre un doigt de thé
amoureusement infusé

L'instant qui fera date
alors que l'on voudrait
appréhension du doute
mettre dans un écrin
les raisons d'oublier

 

 

 

***

 

 

 

Pour Gabor Szilasi et Doreen Lindsay

 

 

 

Landschaft mit regen
(Paysage sous la pluie)

 

   

 

               Précipice de rêve
              directement sur fer  
              échec à célébrer
              et vertu de l’écho
              ce ravissement incontournable
              commençait à paraître
              dans le sang des générations

                                                                          refrain :  Bombe de plumes
                                                                              rongées par les insectes
                                                                              la mort assassine des pages blanches
                                                                              et se débarrasse des restes

 

                À trop poser pour moi
               la nature a pris froid
             j’ai invité les anges
             primitifs et narquois
              à souffler :
             apportez vos trompettes    mes amis
             vous en aurez besoin
             pour amadouer les morts furieux
             courbés sur leur monture

 

                                                                            refrain

 

             Le silence –  inventaire fastidieux
            d’un monde en soi – s’éloigne du miroir
               et s’oriente
            vers des abstractions éclatantes

               

                                                                 refrain       

 

                Encore une fois
             on s’ouvrira les veines
             devant les portes closes
             les étoiles martèlent la nuit
             trouvent refuge au cœur du récit
             avant le grand dépouillement des regards
             aucune illusion n’était aussi parfaite

 

                                                                         refrain

 

 

 

***

 

 

 

Pour Tristan Malavoy et Pierre DesRuisseaux

                                     

 

 

Le train

 

 

 

Cette vanité du train qui déroute
les paysages, pâleurs sans fin,
je l'aime. Et  les hommes
sont si petits qu'on les dirait
inoffensifs.

Ciel au crible des feuilles
l'onde s'épuise à frémir.
Tu te réveilles. Tu joues
l'éclipse, naturel confondant.

Au mâtereau, un fanion creuse
ses couleurs d'adieu.
Écrire à distance
rassure l'écho flambeur.

Et venue en reconnaissance
– il faut que je te voie –
la nuit changeante,
simple décor arsin,
apporte un peu de frénésie
au mur sans ombre.

Si tu sais dis non,
ignore le reste :
promesses  du ravin
et palaces d'enfance;
garde pour les amis
la beauté du jardin
où promener le vent.

Cortège de pétales,
ton prénom, mon amour,
me rappelle une fête.
Roucoulaient des pigeons
d'argile. Sous la lune
à  paillettes, des morts
par surprise revenus
de mission jalousaient
les danseurs.

Et le train passe encore
et la nuit vient d’éclore
le train et sa tranquille obstination
à labourer le temps

On verra bien si
ce destin irréprochable
fera de nous
de vrais humains.

 

 

 




L’espace d’un pas (extraits)

(extraits)

 

 

 

                                                                  Abandon

 

 

 

                                                       Le vertige de la parole

                                                                               ne se mesure plus

 

                         L’oubli est au regard         obtus

                                                       l’espérance immense

                                                                               si bien perdue

 

                          Le rire n’est plus              celui de l’enfant

                                                                                 il est double

                                                                                                      et en cela divisible

 

                                                       Comme un quêteur d’étoiles

                            l’ombre se penche               au  miroir

 

                                                       mais les mains impuissantes

                                                                                 restent vaines à saisir la clarté

 

                                          

 

 

 

 

 

 

                                      Ciel    goût de sel

                                                         ouvert

                                                                     ravive      la blessure

 

                                      du gris s’étend  

                                                                      épaisse la pensée

 

                                       le feu d’entre les murs      s’enfume

                                                                                       les fenêtres sont humides

 

 

                                       O le sommeil en proie

                                                                 lorsque les mains se convulsent

                                       la chair frisonne            engluée

 

                                                                                  O le drap de prière

 

                            

 

                                    

                                 

                                   

                                                

 

 

 

 

                                                    Projetée                  vers d’improbables issues

                                                    la course défie       la source

                                             

                                                   Patience,    trajectoire,            délaissées

                                                   les pics se dressent                   au sable nu

 

                                                   Glisse le grain                  aux fentes des dialogues

                                                                                              la solitude est affirmée en vain

 

                                                 Tant d’ombres mouvantes

                                                  flottent                             sous les yeux clos

 

                                                 La mâchoire serrée 

                                                                                     en appui

                                                                                                       sur la main

                                                porte                           le  poids intense

                                                                                                      de l’effort vain

                                                 le cou ploie

                                                                                       sous le coup sombre

 

                                              Cependant le vent

                                                                               bat les pans

                                                                                                      d’une fenêtre ouverte

                                                                 

                                          

                                                                                                       

                                        

 

 

                                Un manque de souffle

                                tache le chant

 

                                Seuls      les yeux suivent       la montée des mots

                                                 tandis qu’une voix tombe

                                le long des cordes élimées

 

 

                                 La langue ravale l’élan    retenu

                                 pour n’avoir qu’attendu

 

                                 Chaque commissure sous le sel

                                 plisse        puis          craque

                                                   &  le long            de la terre

                                 des souches de troncs secs

                                 se vident                      éclatent

                                                                        sous le gel

 

                                Ombre    sève sombre

                                obscurcit le songe

                            

 

 

                                                                                 

 

                                  

 

 

                                    

                                    Cingle le vent et glace les joues tendres

 

                                      Par des cieux pâles

                                      l’allée aux frêles merisiers

                                      empoudre  nue

                                                                        l’entaille au sol

                                      

                                      Trop de blancheur      

                                                                            la vie en creux

                                         miroir       un instant apparu  

                                                                               se fige

                                                     

                                         O l’étreinte d’un jour clos

 

                                         Cependant       suintent

                                         des gouttes de chaleur                                                                                                                                                                            

                                                                  le long des paumes jointes

 

                                         Une veille en sommeil                recueille

                                          la vague  promesse                     d’un soleil plein

 

                                                        Panse  les gerçures

                                           déjà             les impatiences

                                                                          se récusent

 

                                            Pourtant   l’instant

                                                                       s’éprouve démuni 

                                                                                                    

                               

                                                       

 

 

 

 

 

 

 

                                                   L’afflux du vent                   s’écoule

                                                   glacé                         au cœur des veines

                                                   Sous un ciel                obscurci

                                                   le faix des villes             se raidit

 

 

                                                  Il pleut     le

                                                                         long

                                                                                   des verticales

                                                                                                               Tombe

                                                                                                                                l’ombre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                     

 

 

                                                         Lasse

                                                                           s’apaise la révolte

 

 

                                                       L’appel avec son heure     ont fui

 

                                                       délaisse             pour le désert

                                                       des cieux dolents 

                                                                                        se fanent

 

                                                       Reste  un lisse visage

                                                       blême     

                                                       que le sort        peine

                                                       d’un doigt à désigner

                                                       tenant la mort        comme faiblesse

 

                                                       Voici venir le temps

                                                      où les forces reviennent

 

                                                      Le don est sans rancœur

                                                      nourricier       généreux        

 

 

 

                                  




Brigitte Donat

Poète.