Pour Pierre K. Malouf
Le dispensaire
Accroupi dans l'ombre poussiéreuse et chétive d'un épineux, il me prend la main.
Je ne vois pas ses yeux.
L'arbuste me semble hirsute et comme planté là par hasard, au beau milieu de cette place aux ombres colorées.
Nous parlons d'abord du désert, séducteur d'angoisses, de son charme insinuant.
Avant de survoler mille ans d'histoire.
En quelques hauts faits, racontés sur le ton de l' anecdote.
II me parle comme s'il avait toujours vécu à Byzance, « sublime rempart de la
chrétienté médiévale » , ajoute-t-il dans un sourire.
Ému, comme un vieux prof auquel on aurait redonné un auditoire attentif.
Mais il faut abréger.
On nous attend.
Devant ce qui reste du pauvre dispensaire.
Dans quel ciel est écrit: ce qui a été détruit et qui pouvait servir, sera reconstitué par des mains anonymes ?
***
Pour José Acquelin et Francine Alepin
Ciel ouvert
Je livre à ciel ouvert
une page de rêve
le bleu unanime
et c'est tout
dire que dans l'azur
j'ai perdu mes repères
Oh! les jolis métiers
du temps dont on se passe
les deux pieds sur la foudre
j'apprends à naviguer
Le rire en pointillé
la machine à découdre
et les seins sautillés
(on se poussait du coude
on gloussait pour un rien)
Hasard des caresses
tendresse du brasier
album ouvert
à la page d'aimer
Les souvenirs de classe
au classeur à trier
2ème rang à droite
- arrête de bouger-
une ombre bien peignée
Les plaisirs de guerre lasse
morosité des fées
et le frisson des routes
la maison de poupée
où prendre un doigt de thé
amoureusement infusé
L'instant qui fera date
alors que l'on voudrait
appréhension du doute
mettre dans un écrin
les raisons d'oublier
***
Pour Gabor Szilasi et Doreen Lindsay
Landschaft mit regen
(Paysage sous la pluie)
Précipice de rêve
directement sur fer
échec à célébrer
et vertu de l’écho
ce ravissement incontournable
commençait à paraître
dans le sang des générations
refrain : Bombe de plumes
rongées par les insectes
la mort assassine des pages blanches
et se débarrasse des restes
À trop poser pour moi
la nature a pris froid
j’ai invité les anges
primitifs et narquois
à souffler :
apportez vos trompettes mes amis
vous en aurez besoin
pour amadouer les morts furieux
courbés sur leur monture
refrain
Le silence – inventaire fastidieux
d’un monde en soi – s’éloigne du miroir
et s’oriente
vers des abstractions éclatantes
refrain
Encore une fois
on s’ouvrira les veines
devant les portes closes
les étoiles martèlent la nuit
trouvent refuge au cœur du récit
avant le grand dépouillement des regards
aucune illusion n’était aussi parfaite
refrain
***
Pour Tristan Malavoy et Pierre DesRuisseaux
Le train
Cette vanité du train qui déroute
les paysages, pâleurs sans fin,
je l'aime. Et les hommes
sont si petits qu'on les dirait
inoffensifs.
Ciel au crible des feuilles
l'onde s'épuise à frémir.
Tu te réveilles. Tu joues
l'éclipse, naturel confondant.
Au mâtereau, un fanion creuse
ses couleurs d'adieu.
Écrire à distance
rassure l'écho flambeur.
Et venue en reconnaissance
– il faut que je te voie –
la nuit changeante,
simple décor arsin,
apporte un peu de frénésie
au mur sans ombre.
Si tu sais dis non,
ignore le reste :
promesses du ravin
et palaces d'enfance;
garde pour les amis
la beauté du jardin
où promener le vent.
Cortège de pétales,
ton prénom, mon amour,
me rappelle une fête.
Roucoulaient des pigeons
d'argile. Sous la lune
à paillettes, des morts
par surprise revenus
de mission jalousaient
les danseurs.
Et le train passe encore
et la nuit vient d’éclore
le train et sa tranquille obstination
à labourer le temps
On verra bien si
ce destin irréprochable
fera de nous
de vrais humains.