Fil de lecture de Lucien WASSELIN : Un éditeur et ses auteurs, les éditions ROUGERIE

 

Les éditions Rougerie publient depuis 1948 diverses formes "d'une poésie de chair et de sang mais aussi une pensée rigoureuse entre sensibilité et intelligence". Après le décès de René Rougerie en 2010, c'est son fils Olivier qui a repris le flambeau et les commandes de l'atelier car Rougerie édite souvent ses recueils en typographie au plomb (quand il ne fait pas appel à d'autres imprimeurs utilisant des techniques différentes)…

 

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Jean-Claude XUEREB : "Le jour ni l'heure"

 

 Le poème liminaire annonce une couleur qui ne sera pas tenue. Jean-Claude Xuereb y fait le point et s'il constate que "meubles, livres, tableaux [lui] font signe en silence", c'est pour constater de suite qu'il sait que "bientôt il faudra dire à dieu". Ce qui ne va pas sans humour car s'il avoue être un mécréant, c'est pour aussitôt ajouter "qu'on ne se méfie jamais assez des mots / [qui] vous trahissent aussitôt le dos tourné". Ce poème liminaire n'annonce pas la couleur puisque, loin de s'arrêter sur le temps qui a passé, Jean-Claude Xuereb célèbre ces petits riens qui font le bonheur de vivre : ici, c'est l'évocation d'un ami graveur, là, c'est la glorification d'un paysage qui interroge l'homme sur l'au-delà, un au-delà sans dieu… Mais dès le second poème, les allitérations en [v] ou en [r] annoncent le rêve d'une "Ève ivre et avide"… C'est qu'il s'agit "d'ouvrir la cage enchantée du soleil" ou d'entendre le "cri de la lumière […] à travers les chênes". Dès lors, qu'importe l'inexorable ? Ce qui importe, c'est de le conjurer en vivant comme si de rien n'était… Bien sûr, il y des moments où l'inéluctable se rappelle, la lucidité balayant l'éternité, mais la vie qui éclate partout fait oublier que "le jour ni l'heure" ne sont connus. L'inéluctable absence au monde qui s'annonce transforme le recueil en journal où se mêlent souvenirs ("Porte d'Orléans"), évocation élégiaque du présent ("Regain à Vallérargues"), projections d'un devenir ("Chêne en confidences")… Mais c'est aussi l'occasion de saisir des instants drus que condense le poème où Jean-Claude Xuereb n'épargne pas les hommes ("Agressifs visiteurs")…

La seconde partie du recueil est dédiée à René Rougerie, l'ami-éditeur depuis de longues années. C'est une libre méditation sur le "corps privé de lendemain" et le bonheur connu sur terre où se mélangent mensonges (?), cadeaux de la vie où la lumière baigne le réel, une lumière à peine obscurcie par la mort quotidienne d'innocents écrasés par les assassins que les pays plaquent dans l'oubli… À quoi se réduit une vie arrivée à sa fin quand l'Histoire a écrasé les velléités de bonheur ? Alors que la vie continue et que le survivant n'attend plus qu'une "obscure croisière sidérale" ? L'émotion traverse ces poèmes "car nul ne remue impunément son passé" : le pouvoir de ces poèmes est tel que le lecteur remue justement son passé : à l'heure et au jour !

 

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Roland REUTENAUER : "Le voyage en Argovie"

 

L'Argovie est une région de Suisse, si l'on en  croit la note en fin de volume, dont est originaire Roland Reutenauer, via ses ancêtres qui l'ont quittée après la guerre de Trente Ans et dans laquelle est retournée le poète. Mais dans ce recueil justement intitulé "Le voyage en Argovie", à ce périple physique se superpose un autre voyage plus intérieur. "Le voyage en Argovie" est donc la recherche d'une possible coïncidence entre la quête poétique et le réel que fut cette expédition en Suisse. Cette quête des ancêtres fantasmée (?), Roland Reutenauer va la découvrir, ce qui donne de beaux poèmes qui vont lui permettre de reconstruire une filiation et de mieux comprendre le présent. D'où la confrontation entre deux moments à travers les poèmes : ainsi peut-on opposer "L'ancêtre ouvrier-paysan" et "Oiseaux le soir en montagne" où je lis ces vers : "sur le talus où les sapins // à tire d'aile passent / de l'éblouissant à la nuit / en aval du rocailleux / du coupant"… Sans doute est-ce le poème final, au titre énigmatique, qui donne tout son sens au recueil. Quelques mots sur ce titre s'imposent : l'idiotisme Menetekel signifierait "compté, pesé et divisé". Ou, plus prosaïquement, la fin du règne [qui s'achève un jour] (mene, c'est-à-dire la mort : j'interprète !) et il a été jugé (tekel, c'est-à-dire il a été pesé) : l'énigme demeure ! Or ce poème annonce la mort qui relativise tous les efforts qu'on a pu faire de son vivant : le poète (Roland Reutenauer ?) boit "le vin du soir / à la table de cuisine / dans un verre à moutarde / les jambes étendues / sur tout l'inachevé".  La mort qui viendra tout effacer finalement ou tout ramener à sa juste place : d'où ces mots qui terminent le poème et le recueil : "tu seras jugé bien léger / sur le plateau". Ce qui se passe de commentaire !

Quelques mots pour finir : ce vin du soir rappelle ces vers "tu n'es pas aussi vieux que tu le crois / dit le verre de vin qui t'attend". Je veux croire, en ces temps d'abstinence, à la vertu de l'alcool ! En tout cas, ce n'est pas une coïncidence que ce recueil ait été si rigoureusement construit. Tout comme les allusions aux Vosges gréseuses que le lecteur attentif ne manquera pas de relever, tout comme cet indice qui renvoie à un Hans Reitenauer né en 1612 à Gondisvil…

 

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Paul PUGNAUD : "Les Jours pulvérisés"

 

 Paul Pugnaud, qui est mort en 1995, a publié de son vivant une douzaine de recueils aux éditions Rougerie qui continuent depuis sa disparition à le faire connaître. C'est un ensemble inédit datant de 1984 qui paraît aujourd'hui sous le titre "Les Jours pulvérisés".

Célébration de la terre, du paysage mais pas n'importe quelle célébration car, d'emblée, Paul Pugnaud sépare l'espace du temps : "Pour accéder à ce pays / … / Nous négligeons le temps". Car il s'agit de célébrer malgré une époque marquée "par la violence d'aujourd'hui" : on croirait presque que ces poèmes ont été écrits en cette fin mars 2016 au moment où je lis ces "Jours pulvérisés". Pugnaud défend l'idée d'un espace illimité, qui existe au-delà de l'horizon, façonné par le regard. C'est toute la place de l'homme qui est ainsi décrite : par ses sens, l'homme est lié au paysage ; mieux, il pense ce dernier : "Nous avons peur du bruit des feuilles / Qui gémissent comme des bêtes". La relation entre l'homme et son environnement est dialectique ; aussi ne faut-il pas s'étonner que Paul Pugnaud écrive ces vers : "Des cris s'élèvent et répondent / Aux rumeurs de la terre". La vision du poète devient cosmique quand les éléments se réunissent (comme l'eau et le feu, par exemple). Et se fait pessimiste quand il le faut : "Mystère de ces mots cachés / Sous les images du malheur". S'éclaire alors cette remarque de René Depestre dans sa préface : "C'est l'écriture d'un familier des rythmes les plus secrets du monde méditerranéen". Ces brefs poèmes sont souvent traversés par les éléments de la cosmogonie antique (comme l'air et la terre). Pugnaud se sert ainsi des quatre éléments pour mieux capter l'universel ou ce qu'il appelle "l'éternité d'un instant". Et c'est tout un monde qui apparaît plus vrai que celui des guides de voyage car qui est mieux placé que le poète pour saisir l'essence d'un paysage ?

L'espace est ouvert comme le dit magnifiquement ce poème : "Étrange clef qui ouvrira / Les portes interdites / Un passage est prévu /  Derrière la muraille dont les pierres / S'écroulent dispersées / Dans cet espace ouvert". On a là comme un écho aux peintures métaphysiques de Giorgio De Chirico, un écho à un monde où les objets font signe… Ce n'est sans doute pas pour rien que Pugnaud répète le mot mystère vers la fin de son recueil car l'expérience de l'immersion dans le paysage débouche sur le mystère du lieu. Mais peut-être est-ce là une  trace du surréalisme qui a fortement imprégné le poète ?

 

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Laurence BREYSSE-CHANET : "Limons (variations)"

 

Modestement sous-titré "Variations", ce recueil regroupe des poèmes dans sept sections. Hésitation au moment de la composition du recueil ? Je ne sais, mais cette variété m'autorise à lire ce livre en dilettante. Je lis ces mots : "le vent de la mémoire / étreint l'oubli" au moment même où je viens de découvrir "Strange fruit", un poème d'Abel Meeropol, mis en musique par ce dernier et interprété par Billie Holiday. Meeropol a tout pour plaire aujourd'hui : juif, communiste, émigré, russe : son indignation devant le lynchage des Noirs le pousse à écrire "Strange fruit" ! La mémoire est étrange : j'ai vécu jusque maintenant sans rien connaître de Meeropol et de son poème et maintenant les deux ne me quittent plus, même quand je lis Laurence Breysse-Chanet ! "Le peuplier trop noir" de son poème prend alors une dimension tragique, celle de l'arbre auquel sont pendus ces fruits étranges : Meeropol n'écrit-il pas dans son poème ce vers "Étrange fruit suspendu aux peupliers" ? Mais il faut lire Limons en oubliant le reste !  Si c'est possible… Entendre cette voix étrange que le lecteur découvre dans de nombreux poèmes, cette voix qui ne cesse d'essayer de percer le mystère de la présence au monde. La poésie naîtrait de l'écart entre le monde et l'être qui essaie de le décoder, qui s'interroge ; les couleurs (très nombreuses dans cette poésie) ayant pour fonction de désigner le réel. Cette naissance peut être située dans ce qui ressort de ces vers : "La voix semble double,  est-ce son écho ? / C'est une autre voix car elle ne sait pas, / mais c'est bien ta voix c'est sa résonance"… À quoi font écho ces autres vers un peu plus loin : "Dans la béance l'ombre prend corps /  et te répond. La mort n'est pas c'est la distance / que remplit la couleur. Tu y poses tes pas, / on entend ton souffle toujours repris". Le sujet qui parle s'y dit, le poète affirme sa vérité et sa recherche… Mais cela ne va pas sans un engagement physique total de Laurence Breysse-Chanet et ce n'est pas la proximité sonore des mots voix et doigts, mais quelque chose de plus profond que je lis dans ce distique : "mais les ardoises glissent entre tes doigts, / les ardoises s'effritent sur ta voix". Alors peu importe si les peupliers de ces poèmes rappellent ou non ceux d'Abel Meeropol ! Cette coïncidence ne fait qu'enrichir ma lecture.

 

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Olivier DESCHIZEAUX : "L'herbe noire"

 

Le récent ouvrage d'Olivier Deschizeaux se présente comme une succession de petits pavés de prose poétique au ton rimbaldien : "… comme un enfant de sept ans, un poète aux veines perdues en des bohèmes plus factices que les poupées du cirque". Certes, ce ne sont pas ces mots sans ambiguïté qui donnent le la, mais bien une certaine atmosphère. Cependant Olivier Deschizeaux est croyant, alors qu'Arthur Rimbaud, nonobstant la position de Claudel et quelques déclarations familiales, ne l'était pas, me semble-t-il.  Le vocabulaire de Deschizeaux est net : il est constitué de vocables propres à une croyance, à une religion : église, parvis, genèse, âmes, anges, grâce, curés, cilice, autels, temples, prières, biblique, apocalypse, enfers, démons, apôtres… Je dois en oublier quelques uns !

Olivier Deschizeaux admire Arthur Rimbaud et André Breton (d'où ce ton surréalisant) : Breton doit se retourner dans sa tombe ! "Son écriture s'inscrit dans la continuité d'une transe charnelle, tantôt chaman, tantôt apôtre, il ne cesse d'interroger en toute modestie une folie toujours très habitée", voilà ce que dit une encyclopédie sur internet… Cette poésie m'est étrangère, je ne la goûte que modérément même si je suis sensible au rythme qui se dégage de ces petits pavés de prose, à la folie qui s'en dégage, à ce côté transe charnelle que certains ont souligné… Plus précisément, je peux suivre Deschizeaux un moment dans sa discussion mais il arrive toujours un moment où l'athée que je suis décroche et ne marche plus dans la foulée du poète… Je préférerai toujours le Rimbaud d'Aragon à celui de Claudel même si les deux écrivains ont fini par se rencontrer et s'estimer. Même si j'aime cette étoile éteinte qui brille dans les cieux. On peut rêver à une autre vie, qu'on soit croyant ou non. J'entends bien que pour Olivier Deschizeaux ce rêve est mort. Je vis cela comme une infirmité même si je ne saisis qu'imparfaitement sa critique de la bondieuserie ambiante, des traditionalismes et des intégrismes divers qui sévissent actuellement. Il arrive toujours un instant (je me répète) où l'athée en moi abandonne. Définitivement. Mais que ceci ne dissuade pas les lecteurs qu'Olivier Deschizeaux mérite de rencontrer ! Je reprendrai ce livre, quand mon humeur aura changé, pour mieux le comprendre… Je devine bien par quels tourments est passé Deschizeaux quand il écrit : "tu quittes la bibliothèque qui fait ton salon pour aller en terre de dieu mais diables et vipères  coulent en tes veines  fermant l'aine du lit noir". Mais qui est ce "tu" présent dans les poèmes ? Un fou de dieu semblable à mille autres ou le reflet d'Olivier Deschizeaux ?

 

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On aurait tort de penser que la production des éditions Rougerie soit uniforme. Les livres dont il est rendu compte ici le prouvent. Leur point commun est bien sûr cette origine personnelle pour ne pas dire autobiographique. Mais très vite la diversité apparaît. Quoi de commun, par exemple, entre Jean-Claude Xuereb et Olivier Deschizeaux ? Mais il faut aussi lire le colophon : c'est ainsi qu'on apprend que le recueil de Jean-Claude Xuereb a été "imprimé au plomb sur les presses typographiques des éditions Rougerie" alors que celui de Roland Reutenauer l'a été sur "les presses typographiques du Moulin du Got à Saint-Léonard-de-Noblat". On sent, seulement, un léger foulage chez Xuereb ! Les trois autres (Pugnaud, Breysse-Chanet et Deschizeaux) ont été imprimés à Ruelle-sur-Touvre chez Renon…
On peut ainsi constater de visu l'évolution des techniques d'impression : de la typo au plomb à la photocomposition en passant par la typographie automatisée : la poésie mène à tout !

 

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Richard BLIN, Jean-Paul Michel.

 

 

La collection « présence de la poésie » aux éditions des Vanneaux, s’attache à faire connaître l’essentiel de l’œuvre de poètes choisis. Elle reprend le principe de la série qui a fait les beaux jours de Seghers, en permettant au lecteur à chaque fois une double découverte : celle du poète dont le volume (souvent épais, lourd de grands textes) propose l’anthologie ; celle du poète qui signe l’essai qui ouvre le volume. Des figures comme Pierre Dhainaut, Matthieu Gosztola, Laurent Albarracin signent des présentations lumineuses sur leurs pairs, comme Pierre Peuchmaurd, Ariane Dreyfus (dont sort ce mois de novembre 2016 le dernier recueil chez Flammarion), Jean Malrieu, James Sacré etc.

Le livre de 373 pages que Les Vanneaux offre à la présentation et diffusion du travail de Jean-Paul Michel vers un public plus large, on le souhaite, est conduit par Richard Blin. Rassemblés dans l’ordre de publication des grands recueils du l’auteur, depuis « Les fils apprêtent à la mort son chant » (1981) jusqu’au « Je ne voudrais rien qui mente dans un livre » (2010), les poèmes y précèdent les textes théoriques de Michel sur la poésie, textes qui ont fait l’objet d’un volume complet chez Flammarion. Presque un demi-siècle d’écriture donc, rassemblé dans ses formes les plus significatives et ses étapes importantes : poèmes dictés, poèmes de vers irréguliers centrés, proses coupées, poèmes à respiration longue. Le recueil des Vanneaux est fidèle à l’exigence et à la haute tenue de la recherche poétique de Jean-Paul Michel, de son travail sur le vif de la langue, sur l’espace de la page, et la matérialité typographique du texte.

C’est de la naissance sur les terres de Corrèze que Michel tire sans aucun doute l’énergie d’une poésie qui a revendiqué au seuil d’une œuvre aujourd’hui incontournable et essentielle, le droit de se vouloir Héros et Forban. Richard Blin rappelle l’itinéraire de celui qui s’est nourri, endurci et lancé par une rencontre fondatrice avec André Breton qu’il était allé rejoindre, d’abord du refus, de la révolte, voire de la fuite. Fuite d’un destin tout tracé dans ces campagnes de l’après-guerre (prêtre, soldat ou paysan) pour choisir l’aventure de la Forme et du langage opposés au grand réel, silencieux et indifférent. Ce désir primitif d’intensité est la veine profonde qui dessine la voie de l’écriture chez Michel. Très vite sommé de répondre par le profond, le juste et l’écriture comme sacrifice, à l’évidence éblouissante du réel, au présent de ce qui est présent, au face à face avec la Beauté violente, la poésie de Michel s’oriente vers l’accueil bienveillant de la Chance d’être (« le vrai nom d’Être est Chance »), prend le parti du lumineux qui est double : l’éclat du Beau impénétrable d’abord, l’audace de respirer, d’écrire, de vivre à cette mesure, ensuite. Car la beauté « poigne, oriente, embrase et voue ». Une telle hauteur de visée et d’existence donne aux poèmes de Michel cette musculature puissante, drue, bandée dans l’effort de dire quand dire est produire, inventer (comme on invente une nouvelle terre, un nouveau monde qui est le nôtre rendu habitable) ces formes d’art, poèmes centrés, dictés, coupés qui font advenir la Beauté, une beauté vivante, virile, positive. Pas de celle qu’on enferme dans les musées. Un forme, des Signes, qui opposent leur nécessité à la présence du mal : exorcisme, conjuration, cérémonial. Il y a de tout cela dans les poèmes de Jean-Paul Michel, car

 

«  Quelle nécessité
contraire devant le mal qui déjà mord
dresser
comme une herse ?

 

Je n’en vois qu’une C’est d’aimer »

 

Restituer sans tricher, ni rater sa cible, quelle gageure ! Faire entendre dans une voix, tout à la fois le Chant  (qui est rythme, syncope, violence d’une musique profonde) le mystère du réel impénétrable qu’on peut dire « sacré » (Bataille), ou « divin » (Hölderlin), la joie (qui est énergie, mise à nu, inventaire émerveillé) et une pensée, quel impossible ! Et pourtant, Blin souligne avec clarté et admiration combien haute est cette exigence et grande sa réussite réalisée dans l’œuvre bonne et grande, chez Michel pour qui l’Art est volonté d’ajuster l’impossible aux dimensions de l’homme. On comprend donc les admirations de Jean-Paul Michel pour Hölderlin (qu’il publie chez lui, dans sa maison William Blake & Co) et Hopkins. Même exigence, même pénétration, même quête d’un langage dépouillé de ses afféteries, de ses ornements inutiles, même invention d’une langue autre, neuve, vibrante de vie, de présence et d’énigme. Michel est donc, on ne peut le nier, une voix unique, rare dans le paysage poétique français. Car la persévération dans ce dessein inouï, le refus de la demi réussite, ou de la facilité exigent, on le sent bien, une méthode, une ascèse, seules aptes à conduire le poète vers cette profonde connivence avec le réel, l’autre, lui-même. Michel écrit ainsi dans ses textes consacrés à la poésie

 

 « J’appelle « Poème », toute manière humaine de faire face au grand réel ; tout geste esquissé pour lui répondre, toute forme risquée pour lui donner contrepartie. »

 

Ce sérieux de la joie et du vrai, il faut prendre le temps de le dire ici, Michel le met aussi dans l’exercice qu’il fait de l’amitié et de la rencontre. L’homme et le poète sont un. On sent dans la rencontre et l’échange la générosité d’un vivant, la disponibilité intelligente et sensible d’un homme qui s’est arraché au destin, taillé, construit dans ses refus et ses admirations.

 

« Il n’y a pas de dernier mot possible à un poème de vérité.
Mais l’examen de ton empreinte fait assez connaître l’énergie de ton pas. » écrit-il.

 

L’empreinte de Jean-Paul Michel laisse entrevoir en effet la méthode, le travail qui offrent à ses poèmes de ne pas « manquer à l’être ». « Pour moi, j’écris des ciseaux à la main » répète-t-il souvent. La formule magnifique mérite d’être éclairée. Qu’il s’agisse des poèmes dictés au volant de sa voiture lorsque, enseignant, il roulait dans la forêt landaise vers ses élèves ou des textes écrits chaque soir, le secret de Michel tient à l’oubli et aux… ciseaux. Oublié longtemps dans un tiroir, puis exhumé des années après, le poème est juste et vrai s’il résonne encore, de loin, s’il brille toujours de l’éclat qui lui a donné naissance. C’est là, alors que les ciseaux coupent, taillent, sacrifient dans le vif de la page, des mots, des vers, pour n’en garder que le mica, le grain, l’angle, la force. Chez Michel, Richard Blin souligne combien le poème est fruit de cette violence qui coupe et sculpte au sens propre dans le langage la forme juste et pleine du poème ; d’autant pleine qu’elle s’établit sur le vide, le silence, la syncope. Tailler ou couper c’est rythmer, faire entendre et voir (n’oublions pas que Jean-Paul Michel est typographe) la nudité à vif du réel. Débarrassé de l’inutile, du joli. Ouvert à l’Ouvert, à la morsure du vrai.

 

« Serions-nous si vains que puissions
de quelque façon prendre
notre parti d’échouer
quand cette tâche – seule – peut valoir
que l’on trace, incise, grave,
prie ?

 

D’avoir été seulement nommé
dans la juste cadence d’un vers
sacre
ce qui ne doit périr. »

 

Ce qui ne doit périr : l’amitié, le face à face avec la mer en Sicile d’un temple grec, même ruiné ; la femme aimée et l’enfant se baignant dans les vagues et le soleil ; les poissons sur le quai ; les Dieux, les lectures, « toutes choses, les mauvaises même » qui se doivent dans la mort regretter. Vouer ainsi sa vie à des Signes pour adresser au réel sa propre joie d’être qui l’ouvre à notre présence, dans un face  à face brutal, érotique comme le Forban sur son vaisseau aborde, tranche, saute dans le vide et prend d’assaut en hurlant « Défends-toi Beauté violente ! ». Dans cette image, c’est  toute l’œuvre de Jean-Paul Michel, dont Richard Blin écrit pour conclure son second essai qu’elle est « une œuvre qui resacralise la poésie, témoigne de rencontres et d’enchantements dont Jean-Paul Michel, en artiste de la vie, nous dit tout ce qu’ils doivent aux coups de foudre silencieux de l’improbable et à ces présences – sans transcendance – que sont capables de susciter les puissances d’art de la langue et du beau dans leur confrontation à la morsure du vrai. »

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François LAUR, La Beauté gifle comme un grain

 

 

Une trentaine de poèmes en prose composent La Beauté gifle comme un grain, le dernier recueil paru de François Laur. Outre que c’est un bel objet, cousu, avec une mise en page de qualité, jamais gifle n’a autant caressé celui qui, pour la recevoir, la parcourt comme l’amour se lève. Impossible en effet de s’imprégner autrement de cet auteur si discret qu’il n’élève jamais la voix. Ajoutez à cela un exergue d’Annie Le Brun : « La puissance du désir est de sans cesse relier l’imaginaire et la réalité, en exaltant l’une par l’autre. » Ce pourrait être, en résumé, l’art poétique de François Laur. C’est dire la force d’attraction de ce recueil. Il est de ces livres « tissés de flammes du soleil, ceux qui se dansent, qui enivrent, qui font somptueusement tituber ». Trouvère de notre temps, dont rien n’est occulté, ni les rues qui ressassent la tristesse, ni les grèves, ni les migrants qui se noient, François Laur chante, par-dessus tout, l’amour. « Mon sang rit s’emporte feule, s’enivre de toi tisserande en accueil. »

La femme aimée est ici célébrée. On a trop perdu la grâce de le faire. Elle est l’égale absolue, voire la suzeraine des troubadours, non perchée à la fenêtre inaccessible, au cœur du verger, de la maison, du lit nuptial. Elle respire, odore par tout son corps, ordonne le jour et la nuit dans un naturel qui chamboulerait bien des existences si leurs titulaires pouvaient subodorer que cela se peut. « Malheur à qui est sans désir », écrit à raison François Laur. Le bonheur ? « Contre moi, sentir le lilas sur tes seins le velours de ton ventre le pli profond où je te touche. Ne rien oublier. » L’étreinte, l’orgasme ? Les voici dans les deux seuls vers à proprement parler de ce recueil « Tu me maintiens sur la plus haute vague, / en m’insufflant un peu d’éternité. » Sa prose est infiniment rythmée, et musicale à la fois, et surtout truffée, presque au sens propre pour la narine, de trouvailles multipliées. «Le cœur tambour, je bois ta soif surgie sur le bout de ta langue, à ton ventre le vin du rêve ; ta voix se tresse de galets qu’entre-heurte le flot, de contralto et d’abandon poignant».

L’amour, écrit François Laur, écarte un peu les horreurs du monde. « La caresse de ta voix me rend le cœur plus léger […] Avec toi, tes ritournelles, oubliés – tout merveilleusement ! – extorqueurs de désirs, trafiquants de peur fabricants de tristesse furieux de dieu bombes humaines. » Il offre tout le contraire de cette écriture décharnée, queue de comète de Tel Quel, qui fait les pâmoisons des ayatollahs que l’émotion fait vomir, qu’ils récusent. Lui, nous emporte dans son souffle. « Nous nous savions mortels, mais je n’y croyais pas. Sous l’impact du crabe fouisseur, j’ai appris ce que vivre l’instant veut dire : auprès de toi, avec et par toi rayonnante, continûment reprendre haleine dans l’affection et le bruit neufs. » Lire François Laur, c’est se préparer « à manger des burlats cueillis sur le sourire » de l’aimée. C’est s’ouvrir comme un fruit pour le partage. C’est se préparer à la délicatesse : « La chaleur de ta voix a eu raison de mon manque d’oreille. L’aigue-marine de tes yeux a laminé ma cataracte. » Et encore : « Les mouillures à tes lèvres m’ont appris les senteurs d’exister ; tu m’as ouvert ton lit, guidé en toi pour me faire franchir l’horizon. »

François Laur, né en 1943, vit dans le Sud de la France. Avec un peu plus de trente-cinq ouvrages parus, depuis 1980, il reste un poète discret. Les petits tirages semblent convenir à sa modestie, qui caractérise souvent les grands poètes. 

 

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Philippe Delaveau, Invention de la terre

 

 

Après le silence d'entrée de deux beaux haïkus le recueil s'ouvre sur la quiétude du foyer et de la nature au moyen de la liberté chantante du mètre. Tout au long seront convoqués, notamment, les lieux chers et les visages des maîtres en vers brefs ou longs jusqu' à former des versets. C'est  ceux-là qui  occupent les distiques mimant le roulement du train du poème " Transsibérien ".

Le charme du texte réside à la fois dans la prégnance du réel et d'une forte spiritualité annoncée par les citations en exergue. Un panthéisme - "quel secret lie les peupliers à leurs fuseaux ? " -  fête en quelque sorte l'ensemble que couronne la présence des anges. La voici liée à l'élément marin :

 

" Et cette baie resplendissante et calme où frémissent les anges. "

 

Même si cette présence est invisible elle est porteuse de vérité car c'est sur elle que ceux-ci veillent.

Ne peut-on pas supposer que ce sont ces anges invisibles qui aident le poète à inventer sa terre ? A la fin de l'ouvrage une note donne son explication au titre : " la poésie nous découvre-t-elle pas… le territoire sans limites qui s'étend hors de nous. "

La terre ne peut que s'inventer pour ceux qui sont appelés " les espions de Dieu " et qui, dans leur contemplation, sont émerveillés: " le réel est sans fin, sans limite, il étonne ".

Dans des tableaux où il travaille la couleur : " après le gris de métal vert de la lavande, un ciel promet le bleu, "   Philippe Delaveau explore la nature et ses éléments, champs, arbres, oiseaux, papillons et tous ont un rôle dans la cohérence du texte. En témoignent, par leur existence symbolique, les cigognes avec leur " Long bec désignant l'Est et le retour vers la Lumière ".

Le texte " Cimetières de voitures " et ses " signes de la mort " montrent ce que cette exploration peut parfois avoir de réaliste et, de cette façon, se trouve privilégiée, de part et d'autre de l'opus, l'évocation des moyens de transport. Le métro lui-même n'est pas oublié quand, à la sortie du Louvre – occasion d'une admirable description au sujet de Rembrandt - s'exprime, comme pour les bateaux et les trains, l'idée récurrente du chemin; un topos  que l'on retrouve dans des allusions aux rues et à leur bitume.

Ainsi les éléments qui sont liés aux saisons, telle l'eau sous toutes ses formes, par exemple celle de la pluie, prennent-ils ici tout leur sens. L'écoulement des canaux et des fleuves participe de ce motif du mouvement qui répond au besoin d'évasion du poète-voyageur. La nature a sa philosophie et sa rhétorique : "nous sommes là devant le temps du ciel et l'argument du fleuve ".

Tout au long de l'ouvrage sont présentés de multiples lieux,  sources essentielles d'inspiration, dont le sens mystérieux, " avec le signe explicite d'une présence " 1 restent à décrypter. Les Champs-Elysées, Londres, l'Inde etc. que traversent la Seine, la Tamise ou le Gange.

Il s'agit d'une quête apparemment satisfaite qui n'empêche nullement le questionnement. Nombreux donc sont les vers interrogatifs sur le lieu, le temps, la vie dans lesquels tout est prétexte à poésie :

 

" où est le bleu, la joie, l'ample ciel qui libère "

 

Jusqu' au texte 2 de " Grand Nord ", à la fin du recueil, perdure l'incertitude :

 

"Qui suis-je ? Où est notre pays ? Où la rive éternelle ?
Devons-nous traverser le temps sur une barque ? "

 

Le narrateur semble au moins obtenir une réponse à la question  " Où vas-tu ? " Car qui part souvent revient et peut écrire :

 

"errant aux quais bruyants, voyageur revenu
sur la  page déballant la valise et les mots lourds et nus "

 

L'écriture poétique qui " envie les aptitudes de la musique et de la peinture " 1 est présentée ici encore comme une des plus belles solutions pour " approcher le secret du monde "1. Symboles et métaphores, dans un lyrisme distancié qui sait se montrer à la frontière d'un nouveau langage, sont au service d'une quête de la vérité et de la pureté  comme l'est  le cristal des " Verres à pied ". A noter, au milieu de la variété des trouvailles, la personnification du soleil qui " éveille ", " nomme " et  " humanise ".

Le recueil évolue, grâce au verbe, vers la lumière qui chante et la conclusion de la prière " Supplication de Pâques " : " tout est si simple et vit dans la lumière… vous êtes toute Joie ",  résume le sens de l'ensemble des textes en affirmant une foi éprouvée et heureuse.

Depuis 1992, pour Philippe Delaveau, le poète est ce Veilleur amoureux qui cherche à comprendre  " pendant que d'autres dorment "1. Et c'est par " l'exercice du chant ", dit la note finale, qu'il peut apprendre à discerner le réel.

Enfin, le leitmotiv de la joie trouve son acmé dans le poème ultime. Par la magie des saisons, celle de la pluie où l'on " perçoit des  " sources de liesse " et  celle de la neige qui " révèle une beauté sans nom ".

Mais ce n'est pas " la joie, quand même " de Joseph Joubert. En effet, dans Invention de la terre, ce sentiment est profondément lié à la Présence métaphysique signifiée dans le haïku qui clôt le recueil et embellie à la fois par l'éclat de l'or et par le frémissement des anges.

La poésie et sa musique sont  bien ici magnifiées dans la mesure où " L'art est la contemplation de la Présence ".

 

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notes :

1) interview " Instants d'éternité poétique avec Philippe Delaveau " par Alix de Boisset https://ikoness.com/2015/11/22/202/

 

 

 

 

 




Paul QUÉRÉ – Suite bigoudène effilochée

 

 

Les Editions Sauvages font bien de ressortir de l'oubli l’œuvre du poète Paul Quéré. Malgré la mort, c'est comme une survivance arrachée à un futur tenace qui nous est proposée avec la réédition augmentée de Suite bigoudène effilochée.

Paul Quéré fait partie de ces poètes discrets qui, préférant « Tout simplement : être! Le reste n'étant que fioritures : penser, écrire, ou faire quoi que ce soit. », ne survivent que dans la mémoire de ceux qui l’ont connu. C'est injuste et c'est pourquoi l'initiative de ses amis bretons des Editions Sauvages est non seulement louable mais également nécessaire.  Pour que le travail de cet artiste complet (poète mais aussi peintre, céramiste, créateur de revues de poésie) soit remis dans la lumière.

Bretagne, car Paul Quéré y trouva la terre de l'harmonie de sa présence au monde. Bretagne en ses sols insoumis, dans son quotidien de création : « Création, créativité, pourquoi pas simplement Créiture? ».

Mais créer, c'est faire parler son âme. Et l'attachement à un pays se mesure à la qualité de l'âme qui s'en dégage. « Bretagne. Ici on ne pense pas, on chante, on danse la pensée. On ne pèse pas les mots, les arguments, on les laisse s'accorder à une mélodie, une musique interne suscitée par le lieu, l'élément, pluie et vent. Le corps la joue, comme les branches de l'arbre, la voile du bateau, le conduit de la cheminée, le rocher battu de la vague. L'âme caisse de résonance? ». Alors la terre comme âme de la création, c'était sans doute évident pour lui, d'autant qu'il travaillait la terre dans son atelier de « poèterie » du sud Finistère. « Comme le raisin en vin, l'âme se convertit. En "poésie" ».

Paul Quéré nous ramène aussi à la Bretagne de Xavier Grall qui écrivait « Les vieux de chez moi ont des îles au fond des yeux » et à qui il semble répondre : « Et pour combien de temps encore les vieilles de ce pays porteront-elles sur leur tête la virilité des monuments aux morts ? ».

Tout le recueil est marqué par une quête de l'harmonie entre l'auteur, le lieu (la géopoétique de son ami Kenneth White n'est jamais loin) et les mots : « Être en harmonie avec l'espace vécu comme une célébration : nous nous sentons, ici, plus près d'un Orient même extrême, que d'un Occident bavard, raisonneur, ratiocineur, dont nous ne pouvons saisir les paroles tant leur flot nous submerge, nous étouffe, nous noie. »

Cette recherche d'une terre-écriture, de ces « lieux-disants » qui portent en eux la transparence des sensations à écrire en poèmes, traverse toute cette suite bigoudène effilochée. Paul Quéré cherchait sur ces « écriterres » de nouvelles voies pour dire la mort, l'absence, le cosmos, le silence, l'âme, et l'âge qui effiloche la pensée.

Recherche de l'harmonie, l'équilibre, la zénitude orientale, malgré le quotidien agité « Nous n'en pouvons plus d'être en équilibre sur la crête des nerfs... ». Expression qui conserve tout son sens encore de nos jours...Trouver dans la terre bretonne ce point d'équilibre. Mais Paul Quéré n'est pas l'homme d’une seule terre, il est aussi du territoire de l'écriture, de la création : « J'écris / pour marquer le territoire / de ma vie ? De ma mort ? ».

A travers ce livre, l'on découvre également le compagnonnage de Paul Quéré avec certains auteurs :  Kenneth White et Xavier Grall (lui aussi n'a eu que des filles...) déjà évoqués mais aussi Georges Perros (la forme de la première partie intitulée Meil Boulan n'est pas sans rappeler Les papiers collés), Bernard Noël et Paol Keineg dans l'exigence littéraire, d'où ce côté parfois hermétique relevé par certains lecteurs. Mais plutôt qu'hermétisme, je parlerais plus volontiers de recherche d'une nouvelle écriture avec une petite dose de mystère pour ennoblir plus encore la poésie.

Les mots de Paul Quéré restent d'une modernité certaine. C'est pourquoi cette réédition par Les Editions Sauvages méritent de trouver un lectorat important. Lisez Paul Quéré et partagez Paul Quéré.

 

*

 

 

 

 




Jean-Luc Proulx

Si la vie est une question,

la poésie est une réponse.

 

Jean-Luc Proulx est natif de Montréal. D’abord artiste-peintre, il se consacre à une recherche picturale en arts visuels réunissant une série de portraits sous la thématique Hôtel des âmes qu’il présente dans diverses expositions. En 2004, sous invitation, il publie au Québec, chez XYZ éditeur, collection Hiéroglyphe, un roman du même titre, entreprenant là une approche littéraire du même univers : des portraits de l’intérieur.

 

S’en suit une longue solitude, fondatrice dira-t-il, au terme de laquelle il découvre, en 2011, « la poésie ». La même année, il obtient un 2e prix au concours Paulette-Chevrier de la FQLL. En 2012, a été finaliste au concours Écrivain en résidence à la bibliothèque de son arrondissement, puis, en 2014, est finaliste pour le prix Le Passeur. Suivent, en 2015, un 1er prix au Concours de poésie Belle-Gueule tenu lors du Festival Montréal en Lumière, de même qu’à l’hiver 2015, une bourse de résidence au programme Literary Arts du Centre des arts Banff, en Alberta. En 2015 toujours, il publie à Paris un premier recueil de poésie aux éditions du Cygne : L’autre est ta demeure. En 2016, il obtient cette fois le premier prix au concours Paulette-Chevrier de la FQLL. Il est membre de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ).

 

Sa passion ? Trouver la voix de son écriture, la rendre au poème, vivante, puis la livrer à la lecture… publique.

 




2 poems / 2 poèmes

 

A Dosage of Diminishing Returns

                      Maybe all one can do is hope to end up with the right regrets

                                                                                                 Arthur Miller

 

I’ve juiced of my years a curious patchwork –

a dosage of diminishing returns. I am anther

 

eyeballing the habit of a Kentia Palm

addict in breeze. For it’s semaphore

 

of green swells with progressive ideas. Telling

how a houseplant does this. With ease, it says hang

 

on, stamen – watch these fronds blow a shape of hips

in sculpting gusts. It says glass.

 

It shouts woman. It

carves a mango out

 

sharply from its wind-swept savoir-faire and tumbles them to shore

up a penitential fructose you can’t undo. It says deeper

 

at my end how I will live

sweet amongst the artists of post-Gauguin

 

Tahiti and must allow pacific winds to disinfect

my age. My bee. I watch the oceans keep.

 

 

*

 

 

UNE POSOLOGIE DE RETOURS DECROISSANTS

                                 Peut-être qu'on peut seulement espérer de finir avec les bons regrets. 

                                                                                                                        Arthur Miller

 

J'ai fait de ma vie un étrange assemblage -

une posologie de retours décroissants. Je suis anthère

 

reluquant ce que fait un palmier Kentia

accro à la brise. Car c'est un sémaphore

 

de houles vertes aux idées progressistes. Racontant

comment s'y prend une plante d'intérieur. Avec douceur, elle dit attendez

 

voir, étamines – regardez ces frondes souffler une forme de hanches

en rafales sculptantes. Elle dit verre.

 

Elle crie femme. Elle

sculpte une mangue en morceaux

 

Brusquement avec son savoir-faire battu de vent et les jette pour

étayer un indéfectible fructose pénitentiel. Elle dit encore plus bas

 

à la fin comment je vivrai

tout doux parmi les artistes post-gauguin

 

à Tahiti, et je devrai autoriser les vents du Pacifique à désinfecter

mon âge. Sang doute 1. Je contemple les fonds marins.

 

 

 

*

 

 

Are You Ready to Go Superfast?

                   Osteospermum jucundum

 

to be with the dancing women

cosecants of how their diet pops

 

wet mimeographs is to be organised just off

the gravitas of early jitterbugs

 

stems and earlier still

peahen down to portrait calm and votes

 

their faire frou frou

to fly and woo as tai

 

babilonia twisting there a calatrava

cantilevered onto stamps in paraguay

 

the telephony of english butter

say or our aperitif of snowbank

 

are you ready to go superfast

on de beers the carat of massachusetts

to be with the dancing women is singeing weed boy

george s wind up

 

chameleon2 and it s so meteoric why the african

coastline resembling a llama s head

 

sip bent for antarctic ice

skates the retina of lake

 

victoria you re a daisy if you do 3

 

 

 

*

 

 

 

Tu es prêt à aller super vite?

                      Osteo spermum jucundum

 

être avec les femmes qui dansent
cosécantes de la façon dont leur light soda fait pop !

 

d'humides stencils c'est être installé juste en marge
de la dignité des premiers swings endiablés

 

de tiges et avant encore
ce duvet de paon qui imite le calme qui adopte

 

leur frou-frou fou
volant flirtant comme la

 

babylone tai se tortillant là un calatrava
en porte-à-faux sur des timbres au paraguay

 

le chic bidon du beurre anglais
disons ou notre apéritif aux glaçons de congère

 

es-tu prêt à aller super vite
sur de beers le carat du massachusetts

 

être avec les femmes qui dansent c'est cramer l'herbe
la fin du caméléon

 

de boy george c'est fulgurant aussi c'est pourquoi en afrique
le rivage tel une tête de lama

 

sirote penché sur l'antartique sa glace
patine sur la rétine du lac

 

victoria quelle crème tu es si tu le fais

 

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Notes

 

1My bee – jeu de mot sur la prononciation de ”maybe” avec l'accent australien

2 Cette image renvoie autant au succès musical des années 80, Karma Chameleon de Boy George, qu'à la variabilité de couleur de cet animal.

 

3Réplique culte du personnage de Doc Holiday dans le film Tombstone (1993), terme à la mode aux alentours de 1870, où il signifie "être exceptionnel" – pratiquement intraduisible, car lié aussi au thème floral du poème, annoncé par l'osteospermum, ou "marguerite du Cap"

 

entretien avec l'auteur à lire ici :http://www.recoursaupoeme.fr/essais-chroniques/ping-pong-deux-po%C3%A8mes-et-un-entretien-avec-kent-mac-carter/marilyne-bertoncini




Kent Mac Carter

Kent MacCarter (Managing Editor, Site Design, Short Reviews Editor) is a writer and editor in Castlemaine, with his wife and son. He holds a BA in Accounting from the University of Montana, a BA in Finance from the University of Montana, and an MA in English with focus on Creative Writing from University of Melbourne. His publishing career began at University of Chicago Press in 2000, and since he has work with educational publishers Cengage Learning and Curriculum Press in Australia. He’s the author of three poetry collections – In the Hungry Middle of Here (Transit Lounge, 2009), Ribosome Spreadsheet (Picaro Press, 2011) and Sputnik’s Cousin (Transit Lounge, 2014), with California Sweet forthcoming in 2017. He is also editor of Joyful Strains: Making Australia Home (Affirm Press, 2013), a non-fiction collection of diasporic memoir. He is an active member in Melbourne PEN, and was executive treasurer on the board for Small Press Network from 2009-2013. In 2012 he received a Fulbright Travel Award to attend writing festivals and lecture at Indonesian universities.




Karl-Henry Pierre

Poète




Mers intérieures et autres poèmes

A Johnny Pierre

 

MERS INTERIEURES

 

Sans facétie en écharpe de nuit

Les yeux d’encrier des chats

Ont piégé la lune de ma chambre nubile

Ancrée d’épaisseur

Et se sont mis entre parenthèse blanche

Et le temps et l’espace

Les pages en marge de folie sublime.

 

Il est temps d’en crier

Aux mots nus-biles

Et d’en créer des épée-sœurs

Car de ma chambre de faux-lits

Les yeux des chats ont l’arrogance

Des voix larges

Et ont l’âge des pierres taillées

(Silex de mes mers intérieures)

 

 

*

 

 

AINSI SOIT-IL

 

Du sang sur

les murs

Ma ville en écartèlement

De censure

de mots

Je recrée le poème

De la nuit

En mal de métaphore

Dans l’avalanche d’yeux

Imbibés de tsunami

 

Quelquefois

De plein-pieds

Faut-il enfin que

Naissent de nouveaux soleils

Pour lessivage d'une saison

trop froide

 

Effacement!

 

*

 

 

 

 

A Louissaint Alliance Alexandra

 

 

A HAUTE PORTEE

 

Au pays petit navire sans voile

S’illuminant rebelle sur la mer caraïbe

Où les marins sans cieux se moquent du vent

Et se cachent à l’autre face de la mer

De l’horizon aux yeux verts

Et se réfugient au bout des ongles du temps.

 

L’image d’une saison qui se meurt

A la douce beauté amère de l’ile

Se recroquevillant dans ma mémoire

Au néocortex fabuleux

Et le nerf orbitofrontal

S’étire aux farces des souvenirs

L’ile est belle dans sa beauté marâtre

A haute portée d’ombre.

 

 

*

 

 

A Marie Lydie Lavertu

 

DIS-MOI MON AMOUR

 

Epais

J'ai dans le cœur des mots

Epars

Qui désapprennent la tendreté

Simple de l'alphabet

Epées

sont-ils dans cette arène,

Cette froideur piteuse de l'encre

 

 

Mais dis-moi mon amour

La tracée d'emprunt pour résister à ce poème

Dialectique nord/sud

Et qui...

Dit dans l'œuf monde étouffé

A cette heure devenu paume de la main

 

Comment à l'envers d'un temps résister

Pour à ton cou créer fleurs

Et dis-moi comment te créer étoiles

Autour des cheveux

Pour à l'acte du poème résister

Dont les mots me prennent par la gorge

Epars

 

Il fait étranglement le poème

Sur la face cachée

D’un monde corde au cou

Pourtant fou je t'aime mon amour

Mais le corps comme la tête

Sans clameur aucune

Pénètre dans les bas-fonds.

 

 

*

 

 

J’ai seul la clé de cette parade sauvage

Arthur Rimbaud

 

LE CHOC

 

Dérober les profondeurs

Du poème

En émeute de soleil fatal

 

Sous les vagues de la nuit

Le choc éclipse le tam-tam

Au défi du vide relief

 

Car l’épine écorche la peau

De nos ombres dissipées

Dans le flambeau

Des étangs somnambules.