Lucie Grall, C’est toi qui mènes la danse

Elle est une mère « brisée » comme le sont toutes les mères qui perdent un enfant. Lucie Grall raconte dans un livre émouvant la disparition de son fils aîné, décédé à l’âge de 25 ans. Poèmes de l’absence et de la douleur d’une « âme navrée » et au « cœur déchiré ».

Il s’appelait Tanguy et mordait la vie à pleines dents. Rebelle, « anar », il voulait connaître le monde sous toutes ses coutures. « Ton appétit de vivre toutes les fraternités/dans l’ivresse des fêtes et des joies de l’été ». Voilà un  jeune homme qui était « parti chercher la promesse de la vie (…) vers « les rimes du soleil et de l’olivier ». Mais la camarde rôde. C’en est très vite fini pour ce « guerrier forcené ». S’engagent alors trois années de combat contre la maladie.

Pour parler de la perte, Lucie Grall rameute les souvenirs. D’abord celui de l’enfant que fut Tanguy (« tes petits pieds chauds de bébé sur ma peau »). Car c’est bien cet enfant-là qui s’en va et qui fait d’elle cette maman en détresse tentant de barrer la route à l’inéluctable. « Mon grand, mon tout petit/ne t’en va pas/agrippe-toi aux grelots de ma voix ». Mais le fils s’en va. A l’hôpital, à son chevet, la mère compte « ces heures perdues dans les couloirs glacés ».

 Très peu d’années après, elle affronte avec ses mots l’heure fatidique du départ. Et même cette stupeur muette au sein de la chambre mortuaire. « Pas un cri, pas un sanglot/pas même un chuchotement/dans le silence nu et glacé ». Des obsèques, elle dit qu’il fut « une jour si lourd de douleur/tissé au point de croix/à l’écheveau des peines ».

La mort de Tanguy frappe de stupeur les amis, la parentèle. Quand au père, Youn, il masque son chagrin dans le labeur/ « Remuer la terre/semer pailler moissonner/il a tant à faire/pour tenter de tarir cette douleur ».

  

Lucie Grall, C’est toi qui mènes la danse, La Part Commune, 65 pages, 13,90 euros.

Ecrivant ce livre, Lucie Grall retrouve parfois les accents des poèmes de son père Xavier. Car bon sang ne saurait mentir. On trouve ainsi dans ses textes fiévreux cette forme d’exaltation qui exprime la présence éternelle d’un disparu. « Tu vis au bord de mes rêves » (…) « Ta voix console et murmure » (…) « Mais d’où vient-elle cette voix ? ». Lucie Grall  formule au passage  le vœu que son fils ait retrouvé son grand père. « Je veux croire que vous êtes aujourd’hui l’un près de l’autre. Le cœur à l’unisson, le cœur en paix ».

Dans l’instant, il y a aussi ces signes mystérieux d’un contact avec l’au-delà. Ainsi cette complicité étonnante avec le chant d’un oiseau, « solitaire passereau/à gorge coquelicot/qui ravigote et console ». Comme si le fils interpellait sa mère par un chant.

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Xavier Makowski, Chasse-Ténèbres

Voici un livre à apprivoiser ! Plein de mots à découvrir, mots du terroir, mots érudits, surprenants, déroutants, intimidants. Insolites. Tout un décodage du Verbe, que Xavier Makowski appelle « des mots à épingler comme des espèces rares et à libérer dans cette polyphonie, cette cacophonie de chasses-ténèbres. » Les mots pour le dire, les mots pour chasser les ténèbres, d’où le titre du livre, qui fait référence à une ancienne pratique paysanne musicale pour chasser les mauvais esprits de l’hiver avec des instruments qui peut-être furent tout d’abord des flûtes, sifflets, et râcleurs puis sans doute plus tard des mandores, galoubets, ou busines, sans oublier la toutouro dont une note à la fin du livre dit qu’elle était la trompette d’Aubagne ou de la Saint Jean. Trompettes en terre cuite trouvées sur le Mont Ventoux et ténèbres terriennes : nous voici au cœur du livre.

 

Pour comprendre ce long poème publié dans un format carnet d’écolier ou journal de bord, il faut tout d’abord pénétrer dans l’intimité des ténèbres qui ont entouré Xavier Makowski à l’été 2022. Une intimité dont il n’est pas coutumier, car il n’aime ni se vanter ni se plaindre, ainsi que le montrent ses œuvres plastiques https://www.xaviermakowski.com/ tout imprégnées de philosophie et d’anthropologie. Mais, telles les Parques, trois fatalités se sont abattues sur lui. En parallèle, la maladie d’Alzheimer qui fait perdre l’usage de la parole rationnelle et laleucémie lymphoïde chronique. La mort a pris la mère et menace le fils, cette menace se doublant d’un désastre écologique, soit les incendies de l’été 2022 ou « tout a brûlé » en Provence.  

Trois destins divisés en sept histoires dont la narration est un tissage entrecroisé dès le début et dont les acteurs se retrouvent ci-dessous, ci-dessus la trame, depuis la première partie intitulée « Annonce » jusqu’à la dernière partie intitulée « Terrienne. » Il y a aussi une mise en déséquilibre entre la caillasse de Sisyphe qu’il faut conquérir comme le fit Tom Simpson, le cycliste britannique mort en 1967 au sommet du Mont Ventoux et la sensation de tomber dans un « creux » qui suit un cauchemar souvent hypnopompique.

Xavier Makowski. Chasse-Ténèbres. Saint Pierre : Le corridor Bleu, 2025. 142 p. ISBN 9782493214065.

Ces drames en forme de miroir nous emmènent dans la danse des mots. Certains ont surgi de l’enfance normande de la mère, juste avant que la maladie ne la prive de l’usage de la parole, rappelant de delicieuses evocations culinaires ou visuelles (clopoing, berne, mucre, tue-vaque, teurgoule). D'autres sont liés aux thérapies du cancer (Gümprecht, Vénétoclax, Gazyvaro) ou viennent d’erreurs syntaxiques, orthographiques ou typographiques (bien malgré que, languécrasénoire, lanima, Voisincollabo). D’autres encore procèdent par onomatopées ou allitérations. Les langues ainsi inventées se brouillent tout autant que les lieux confondent le réel (Provence, Normandie, hôpital) avec les lieux imaginaires d’un personnage fantoche, l’apprenti-plaquiste.

Écrit en une nuit de canicule et d’insomnie, dans un état hypnagogique jumeau de l’intuition créatrice, ce long poème forme un récit « bricolé » qui se décompose au gré des pages, tel une bande dessinée, en pellicules individuelles. Il s’y mêle les souvenirs personnels de l’auteur, les souvenirs racontés par sa mère, des rêves, et des réalités intérieures et extérieures. Le rythme de ces narrations est aéré mais, passant d’une réflexion à une autre, constitue un continu narratif où s’entrechoquent personnages, endroits, et événements qui jouent à cache-cache au fil des pages. Ce continu force le lecteur à concevoir la vastitude du récit, tout en notant les pensées individuelles, réflexions sur l’art, vignettes prises sur le vif, ou observations du quotidien qui découpent l’action et forcent le lecteur à changer de vitesse. Le tout est de ne pas perdre le fil directeur.

L’ironie est une technique importante pour Xavier Makowski. Le trickster (tricheur, filou, coquin, bouffon) des tribus natives d’Amérique du Nord, le Brer Rabbit des griots africains et des récits afro-américains n’ont pas de secret pour lui. L’ironie ainsi comprise n’est pas l’ironie occidentale directe, parfois cinglante, toujours amusante, toujours rapide. Elle n’est ni la raillerie ni le sous-entendu. L’ironie chez Xavier Makowski est indirecte, distante, elle est une forme de résistance à l’adversité, comme l’ont si bien dit les écrivains de l’Europe de l’Est pendant la guerre froide. Et si elle fait contrepoint à la gravité du sujet, c’est pour amener le lecteur à une vision philosophique et apaisée. Ainsi l’énigmatique apprenti plaquiste qui intervient de temps en temps dans les histoires vécues, fournit-il des digressions amusantes tout en définissant le contrepoint entre continu et séparation et en renforçant l’effet de miroir des sept histoires. Même la danse des mots est un clin d’œil au langage, une forme d’ironie subtile vis-à-vis de la réalité, un signal que le lecteur ignorerait à son détriment et qu’il doit commencer par apprivoiser afin de comprendre comment le « chasse-ténèbres » exorcise tout ce qui fait mal et qui grince.

∗∗∗

Chasse-Ténèbres - Xavier Makowski extrait 1/2 - (p.93)

 

ce serait ici
au point le plus haut
qu’on déciderait de construire
un observatoire météorologique
ce serait en fouillant ici
pour faire les fondations qu’on découvrirait
les fragments de trompettes en terre cuite
le poète y verrait un nid de rapaces enfoui
et ce serait sur ce lieu rituel qu’on érigerait
une station d’outils complexes
pour prendre toutes sortes de mesures
des mesures climatiques pour mesurer
mesurer par exemple la force du vent

 

Chasse-Ténèbres - Xavier Makowski extrait 2/2 - (p.106)

ça fait des groupes de mots
coiffés de sombreros
des chasse-ténèbres
au carnaval de jour
comme pour renverser la nuit
ce petit orchestre mariachi
à l’ombre des platanes malades
et l’apprenti plaquiste
qui ricane de sa trouvaille
entonne son petit vacarme
griffu

                               Ay, ay, ay, ay
                               Canta y no llores

Présentation de l’auteur




Sophie Loizeau, Les Moines de la pluie, Tom Buron, Les cinquantièmes hurlants

Faces, pièges voire attrape-nigauds par Sophie Loizeau

D’un oiseau l’autre, d’une poésie à la narration, le « Je » de Sophie Loizeau - la si bien nommée - se métamorphose – par exemple – en effraie : « J’enfile une tunique alourdie de mousses, de lierre, de fleurs, et un loup en plumes blanches et or. Le costume en soi ressemble à un amoncellement de déchets verts – pas comme le loup qui est luxueux. Le masque du printemps dans toute son ambiguïté ».

Et c’est ainsi qu’entre récits, contes, poèmes toute une volière humaine mélange ce qui s’agite en érotisme, fantasmagorie, un peu d’horreur et beaucoup de magie (verbale – mais pas seulement). Entre une « Vieille femme dans le berceau » et « Vulves » tout vagabonde d’un château l’autre comme écrivait Céline. Mais de tels édifices vont bien ici. Tout se répond dans ce monde forestier : mouettes, biches, renardes, moines de la pluie permettent (même si ce ne sont pas les seuls permettent des rencontres même si elles n’ont pas lieu face-à-face merveilleux mais des miracles renaissent.

Sophie Loizeau puise dans l’ici comme dans les mythes une manière ludique e(t humoristique pour entrer en  esprit d’animaux plus ou moins grâce à la densité d’une langue qui va sa liberté dans ce livre présenté habilement en chapitres.

Out va au lecteur qui voyage entre diverses tensions et tentations là où la poésie donne au besoin des frictions à la fiction. Mais le tout reste homogène sans oublier les plaisirs de la mise en abime du réel que celui de la langue. Et qu’importe les mares où elles s’ébroue pour invoquer au besoin disparu(e ) ou fantômes allongés (parfois sur la narratrice-auteure) ou debout. Parfois le jeu des corps fonctionne, parfois – évrit l’auteure – « la synchronisation déconne ».

Certes ici la vie est un ensemble de gains et de pertes sans que le lecteur s’en plaigne. Il souffre au besoin d’un pil, mais le plaisir imbibe son cerveau par les massages mentaux et stylistiques d’une telle fée des songes.

Sophie Loizeau, Les Moines de la pluie, Éditions Le Pommier, 2024, 213 p., 18 €.

Chacun d’un texte à l’autre espère sa venue même si parfois (telle une séditieuse) abuse de l’ellipse. Mais comment lui pardonner et qu’importe les dénouements d’une telle créatrice manipulatrice parfois jusqu’à l’hurluberlu. Nous rêvons de roder autour d’elle maitresse femme accomplie nous en sommes aussi d’un autre genre qu’elle : l’hurluberlué.

∗∗∗

Aux sandales du voyant

Tom Buron creuse une place pour le silence intérieur puisqu’en chacun de nous veille l’enfant à la langue tue. L’enfant à qui - afin qu’il ne voit pas la souffrance - on a toujours si mal bandé les yeux. L’auteurs à l’inverse reste le voyant.

Dès lors pas besoin de prendre la pause en un  tel livre. Laissons-nous aller. Le monde éclate il n’a pas de frontière : mais se barattent les ténèbres. Toutefois pour Buron  ce qui ne pouvait s’accepter mais qui demeure et ne finit pas. Le monde avait donc perdu sa mesure même si l’enfant rêvait de s’arracher au temps.

Chaque lecteur veut toutefois les mots, on espère jusqu’à la prochaine émotion – joie ou douleur, jusqu’au prochain silence même si l’écriture qui n’accomplit jamais mais elle a besoin d’espérance sauf retourner jamais

Demeure l’inconnu. Il permet de révéler l'obscur noyau d'un secret  Nous n’en saurons ne saura rien sinon quelques indices, quelques traces. Comprendre simplement que les corps ne font plus corps Mais Buron les remet en cause parce qu'il demeure la chair de l’être en exhiber les stigmates, les énigmes -  matière inavouée dans ses points de fuite.

Il faut donc la laisser parler sa langue obscure. Elle joue toujours à l'extrémité d'une représentation qui avance à tâtons dans l'inconnu loin du poids immense des livres, des Talmud et des Bible et même de Blake.

Cette aube-crépuscule appelle sans cesse  ce que les mots repousse en croyant la parler. Impossible de penser la poésie autrement là où elle est arrosée par le sang du mystère  qui en nous privant parfoi  de repères nous offre un nécessaire saut dans le vide. 

Tom Buron, Les cinquantièmes hurlants, Collection Blanche, Gallimard, 2025, 17 €.

Nous pouvons le comprendre au mieux on peut entendre ses échos.  La carapace de l’être éclate. Quelque chose peut surgir : de l'ordre de la joie, une dernière attente : “ qu’en sera-t-il de nous ? ”  reste une question ouverte.

Et la poésie  demeure la sentinelle égarée qui tente chaque fois le saut dans l’impossible. Ombre et lumière se mangent là où ne subsiste que la folie du croire, du croire voir. Folie de la couleur parcimonieuse aux échancrures de noir.

 

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




Domi Bergougnoux, La chanson à deux bouches

C'est avec beaucoup de lyrisme que la poète célèbre les amants. Le titre gémellaire vient du texte "bouche à bouche/ les amants".

Nombre de textes honorent cette sensualité palpable, ce désir, l'extase des moments vécus.

Sans jamais quitter le terrain de l'authenticité, Domi Bergougnoux exalte les accords des corps, leur fusion idéale, des images denses "hors du temps" de "coeurs sans parole", "à l'abri des saisons".

Quatre sections équilibrent le livre entre "nuit", "mer", contrées", "pénombres".

Le temps ainsi d'asseoir des évidences, des miracles, tout ce qui peut échapper à la banalité.

Mais à ces assauts d'assurances répondent d'autres instants, tissés de "chagrins", d'absence et de manque.

Chaque texte recèle "une trace indécise au ciel de la mémoire" et offre au lecteur son "territoire à frissons".

C'est dire la sensualité qui émane de ces poèmes intimes.

Domi Bergougnoux, La chanson à deux bouches, Ed. du Cygne, 2025, 96 p., 15 euros.

"La chair est passerelle"

ou

"J'ai rencontré cet amour singulier / dans une salle d'ombre".

Ce catalogue des "amours "déferlantes" trouve aisément son chemin dans l'ourlet des poèmes.

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Tatsuo Hori, Le vent se lève

Dès les premières pages du Prologue la fluidité du style alliée aux descriptions de la nature et à la délicatesse implicite des sentiments du narrateur est frappante et donne une impression de simplicité rassurante. Quand on sait que Hori a été traducteur on comprend mieux à la fois la précision et. la clarté de son écriture. Puis la maladie de sa fiancée Setsuko apporte du corps au récit et provoque l'attente, grand thème de la première partie du roman. Le lecteur est ainsi doublement désireux de tourner les pages pour en savoir plus. Comment les choses vont-elles advenir ? C'est la question qui reste importante pour lui puisque la 4° de couverture l'a averti de la suite fatale.

La nature et le décor, à la limite insolites, participent de l'ambiance inquiétante. Le fait qu'il y ait de la neige au printemps accentue le sentiment de solitude des deux personnages. Et la description elle-même du paysage, qui occupe une place importante, est un modèle du genre. Mais la nature et le cycle des saisons, si elles symbolisent le destin en train de frapper, sont aussi une compagnie adjuvante qui rythme les journées des deux protagonistes.

Le lecteur, soumis à une tension, est paradoxalement sous le charme de la douceur qui règne, entre eux et pour eux, jusqu'au sentiment de bonheur.
Avec la fin de l'été, le mauvais temps et le vent qui "se lève" obligent à"tenter de vivre" et à feindre l'ignorance. Le récit alors continue à avancer par petites touches fines, comme impressionnistes. Autant sur le plan de la psychologie que sur celui encore du paysage et du temps et de plus en plus entre espoir et désespérance. Il y a dans ces pages une belle et originale présentation du partage et de la complicité jusqu'au sacrifice face à l'inéluctable.

Comment celui-ci pourra-t-il se gérer ? C'est toujours la même question. Comme dans un Requiem le chant des mots nous envahit peu à peu. La mise en abyme d'un roman soudain à écrire par le narrateur, qui donnera vie à son histoire avec l'aimée, est-il le dernier sursaut de l'espoir ? Pour Hori l'amour n'a besoin d'aucune technique compliquée, l'écriture suffit presqu' à elle-même à lui rendre hommage en couronnant les sentiments mutuels du couple et en rendant heureuse la malade. Deux pages admirables sur les pensées et l'évolution du créateur forcent ainsi l'admiration.

Tatsuo Hori, Le vent se lève, Collection L’Arpenteur, Gallimard, 1993.

Pour le lecteur écrivain il s'agit bien d'une œuvre complète. Comme l'est un opéra pour un mélomane. Cette première moitié du livre permet déjà de le classer parmi les plus beaux romans d'amour de la littérature mondiale.

La suite semble varier sur les mêmes thèmes avec certainement un crescendo quand, par exemple, la lumière est considérée comme la figure du bonheur vécu malgré l' épreuve. Nous sommes à l'automne 1935 et le narrateur, partagé entre la paix que lui apporte l'extérieur et l'angoisse qui monte, continue de nourrir son récit en cours entre réel et imaginaire. Le temps, dans ses deux acceptions, est la source des réflexions du narrateur qui confond passé et présent vécu dans la rigueur de l'hiver arrivant au milieu de la solitude des montagnes. C'est la magie de la neige à l'extérieur mais surtout le feu de cheminée qui brillent pour les amoureux. Alors le silence bientôt l'emporte et seul l'échange de regards compte peut-être vraiment le plus.

Le récit du narrateur va-t-il avoir comme fin la situation présente ou faudra-t-il attendre la suite des évènements pour s'en servir ? Une double attente, avec celle de la fin du roman, définit le charme habile de cette œuvre très dense et maîtrisée.

La fiction et la réalité sont en rivalité mais cette dernière est plus difficile à "vivre" et la question de la fragilité du bonheur se fait sentir de plus en plus. Le monologue intérieur nous en rend compte qui alterne avec des passages de dialogues. Ceux-ci existent toujours et marquent depuis le début la qualité de l'écriture. Au mauvais temps soudain correspond la faiblesse accrue de la malade. Mais il s'agit de comprendre que persiste dans la réalité le sentiment de bonheur décrit dans la fiction.

Puis le passage entre le dernier chapitre et le précédent qui s'achève de façon pathétique forme un hiatus frappant car nous n' assistons pas au départ de Setsuko avant le retour de son fiancé pour le village de K. après presque trois ans.

On peut dire à ce stade du livre que le thème de la neige associé à celui de l'écriture qui reprend donne au livre, malgré le deuil, toute son unité. Le cycle vertueux des journées contredira-t-il le titre final "Vallée dans l'ombre de la mort" ? Et que signifie donc la présence là encore du vent ?

Par la mémoire analogique, grâce encore à la neige et au feu de cheminée et à la manière de Proust, revivent les souvenirs des derniers moments vécus avec la jeune femme morte. Le décor naturel ainsi que les chalets et les oiseaux, par exemple, dans des descriptions aussi fines que magnifiques, font revivre plus encore celle-ci. C'est un enchantement pour le lecteur que ces variations sur les mêmes thèmes comme dans une œuvre musicale le sont les leitmotivs. Il s'agit bien d'un final ici en forme de "Requiem" à la manière de celui de Rilke. Celui qui, le calme revenu quand le vent est tombé, chante superbement l'amour inconditionnel et la nostalgie qui définitivement lui est lié.

 

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Gwen Garnier-Duguy, Le Scribe en marche, Lire Marc Alyn

Gwen Garnier-Duguy consacre à Marc Alyn un essai très attendu, intitulé Le Scribe en marche. Même si quelques éléments biographiques apparaissent ça et là, comme les séjours du poète à Venise ou, plus tard, dans les ruines de Byblos, l’essai s’intéresse plutôt à suivre une trajectoire, la marche poétique, celle que l’on gravit ou que l’on descend, comme la nouvelle octave d’une incantation.

Marc Alyn est désigné comme le Scribe (ce titre est revendiqué dans le recueil Le Scribe Errant). Plutôt que voleur de feu prométhéen, le poète est d’abord celui qui agence les signes, « administrateur d’un territoire poétique », à la recherche du Verbe et des archétypes de « l’archi mémoire » conservés dans les sites disparus de l’Orient. Cette démarche renvoie à des savoirs cachés comme l’alchimie ou la psychologie des profondeurs chère à Jung. La poésie de Marc Alyn nous convie à un voyage intérieur, où Gwen Garnier-Duguy, lui aussi poète, auteur d’un recueil d’inspiration alchimique intitulé Livre d’Or (éditions de l’Atelier du grand Tétras) se retrouve pleinement. Dans la poésie de Marc Alyn, les éléments naturels sont abordés comme des éléments de langage. « La mer est une écriture », et ce jusqu’aux formes singulières de coquillages, qui en tracent, comme le bestiaire (lézard, scarabée ou huppe), la calligraphie, la « Cursive » mystérieuse. De la même manière est établie l’unité profonde du poème et du poète dans un « tissage énonciatif », comme le disent magnifiquement ces vers de La parole planète :

Dans les ténèbres les rouleaux lovés sur leur secret
virent les hautes calligraphies lumineuses
dont le songe inspiré fait tourner la planète

 Gwen Garnier-Duguy, Le Scribe en marche, Lire Marc Alyn, La rumeur libre, mars 2025.

La Nature coule donc dans le sang du poète. La poésie, comme l’alchimie, dissout et coagule le monde à la manière d’un langage. On retiendra aussi les pages marquantes où Gwen Garnier-Duguy commente le passage par la Nuit des peurs, de la mort, « nuit de l’âme » dont parlent les mystiques,  Graal immortel du poète. La nuit initiatique est donc labyrinthe où l’on doit se garder de triompher du Minotaure, sans veiller à « l’harmonisation des forces en présence nous animant ».

À partir de cette nuit d’épreuves, Gwen Garnier-Duguy explore l’ambivalence du symbole alchimique du Feu chez Marc Alyn. Le symbole s’inverse même dans la « brûlure du feu tragique » : le feu brûlé alchimiquement cesse d’être destructeur et anime mystiquement le poète, par un effet comparable à la conversion des terreurs de la nuit métaphysique, nuit de « l’Histoire sans étoiles », en Nuit mystique. La « nuit produit sa flamme », et le poète, doit « faire feu », il devient Tireur isolé, tireur d’élite, Sniper et sans peur, pour assurer sa marche et vaincre les pièges de l’Histoire

En se coulant dans « l’aventure intime et mystérieuse » de Marc Alyn, Gwen Garnier-Duguy ne cherche pas à en épuiser le sens, mais lui donne un éclairage très personnel, qui en explore les symboles profonds, en prenant le temps de les expliquer à un lecteur non averti, l’invitant à la redécouverte d’une œuvre qui ne cesse pas d’exercer son pouvoir de fascination.

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ESPRIT DE RÉSISTANCE, L’Année poétique : 118 poètes d’aujourd’hui

Anthologie aussi magnifique que salutaire, 118 poètes se sont unis pour brandir haut et fort le mot poésie, ou résistance absolue. Dans sa préface aussi précise que riche, Jean-Yves Reuzeau présente son travail de collecteur et d’assembleur. Il agit là en digne successeur du combat de Pierre Seghers (dont les éditions ont été créées en 1944) qui, nous dit-il, élevait la poésie en rang d’art insurgé. « L’Année poétique » publiée chez Seghers dans les années 1970, puis brièvement dans les années 2000, est à nouveau donnée à lire pour une troisième vie, ce qui souligne la belle vigueur de la poésie.  

Au-delà des poètes de la stricte francophonie, sont accueillis des poètes d’ailleurs dans le monde, tant qu’ils écrivent directement en français : Chili, Djibouti, Haïti, Guinée, Kurdistan, Roumanie, Liban, Luxembourg, Maroc, Syrie ou Tchad. On imagine facilement l’enthousiasme des poètes, toutes générations confondues (nés entre 1929 et 2000), à faire partie de ce vivifiant panorama de la poésie contemporaine. Bien heureusement, ce livre est aussi le fruit d’une inévitable subjectivité. Le choix est sagace, Jean-Yves Reuzeau, cofondateur des éditions Le Castor Astral, membre du jury du Prix Apollinaire, maître d’œuvre de sept anthologies successives pour le Printemps des Poètes, à l’origine d’une anthologie permanente de poésie sur Facebook, biographe de Janis Joplin et Jim Morrison chez Gallimard, est également poète.

Esprit de Résistance marque une précieuse reconnaissance : le livre est dédié à Bernard Delavaille, aux amis envolés et aux poètes récemment disparus dont chaque nom est cité. La transmission est opérante. Les textes inédits : poèmes, poèmes en prose, voire extraits de roman-poème, chansons, slams, disent l’extrême diversité de l’offre poétique actuelle. La poésie est vent debout, qu’elle soit écrite pour être lue ou performée, lyrique ou d’avant-garde.  Aucune école n’en domine une autre, la diversité des courants et des formes signe là l’extraordinaire vitalité de la création poétique.

Esprit de Résistance, L’Année poétique : 118 poètes d’aujourd’hui, anthologie présentée et réunie par Jean-Yves Reuzeau,, Éditions Seghers, 2025, 396 pages, 20 euros.

Cet éclectisme œuvre dans l’anthologie sans dissonances, la singularité de chacun des textes persiste et fuse. Voix de poètes consacrés ou nouvelles voix sont toutes à leur juste place dans le livre. Pas facile de faire vibrer ensemble 118 voix, et pourtant Jean-Yves Reuzeau y parvient. Elles insufflent tour à tour ce goût ardent de vivre, unies. C’est l’essence même de la résistance qui agit et rayonne. À noter, en fin de volume, des repères biobibliographiques de chaque poète donnent des éléments précieux pour partir en quête de leurs œuvres.

Délice de lecture : des textes (selon la personnalité et les goûts de chacun(e)) vont être lus et relus. Des voix aimées seront retrouvées, d’autres découvertes. Elles vont bousculer ou rassurer. Ce n’est pas une seule thématique qui traverse l’ouvrage (la résistance, elle, est inhérente à la poésie) mais des dizaines, comme la nature, l’environnement, les bouleversements mondiaux, le devoir de résister, les injustices sociales, les difficultés existentielles, les relations humaines, l’enfance, la quête de soi, la colère, le désespoir ou la mort… l’amour aussi, bien sûr. On retrouve un point commun : l’urgence de vivre, de dire, de transformer sa peau en poème.   

Il est essentiel de saluer la publication de cette Année poétique destinée à donner régulièrement rendez-vous aux amateurs du genre. Ces poètes d’aujourd’hui ont le talent de l’espoir et celui de la beauté.

 

Quelques extraits :

 

Rien ne dure que le soleil

Arthur H

Allons ! puisqu’il le faut,
allons nous habiller
et emmêler nos pieds à cette humanité
qui n’a pas peur de reprendre en main sa brouette

William Cliff

C’est néanmoins si facile d’oublier le pouvoir des algues.
De regarder passer les petites intuitions.

Denise Desautels

D’autres cherchent un chasse-neige pour les maintenir hors du trou profond de la peur en poussière qui recouvre les heures, le chasse-neige murmure c’est moi ton ami donne-moi la main on va traverser les ténèbres viens sur mon chemin de fer dépêche-toi de t’installer dans le compartiment étanche

Séverine Daucourt

La mauvaise surprise
attend au fond du coffre

Samuel Deshayes

Tu traverses le jour comme on épluche
un légume, répétant les mêmes gestes
Mais de sa chair brillante tu ne vois pas grand-chose
car tu regardes ailleurs. On t’a souvent dit
que le meilleur est dans les épluchures
ce petit tas de rubans terreux
où il te faudrait maintenant chercher
ce qui te manque et échappe toujours
à ce que tu prépares

Anne Dujin

Avoir au moins neuf
femmes en moi

Ces neuf femmes font du remue-ménage
dans mon crâne et mon ventre mes poèmes
sont ventriloques

Michèle Finck

Depuis toujours je pense que la moitié du chemin pourrait tout aussi bien être la fin. Je finis toujours mon assiette, mais je pourrais tout aussi bien décréter qu’une demi-vie suffit.

Antoine Mouton

Le regard vers le large, crée tes anticorps

Jean-Pierre Otte

L’enfant : Papa tu n’as pas beaucoup d’argent ?
Le père regarde son fils
Avec un glissement de terrain dans les yeux.

Pauline Picot

C’est pour les filles dont le trait d’eye-liner est mieux tracé que l’avenir

Stéphanie Vovor

 

 




Pierre Maubé, Soir venant

Pierre Maubé, Soir venant, Les Lieux-Dits, coll. Cahiers du Loup bleu, 2025, 7 euros. Dessin de Pierre Rosin.

Sous le signe de l'imparfait et de l'enfance aux "hirondelles", le poète Maubé engrange les souvenirs même s'il sait, même s'il sent que "l'ombre venant", "la maison se craquelle", "la poussière danse avec les souvenirs" et le père n'est plus là.

Et pourtant, "les prés de l'enfance", "rejoindre le temps/ blanc" innervent une espèce de retour sinon de joie confuse.

Selon deux entrées "Veillées" et "Légendaires", entre poèmes et chansons, le narrateur recrée une atmosphère d'antan, avec "la tour la plus haute" ou les "huit enfants de Rosemonde" : "on ne sait rien" scande les pourtours de la vie, et "la pluie" emporte tout.

L'écriture de Maubé aime les poèmes courts, l'anaphore qui réitère les mouvements du coeur (et l'on pressent que l'enfance y est pour beaucoup), les apostrophes aux éléments.

Bien sûr, la métaphore de l'eau "d'amertume" ou de "détresse" nous conduit à interroger le temps qui fuit, le bonheur qui s'émousse, la vie et ses sourds questionnements. La tension de certains vers (ces conditionnels, ces injonctions) révèle que tout n'est pas perdu au royaume de la poésie.

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Hannah Sullivan, Etait-ce pour cela, Joël Vernet, Copeaux du dehors

Hannah Sullivan piétonne de l’existence

Depuis qu’elle a trouvé pour elle le sens de la poésie Hannah Sullivan écrit pour attraper l’absence, mais l’absence glisse entre mes doigts. Face au réel elle cherche   une lumière qui ne veut pas d’ombre, mais  celle-ci reste source  d’ un battement d’ailes dans la cage d’un cœur aussi blessé d’une femme. D’où la fièvre de cette poéte anglaise paradoxale et déjà couronnée pour son premier livre (Three poems) par le T.S. Eliot Prize en 2021.

Queques années avant  Hannah Sullivan se trouvait à bord d’un bus qui la conduisait de Londres à Oxford. Le trajet l’a fait passer devant la carcasse calcinée de la tour Grenfell incendiée  - un immeuble de logements sociaux du quartier  de Kensington -  Elle se souvient du soleil matinal, dont les rayons transperçaient le squelette de béton “dans un subit flamboiement” juste avant c’était avant que ses murs furent « pudiquement » cachés par des bâches blanches).

L’auteure a ressenti “l’horreur de cette carcasse physique, et de ce qui se trouvait toujours à l’intérieur”. Elle a écrit quelques lignes que l’on retrouve aujourd’hui "Était-ce pour cela”, recueil de poésie est sur le sens de l'existence et la place de l'homme. A travers une exploration des différents lieux qui ont marqué sa vie, l'écrivaine explore son passé et interroge son présent.

Parfois le  vent dévore les coupoles et les dômes de Londres, les rues se courbent sous l’assaut du néant, la Tamise, monstre reptilien, lèche les quais et des âmes liquides se dissolvent dans ses reflets grisâtres.

Hannah Sullivan surgit des averses, parfois ses paumes jointes en prière de lumière, face à l’éclat fragile d’un regard fauve de la pluie qui noies les âmes, les visages, les noms. Retenant dans ce livre des sortes d’exils où les êtres marchent, les yeux grands ouverts pour contempler l’éclat de petites victoires et de défaites parfois plus large. Mais une telle poésie d’existence est exceptionnelle.

Hannah Sullivan, Etait-ce pour cela, bilingue, trad. Patrick Hersant, La Tablle Ronde, ¨Paris, 2025,  248 page, 21,50 €.

D’autant qu’Hannah Sullivan  nous « oblige » à faire lorsque la fin du monde arrive au sein d’une accumulation minutieuse   : manger des pavés de saumon rôtis, des Smarties, des fruits rouges, des vitamines à coenzymes, des pêches à peine mûres. Mais pour  compléter les nourritures terrestres elle engage lectrices et lecteurs visiter les œuvres de Homère, Yeats, Eliot, Freud, Virginia Woolf bien sûr. Ce qui pour elle juge vaguement les règles de la mode. 

Se succèdent ainsi duffel-coat bleu, robe de cocktail dos nu ou pantalon de grossesse.  Mais restant chez soi tout est possible : regarder YouTube, La Pat' Patrouille, les infos, les chiffres, de vieilles photos pour regarder les uns et les autres, penser emprunter de l'argent, porter le deuil. Tomber amoureux de la charmante bouche d’un homme. Enfin, elle traverse aussi les terrasses et districts du Londres des années 80, les larges rues de Boston où les blocs de glace ressemblent à des Brancusi. Dans chaque lie où rien n'est trop insignifiant ou disgracieux pour retenir son attention.

La créatrice lèche parfois des ruines sans se souvenir de ce qui fut, un frisson d’invisible contre sa peau. De fait, elle n’oublie jamais rien  tout à fait. Elle se  laisse glisser en un pli de brume qui s’efface d’un baiser de sel et elle devient limon même s’il existe une faille, juste là, au bord des lèvres entre le cri et le silence.

Dans un tel livre, les mots arrivent comme des chevaux sans rênes, hésitent, trébuchent, se fracassent contre l’indicible, mais ils sont parfaitement écrits, cherchant à creuser dans l’ombre une empreinte qui refuse de tenir. S’y saisit une  flamme,  un vertige suspendu dans l’air, une brûlure qui refuse de laisser des cendres. 

Hannah Sullivan écrit, écrit encore dans une fièvre qu’aucun châssis ne saurait tenir et une ébauche qu’elle  ne termine jamais pleine d’une absence qui le brûle. Bref elle  tend sa main avalée par la gravité du monde. Il y a dans chaque texte un choc :  l’auteure est là et voit partout jusque dans les flaques qui bouillonnent sous la pluie, dans le hurlement muet des fenêtres ouvertes à l’abîme. Son ombre marche derrière elle, jamais entière, fracturée, éclatée

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Joël Vernet : émerveillements

Quoique fidèle à un de ses titre : L’oubli est une tâche dans le ciel, Vernet rassemble toujours les signes du monde qu’il fait sien même si de l’image de la vie il fait de sa poésie  un  interminable journal inachevé, inachevable ».

Le réel seul y est suggestif et semblable  aux images qu’en de nombreux voyages sur les terres d’Afrique le poète a saisies mouvantes, fuyantes et presque innommables. Contre la vie immobile chacun de ses textes se veut la synthèse provisoire de ce que voient les yeux là où le sable rejoint les pierres et où un fleuve dessine ses méandres. Il est donc toujours nécessaire de s’attarder pour retarder les adieux.

Errant pas excellence, Vernet fait un art de  sa contemplation infatigable. D’autant que chez lui agit comme un rabot. Ses textes, fragments d’esprit,  deviennent des copeaux enlevés du Dehors pour nourrir sa maison de l’être. Tour se passe ici comme s’il n’a plus de paroles à proférer : »Je peux et sais enfin me taire. Je puise l’encre dans le dernier silence. Désormais, le Dehors est un soleil écrivant tous les livres à ma place. »

Celui-ci est le dernier, et comme souvent il est le fruit et la conséquence de ses voyages. Après la Syrie et l’Afrique ses copeaux  se sont accumulés ici au fil de trois années de flânerie dans les paysages hivernaux des Balkans.

Comme toujours l’écriture retient ce que ses yeux voient. Des phrases de lumière  sont tirées de l’ombre de l’existence et des clameurs du monde. Et ce  livre empêche de croupir. La poésie doit retenir les couchers de soleil, les éclats d’âme et elle fait des autres des  compagnons de voyage. Et par exemple « Quelques larmes sur les joues d’une vieille femme, la lumière argentée qui tinte dans les arbres à cette seconde où un éclat m’apporte tout. ». Il s’agit de partager avec elle la plus haute ferveur et l’insupportable ennui, le pain, les jours, bref un ordinaire. 

Joël Vernet, Copeaux du dehors, llustrations de Vincent Bebert, Fata LMorgana, Fontfroide le Haut, 144 p., 25 €.

Ce livre  est donc une nouvelles suites de retrouvailles, et le celui des regards. S’y repèrent les envie de ciels limpides, de temples, de bordels, de nuits à la belle étoile, de quelques amours furtives aux chambres défaites. La poésie de Vernet y interroge en permanence le réel, balaie les illusions, métamorphose ce que l’œil sait retenir et, éduqué, celui-cu donne à la beauté un  visage : buriné de brèches et de veines lourdes à mesure que le temps passe.

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Catherine Pont-Humbert, Quand les mots ne tiennent qu’à un fil. Une épopée poétique

Quand les mots ne tiennent qu’à un fil semblent n’évoquer que la fragilité et la temporalité du verbe dispersé en particules de vie, Catherine Pont-Humbert nous surprend par un sous-titre qui reprend en mains leur aventure conjointe, Une épopée poétique. Serait-ce le secret de la lumière qui peut être perçu comme corpuscule ou comme onde. 

Ce qui plane pour polliniser l’espace et ce qui crée le vol des migrants. Il y a continuellement ce va-et-vient entre le timbre (tremblement du mot) et l’écriture qui nous emmène dans ses propres voies, aussi inexplicables soient-elles, à travers l’ampleur magnétique de ce que l’on nomme poésie.

Les mots se cognent les uns aux autres… pour écrire l’histoire de nos aïeux. Que voir à travers la percussion surprenante de l’émotion et des éclats de quotidien, la racine séculaire : liberté au bord du chaos jusqu’à la continuité de l’individu qui fait cause commune, mais secrète, avec sa tribu.Une longue séance de mots biffés contient le vide, se heurte aux frontières du dicible. Et c'est là qu'entre en scène la poésie de nulle part, de toutes parts.

J'ai lu avec lenteur et quelques sauts temporels ce beau livre d'équilibriste du mot, du son/sens et des sentes de l'être. Belle et surprenante promenade dans le tremblement et les modulations de la voix. Ce livre qui est aussi porté par le tissage de couverture de Pierrette Bloch, entremêle avec bonheur l’aléatoire de la création artistique et l’objet qui n’est jamais final mais fenêtre sur l’espace. La poésie étant une tentative d'aller vers la vraie vie qui n'est pas la littérature en soi mais la quête, la surprise. La littérature se fait sans le vouloir, au fond ! Elle précède le vrai silence qui vient au bout des mots.

Catherine Pont-Humbert, Quand les mots ne tiennent qu’à un fil. Une épopée poétique, éditions la Tête à l’envers, 2025.

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