Florence Saint Roch, Dominique Quélen, avec/sans titre

Comme le nom de la collection l’indique, il y a contraintes, celle de développer autour d’un avec ou sans : sommeil, paroles, ascenseur, opinion, violence … souci, méthode, trucage, chichis… À chaque semaine, sont notées les heures de lever et de coucher de soleil  qui déterminent une durée de jour et de nuit. Ces durées décideront du nombre de mots et de signes.  À chaque semaine donc un « avec ou sans » que deux protagonistes développent chacun alternativement de jour (avec) ou de nuit (sans).

En écriture romane il s’agit du texte de Florence Saint Roch, en italiques il s’agit du texte de Dominique Quélen, Les semaines impaires c’est Dominique Quélen qui lance la proposition et les semaines paires c’est Florence Saint Roch. 

Il y a « ma vieille ». Elle s’adresse des conseils, s’explique avec elle-même avec intensité, avec entrain, tellement qu’elle n’utilise pas de virgules, pas le temps de faire une pause, le texte galope pendant lequel elle s’exhorte et s’encourage : à dormir, à cracher, à patienter, à regarder, à travailler, à chanter, à tenir bon, etc … Elle colle à sa réalité tout en essayant de ratisser large l’horizon du connu et de l’inconnu, pour ensuite souvent s’aventurer dans le monde de la mythologie. Elle cherche les moyens d’améliorer sa qualité de vie, de n’être pas dupe, de rester lucide. Et l’écriture caracole de mots en associations d’idées derrière lesquelles on sent tout le plaisir de l’auteure et sa jubilation à manier la langue. En définitive, cette « ma vieille » cherche en se parlant à améliorer sa capacité à se surprendre tout en étant une bonne compagne pour elle-même : « un toi nouveau qui scintille et ondoie dès que tu l’as trouvé celui-là tu ne le lâches pas c’est un monde inconnu où aborder un territoire à explorer rien qui t’oblige à revenir après alors pars ma vieille pars.»

De l’autre côté il y a la voix en italique, qui semble plus détachée du sujet, elle informe, elle raisonne, navigue entre les possibles, tire des semblants de conclusions, s’essaie à la sagesse, fait de l’humour noir ou qui rit jaune, se glisse sous la peau des gens ordinaires pour témoigner de leurs petits malheurs quotidiens, dialogue aussi assez souvent. Le ton est parfois au désabusement, toujours enjoué, grave, ironique, et qui connaît Dominique Quélen et sa façon d’être, le retrouve dans ses variations comme improvisées.

 

Florence Saint Roch/Dominique Quélen, avec/sans titre, éditions Louise Bottu, collection contraintEs, 111 pages, 13 euros

Entre jazz et ping-pong, entre personnages mythologiques, monde onirique et réalité terrestre, on voit que le hasard qui s’invite naturellement, sera contré momentanément par la volonté de se plier à l’exercice demandé ou plutôt au défi relevé dans ce livre. On se retrouve amusés, interrogés, interloqués parfois aussi par la façon dont l’une ou l’autre aborde le thème, par exemple dans le cas de la semaine 14 : avec / sans distinction ; ou encore semaine 24 : avec / sans filtre, là où Dominique Quélen décide de remplacer tous les f par ph et inversement, puis de s’adresser directement à « Phlorence » en espérant « à la phin n’avoir pas trop par mes grafies pharphelues, mes termes phictiphs, phalsiphié l’alfabet de notre éféméride ! »

De semaine en semaine on se régale d’une suite de passages délicieux, de chutes habiles :

  • Semaine 11 (avec / sans grâce), quand l’une danse, l’autre observe : « Faire en français signifie chier. Exemple : ne forçons pas notre talent, nous ne fairions rien avec grâce. »
  • Semaine 13 (avec / sans moi) « mais non c’est sans retour et d’ailleurs le jeu n’en vaut pas la chandelle. Recommencer ? Sans moi. »

Au bout du livre fort captivant, on se demande si le « sans » n’est pas plus important, plus significatif, plus déterminant dans nos vie humaines que le avec. Comme si tout reposait sur le manque depuis la naissance. Comme si chercher à combler, à remplir, allait finalement se révéler vain. On se dit, on se promet : plutôt faire sans, ce qui bien souvent revient à illustrer l’expression « faire avec »… Allez comprendre !!

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




Hugo Mujica, En un fleuve toutes les pluies

Il est des œuvres qu’on se doit d’aborder avec la plus grande humilité, des œuvres qui intimident. « Vouloir comprendre, c’est vouloir réduire l’autre à soi-même » dit Hugo Mujica, comment entendre tout en laissant « ouvert » le sens ? Comme il est dit, en quatrième de couverture, « Avec Hugo Mujica, le poète ne parle plus. Il écoute avec les mots. »

Il y a des mots

                   qui sont le silence

                                   de ce qu’eux-mêmes

                            disent

                                                             ils disent racine,

                                                                                non feuillage. 

Hugo Mujica, En un fleuve toutes les pluies,  traduit de l’espagnol (Argentine) par Gaëtane Muller-Vasseur et Audomaro Hidalgo éditions Phloème ISBN 9791096199 55 6, 15 euros.

Le poète nous prévient dès le tout début de son recueil :

                                   Ce n’est pour nommer

                                                         ce qui se tait dans la vie,

                                                                           c’est pour l’écouter

                                                                     que j’écris. 

C’est qu’il est lui-même d’une grande humilité et d’une grande exactitude dans ses mots.

 Manque-t-il quelque chose au silence

quand le fleuve ne le

chante pas ? 

 

La mise en espace du recueil semble déjà nous montrer la voie, les poèmes se déploient sur le dernier tiers des pages : laissant tout le haut de celles-ci blanc et silencieux, ils semblent issus du silence, de la méditation, de la contemplation, de la lenteur. Chaque vers, en escalier, semble descendre du précédent.

Et pourtant, très certainement, cette poésie affirme, refuse, dit « oui » ou « non ». Les maximes sont paradoxales mais restent des maximes, c’est que Hugo Mujica préfère la contradiction à l’harmonie. L’harmonie endort quand la contradiction réveille.

L’oiseau vole

           parce qu’il est ses ailes

                     non parce qu’il sait

                     qu’il en possède :

                                     chacun parvient à soi-même

                                                    quand il est de soi-même

                                                l’oubli.

Une poésie tout entre « une déchirure : l’humain » et « la palpitation du sacré. » Une expérience poétique majeure.

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Jacques Josse, Trop épris de solitude

Jacques Josse aime les êtres vivants dans les marges et tous ces pas de côté qui nous apprennent tant sur la nature humaine. Le voici, cette fois, du côté des « épris de solitude » hommes ou femmes qui assument, cahin-caha, leur mode de vie. Il nous en parle dans des poèmes ou dans de courtes proses poétiques qui sont autant de tableaux de genre bien sentis.

« Ce n’est que parmi les pauvres ratés que je trouve les gens que j’aime le plus ; les riches ne peuvent, en termes de généralisations, parvenir à l’originalité qu’en devenant légèrement dingues ». Ce n’est pas Jacques Josse qui le dit mais le poète gallois Dylan Thomas. Des propos que l’auteur rennais pourrait, par contre, reprendre volontiers à son compte.

 Nous voici, en effet, plongés avec son nouveau livre dans l’univers de « fantômes à vélo », d’écorcheurs de lapins ou de piliers de bistrot. Voici un homme « pris de boisson » qui « insulte trois tombes ». Voici « le son rauque d’un cri qui monte du fonds d’un puits ». Voici celle qui voit « des vipères partout ». A trop s’éprendre de solitude, jusqu’à s’en mordre les doigts, on peut tomber dans l’alcool, dans la folie, et, au bout du compte opter pour le suicide comme celui-là qui « s’est accroché » à l’une des branches d’un pommier.

Le monde de Jacques Josse n’est pas rose. Mais son attention soutenue aux gens et aux choses nimbe de lumière tant de scènes de la vie quotidienne. C’est le cas dans ce quartier populaire de Rennes où il vit. « Allée d’Herzégovine, une grosse femme voilée traîne un caddie d’où dépasse une botte de poireaux ». Plus loin, « Cours du Danube, un homme assis sur un ban partage son sandwich avec un berger allemand ». Quittant les grands ensembles de la métropole, il croque des scènes de la vie rurale qu’on imagine volontiers celles de son Goëlo natal. Voici ce paysan « soixante ans/lit froid, vie rêche » qui « lance, remorque pleine/son tracteur dans les ornières ». Voici aussi, car la mer est toute proche, « ce pan de roches noires où dansent,/dit-on, certaines nuits/des squelettes de marins perdus ».

Jacques Josse, Trop épris de solitude, le Réalgar, 77 pages, 15 euros.

Jacques Josse fait vibrer son monde, celui des vivants mais beaucoup, aussi, celui des disparus. Il rend hommages à ces héros du quotidien, ces combattants dont on ne trouve les noms sur aucune stèle, à ces « invisibles, couchés dans des caisses, à l’est ou au nord de la ville » qui « se souviennent des braseros, de la fatigue, des bières bues au goulot, des brusques cris de colère ». Jacques Josse dit qu’ils ont « le sommeil perturbé par le vacarme qui résonne dans les galeries ».

Ces « invisibles », il les associe dans son livre à des hommes sans doute aussi épris d’une forme de solitude, partis tragiquement, mais dont l’histoire a retenu les noms. Ainsi Victor Ségalen dont Jacques Josse évoque la mémoire et la brutale disparition en forêt du Huelgoat (« Cela remue dans les branches/quelqu’un froisse des fougères et du bois »). Ainsi, aussi, l’écrivain tchèque Bohumil Hrabal dont il a vu la silhouette « danser sur la paroi/d’un mur rayé ». Lisant l’auteur rennais on pense à ces mots du poète marocain Abdelattif Laâbi : « Entre les vivants et les morts/La poésie n’a pas de préférence ».

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Christophe Pineau-Thierry, Sentier débutant

Le choix du sizain (près de quatre-vingts) s'est imposé au poète comme un mouvement régulier du coeur, comme la fluidité des vers.

Tout y est relié à l'enfance, à ses détours, à ses déboires, à "ses phrases". Le poète évoque "le haut des patiences", "le cercle de nos coeurs", quitte à être "la buée du temps/ un seul instant d'illusion".

La quête prégnante d'un monde originel traverse tout le recueil, empreint à la fois de nostalgie et de réactivité, au bout des épreuves et des jours.

Les sensibles métaphores dessinent un rapport au monde délicat, "dans l'équilibre du détaché", "voici le son de nos peines/ et le lieu des mots oubliés".

Le poète lui n'oublie pas d'être vrai, juste, mesuré, "attend(ant) le signe de l'aube/ et la simplicité de nos mots".

Le sentier ainsi se nourrit de toutes les expériences et le chemin n'est pas fini, à l'aune de "la nuit originelle de l'âme".

Simplicité et ferveur tressent de beaux textes comme "traces sur la neige".

Lisons :

le doigt de l'ombre sur la porte
en marge des fenêtres du temps
une âme qui circule dans la nuit
la route sombre de la mémoire
l'empreinte sourde de la mer
notre demeure au goût de sang
(p.38)

Christophe Pineau-Thierry, Sentier débutant, PhB éditions, 2024, 52p., 10 euros.

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Philippe Pichon, (entre) presque (et) rien, – Eloge de l’interstice, Fabienne Raphoz, Infini présent

Face à son propre miroir Philippe Pichon devenu poète après romancier  pratique  des moirures coalescentes par la grandeur de l'allusion et  l'ampleur paradoxale de sa vision. Elle  ne débouche pas sur le néant mais, avec discrétion,  sur des gouffres intérieurs. Ils possèdent  par le talent  de l’auteure des tensions dans l'immobilité paradoxale des vérités politiques, religieuses voire poétiques d'où bondit parfois un bal carnavalesque de sardines céphalomorphes et enchevêtrées.

En conséquence, l’auteur appartient à ces créateurs du déchirement qui portent le plein au milieu des vides du logos.  Mais de fait, il met en branle jusqu'au bout cette extinction de diverses pensées. Et un tel livre devient non seulement le palimpseste de la mémoire mais aussi celui du réel. Est donné ici de surcroit la partie visible de l'iceberg des logos.
L'auteur écrit ou parle parce que l'Un (et quel qu’il soit) lui proposé sa danse des mots. Commence alors le bal de maudits aux mots dits sous une forme de « cavatine ». À savoir une écriture à la recherche des mots et de leurs interstices qui veulent anticiper non seulement ce qui arrive ou va arriver là où dans ce livre le conceptuel est physique.
Linéaire et chaotique la structure de cet ouvrage  laisse parfois entrevoir dans le faire ou dans la forme, les signaux faibles d’une révélation qui nous échappe.  L’allusion devient alors un opéra, une ouverture, voire une opération. Savoir ce qu’elle « promet » est la question. La feinte, lyrique parfois, propose  des mots non-dits ou suggérés portées jusqu’à un « Haut les chœurs » pour s’entendre d’une frontière à l’autre dans un rêve d’humains.. Ici le temps compté prend ses ailes avec des Elles, des Ils sans les chamarrer d’uniformes ou maillots.

Philippe Pichon, (entre) presque (et) rien – Eloge de l’interstice, Editions Dutan, Paris,, 2024, 166 p., 18 €.

Ici chacun reste sur l'autoroute où il semble s'égarer mais  non pour fuir ou  suivre une croyance unique. D’où ce discours allusif chasse de gré ou de force la peur ou le pensum au profit de l’audace.
Dès lors s’il fallait Platon pour préparer le signe du Christ (comme disait Saint-Augustin), il faut des termes mais aussi leurs interstices  pour que surgissent des profondeurs cachées pour que s’émet le désir exonéré du liant, compact.  L’  « entre » permet de se hausser  loin des vigilances inutiles. Le sens en sa qualité d'origine est remplacé par une possibilité d’un  Multiple silencieuse face au Un. 
L'interstice reste pour l’auteure le moyen d’allumer  une polyphonie et une absence. Elle permet cette ataraxie dont Spinoza attendait la conversion des désirs et des affections en pensées là où des mots s'affaissent et le vouloir s'efface. En un tel livre n'est plus une simple parole qui agit là où se trahissent des rapports entre  conscience et désirs de l'un vers l'autre. Par leur « entre » les mots contribuent au devenir de la langue où peut se passer que quelque chose arrive en un certain possible des journées enfantées dont parla Rimbaud.

 

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Fabienne Raphoz, « Infini présent »

C’est en son enfance à la campagne que Fabienne Raphoz a découvert oiseaux, insectes et divers petits animaux sauvages. Mais l’auteur connaissait aussi d’un jeu des 7 familles de bêtes. Cela lui est venu le  : « goût pour la taxinomie et les classifications » et le celui des mots « incompréhensibles ».

Mais à ce qui pourrait rester des suites de textes entomologistes  des poèmes construits à partir de l’histoire des insectes comme les siphonaptères ou les grylloblattes « ailés du Permien » et qui « butinent les conifères » avant de disparaître des ères passées.
De telles bestioles jaillissent une nuit de janvier, d’autres sont plus tardifs. Le tout avec plusieurs critères de choix et classement ( avec explications préambules du poème). Mais aussi parfois, avec humour, distance attendrie et du Ronsard compris rendant la vie plus vieille mais plus jeune aussi.
Tout tient parfois avec un éclat de noir  pour  percer l’opaque par charité dressée de tout l’encre des nuits et de la nature. Surgissent des argiles de vieux dieux en rengaines parfois tribales prêts à la résurrection. C’est une question de survie ou de surmourir aux joies de la terre. Les uns surpassant les autres pour outrepasser le seuil par gueules entières, fronts et ventres encore vidés mais parfois en orgues de combat pour envoyer leurs gloires en première ligne.

Fabienne Raphoz, Infini présent, Héros-Limite, 2024, 130 p., 18 €.

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Silvia Majerska sauvée par les roses

Pour qui sait l’ignorance, la rose « obéit : à la lumière, à la chaleur, à l’eau ; trois lois — trois pères. ». Silvia Majerska, nous le rappelle dans ce livre de 12 portraits de plantes semblables et sœurs (d’ailleurs de la poétesse elle-même). Ils font d’elle une songeuse ailée qui « la nuit, rêve abondamment, sans élégance et jusqu’au bout. je sais qu’elle m’observe respirer, je la révolte, »
 
De telles plantes de pareille présence ne peut devenir des absolues absence  si la poétesse les oublie :ce serait alors sa méconnaissance renforcée. D’autant qu’elles sont des échos de sa vie intérieure.
 
Elle ne supporterait par’ leur indifférence : elle est née pour flairer tous leurs parfums, leurs lumières qui investissent   son corps « les deux sens opposés du vertical. ». Lecteurs et lectrices qui ont oublié de les connaître sont vengés par de tels végétaux. Toutefois et de plus Un certificat de leur valeur passé (elle-même vengeance posthume) leur accorde l’amour, l’amitié et nien sûr au tout près  l’âme. L’âme blessée chez la poète comme en tous les autres. Quant aux roses elle restent  autres éternellement blessée, éternellement renaissante et finalement invulnérable. L’invulnérable incurable. Elles nous habillent  plus totalement que la mer n’habille le rivage.
 
Leurs présences est l’état d’être de l’auteure en des contours d’envol. Par leurs têtes découvertes tout coucher de soleil est sans mélancolie. Ses sens glissent là où sur le « terrain planté de guérillas vertes » eElles  restent l’éclat des sources et deviennent des poèmes, immédiatement et pour toujours.

Silvia Majerska, Blancs-seings, Collection Blanche, Gallimard, 2024, 72 p., 12,90 €.

Présentation de l’auteur

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Marilyne Bertoncini, L’anneau de Chillida

Recueil insondable, si riche en chemins qui se croisent, se dédoublent, se multiplient vers un tout harmonieux présent mais jamais atteint, vers une cosmogonie où réalité et imaginaire ne font qu’un.

Le poème peut être lu à partir de n’importe quel vers qui joue le rôle de centre, qui s’élargit vers le poème et vers le recueil en son entier comme des cercles concentriques quand la pierre jetée à l’eau est devenue ce mot par quoi tout arrive. Nous retrouvons l’Anneau de Chillida qui de fer est devenu cette eau trouble où toute poésie s’inscrit aussi forte et durable qu’un anneau de métal qui est dans tout, que tout appelle dans sa précieuse unité.

On voudrait ne lire qu’un vers par jour et l’emporter la journée durant en l’écoutant et le palpant au fond de soi comme un sourire et dire merci d’exister à cette beauté que nous frôlons exprimée par la douceur de ses images et de ses oxymores. Le lecteur flotte dans la musique des mots éperdus de présent, de souvenirs reliés à cette mythologie toujours présente à ceux qui en font des symboles pour approcher aujourd’hui. D’emblée nous pratiquons la poésie, nous sommes initiés par la teneur dense et ferme d’un vers qui s’étire dans toutes les directions de la sensibilité et de la pensée de l’aube à l’aurore, de la nuit au jour entre tous les points cardinaux de la mémoire qui fuse à chaque poème parmi l’ombre, la lumière, toutes les forces qui se rassemblent en nous sous la conduite d’une baguette magique trempée dans le miroir de nos paroles. Des fragments, des resserrements, la terre, le ciel se dilatent  et livrent leur présence de l’illusion et de la certitude mêlées de réel allant de la dérive à l’ancrage, du présent à l’absence le tout dans une nature prégnante en chaque poème, non pas décorative mais en avant, en action ressentie au plus profond de soi, indissociable.

Marilyne Bertoncini, L'Anneau de Chillida, Atelier du Grand Tétras.

Nous sommes au bord du quotidien ne basculant jamais dans le surréel, sur cette ligne qui fait frémir toute pensée qui s’est déjà dépassée vers l’acceptation du monde, vers cette sensation d’éternité , cette douceur que les mots soulèvent en s’irradiant l’un l’autre de leurs sonorités discrètes et bienveillantes.

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Francis GONNET, Sous la pierre des nuits

Un petit livre carré, soigné, composé de petites proses (2 ou 3 par page) qui éclairent les obsessions du poète : neige, nuit, parole poétique, besoin de clarté et de pureté.

Deux sections construisent le recueil, autour des pierres et des nuits, et de cette lumière à conquérir.

Le creusement des choses est à l'aune de ce que l'on peut cacher en soi, "souvenirs amers", "neiges intérieures", "indicibles lumières" ou encore "lumière offerte".

L'écriture par métaphores au génitif renforce le lyrisme de l'ensemble : "draps des nuits", "goût du désir", "page de l'obscur", "pigments du jour".

Le poème s'inscrit dans le silence ou la craie, s'offre en partage, déloge les lourdeurs du réel pour alléger l'espace même du poème : "Entre deux lattes de silence, la lumière perce le tympan des nuits, laissant couler le pus de l'ombre" (p.23)

Ainsi le livret consent-il sa fonction purificatrice, entre concessions à la nuit et joutes de lumière et de mots.

Francis GONNET, Sous la pierre des nuits, Toi édition, 2024, 56p., 12 euros. Lavis de l'auteur.

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Jacqueline Dusuzeau, J’ai soulevé les grandes images, Catherine Andrieu, Les griffes d’Obsidienne

Quand Jacqueline Dusuzeau musarde (ou presque)

Au cœur même de l’affect, mais aussi une technique légèrement surréaliste. Jacqueline Dusuzeau poursuit sa quête poétique commencée tardivement. Le temps  joue pour elle et pour elle, créer dans chaque poème c'est saisir une coïncidence aussi extatique que brève.n La jouissance de l’écriture possède  ici la même structure ou racine  que  les « grandes » images qui touchent directement à l’être en tant qu’elles sont en un maximal de coïncidence  par ce qu'elle produise moins par tableaux, qu'en écriture.*

Celle-ci est une intensification des jouissances du flux poétique qui soulève et libère la nature : par eemple « la poussière dorée / des boutons d’or / pour y voir le soleil » Surgit alors dans ces fragments une forme où l’impulsion magnétique singulière.
 
 Existe aussi une immense mimologie  qui produit sans cesse comme visée d’augmenter toujours plus l’intensité de nos plaisirs de lecture. Les émotions  sont physiques, immanentes, de l’éternité : on attend ici le déchirement d'un voile mais celui-là ne se soulève que dans des gestes plus simples : regarder une fleur . Les mots ne sont donc pas une argile fertile que l'on pourrait pétrir mais un territoire de rêve où les herbes et la caresse du vent disséminant les graines, entraînant nuages et pluie, à  l’heure du poème et ses ramifications.    Lui-même messager du temps, des pensées agitées, du temps qui s’envole,il revient, emporte et rapporte,
 
Alors et si poussière nous sommes, imaginez le reste, imaginez nos mots poussière de poussière, Le mouvement de l'écriture nous laisse croire qu'il existe un lieu hors lieu où le mal vu  est habité de présences proches et des apparitions.   Ici les mots ne sont pas des fausses graines, des placebos, ils permettent  retrouver l'image la plus naïve, la plus intenable. On croit voir, on croit sans y croire. Mais on se tient à ça, comme seul viatique. Rien donc qu'une brise sur la page qui ne fait que reculer jusqu'au silence.  La nuit éternelle finira de psalmodier mais ne telle femme caresse le monde et ses poèmes le rapproche de nous.

Jacqueline Dusuzeau, « J’ai soulevé les grandes images », coll. Jour & nuit, Les lieux Dits editions, Strasbourg, 2024, 80 p., 15 €.

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Cérémonie secrète de Catherine Andrieu

Catherine Andrieu peut employer dans sa construction textuelle tout une archéologie du mythe des profondeurs de la terre et de l’obscurité pour raconter une histoire. Son récit ici et comme souvent est une vision très personnelle.  Au paysage classique se superpose réel du passé et du présent. Si bien que tout s’imbrique entre faits, légendes, vérités possibles, mythologies lointaines afin de traduire et renforcer le sens de la cavité, entendue comme un espace générateur où peut se lire non seulement le mythe de la caverne de Platon mais l’antre du féminin.

La contrainte d’une telle créatrice  l’artiste est moins la recherche d’un « paysagisme »  mais  le besoin de revenir sur une île mémorielle de sa propre enfance et ses amours  ambivalente car elle peut à la fois se retrouver l’enfante (blonde)  qui sommeille en elle et se voit confronté, par le biais de la conscience adulte de la narratrice, à la mémoire de l’inéluctable cycle naturel entre ouverture et dénouement : la représentation poétique ici autorise à remonter les temps. Un n’est jamais seul.
 
Que voit-on naître de la nuit et la ruine de l’empire du mythe de la femme aux cheveux de neige accompagnée de sa panthèree ? C’est la mort qui scrutait en elle par les envahisseurs. Mais une enfante blonde (double de la narratrice et auteure)   claque les portes.
 
Pour elle  le soleil n’est jamais trompeur. Nous retrouvons ici une langue altière même en « phrases crevées ». D’autant qu’elles ne sont jamais grevées d’absence. Le tout est de nager dans une eau qui malmène. Mais non sans plaisir même lorsque certaines situations peuvent être parfois douloureuses.
 
Dans ce superbe conte poème en prose en un si long voyage dans le temps comme dans la vie de Catherine Andrieu à chacun d’en comprendre, dans bien de concordance des temps. La poétesse ne récrit jamais le double de ce qui a déjà été dit et ne tire jamais la laisse du chien de la mélancolie (ou de Goya lui-même). Chez elle une odeur de neuf relie la terre au ciel et vice-versa si bien que - paradoxe - son écriture est plus ruisseau que pluie.
 
Une telle affaire est entendue en touches « sur les toits d’un goût de chose lue dans l’aboiement de l’air » mais l’auteur ne joue ni l’ange ni la bête. Il lessive le connu pour extraire d’un tel essorage les « volupté des voluptés » et son contraire. Se capte l’insaisissable de l’intime mais sans la moindre ostentation du lyrisme - cette frangipane souvent indigeste dans la pâtisserie commune des poètes.

Catherine Andrieu, Les griffes d’Obsidienne, Préface de Patrick Cintas, Rafaeel de Surtis éditeur, Cordes sur  Ciel, 2024, 40 p., 18 E.

Le tout à la recherche de la transparence passe par l'opacité qui nourrit la complexité de l’auteur et de son aimée qui innerve ce livre (et pas seulement celui-ci). Après tout et au nom de ce que l’amour « fait » les deux corps de ce couple d’élection sont réels, fantasmés, vibrants (une telle expérience est connue à tout « amourant »).
 
Dans ces expériences d’écritures surréalistes tt existentielles le mot n’a pas seulement un emploi décoratif, de bel emballage, mais un rôle de création, il est directement impliqué dans des expériences risquées. A la différence du peintre ou du musicien une telle auteure préserve comme matière première des vocables.
 
Preuve qu’une poète via la légende  nous avoue ses chagrins d’amour ou d’autre sorte, ses sensations  esthétiques, ou, pourquoi pas, ses réflexions philosophiques; la parole n’étant plus considérée simplement comme un véhicule, l’essentiel pour l’auteur étant qu'elle soit magique et sensible qui a un effet sur nous.
 
 Plutôt que de parler de déconstruction de l’image il faut insister plutôt sur la présence d’une autre narrativité. Elle inscrit la distance plus que la dérision afin de porter un « message » social ou politique souvent fort car implicite : puisqu’il oblige le spectateur à construire sa propre lecture et analyse
 
L’intelligence préside à ce travail. Toutefois l’émotion n’est pas absente. D’où la féerie proposée en forme jamais violente. Néanmoins tout est fait sinon pour atténuer les effets de l’affect du moins pour ne pas les afficher afin qu’ils ne cannibalisent en rien le propos iconoclaste. Dès lors la féérie est volontairement glacée. Existe là une forme d’inter-lucidité impressionnante chez cette poétesse surréaliste par excellence.
 

Présentation de l’auteur

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Christine Guinard, Vous étiez un monde

Du monde du réel à celui de la poésie, il y a le tremplin de la mémoire et cet imparfait qui, dès le titre, noue au poème les images d'un passé qui vibre encore - images d'eau, de lavoir, de toutes ces femmes qui plongent le linge, ce monde qui était, n'est plus et que le poème s'engage à retrouver, coûte que coûte.

La poète, en peu de textes, dit très fort cet attachement à ce "magma" de sensations qui s'imposent à elle ; la poésie s'écoule telle l'eau, charriant formes et plis, "ombres glissées", forme de vie qui "vienne" réparer ce qui manque, ce qui est perdu.

Dans une langue lyrique, qui ne déborde jamais, la voix de la poète arrive à nous émouvoir, par son grain, la douleur perçue et la volonté d'inscrire dans le flux poétique, ce peu qui nous rassemble, le vrai du cœur.

Christine GUINARD, Vous étiez un monde, Gallimard, 2023, 64 p., 14 euros.

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Sabine Péglion, L’espérance d’un bleu

Quel est ce bleu qui étire son fil tout au long du nouveau recueil de Sabine Péglion ? Il est celui du titre, L’espérance d’un bleu, une couleur récurrente dans les poèmes mais aussi dans les peintures de la poète, celles qui accompagnent superbement le livre.

Entre brumes et étoffes, elle évoque la fragilité de silhouettes éphémères. Ombres portées, elles se déplacent comme happées par ces « Voiles bleues / aux marges du silence » Les mots ainsi que le trait de couleur les situent à la limite de l’estompe. Tant dans les poèmes que les peintures, elles sont chargées du mystère de notre présence humaine, à nous-mêmes, aux autres et au monde.

« bateaux ancrés      nul sillage / pour s’évader      mots en naufrage » Être, exister est une douleur et il faut faire face à « Ce bleu ouvert de la blessure ». Le ciel est à la fois miroir où lire la faille et souffle blessé qui se suspend. Où trouver l’espérance sinon dans l’infime trace de ce qui fut et qui continue rappeler la lumière ? Si fugitive soit-elle, elle a été et en tant que telle, elle devient réconfort. Ces oiseaux, « Serait-ce vers toi qu’ils tracent un filet d’azur / où le regard se perd ». « Force d’un accord », la couleur porte en elle une parenté possible avec le poème, par ce que la poète nomme comme « le bleu d’un poème ». Pourrait-on parler ici du bleu que l’on espère et de son envers blessé comme un bleu de l’âme ? La poète ainsi que les figures de ses poèmes se meuvent avec grâce d’une lisière à une autre, enveloppées de brumes où s’engloutissent les voix de la mémoire. Écorchures, entailles et épines restent sous « la lumière mauve ». Envers ou endroit, le bleu ne serait-il qu’un rêve dont seule l’étincelle survit en nous ? « C’est tout / voici le bout    de la jetée / vraiment      c’est tout » Face à l’amère brièveté du chemin, la poète exhorte néanmoins à l’acceptation, une acceptation féconde, salvatrice, qui exalte les lueurs glanées ici et là. 

Sabine Péglion, L’espérance d’un bleu, éditions La tête à l’envers, 2024, 66 pages, 19 euros.

Accepter comme l’arbre « dépouillé de tout feu », « de déployer vers le ciel / cet obscur labyrinthe ». Sabine Péglion invite à recueillir ce qui est malgré tout « pluie d’étoiles ». Un très beau recueil où la concision de l’écriture est à la mesure de son incandescence. Les peintures de la poète s’insèrent entre les poèmes, formant un contrepoint lumineux où mots, traits et couleurs entrent en dialogue, pour tenter d’élucider la secrète calligraphie du monde où nous sommes de furtifs passants.

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