Marilyne Bertoncini, Il libro di sabbia

Avec ce nouvel ouvrage qui regroupe trois recueils parus en français et publiés ici dans leur version uniquement italienne, Marilyne Bertoncini – qui écrit aussi bien en italien qu’en français – nous offre l’immensité d’un univers de sable, d’eau et de vent traversé de senteurs, de couleurs où tout est mouvance, fluidité et métamorphoses, à l’image des dunes de sable qui illustrent la couverture. Le titre reprend celui-là même d’un livre – et d’une nouvelle – de Borges.

Ce livre entretient-il un lien avec Le livre de sable de l’auteur argentin ? À priori, non. Cependant, force est de constater d’évidentes affinités : y est présente la dimension du mystère de même que celle du fantastique. En effet, chez Marilyne Bertoncini, les paysages d’une enfance flamande se transforment et le sable au « parfum minéral intense » (c’est celui des souvenirs) devient Sabbia, prénom d’une créature onirique et fantasmatique, peut-être légendaire, le plus souvent désigné par Lei (Elle), femme-dune sans visage, âme errante aux yeux de fleurs, à la fois resplendissante et pâle, ceinte d’une couronne d’épine, privée de parole, suffocant, étouffée par le caractère même de sa propre constitution ! Car si la fluidité du sable laisse imaginer une ressemblance avec l’océan : « La duna mima l’oceano » (la dune mime l’océan), elle n’est pas l’océan : le sable est une « écume sèche » : il aspire, il étouffe, il tue !

La sabbia nella sua bocca la soffoca come un bavaglio

Le sable dans sa bouche l’étouffe comme un bâillon

Marilyne Bertoncini, Il libro di sabbia (Le livre de sable), Préface de Giancarlo Baroni, Bertoni editore 2022, 63 pages, 15€.

et plus loin :

L’orco di sabbia ocra divora la sua parola

L’ogre de sable ocre dévore ses paroles

L’autrice, « fille des sables », et fille symbolique de Sabbia, « Sono figlia di Sabbia/ma le parole/sono mie » (Je suis fille de Sable/mais les mots/m’appartiennent) se projette dans ses souvenirs et cette femme de sable qui ne peut parler mais qui vit en elle et s’exprime à travers sa poésie – Io grido/ Io SCRIVO (Je crie/ J’ÉCRIS) – pourrait être l’âme secrète de son passé, car nous allons voir que les temps s’entremêlent et c’est là une autre affinité avec Borges : la conception du temps (ici aussi au cœur de l’écriture), un temps sans début ni fin – n’oublions pas que le recueil commence par ce vers : « Non ho nessun ricordo dell’avvenire, disse Lei (Je n’ai aucun souvenir de l’avenir, dit-Elle). Un temps qui n’est pas linéaire mais labyrinthique faisant fi de toute chronologie : les souvenirs affleurent de manière improbable et désordonnée, comme des fragments de vie reflétés dans des miroirs cassés rapportés par les marées et dans lesquels tout se mélange et fusionne. « Si l'espace est infini, nous sommes dans n'importe quel point de l'espace. Si le temps est infini nous sommes dans n'importe quel point du temps1. »

Dans Le livre de sable de Marilyne Bertoncini, les terrains vagues et jardins ouvriers du Nord surgissent derrière les bruissements d’ombre, le chuchotement des fontaines, se superposent à la douceur envoûtante de fragrances quasi orientales, et au silence qui dévore les statues en ruines d’un jardin peuplé d’âmes mortes au-dessus duquel le ciel entre en fusion et brûle les étoiles. Le paradis jouxte l’enfer.

« Passo i confini assegnati alle cose/dalle parole » (je franchis les limites assignées aux choses/ par les mots) écrit-elle. Il n’y a plus de frontière entre le passé et le présent, l’ombre et la lumière, le réel et l'imaginaire, la vie et la mort, le français et l’italien « Nude nues denudate » lit-on dans le même vers page 19.

Autre figure mythique du recueil : Leila, prénom intimement lié à la fleur de lilas. Les poèmes dédiés à l’une et à l’autre s’entremêlent créant l’effet sinon d’un dialogue, tout du moins d’un écho, au cœur d’un long poème intitulé La notte di Lilla (La nuit de lilas) Leila, au prénom couleur de nuit2, objet d’un amour impossible, absolu et éternel du poète bédouin Majnûn, apparait ici comme la « sœur de cœur » de l’autrice.

      Dolce           sorella
                nella mia lingua
                    segreta

         Douce        sœur
dans ma langue
    secrète

Un aveu ponctué de silences. La poète n’en dira pas plus, à nous de lire la douleur de l’absence dans le blanc de la page, car Le livre de sable est, par définition, un livre insaisissable. Un livre qui peut s’interpréter de différentes manières, sur lequel le lecteur peut projeter ses propres images dans le « labyrinthe des nuits ».

Si, chez Borges, des signes, des illustrations disparaissent mystérieusement des pages à peine lues, et de ce fait, ne sont visibles qu’une seule fois, ici c’est l’éternelle mouvance du sable qui transforme tout, ne garde les traces que de manière éphémère nous rappelant ainsi que toute chose se vit une seule et unique fois.

Ainsi en est-il des souvenirs qui sont à l’image des empreintes de pas dans le sable mou aussitôt recouvertes par les vagues de l'océan. La mémoire elle-même est appelée à disparaître…

la sabbia aspira la mia caviglia
aspira la mia memoria
l’impronta del mio piede si riempie di un minuscolo frammento di specchio
l’onda successiva lo ingoia

le sable aspire ma cheville
aspire ma mémoire
l’empreinte de mon pied s’emplit d’un minuscule éclat de miroir
et la vague suivante l’engloutit

Ce livre de l’impermanence nous parle d’absence, d’infini et de rêve, de visions fugitives que seule la parole peut fixer. Livre de souvenirs où aucun événement n’est dévoilé mais suggéré à travers la finesse des perceptions (couleurs, sons, odeurs) révélatrices d’émotions intactes. Parmi celles-ci, notons une prédilection pour le violet, décliné dans toutes ses nuances (lilas, lavande, lie-de-vin, mauve…) et qui ne doit sans doute rien au hasard. Si la ville de Parme n'est jamais citée, elle est bien présente dans la symbolique des couleurs. Un livre contre l’oubli ? Sans doute.

L’autrice écrit avec justesse et délicatesse une impermanence hantée par la mythologie et les légendes et qui se termine dans une danse macabre où la mort couronnée d’étoiles entraîne aussi bien les rêves des morts que les souvenirs des vivants. Mais où vont-ils ? … RECAPITO…. IMPOSSIBILE… est la réponse donnée dans le dernier vers du recueil, que l’on peut traduire par « inconnus à cette adresse » ou « échec de la distribution ».

Notes

[1] Le livre de sable, Borges, Folio bilingue Gallimard 1990, traduction François Rosset.

[2] Leila (ليلى en arabe) signifie la nuit. L’autrice fait allusion ici à une légende persane.

Présentation de l’auteur




Jacques Robinet, Notes de l’heure offerte

« Seule compte l’heure  offerte qui vient à ma rencontre et cette branche qui tremble encore d’un oiseau envolé » (p.65)

Ces notes sont à la fois méditation et dialogue, dialogue avec le lecteur et dialogue avec Dieu.

Elles sont d’ordre spirituel et poétique, elles sont aussi lettres d’amour, adressées à l’aimé, et aux lecteurs, des lettres qui prolongent toute rencontre par-delà la mort, « heureux ceux qui dans l’amour se sont endormis ».

Un chant à la vie (p.157)

Pour Jacques Robinet, la psychanalyse et l’écriture sont des chemins de liberté, la psychanalyse pour mieux vivre, pour mieux aimer.

Ce journal est traversé d’une lumière, celle qui irradie la poésie de Marie Noël et c’est aussi ce même souffle de paix qui habite leurs mots, il n’est pas étonnant que deux vers de Marie Noël : « Le jardin au milieu du jour / Où l’on entend trembler la paix » résonnent en lui, lui qui : «  cherche à dire : le paisible écoulement, l’effacement consenti, l’acquiescement »(p.97), qui : «  cherche à atteindre dans le poème, l’éclair qui embrase brusquement les mots » (p.67) car, malgré tout ce qui pèse, essayer de tendre à cette vérité de nos vies qui se manifeste et nous allège quand on pose les mots en signe de notre passage, quand l’acte d’écrire se fait louange et  que «  vivre c’est rendre grâce ».

Jacques Robinet, Notes de l’heure offerte, La Coopérative, 2022, 176 pages, 21 €.

Un ouvrage qui se fait louange et action de grâce : « Merveille d’être au monde. Il suffit de cette tombée de la nuit habitée par une musique qui est louange.  Comme si quelqu’un s’éveillait et reconnaissait sa demeure.  La joie a pris le relais du jour qui s’en va. » (p.153)

Les mots pour dire les maux ou «  toutes les passions tristes qui empoisonnent la vie ». Dire, pour se désencombrer, s’abandonner.

Un livre essentiel, y chemine un homme qui se livre comme le fit Montaigne. Grâce à l’expérience personnelle, la réflexion s’élargit sur le sens de toute vie, sur la place de l’homme au regard de cette terre habitée brièvement. On y goûte le futile et l’important, le superficiel et l’éternel ; grâce à une observation des éléments, à la lecture des auteurs aimés, grâce aussi aux regards d’artistes connus ou anonymes qui ont su transmettre le beau.

Comme pour Montaigne, des analyses psychologiques comme celle sur la tristesse. Le psychanalyste que fut Jacques Robinet les élargit et les rend universelles. La mort, la sienne qui approche et celle des êtres aimés, la dire et l’écrire pour se réconcilier avec cette peur et traverser de façon lumineuse cette expérience intérieure. Une différence cependant, Montaigne dans ses essais ne recourt pas à la foi et éloigne l’immortalité de l’âme de sa réflexion. Jacques Robinet lui, interprète cette expérience à la lumière de sa foi chrétienne. L’un et l’autre cependant font, de chaque instant vécu, un éloge à la vie devant l’immanence de la mort, pour tenter d’être capable comme le dit Montaigne de la « vivre à propos ».

Le livre illustre admirablement cette réflexion de Montaigne que pour chacun notre vie soit : «  notre grand et glorieux chef d’œuvre ».

Toute expérience, y compris celle de la maladie, peut être source de louange car toute douleur donne de l’épaisseur à chaque rencontre, à chaque objet, à chaque élément de la nature, à tout ce qui nous est donné de vivre, de voir.

C’est tout un art de vivre que décline Jacques Robinet, pour celui qui peut être capable de plonger et son corps et son âme dans l’intemporalité.

Ici, pas d’exaltation, mais beaucoup de modération en toute expérience vécue ; une exception cependant, une tonalité plus exaltée pointe, lorsque l’auteur traite du sentiment amoureux, un lien affectif total, vécu en plénitude.

Parler de soi pour une ouverture au monde et aux autres.

Cette attention à soi est nourrie du plaisir que procurent les mots, la lecture, les voyages, la contemplation de la beauté qui est don de la nature et don fait à certains artistes touchés par la grâce.

Jacques Robinet écrivain, est touché par cette grâce qui fait naître la lumière de l’ombre. Cette grâce qui du silence, du « silence absolu » fait jaillir comme un point d’orgue à la fin du livre, cette prière de demande et d’intercession, quand on s’oublie et qu’il ne reste que l’amour, l’amour seul capable de s’adresser à celui dont on ne peut prononcer le nom, à celui qui n’est que lumière et « Amour offert depuis la création du monde ».

O Vous dont je retiens le nom au bout de ma plume, tant Vous débordez tout ce qui Vous désigne, gardez-le ; Vous qui êtes lumière et seulement amour, gardez-le toujours en Votre paix. Qu’il ne soit jamais séparé de Vous, celui que Vous m’avez confié autrefois, quand nous vivions tous les deux en nuit très profonde, sans savoir que Vous étiez là.  (p.170)

Présentation de l’auteur




Thibault Biscarrat, Cercles intérieurs

On l’a déjà écrit ici sur Recours au poème, Thibault Biscarrat poète, et hormis une première tentative de roman (Dolmancé, Abordo, 2015), reprend et (ré)écrit toujours le même livre. D’ailleurs, il ne s’en cache pas, le revendiquant même : « Un même souffle parcourt tous mes écrits » ; « Il est un dire qui parcourt tous mes écrits » ; « D’un livre l’autre un même souffle parcourt l’alphabet des profondeurs », etc. « L’humanité rêve d’un seul Livre », vraiment ? ou est-ce un souvenir d’enfance de Thibault Biscarrat ? Le poète se souvient des leçons du cinéaste Robert Bresson (dans ses écrits : « Ne change rien, pour que tout soit différent ») : « Une même voix, un même rythme. Et pourtant rien ne demeure similaire. »

Je l’ai déjà dit, mais je le répète, tant cela importe : chaque verset de Biscarrat est rempli de réminiscences textuelles et d’emprunts plus ou moins (in)volontaires : « Mystère de l’amour qui meut le ciel et les autres étoiles » ; « Écho des lumières » ; « L’encre affleure, bleutée » ; « Nous trouverons, un jour, le lieu et la formule » ; « Les voyelles bruissent et avivent les couleurs » ; « Entends […] les sauts d’harmonie inouïs » ; « Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique » ; « Qui fonde ce qui demeure ? » ; « L’aurore aux doigts de rose nous accompagne » ; « Mon aimée, te souviens-tu du massacre des prétendants ? » ; « Voici l’or du temps » ; « Les roses, sans pourquoi, s’offrent à la caresse du vent », etc1. Vous aurez (ou pas) reconnu, et dans l’ordre, des allusions à : Dante, Philippe Sollers, Rimbaud, Lautréamont, Hölderlin, Hésiode, Homère, André Breton, Angelus Silesius. Le dire de Biscarrat veut « traverser tous les siècles, tous les écrits » : « Tout écrit tend vers ce point où tous les ouvrages s’interpellent, se répondent, résonnent. Échos. Intertextes. » Voix fleur écho des lumières…

Ce qui change dans ce volume, par rapport aux derniers publiés par l’auteur, c’est la densité des pages : le poète a (temporairement ?) abandonné le verset, et condense chacun de ses textes sur une page ; cela donne plus de densité à son chant, qui, revendiqué chant courbe, devient volontiers une roue carrée, plus chaotique : « Tous les textes, tous les livres s’entremêlent, résonnent. Une métaphore surgit d’un écrit l’autre ; les mots circulent. »

Thibault Biscarrat, Cercles intérieurs,Conspiration Éditions, 94 p., 9 €.

Le chaos règne, la folie rôde (« Je suis mort sur la croix, […] je fais se mouvoir les constellation ») ; et cela profite à notre poète, qui gagne au désordre : « Je suis le Livre qui jamais ne s’achève, écrit dans toutes les langues et qui s’adresse à tous les hommes. » Son écriture gagne en densité ; Biscarrat se rapproche d’une écriture all over.

L’ambition de Biscarrat est grande : tel un Mallarmé, un Guyotat ou un Blanchot, il veut écrire Le Livre : « Ce livre témoigne. Ce livre est un fragment de tous les livres : ceux que j’ai lus, ceux que j’ai écrits, le Livre à venir. » Qui l’en blâmerait ?

Nous n’avons qu’une seule réserve quant à sa poésie, et bien qu’il s’en défende (« L’être questionne son rapport au réel, au sacré, au langage » ; « Que tout te soit fragment du Livre, réel érigé ») : elle ne se confronte en rien au Réel ; c’est-à-dire qu’elle pourrait tout à fait être écrite au temps de David, sans que rien ne choque ; d’ailleurs, la première partie de ce volume, « La nuit souveraine », est presque un remake, une reprise du Cantique des cantiques, soit un chant d’amour à l’aimée : « Je ferai de notre amour un livre vivant, fragment du Livre éternel et indivis. » Ou bien, plus directement : « Mon aimée, te souviens-tu du Cantique des cantiques, du roi Salomon et de la Sulamite ? » Comme la peinture abstraite ne se confronte en rien à la figuration, la poésie de Thibault ne se confronte qu’au sacré et au langage (ou Verbe) ; nous aimerions maintenant que Biscarrat se confronte à la cochonnerie politique de la Volonté de technique… ou au supermarket… « J’aspire à un nouveau chant, fragment du Livre qui parcourt tous les mythes, tous les écrits » : chiche ?…

Note

  1. J’ai volontairement ignoré toutes allusions à la Bible, tant elles abondent.

Présentation de l’auteur




La liberté d’expression ou la liberté avant tout !

Fondé en Grande Bretagne, par la dramaturge Catherine Amy Dawson Scott et John Galsworty, qui recevra le Prix Nobel de Littérature en 1932 et ce au lendemain de la Première Guerre Mondiale, alors que l’Europe pleure encore ses Martyrs, LE PEN CLUB INTERNATIONAL  a pour objectif entre autres de défendre la liberté d’expression des écrivains à travers le monde.

Cette organisation mondiale, désormais reconnue en Cat A, auprès de l’UNESCO, et par le Conseil économique et social des Nations Unies, a très vite pris son essor avec l’éclosion parfois simultanée de nombreux Centres à travers la planète, comptant parmi ses membres des écrivains, des poètes, des auteurs dramatiques etc. souvent de grande renommée. En France, pays des Droits de l’Homme, Le PEN CLUB verra le jour à Paris, avec un premier Président,  en la personne du célèbre écrivain ANATOLE France, (1921-1924) suivi par PAUL VALERY (1924-1934), JULES ROMAIN (1934-1939), JEAN SCHLUMBERGER (1946-1951), et bien d’autres encore, dont le très regretté GEORGES EMMANUEL CLANCIER (1976-1979) disparu en 2018 et dont le fils SYLVESTRE CLANCIER, marchera sur les traces de son père, puisqu’il  fut à son tour Président à deux reprises, 2009-2012 et 2016 -2018, succédant à JEAN BLOT et JEAN ORIZET. Actuellement et ce depuis 2020, après une courte période de turbulence, c’est l’écrivain et journaliste ANTOINE SPIRE qui assure désormais la présidence, avec il faut le dire beaucoup de dynamisme et de conviction !  

Le PEN CLUB FRANÇAIS a 100 ans !

Belle longévité pour une organisation dont certains avaient malencontreusement prédit la disparition. Certes elle demeure discrète, et sans tapage médiatique outrancier, il n’empêche que le Centre français, promet dans les années futures une belle vitalité ! 

 Pour la liberté d’expression, livre du centenaire du PEN Club français, 343 pages, 18 euros, éditions Le Bord de l’eau.

Occasion pour les éditions Le Bord de l’eau,  de publier un ouvrage important sous la houlette d’Antoine Spire, Sylvestre Clancier, et Laurence Paton, intitulé, « Pour la Liberté d’expression, Livre du Centenaire du Pen Club Français », qui se veut rendre un hommage appuyé aux actions menées par le Centre depuis sa création, lors de périodes de l’histoire, souvent tumultueuses et tout autant dramatiques pour certaines d’entre elles, et qui témoignent de l’engagement de nombreux écrivains et poètes français en faveur de la liberté d’expression et de la liberté tout court.

On songe bien évidemment à la Seconde Guerre Mondiale, avec son cortège de monstruosités où nombre de compatriotes perdirent la vie, afin de lutter contre une idéologie mortifère et destructrice. Paix à leur âme !

 Le Pen Club français conforte l’idée de laïcité !

Dans sa longue introduction, ANTOINE SPIRE semble vouloir lever des doutes quant à l’idée de laïcité, un sujet qui demeure toujours sensible. « De ce fait ceux qui méprisent les croyants et stigmatisent leur adhésion à une foi quelle qu’elle soit, ne sont pas en accord avec notre conception de la laïcité ». (P.8). « Au Pen Club, la diversité des engagements nous conduit  à prendre en compte plusieurs conceptions de la laïcité » (P.8), un message particulièrement clair et qui ne souffre d’aucune ambiguïté…

 La censure sociétale : Qu’est-ce à dire ?

Au même titre que la censure sociétale qui égrène de manière fort sournoise, notre civilisation occidentale à bout de souffle. Une censure pouvant conduire dans certains pays, jusqu’à l’intimidation, la pression, l’emprisonnement, voire la torture. Engager la peur sur le chemin de l’Humanité est malheureusement une constante universelle depuis l’aube des temps, et qui dans bien des cas mène aux guerres et pire encore à l’extermination. « La censure n’est plus l’exclusivité d’Etats autoritaires elle est devenue le fait de fractions de la société civile qui veulent interdire l’expression de ceux qu’elles jugent engagés, consciemment ou non, réellement ou non, dans une prétendue caution donnée au racisme et au sexisme ». (P.9) Et l’on voit bien aujourd’hui où certains discours mènent, vers une discrimination permanente des enjeux prioritaires, et qui tentent de masquer les réalités qui nous entourent, sous le prétexte de la pacification des intentions, et qui de fait nourrit une société précisément  devenue sans enjeu, et sans discernement. Or il s’avère également exact, que nos grands intellectuels ont fait le choix de se taire, et il est à craindre que le terme même d’intellectuel soit remis en cause, pour laisser la place à un brouhaha informationnel, dans lequel la pensée s’épuise, afin de céder la place « aux inquisiteurs exclusifs du droit à la parole », comme en témoignent les dérives quotidiennes de certains médias et réseaux sociaux.

Quid de la censure économique !

Antoine Spire évoque également la censure économique ;  vaste sujet en effet !  Bien plus difficile à appréhender celle-là, car plus pernicieuse et larvaire mais dont les dégâts sont tout aussi probants. « Sur ce point le Pen Club, provoque des alertes et un débat, à partager parce que la France est désormais l’objet d’une manipulation d’envergure de l’opinion qui étonne à l’étranger ». (P.13) en favorisant une certaine élite artistique dévouée au système et qui profite à bien des égards de ses largesses, et en nuisant à une création plus intègre mais mal soutenue. Les pouvoirs publics en sont-ils pour tautant responsables ; certes non ! Il existe tout de même certains cadres législatifs auxquels se référer, le danger vient certainement d’ailleurs, lié à une mondialisation vorace dont le capital est le seul moteur de croissance au détriment de moyens économiques plus respectables. Est-ce une fatalité pour autant ? On pourra toujours considérer que les modèles sociétaux déclinent au moment de leur apogée. Et parfois disparaissent comme ils sont venus,  comme laissant apparaître une civilisation meilleure. On peut toujours espérer dans ce sens !

Outre ces nombreuses actions le Pen Club français délivre chaque année des prix littéraires importants qui défendent une littérature de qualité.




Daniel Brochard, Lettre d’un ex-directeur de revue de poésie à un jeune poète, Mot à maux, Manifeste pour une poésie sociale

Directeur de la revue Mot à maux qu’il a créée en 2005 et dont le dernier numéro est paru en mars 2022, Daniel Brochard rédigea, lors de l’interruption temporaire de cette dernière, en mars 2010, sa Lettre d’un ex-directeur de revue à un jeune poète dont le titre n’est pas sans évoquer la référence à la correspondance des Lettres à un jeune poète que le vénéré Rainer-Maria Rilke adressa à un jeune homme qui lui demande s’il doit consacrer sa vie à la poésie, devenant son véritable « guide spirituel », échange au cours duquel l’initiateur revient inlassablement sur les questions qui se posent à l’artiste, à toute personne qui tente, du moins, le chemin de la création, comme cela était le cas également pour l’initié. Mais tandis que Rainer-Maria Rilke invite à se tourner vers « l’intériorité », Daniel Brochard dresse un état des lieux assez amer du milieu contemporain face auquel l’intention « poétique » se trouve souvent vouée au dérisoire quand il ne s’agit pas des oubliettes aux heures où l’écran de télévision reste le réceptacle courtisé de notre idiotie commune : « On est tous comme des cons devant la télé, la boîte carcérale à faire reluire la connerie universelle. Ah, non, n’allez pas faire de vagues !

Nous serons artistes dans cent ans, en attendant il convient de la fermer. Il faut rester en ligne dans les salons, pas sur le front des mots (trop dangereux). Ben oui, la poésie que dalle, la poésie c’est vraiment très bizarre. »

Vouée aux gémonies, la poésie ? Pourtant, le regretté Daniel Brochard fit, quant à lui, le pari de tenir « sur le front des mots », selon sa propre expression, en dirigeant pendant pas moins d’une vingtaine de numéros, sa revue littéraire Mot à maux dont le jeu des termes du titre même de ce rendez-vous indiquait le possible salut des « maux » de tous transformés en « mot » de chacun… En ouvrant ainsi les pages de son périodique à l’aventure collective, l’ « ex-directeur » révélait ainsi une volonté ferme et portée plus avant dans sa propre inventivité, singulière, d’écrivain de ne pas cantonner la poésie à une « case » qui serait par exemple celle de l’épanchement personnel, mais à interroger la portée de cette dernière au cœur de la société humaine, sans oublier de noter que la gloire de la postérité sur certains artistes majeurs ne balaie pas d’un trait de lumière l’emprise quotidienne de l’obscure nécessité que fut la condition de ces mêmes artistes, pour mieux faire allusion au « suicidé de la société » selon la formule définitive d’Antonin Artaud : « La société sacralise des Van Gogh qui, vivants, étaient miséreux. » écrit encore l’héritier dans sa missive au présent..




Daniel Brochard, Manifeste pour une poésie sociale.

Quoi d’étonnant alors au choix ultime de rédiger son Manifeste pour une poésie sociale ? Articulant sans cesse sa pensée sur le fil d’une relation entre l’individu et le collectif, l’emploi du pronom singulier « je » en interrogation du pronom pluriel « nous », la réflexion de l’essayiste semble alors rejoindre l’axiome camusien de L’Homme révolté : « Je me révolte donc nous sommes. » Incitations dès lors à la rébellion tant solitaire que solidaire, passés le Préambule et son Projet pour une action en poésie, ses éclats philosophiques furtifs, ses brefs discours incisifs secouent la torpeur du lecteur pour mieux l’inscrire dans l’intime d’un combat où de la « maladie » intérieure à la crise de notre société, c’est l’union des sensibilités et la conjugaison des forces créatives à l’ouvrage qu’invoque l’écrivain laissant tomber son propre masque, dès l’aveu du premier paragraphe de son essai : « La poésie est un combat. Loin de moi l’envie d’agiter le drapeau blanc, ma conscience de révolté m’interdit de baisser les bras. Et pourtant, je le devrais ( ? ) quand on voit la complexité de l’opération. » Loin du silence feutré de certains salons littéraires, la vie, l’œuvre, l’engagement de Daniel Brochard se tissent, se croisent et résonnent dans l’interpellation du cri d’humanité de son épilogue comme une passation de témoin : « Soyez l’architecte du renouveau ! À vous de former cette assemblée afin que la poésie devienne indispensable. »




Présentation de l’auteur




Paul Mathieu, D’abord un peu de jour

Un recueil de poèmes qui frappe par sa qualité de papier, et d’impression, avant de surprendre par le contenu poétique, une longue et intéressante méditation, dans une écriture qui doit tout à l’oralité « prosodique ». L’auteur s’y donne sur le ton du « on », s’y anonymise, afin d’être tout près du quotidien, et de détecter dans son cheminement des éclairs de poésie, pareils à ces lueurs dont les flaques d’eau, après une averse qui aurait rénové notre sensation du paysage, balisent une tranquille promenade.




Il s’ensuit pour le lecteur une sensation où fusionnent sérénité et intimité. Aux détours du discours poétisant, surgissent à foison de simples trouvailles d’expression, qui chaque fois incitent à la réflexion, au constat songeur : « Tiens, Paul Mathieu me fait apercevoir ceci, je n’y aurais pas pensé... » Si bien que l’on avance de page en page comme vers un but profilé, toujours à venir, mais qui durant le trajet nous dispense des « échantillons » riches de profondeur secrète, comme pour régulièrement rénover le regard, en dénouer le rien de lassitude qui pourrait s’amorcer.

De là vient que ce livre se lit en continu, un peu comme un roman. On entre dans une sorte de poème unique, fait d’un peu de jour en effet, que je comparerais volontiers, sans les confondre du tout certes, avec « Dans le leurre du seuil » d’Yves Bonnefoy. Ce sont des livres-poèmes qui nous accueillent dans leur monde, nous y retiennent, nous en instruisent par mille façons de sentir et de scruter les détails ordinaires de la vie, de la « condition humains » dirais-je pompeusement, et l’on ne tient pas vraiment à en ressortir, tant on est heureux de lire comme si l’on ne l’avait encore jamais vu de près, un quotidien que nous connaissons tous.




Paul Mathieu – D’abord un peu de jour – Ed. Estuaires – Hors-série n° 8 – 94 pp.

J’avais d’abord pensé introduire des citations à l’appui de ces remarques, admiratives mais quelque peu abstraites et générales. Finalement je ne le ferai pas. Ce serait comme tailler un fragment dans l’élan continu d’une guirlande dont chaque instant n’a sa véritable valeur qu’en tant que suite de ce qui le précède et intuition de ce qui va le suivre. Toute découpe, si l’on me comprend, serait banalisante et ramènerait à une prose quelconque ce qui est une poésie qui n’a rien d’ordinaire. Lorsqu’on avance dans ce genre de cérémonial pensif, comment avoir l’idée d’en stopper un moment la mélodie liturgique, pour en extraire des phases (et des phrases) qui seraient privées de la cohorte indispensable d’échos, qui seule nous donne de ressentir la dimension de la nef invisible qu’elle faitt exister, qu’elle élève autour du on (le « jeu » du « je » caché du poète) à mesure de notre progression de lecteur. Paul Mathieu, par ce « on », s’est organisé pour être à la fois proche, modeste, accessible, tout en ne lâchant jamais la main de ce/celle que jadis on appelait la Muse, figure que j’aime bien, aussi démodée qu’elle paraisse. Ce n’est pas au commentateur à démolir cette fine chorégraphie langagière, ce « pur travail de fins éclairs », comme dirait Valéry, sous prétexte d’en faire l’éloge. Le mieux que je puisse faire est de tenter de communiquer ma joie d’avoir lu ce poète, dont à ma grande honte je ne connais(sais) rien, pas même la personne, et qui de surcroît, collabore aux destinées de la revue Traversées, auxquelles je m’intéresse également. Merci Paul, pour ce beau livre dont tous ceux qui prêtent d’habitude un peu l’oreille à mes avis, j’en suis certain, se délecteront !


Présentation de l’auteur




Olivier Bastide, Ponctuation forcenée de l’ordre des choses

Voilà un titre qui sous-entend une crise, un accès furieux qui dépasse la mesure, il sous-entend qu’il faille poser des jalons, des bornes, des sortes de parenthèses et de crochets, des virgules et des points au long d’un itinéraire, ou bien pour ranger à leur place les éléments d’une vie, ou bien encore ce qui encombre une vie… La quatrième de couverture ajoute une dimension : il s’agit également des « retrouvailles avec des larmes que je n’ai pas versées» confesse l’auteur.  

Dédié « À nos pères », le livre commence avec le constat de la multiplicité des langues et de la « beauté des mots métissés ». Alors comme logiquement nous voilà partis explorer Nos quatre points cardinaux, ce qui est le titre d’une première série de poèmes.

Le lecteur est embarqué sur un parcours labyrinthique entre naissance et mort, avec aux postes d’octroi, en forme d’hommage et de reconnaissance, le paiement acquitté par l’auteur aux ancêtres, à la famille. Le ton n’est pas exactement à la confidence mais se dégage un accent de vérité, sans complaisance, pour les grandeurs et misères d’une vie.

Sous le titre Esthétique du massacre se décline une série de « car il est bon de dire… » Autoréflexivité permanente, déversoir maîtrisé de pensées, de sensations et d’émotions, avec en point de mire : la lune.

Elle  est  l’œil objectif du cosmos,
son  invariant ,   l’abord  brut  de
toute infamie. L’innocent comme
le  coupable  trouvent  asile en sa
bienveillance  ;  le  juge,  étranger
au  cours  des  choses, reste dans
l’ombre.

 Olivier Bastide, Ponctuation forcenée de l’ordre des choses, éditions TARMAC 2022, 63 pages, 15 euros.

Rage, absurdité, humeur noire… le quotidien s’invite au beau milieu de considérations philosophico-biographiques. Du grand Tout aux petits riens, l’amplitude des allers-retours et des méditations est à l’échelle cosmique et tente de balayer à 360 degrés cet espace de conscience, de contrastes et de diversité. Bon sens et sagesse, sensibilité et dérision, aspirations spirituelles et considérations prosaïques se succèdent. L’humour, ou quelques sourires devinés s’invitent au détour des phrases, des propositions. Le style reste sobre, ce qui renforce l’impact des questions soulevées. Elles flirtent avec les grands thèmes de la philosophie et dans un coin de notre tête résonne le célèbre « qu’est-ce que l’homme »  suivi du non moins célèbre Ecce homo.

La série intitulée Géométriques commence par Bataille à Hastings, là où, en 1066, Guillaume le conquérant commence à prendre possession du trône d’Angleterre. Olivier Bastide lui prend sinon possession, du moins une forme de contrôle de son  tumulte intérieur parce que la bataille engagée est de ne pas mourir. Puisque géométrie, la figure de l’angle est la façon habile de rendre hommage à René Char et une manière de se placer sous sa figure tutélaire. Et qu’est-ce qu’un angle sinon une façon de ponctuer l’espace….

Sous le titre A l’éveil nu, Olivier Bastide n’a pas embrassé l’aube d’été mais a « touché la peau du matin. » On suppose aussi que l’auteur est allé à l’Isle-sur-la Sorgue au cimetière, là où se trouve la sépulture familiale des Arnaud-Char-Magne, les prénoms du frère et d’une sœur, aînés de René Char, Julia et Albert, étant cités. Propos sérieux qui évitent de se prendre au sérieux, il y a dans les poèmes de cette partie comme plus de gravité, une envie, furieuse et oui, forcenée, de comprendre ce qui pourtant tient du mystère ou de l’infini, et qui mène à des accents existentialistes tant le questionnement d’Olivier Bastide pose le problème de l’existence individuelle déterminée par une subjectivité, laquelle détermine la liberté et les choix d’un individu. Quelques anecdotes sont rapportées, comme un test de lucidité, surtout ne pas se raconter d’histoires, ne pas être dupe et faire pleinement face à notre condition humaine avec le plus noble de notre humanité qui implique de se choisir une éthique. Et en cela se donner des raisons d’agir quand la vie elle-même apparaît comme n’ayant pas de sens. D’ailleurs n’est-ce pas de cette manière que valeur est donnée à la vie ?

Plus loin dans le livre et s’approchant de la fin du parcours, sous le titre Temps et contretemps, rythmes et météorologie, internes ou du dehors, sont soit à peine ébauchés, soit décrits, sous forme aphoristique le plus souvent :

Le soleil doit embraser jusqu’à
La  plus  infime parcelle d’être,
sans  cela  reste  en  germe  le
malheur.

Quand    s’ instaure   la    saine
accalmie ,      l’immobile     non
immuable, l’expansion de soi a
pour seule limite la foi.

Au bout du parcours, on trouve la mort, (à moins que ce ne soit la mort qui vous trouve). Dans poème pour Giulio, le beau-père de l’auteur décédé, se dégage une réflexion au sujet de ce qui nous attend : Enfer, Purgatoire, Paradis ? Car n’est-ce pas la question ultime ? Celle vers laquelle chacun s’achemine, et le poème en tant que témoin de la marche ne saurait éluder la question. Olivier Bastide s’empare du thème, joue à les imaginer à partir des représentations qu’on en a faites au cours des siècles, (Dante en particulier à qui l’auteur ne peut pas ne pas avoir pensé et qui de fait le convoque en filigrane), il joue à les  placer tous les trois sur notre terre, car qui dit qu’Enfer, Purgatoire ou Paradis sont obligatoirement du côté des morts ? Olivier Bastide dit ce qu’il en connaît, du côté des vivants, puisqu’être humain ayant traversé des expériences, et puis il doute :

Car dieu n’existe peut-être pas.
Car ce sacré Bien, ce sacré Mal
non plus peut-être…

Peut-être en effet ne sont-ils pas séparés, peut-être simplement sont-ils les deux extrémités d’une même qualité dont font preuve, dont sont capables les humains… Aucune réponse ne sera donnée. Mais une conclusion en forme d’au-revoir, sinon d’adieu, qu’on entend avec les roulements du tambour et la voix d’un monsieur loyal sorti un instant de la piste du cirque :

Mesdames et  Messieurs, le sujet
n’est-il plutôt   bien trop profane
pour  l’expurger   post-mortem …
Ces   derniers   mots  ne  sont  en
rien  une  interrogation,  plus un
constat  de  fin  de  poème,  une
lecture  quelque  peu  distanciée
de notre humaine comédie.

Si le but de la vie, ainsi que certains philosophes le pensent, c’est apprendre à mourir, on peut dire, après lecture de ce livre, qu’Olivier Bastide s’y prépare avec application, parfois sereine, parfois détachée, parfois amusée, parfois rageuse. Sans tricher. Et c’est là tout le charme de ce livre qui nous provoque gentiment, du moins qui nous interpelle.

Présentation de l’auteur




Marc-Henri Arfeux, Verger du cercle dévoré

Verger du cercle dévoré est un recueil sur la perte d’une mère, de la mère. Elle s’en est allée, brisant le cercle maternel, laissant l’enfant dévoré par le vide.  

Le poète Marc-Henri Arfeux suit les pas d’une présence qui s’estompe jusqu’à disparaître, puis s’éclaire de l’absence, « à la chaleur de l’invisible ». 




En une longue et sublime promenade poétique, il revisite chacun des endroits du « jamais plus ».  L’être aimée est en toute chose, pourtant nulle part accessible : « tes pas ne rencontrant que cendre/Au lieu qui fut baiser sous les talons/De la douceur » (p.7). Les poèmes du verger disent la cruauté des lieux lorsqu’ils sont désertés par celle qui seule « détenait la clé de l’amandier (p.8). 

Tout, désormais, dira ce vide. « Celle qui portait colombes/Et beau lilas d’enfance/Est maintenant la transparente/ Au grand azur cerné. » (p.7)

C’est l’hiver en ce verger. Il fait si noir au centre du jour et autour de la disparue, un noir qui œuvre à la disparition lente de l’enfance dans le passage des ombres, la lumière ne s’offrant qu’avec pudeur. Lumière inerte, spectrale qui, dans la pâleur obligée « referme le jardin sur la brûlure de l’amandier » (p. 27). 

La nuit est un cyprès
Qui tremble de silence,
Veillant poussière et nuit.

Seule une poupée lunaire
S‘adosse à son attente,
Les yeux tournés vers les étoiles. (p 8)


Marc-Henri Arfeux,Verger du cercle dévoré, éditions Alcyone, 2021, 40 pages, 14,00 €.




Il faut alors endurer le retour douloureux des matins coupants. Et le froid, plus vif que de coutume. Mais encore traverser l’écho de plus en plus fragile des rires, croiser les regards dérobés par le vent glacial, défigurés par une trop grande douleur qui consume le cœur, dévore l’esprit entre amour et colère, le livrant, sans retenue, à l'étreinte du silence. 

Où chercher, où se tourner pour conserver le visage de la mère, le dessiner dans les formes végétales, à la hauteur du chèvrefeuille et du rosier, l’entendre au vol des oiseaux.  « Sans fin tu cherches autour de l’arbre/Dont l’écorce est un seuil. » (p.8).

Marc Henri Arfeux nous conduit dans ce labyrinthe de l’absence, où s’éloignent lentement les traits du vivant, les champs de couleur et l’innocence de l’éternité : « Le vide est ce visage/Par acte de lointain,/Chemin de seuil se souvenant/Que la question se nomme absence » (p. 18)

Son écriture, fluide, presque évanescente dans la première partie du recueil, laisse s’écouler l’impalpable. Une écriture de givre, de neige qui pose un masque de brume sur la terre du verger et recouvre les cieux à la manière d’un linceul. Un inéluctable aveuglement « Au blanc naissant de l’ébloui » (p.17) brouille et déréalise le regard : « Blancheur des nuits/Infiniment sableuses/A dénombrer les nombres,/Tandis que sur la chaise,/La robe évanouie. » (p.5). 

Mais au cœur même de ce profond silence le temps poursuit son œuvre secrète. La nuit noire qui ouvre « les puits à la folie » (p.6) lève progressivement ses ombres, dévoile ses espaces infinies, ses présences irréelles. Et voici que l’âme de la défunte vient en visite dans le verger. De l’absence intolérable, « aveugle vide ouvert » naît la vision d’une mère magnifiée qui « manie les étoiles »  et fait chanter l’énigme du temps

Elle a les yeux d’abîme
Où naissent de grand oiseaux,
Les rougeoyants de l’ombre,
Avec leuts becs tenant l’épine ;

Et de sa bouche abonde incessamment
Le lait de cendre prophétique
Tandis que de ses doigts bagués d’oubli, 
Elle manie les étoiles. (p. 21)

A son flanc, « le long poignard d’étoile/Continue de chanter pour l’arbre mince,/L’enfance/Et les chemins d’attente,/ (p.32), de proférer quelques paroles comme des murmures lointains enfouis dans la sève des végétations. De cette magnificence, elle absorbe le trop grand désespoir, libère les éléments de tant de perceptions sèches et dénoue les tissages serrés du chagrin pour mieux le dépasser, peut-être même le consoler. A la source même de la perte, la vie revient en toute douceur tandis que la nuit dévoile ses espaces : « La nuit t’a dit : / Regarde ce noyau/Dans le désert d’un fruit. » (p.11)

Dans cette lente déambulation au cœur d’un réel abrupt, « Le jardin rouvre les seuils » (p. 35). Les lourds rideaux de pourpre se lèvent très lentement, donnant à la lumière du verger une tout autre tonalité, de nouvelles perspectives d’intimité. La matière poétique incarne avec profondeur ces mouvements de déplacements et de transfiguration entre l’insoutenable écrasement de l’impalpable et le rapprochement des objets, entre le dehors nu des matins d’hiver, brutaux, et la maison du soir dont la chaleur sensible recompose, entre les pierres du cercle maternel dévoré, un chemin de clarté. Jusqu’à définir les contours fragiles d’un espace qu’il devient possible d’habiter : « La nuit, tendue de cloisons fines,/Se fait maison de la clarté/Tremblante et nue/Dans la maison. » (p.36)

Nous le suivons ce long chemin frayé par les mots du poète, à la fois mouvement grandiose de ce qui revient et peuple la mémoire « de vastes chambres », et conscience d’une insurmontable perte : « Tu restes avec la pierre, /Buvant le vin funèbre/que tu partages/ Avec l’absinthe et le serpent. » (p. 27). 

De cette dernière demeure dont la profondeur est saisissante remontent encore quelques échos de voix, « un sourire d’indéfini » et des éclats de corps. L’aimée fait retour au cœur même de son absence, puis s’éloigne toujours plus apaisée, plus lumineuse, et, « dans sa robe ombrée de jeune hiver », elle « fait naître un pur avril » (p.33)

Marc-Henri Arfeux déplie en une lenteur poétique lumineuse autant qu’initiatique ce cheminement du deuil, dans la complicité du « très haut silence » et des recoins muets de la maison. Il en médite l’irréversible blessure, le met en musique et en espace, et ainsi le revêt d’images sensibles, intenses qui scandent la traversée de l’épreuve et lui donnent substance : Le deuil est ce chant de l’oiseau « Vibrant vivant d’un arc/Où le jardin du cœur./ (p.37), l’éclosion de l’amandier qui « refleurit dans le lointain/ Du presque adieu,/ (p.38). Et plus encore, il est l’ouverture de l’amande, « Et le verger devient/Ce double fruit d’espace » (p.39) dont l’absence est le noyau. 

Dehors n’est pas, 
Dehors n’est plus,
La seule a retrouvé présence
A la chaleur de l’invisible
Offert aux yeux par une absence. (p.36)




Présentation de l’auteur




Haïkus : Du bleu en tête

Trois femmes pour parler de la mer, des plages et des rivages. Régine Bobée, Chantal Couliou et Choupie Moysan, trois Bretonnes bon teint (elles vivent à Brest ou dans le Morbihan) unissent leurs talent dans un livre de haïkus placé sous le signe du bleu. Celui de la mer déclinée, ici, sous forme de haïkus.




Me voici/la où le bleu de la mer/est sans limite », écrivait le haijin japonais Santoka (1882-1940). Nos trois autrices bretonnes – l’une née à Rennes, l’autre à Vannes, la troisième à Nantes - sont, elles aussi, face à la grande bleue. Elles ne nomment pas les lieux qu’elles épinglent en trois vers. A quelques exceptions près puisque l’on découvre, au détour de certaines haîkus, l’Ile Longue, Houat ou encore la Baie des Trépassés. L’ambiance est, de bout en bout, bretonne mis à part quelques échappées du côté d’Etretat, de Biarritz ou de la mer Egée, ou encore sur le ferry qui mène vers l’Angleterre et ses falaises de craie.

                                   

Sur le ferry fou
pris dans la tempête
tituber en crabe

           ∗∗∗

Vent force neuf
rien vu de la traversée
nez dans le sac papier

Régine Bobée, Chantal Couliou, Choupie Moysan, Du bleu en tête, éditions Unicité, 83 pages, 13 euros.




Par touches successives, impressionnistes, nous voici conduits en pays de connaissance vers les plages et les grèves.

                                        

                                          Sur le sable mouillé               Après la marée
                                          une suite codée                      coincé entre deux rochers
                                          pattes de mouettes                 un seau d’enfants

 

  Petite escale, bien entendu,  dans les ports de pêche.

                                           

                                     Sur le quai désert                                  Sans horizon
                                    dans les casiers à homards                    le marin échoué au bar
                                      la pleine lune                                        touche le fond

 

Il peut aussi arriver que la mer envoie ses messagers au creux même  de la ville

 

                                                   Sur les trottoirs
                                                   querelles de goélands
                                                   les éboueurs en grève

 

Et poursuivons notre chemin avec nos trois Haijins vers les cimetières de bateaux, les sentiers douaniers, les aquariums, les îles et les presqu’îles… Trois vers, l’instant saisi au vol. C’est le haiku, le poème court,  la poésie des cinq sens.







Dominique Sampiero reconvertit l’espace intime de la dissidence !

« CE QUI EST TROP CLAIR en poésie relève d’un défaut technique. »  D’emblée que faut-il entendre ou comprendre par cette apostrophe singulière presque vindicative, lancée volontairement sur la page par l’éminent critique Alain Borer dans sa préface vertigineuse du dernier recueil de Dominique Sampiero intitulé superbement, INVENTAIRE DU VIDE COMME NEIGE ET FLEURS NON REPERTORIEES dont le titre circulaire autant que dynamique laisse entrevoir une nouvelle tonalité dans l’œuvre déjà considérable de l’écrivain-poète.

« CE QUI EST TROP CLAIR » en effet n’exerce pas la fascination, sauf d’une luminosité transcendante mais de toute évidence hypothétique  – et qui laisse entrevoir parfois une véritable fragilité verbale dont l’inspiration est souvent fautive et grandement  fugitive, qui vient corroborer l’idée, (dans un autre sens cette fois-ci) qu’il existe en amont une « poésie au ras des pâquerettes », une fleur pourtant fort jolie et avenante, ce que je confirme d’ailleurs par l’expérience critique, qui est la mienne depuis de nombreuses années. Mais Alain Borer dont on connaît les subtilités linguistiques autant que les tours de passe passe, et qui ne s’attache guère aux présupposés rétablit aussi –là – une part de vérité ! « Dominique Sampiero écrit en état d’ivresse ». Là encore la formule pourrait se révéler accablante si elle n’était pas sous-tendue ou superposée à un imaginaire fécond et fécondé par quelques astres cachés ; magiques ? Pour celles et ceux qui connaissent un tant soit peu l’œuvre de Dominique Sampiero, de nombreux écueils devront être évités. On pourra toujours affirmer que l’œuvre de Sampiero, mais de manière tout de même un peu facile, puise aux confins d’un certain lyrisme tardif tant la valeur ajoutée de la syntaxe poétique, partiellement vécue comme une incursion/conversion, délimite l’idée d’une poésie réfractaire à toute sortes « d’endormissement » et qui n’est nullement « le jeu rédhibitoire », d’une humanité « souillée » par le destin, dont le poète se fait fort depuis des lustres de recouvrir les traces. 

Dominique Sampiero, Inventaire du vide comme neige et fleurs non répertoriées, Editions Corlevour144pages, 18 euros.

Nul travestissement en vérité, Dominique Sampiero est un poète « cash ». « Il transgresse savamment mais innocemment. Le langage est un vaisseau et le poète son pirate, son pire acte. » (P.8) De quoi en effet tomber à la renverse ! Tant l’intrusion du critique engage à la plus grande prudence de lecture. « Que je sois vivant ou mort, je suis en face d’un réel qui organise mes absences passées et à venir ». (P.9) Je reprendrais cette formule plus tard tant elle me parait essentielle dans la compréhension du présent ouvrage.

Chez Sampiero, vouloir vivre est une contradiction différée !

Ainsi le ton est-il donné, d’un « Homme Habité », qui se fiche pas mal « du vouloir vivre », à l’inverse de courir après une mort qu’il connaît trop bien. Car le poète semble éprouver la vie comme une mort presque certaine ou bien alors d’écrire fortuitement et discrètement que la mort elle-même est plus réelle que la vie. Non qu’il faille croire que toute mort, détruit toutes formes d’illusions secondaires et passagères, mais plutôt qu’elle trouve la vie ridicule parfois et soudainement obsolète, dès lors que l’on côtoie allègrement ses « propres cadavres ambulants ». « Le Réel est une croyance – jusqu’au jour où il cogne ». (P.9) Et lorsqu’il se met à cogner (dur), c’est tout un monde, le monde, qui s’étiole et se fracture... Aussi envers et contre tout, le poète n’est jamais dupe, « son Réel », ne ressemble à aucun autre, il est LUI – et même « si le vaste reste simple » ; pourquoi en serait-il être autrement d’ailleurs ? Nul besoin de clôture factice et inutile afin de trouver le bon refuge à la survie. « L’inachevé respire entre les cailloux d’un repos imaginaire ». (P.13) Belle contradiction une fois de plus, qui se veut à la fois remède et poison, re-commencement et pourrissement. Or Dominique Sampiero a appris a dompter les éléments, au « cœur » d’une sagesse impénétrable, celle qui ne trompe pas sur le sens du monde, probable et improbable, ouvert et fermé, mais jamais vraiment tout-à-fait-amical. Ici on ne se souvient que des cailloux, érigés maladroitement en « pierre tombale », mais méfions-nous là encore de ce qui ressemble à une sombre invitation ! « Ici on se souvient des voyages sous le ciel et du corps archaïque du désir ». (P.15) Car chez LUI, le corps reste un absolu à conquérir ; par le désir alors ? Fut-il volontairement archaïque. Eh bien pas sûr justement ! Pour Sampiero, le désir n’est pas nécessairement une juste révélation de l’entendement Hégélien, oserais-je dire, mais plutôt le contraire admissible d’un faux consentement « qui se pose sur les mains ». A ce stade on pourra toujours penser que « Par ce ralenti de l’invisible et du cri, le ciel et la boue se marouflent l’un contre l’autre puis, médités à l’envers, se souvient de quelque chose sans arriver à le nommer ». (‘P19), car si l’approche encombrée de l’Autre ne semble pas très loin, les références sont nombreuses dans ce recueil de la présence humaine même intelligemment camouflée, le dehors dans le dedans semble vouloir faire exception. « Le chant est resté figé sur place, ahuri de lucidité.» (P.20) et plus loin encore, « J’ai vécu un mot qui a crevé mon espace d’un trou noir. Que je sois vivant ou mort, je suis en face d’un réel qui organise mes absences passées et à venir ». (P.21) On peut alors considérer sans guère de contre-sens que le fameux trou noir considère le Réel comme une accidentation intentionnelle de la pensée toujours solitaire et sans pour autant prétendre à une vacuité magistrale, Ainsi il semble presque évident, « qu’une brèche dans l’écart se fissure pour apparaître ».  Nous y sommes arrivés finalement ! « La fissure », est bien le « lieu de la mémoire » du poète – mais un tiers lieu.  Une friche qui ne demande qu’à être habitée, réhabilitée sans contrainte. Les espaces naturels ont besoin d’une grande liberté pour exprimer leurs désaccords.  « Figure insoupçonnée, invérifiable, dont nous sommes harcelés par l’intuition ». (P.25) Et cette intuition là n’a rien de vraiment solvable, car elle agit en surimpression. Elle, ne fait que glisser lentement, afin de donner naissance au risque. Et la réponse est donnée de manière presque brutale, « Quel démon mal foutu nous fait croire que les cailloux de l’invisible nous lapident à chaque fois que nous doutons ? » (P.26) 

Toute grâce même révélée demeure abstraite et insondable !

Et Sampiero, connaît bien tous ces démons, il en a fait l’inventaire laborieux tout au long de son œuvre, à tel point que l’on peut croire naïvement que le poète ne doute de plus rien comme « une grâce du psaume blanc » (P.27)  écrit-il comme une sorte d’avertissement et de pleine certitude. Qu’est-ce donc que cette grâce là, dont le sens originel n’est pas complètement révélé et encore moins en adéquation avec le ciel ? La grâce pour Sampiero est un artéfact ou tout bonnement une vitre sans tain, « sans rédemption ». « Mettre debout un champ ne prouve rien d’autre que le passage qu’il ouvre dans son format », (P.28) « On l’éventre jusqu’au suintement, on attend de voir perler le goutte à goutte de l’instant » (P.29). Ou bien encore, « En lacérant le papier, on se libère de tous les livres écrits en trop »  (P.29) - un sacrifice en quelque sorte « sans le regard de Dieu ». Ici la conscience s’avère fulgurante, car elle finit par cogner dur dans l’imaginaire du poète. Elle ne le lâche pas ! Le poète devient la proie de sa propre hantise compulsive et rongeuse de l’intérieur comme de l’extérieur, il peut à peine la nommer, encore moins la dissoudre dans l’oubli. « Comme d’une phrase capable de nous guérir de la carnation » (P.30), « ce tutoiement en forme de miroir, vers l’inconnu, cette deuxième peau que l’infini a déposée ici pour nous, en attendant d’en savoir plus définitivement » (P.34). Comme « une grâce réfractaire aux évangiles » (P.34). Sampiero lui n’a jamais connu la grâce, elle ne lui a jamais été promise ou accordée, au même titre que ce tutoiement presque indicible, dans lequel le poète aimerait se réconforter, ou du-moins se conforter un peu face au monde qui lui échappe encore et encore ! Un monde qui parfois prend l’apparence de la traitrise, car il n’a rien à offrir de clairement apparent, « Ni ange, ni dieu, juste une couleur cherchant un centre, le révélant à l’intérieur de celui qui la scrute. » (P.35). Or cette couleur, n’est pas clairement donnée, elle fait défaut à l’adhérence du poète à son monde, une couleur finalement qui se cherche dans un trou noir, sans être capable à un moment donné de la quête d’exprimer « sa pleine puissance », car de l’existant, elle ne sait rien d’autre que « la sortie du corps avant le corps » (P.37), le  corps impossible à expulser, qui va du dehors au-dedans et du dedans au dehors, presque inconsciemment ; rivé à toute forme d’enfermement.

Cette fois-ci le tour est joué presque malencontreusement !

Aussi toute la complexité du présent recueil vient du fait qu’il ne révèle rien d’autre qu’un existant inachevé, que le poète a lui-même souhaité pour se dédouaner de son ivresse perpétuelle et inassouvie. Une drôle  de mise en scène de l’inconscient poétique, où la métaphore joue inévitablement un double jeu. Une métaphore presque sournoise, qui a elle-même choisi son format, sans se soucier du réceptacle. « Si nous. Si seuls » (P.40) affirme encore le poète qui a fini par renoncer. « Nous sommes infirmes, et infinis. Nous boitons entre le néant et le ciel, le monstre et le saint, la flaque et l’étoile » (P.41). Or le boiteux, n’est-il celui pas cet être maudit dans le monde d’avant et dans celui  d ‘après, et qui porte en lui le revers de l’existence malchanceuse, comme un sombre artifice, auquel le poète ne peut pas donner de nom. Et même si l’œuvre nous épuise et nous façonne » (P.42) nous permet –elle finalement de rester debout, dans la plus « élégante  dignité » ? On peut en effet en douter….

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