Marilyne Bertoncini et Florence Daudé, Aub’ombre, Alb’ombra

Quelle belle idée que cette rencontre, dans la pénombre, des vers de Marilyne Bertoncini avec les photographies de Florence Daudé, pour une réconciliation de l'ombre et de la lumière, leurs épousailles engendrant une lueur tout en nuances et en force dans le même temps.

Dans sa préface, Giancarlo Baroni souligne combien « Il est difficile d'associer images et mots, de les faire dialoguer », que les uns ne l'emportent pas sur les autres et réciproquement. Pari réussi pour ce livre. C'est l'intérieur empreint de mystère de l'église St Michel de Nantua que Florence Daudé a photographié. Plus que les éléments constitutifs de cette abbatiale d'influence clunisienne, c'est bien, selon ses propres mots « la promesse d'une lumière au fond des gouffres les plus noirs, la certitude que sur la nuit s'ourle toujours le début d'un nouveau jour. », ce qu'énonce Marilyne Bertoncini dès les vers initiaux :

Au début l'ombre
avant le premier balbutiement de l'aube

All'inizio, l'ombra
prima del primo balbettio dell alba

 

Marilyne Bertoncini et Florence Daudé, Aub'ombre / Alb'ombra, éditions pourquoi viens-tu si tard ?, Nice, 2022, 100 pages, 15 €.

Car il s'agit d'un livre bilingue français-italien, cette dernière langue, ajoutant par sa musicalité intrinsèque, un supplément de chant.

Les poèmes sont brefs (de deux à huit vers), concentrant l'essence des sensations.

Au début, l'ombre
et la main qui tâtonne où la pensée trébuche

Le livre est construit en trois parties : Première, deuxième et troisième leçon des ténèbres, référence aux Leçons de ténèbres pour le Mercredi saint écrites par le musicien François Couperin pour les liturgies de la semaine sainte de 1714. Marilyne Bertoncini explique à propos de son travail : « la musique de François Couperin s'est immédiatement greffée sur mon imaginaire – sans doute parce qu'entre-temps, j'avais moi aussi éprouvé le mystère de cette église, dépouillée et sonore, dans laquelle j'avais ressenti ce que l'orgue ou le chant pouvaient y produire. »

Une musique propre à l'église, en correspondance avec les teintes de la pierre, la lumière filtrée par les vitraux, dans les grands pans d'ombre, une musique intérieure aussi sans doute, est exprimée dans les vers de Marilyne Bertoncini :

Du bleu obscur émerge puis s'éteint
poignante une lueur
qui sourd à peine dans le silence

Puis :

non, sourd ne convient pas -
l'abbatiale est sonore
et toutes les formes bruissent dans l'absence de voix

Comme la lumière et l'ombre indissociables – d'où le néologisme AUB'OMBRE créé par l'auteure et qui sert de titre à l'ouvrage – le silence propre aux églises, ce silence habité pour qui se laisse pénétrer  par le mystère trouve son écho dans un chant, un murmure assourdi que l'on ressent au dedans de soi.

Si les photographies de Florence Daudé montrent les colonnes, les vitraux, les voûtes, la statue d'un ange, ainsi que peuvent le faire les mots de Marilyne Bertoncini, les images comme les vers transcendent la simple réalité objective :

Et les fûts fantômes de forêts debout
obscurs simulacres de formes

Ou encore :

Immatérielle la lumière flotte derrière les vitraux
le verre la porte et la transmue

C'est bien cette alchimie de l'art poétique ou photographique qui transforme l'objet simple et vulgaire en quelque chose de hautement noble.

la couleur lève comme une pâte
et la lumière est son levain

Toutes ces promesses de beauté des éléments architecturaux, de leurs symboles, des jeux subtils de la lumière sont ici tenues, dans ce livre de grande élégance.

Présentation de l’auteur




Denis Emorine, Foudroyer le soleil

Le recueil bilingue de Denis Emorine, poète français né en 1956, s’insinue dans des thèmes dramatiques : l’exil, la séparation d’avec les êtres chers, les amours perdus, l’Est qui a connu tant de bouleversements.

La douleur est au cœur de ce récit en poèmes, où les femmes ont une place de choix. Le poète n’a pas pu les oublier et il verse des larmes sur ce passé enfui.

Dans de brefs poèmes qui cisèlent les blessures de ces exils, le poète traverse le temps, énumère les prénoms aimés, mais la mort s’impose, le chagrin aussi, la déperdition si brutale.

L’auteur a la sensation vive de se « débattre » dans un monde où tout lui échappe. Et que reste-t-il ? « Quelques poèmes » qui évoquent les beaux jours.

Le souvenir des moments partagés, les forêts de l’Est, « les mots abandonnés », les « assassinats », tout ôte « la lumière de la page », comme un exil aigu.

A force de me tourner vers l’Est
j’ai perdu le sommeil
Les voix de l’exil m’ont rejoint
je les sens tout contre moi
leur souffle chaud

(p.56)

Denis EMORINE, Foudroyer le soleil – Fulminare il sole, Ladolfi editore, 2022, 120p, 12 euros. Traduit de l’italien et préfacé par l’éditeur Giuliano LADOLFI.

Ecrire
a le goût de l’exil
depuis si longtemps

(p.106)

 

Le titre symbolise bien cette lutte intime avec la lumière fulgurante, à la fois déchirure et élan.

Présentation de l’auteur




Martine-Gabrielle Konorski, Adesso

Ce dernier livre se présente comme une suite de proses poétiques ayant chacune un titre en italien. Le titre général « ADESSO » (« présentement », « à présent »), nous entraîne à vivre divers moments d’un vagabondage, d’une pérégrination, une ballade au sens musical du terme, comme il est précisé dans le sous-titre.

Martine Konorski nous indique que ce texte est né lors de mes voyages en Italie, particulièrement dans les Pouilles, lorsque je me suis retrouvée sur les traces de Pier Paolo Pasolini écrivain, poète mais aussi cinéaste. Le livre lui est ainsi dédié, ce dont témoignent les deux exergues empruntées à deux de ses livres (dont l’un au titre évocateur de « La longue route de sable », dont on trouvera maints échos dans ADESSO), ouvrant et clôturant cette balade littéraire, faisant référence à des périodes de paix, de calme, de bonheur du poète italien.

Ainsi, au cours de ces vingt et un petits tableaux, le narrateur, personnage masculin dont on ne connaît ni le nom ni l’origine, nous convie à partager les témoignages de rencontres de femmes, d’hommes, de villageois anonymes. Ils constituent autant d’instantanés de différents vécus qui se croisent et qui s’enchaînent dans un même mouvement d’ensemble, une même atmosphère à la fois dense et légère. Ils nous sont offerts comme les états d’une rêverie propre à une communauté de vie qui ne sont pas sans solliciter en nous d’autres souvenirs de pérégrinations antérieures...

Martine-Gabrielle Konorski, Adesso, Black Herald Presse 2021, 47 p.

C’est dans dans une belle disposition d’écoute, d’attention, de sollicitude, de curiosité, que le narrateur découvre un monde aimé, en cette Italie du sud, dans la chaleur et la lumière d’une saison à la fois estivale qui pourrait être étrangement tout aussi bien hivernale (puisque dans le texte 18 « Incontro sotto l’ulivo », un personnage féminin cueille les olives).

Il y a donc là un ensemble d’ingrédients regroupant les éléments thématiques d’un tropisme déroulant, en des paysages  de mer, de montagnes, de villages accrochés aux rochers, de terrasses et de champs d’oliviers, les moments privilégiés de vies paisibles dans une quotidienneté insouciante, joyeuse, incluant des notations d’ordre culinaire, la description des commerces, du marché, des fêtes, au coeur d’une communauté villageoise avenante, hospitalière.

Dans ces tableaux, plans de cinéma de cette « Italia Magica », certains thèmes tiennent une place prépondérante comme l’évocation des couples d’amoureux (huit fois, au total) en de touchantes scènes au bord de la mer, sur la plage, aussi légères que baignées de douceur dans la lumière aveuglante, ou de l’intensité tendue par le drame ; il y a ainsi une marche pensive des protagonistes, des signaux vibrants d’intimité, tandis que les regards se croisent. Le narrateur, s’en émerveille et laisse parfois transparaître un sentiment de nostalgie et même de regret : Personne ne m’attend, exprime-t-il. Il évoque également un amour de jeunesse, Federica, dont le regard vert me transperce.  Là encore, s’exprime le poids de la mémoire heureuse, de la rencontre désirante.

Ailleurs, il y a la visite à une vieille tante la retrouvaille d’une parente. Et puis encore, cette Anna offrant le gîte au narrateur, qui est une autre occasion d’une retrouvaille toute de douceur et de tendresse. Mais : je suis seul. Anna a disparu, se dit-il : ainsi s’etompe tout souvenir qui avive en même temps la sensation du bonheur évanoui.

Dans le texte Nulla si muove le silence et l’immobilité, prévalent en un pays qui est une langue de terre rouge dans les figuiers de barbarie. Il y a aussi ces visites à des lieux emblématiques, tels que la visite à la maison de Modigliani, ou bien à Matera Bella, village troglodyte qui incarnait l’enfer sur terre, où fut tourné le film L’évangile selon Saint Mathieu par le poète cinéaste.

Tels que de légers tableaux impressionnistes, ces récits poétiques, placés sous le signe d’une même unité de temps, d’espace et de lieu, demeurent comme autant d’instants éternisés qui viennent s’imprimer en nous, vifs éclats de lumière dans la nuit de nos souvenirs. Fictions en réminiscence, étayés sur la force de l’imagination créatrice, qui ancrent tout uniment le mouvement d’une palette d’émotions réitérant un « maintenant »  (ADESSO), inaltérable : celui de l’exaltation colorée de la sensibilité.

      




Philippe Lekeuche, L’épreuve

J'ai une sympathie pour les poètes belges : Roger Bodart, Jean-Claude Pirotte, William Cliff, Philippe Leuckx, Guy Goffette... J'y ajouterai désormais Philippe Lekeuche.

Dans le Préambule à son livre, l'auteur écrit : « Depuis 1966, je suis dans cette pratique étrange : faire de la poésie. Je n'écris jamais « écrire » mais « faire », comme on ferait corps ou comme un berger ferait paître son troupeau. » On aura compris l'exigence. Et plus loin : « cette pratique de la poésie exige des renoncements, et même le sacrifice – je le souligne -, la question restant ouverte : le sacrifice de quoi ? On ne le sait pas, on l'apprend avec les années, dans l'endurance. Je veux dire qu'on le vit, c'est une épreuve. » D'où le titre du livre : L'épreuve.

Poésie élégiaque et transcendantale. Élégiaque, elle l'est dans ses évocations de l'amour, de la mort, de la perte...

Sans remède est notre vie
Et si le ciel se terre en nous
Nous attend la tombe

 Ni la Poésie, ni l'autre
              ne guérissent de soi
Même l'errance est impossible

Philippe Lekeuche, L'épreuve, éditions L'herbe qui tremble, 2022, 85 pages, 14 €.

 

On songe à Rilke : Mais les Errants, dis-moi, qui sont-ils, ces voyageurs / fugaces un peu plus que nous-mêmes encore, hâtés, pressés, / précipités très tôt - pour qui, mais par amour pour qui / -  poignés / par une volonté satisfaite jamais ? (in La cinquième élégie de Duino)

On notera, chez Lekeuche, la majuscule systématique à Poésie, ainsi qu'à Beauté, etc. comme autant d'Idées, au sens platonicien, c'est à dire réalités supérieures au monde sensible, C'est là ce qui nous amène à la dimension transcendantale : Ich rufe zu dir, tu n'entends pas (on verra bien sûr la référence au choral Ich rufe zu dir, Herr Jesu Christ que l'on retrouve dans une cantate de Bach), Ich rufe zu dir (je t'appelle, tu n'entends pas), page 58. Et encore, page 36 : O crux salve, spes unica (Salut ô Croix, unique espérance). Mais ce n'est pas que seul rapport à une foi chrétienne, plus largement à un indicible :

Hélas, les poèmes venaient toujours
Je ne les voulais pas, les repoussais

Était-ce que la Grâce
Fût plus douloureuse ?

Car l'homme orgueilleux
Croit parler

Quand le petit chien
Privé de langage

En dit plus

Ou encore :

Oh, la luciole maintenant au Ciel
Presque près de moi !

Oh, tu es ma vie, Poème, sois
L'enfant des ténèbres !

Oh, quelle douleur si belle
Enfante la joie !

Oh, quel salut, survivre en toi
Poésie, pas faite de mots !

Car, pour Lekeuche, la Poésie, celle-là qui mérite majuscule, n'est pas faite de mots, produite par des mots, plutôt une entité absolue que révéleront (et trahiront) les mots qu'elle (je suis tenté d'écrire Elle) a suscités. Quant à celui qui tente au plus haut point d'en approcher le mystère, il ne peut que dire son impuissance et son ignorance :

Je
Ne me prends pas pour
Moi-même
Ni pour toi
Ou pour l'Autre
Ni pour Je
Si
Étranger

Clin d’œil à Rimbaud, sans doute, Poésie du funeste, certes : Ce gouffre avale tout, adieu lyrisme ! / Me voilà éparpillé parmi les tessons / Vase irréparable de ma vie mais avec cette lueur dans le dernier poème du livre :

Je vivais dans la catastrophe, assis
                       sur le séjour des choses mortes
Et dans la brume, amour, toi seul
                       semais des étoiles

Je les ramasse parmi mes décombres
Alors refleurissent mes ruines
Ceux qui s'aiment sauvent
                       leur propre désastre

Présentation de l’auteur




Chantal Dupuy-Dunier, Cronce en corps

Chantal Dupuy-Dunier reprend autrement son histoire avec Cronce, petit village que son art a rendu mythique. Dans Creusement de Cronce1, déjà elle recueillait la parole vivante des pierres avec lesquelles elle entretient toujours un rapport intime d’autant plus que le prénom Chantal signifie caillou, pierre. Avec Pluie et neige sur Cronce Miracle2, s’est poursuivie la sculpture du lieu, enrobant passé et présent. Il semble qu’elle aille plus loin ici dans l’appropriation du village qu’elle identifie à son corps. 

Dans la première et la dernière page, se trouve une allusion à Orphée : « un dernier regard et tu aurais disparu. » Cependant, c’est avec sa chair, avec son sang que l’auteur fait exister encore ce lieu où s’ancrent ses racines. « Ton souvenir est-il un présent / ou un maléfice ? » Pour marcher encore, elle a besoin d’y revenir et même de s’incarner en lui. « La rivière continue à creuser son lit dans ma peau » ... « je respire par tes mains » ... « tu parles par mon ventre, mes poumons, ma gorge. » De manière pudique, elle évoque la violence de la maladie qu’elle a subie : « Sang de ma chair où le scalpel a tranché. » Mais elle puise dans la verticalité des arbres celle de ses jambes et aussi une grande force dans la sensualité du corps et des mots toujours présente dans ses recueils : : « entre mes cuisses, / la mousse de ton sous-bois » ... « mon sexe est ta vallée. » Le berceau qui l’a accueillie deviendra tombeau, elle le sait et l’imagine : « lorsque ma gorge demeurera béante sur un dernier mot, / peut-être ton nom, /tu te tairas avec moi ».

Ainsi l’écriture tente de s’opposer à l’effacement, à la mort, comme les monotypes de Michèle Dadolle, qui depuis 20 ans, accompagnent superbement la poétesse dans ses chemins d’ombre et de lumière. 

Chantal Dupuy-Dunier, Cronce en corps, Monotypes de Michèle Dadolle, Les Lieux-Dits, Les parallèles croisées, 2022, 87 pages, 18€.

Présentation de l’auteur




Forêt(s) : Anthologie

Honnêtement, à la réception du livre que j’avais souhaité chroniquer, ma première réaction fut  « Dans quelle galère me suis-je embarqué ? » ; je n’avais fait mon choix qu’en fonction du titre et de la photo de couverture. Comment rendre compte en effet d’une anthologie ? Qui plus est, une anthologie thématique : Forêt(s).

Puis, j’ai passé la lisière, je me suis engagé, décidé : prenons les choses autrement, commençons par l’intention du recueil : un hommage rendu à Alain Boudet, poète et fondateur de l’association devenu maison d’édition « Donner à voir » ; je ne connaissais pas Alain Boudet, ni personnellement ni même comme poète et, après une première lecture du recueil, je me suis dit c’est bien dommage… un homme qui a laissé derrière lui une maison d’édition, suscité tant d’amités, j’aurais bien aimé… il reste toujours ses poèmes…

Reprenons : Alain Bourdet fut donc le fondateur, ou l’un des fondateurs, disons la cheville ouvrière, d’une petite (mais nous y reviendrons) maison d’édition qu’il avait appelée « Donner à Voir » en hommage à Paul Eluard ; effectivement DAV ne donne pas seulement à lire ou a entendre (la poésie, même lue en voix intérieure, est toujours orale n’est-ce pas), mais aussi à voir ; en effet, sous ce titre, depuis 1984 un groupe de poètes, de graphistes mais aussi de peintres, de sculpteurs ou d'amis de la poésie se sont regroupés en association pour promouvoir la poésie sous toutes ses formes, en l'associant au besoin à d'autres langages artistiques. Les curieux iront avec profit consulter le site http://www.donner-a-voir.net/qui.html

Forêt(s) : Anthologie, juillet 2022, 56 pages – 978-2-9000-12-161. Prix : 9,00 €

Le recueil « Forêt(s) » est donc l’un de ces livres, publié dans l’une des quatre collections de la petite maison d’édition :  « les petits carrés » qui propose, pour un prix modique, des petits livres imprimés sur des papiers rustiques recyclés de 16 à 48 pages. Chaque livre au format 14 x 14, fruit d'une collaboration entre un poète et un plasticien, se trouve être imprimé en autant d'exemplaires que l'année compte de jours: 365 ou 366 – symbolique humoristique - et est accompagné d'un marque-page et d'une enveloppe en papier rustique.

Jusque là, facile de décrire et rendre compte ! Sauf que « forêt(s) » est une anthologie : 54 pages contenant 40 poèmes et des illustrations gravures de 46 arboricultrices et arboriculteurs, comme l’indique malicieusement l’index de fin d’ouvrage ; dans cet index, les artistes sont classés non par ordre d’apparition mais par ordre alphabétique, embroussaillement très certainement volontaire, très sain refus de la hiérarchie. Autrement dit : « lisez les tous et votre goût reconnaîtra les siens » ; pour compléter le tout, cherchez l’erreur, pour 13 œuvres graphiques différentes, seulement 6 illustrateurs… certains poètes étant aussi dessinateurs ou graveurs. Tout ça fleure bon (langage végétal encore pour arriver à la Forêt), tout ça fleure bon donc la complicité, l’amitié,  l’hybridation, la vie.

Chacun l’aura compris, c’est foisonnant, j’allais écrire buissonnant, à souhait ; varié et libre comme une vraie forêt (pas les plantations de pins, uniformes et monotones que l’on voit un peut partout en guise d’espace vert ou d’équivalent carbone), avec des sentes, des sentiers, des chemins creux, des frondaisons plus régulières, presque au cordeau, d’autres clairsemées, des arbrisseaux, et des troncs et des pierres moussues, tordues.

Bref, le titre – au pluriel - est doublement précis : thème et foisonnement ; toutes les essences, tous les styles y sont: trois proses poétiques, un sonnet canonique, des vers libres (totalement et graphiquement), des rimes, des vers mesurés ou non, assonances… et vers chantant (p9 Alain Boudet justement : Ce n’est pas un arbre d’usage / Cet oranger des Osages / Un arbre de voyage caché dans le barda / […]) , d’autres plus conceptuels, plus informels ou même poèmes écrits à deux mains (p32), des clins d’œil  (p17 Naître on ne pas naître ? / Un moment de grâce / Mes dés n’ont pas encore roulé ; ou p 39 Même si c’est un détail / « L’arbre qui cache la forêt »/ a de beaux jours devant lui), des jeux de langage, genre comptine (p34 Loup y es-tu ? Qu’entends-tu ?/ Le hibou qui veille/ En son chêne /…), jouant parfois de l’aphorisme, ton badin ou grave, des historiettes plus ou moins légères et chantantes à la Prévert (p 23 Un beau chêne isolé / En lisière de forêt / Rêva un jour / Qu’il était un pin / Maritime / En bord / De falaise / Et se mit / Une nuit / D’ivresse / A pencher / grisé par le vent ; ou encore p34 Dans les forêts/ Il y a toujours un loup qui s’habille / - Je mets ma chemise / pour croquer les petites files / Je mets mes chaussettes /….) ou à la Desnos, aucun rapprochement n’est ici comparaison bien évidemment (p49 Sous la scie / L’arbre crie / Pleure / larmes de sciure / Larmes de sueur / […]) ; de simples descriptions poétiques et des métaphores  imagées (p51 […] / Deux vieux hêtres / à bout touchant // Le temps aidant / se frôlent se frottent / s’enlacent s’embrassent / et se soudent / pour le restant / de leurs jours.)

J’ai évoqué plus haut les senteurs d’amitiés, les fragrances de complicité qui émanent forcément d’une telle entreprise mais on l’aura compris, ce n’est pas la complicité rance dont parle Camus disant de je ne sais plus qui « Ils ne sont pas amis, ils sont complices ! », car dans cette entreprise rien n’est concédé : la qualité est partout à sa place. Comme dans une forêt chacun est libre de préférer une essence à une autre, plutôt chêne, hêtre, frêne ou boulot, mais ici nulle concurrence ou hiérarchie dans les frondaisons, tous sont beaux et nécessaires à l’ensemble Forêt, d’où le S entre parenthèses du titre, venant souligner la diversité des genres, formes, fonctions…, aucun arbre ne cache l’autre, si ce n’est peut-être pour l’ombrager ou l’accompagner…

Pour finir, si « Les arbres coupés / Donnent de temps en temps / De leurs nouvelles (p35) » je voudrais ici offrir et donner à entendre à cette belle équipe d’artistes, ce court poème, de Henri Michaux, dont j’ai oublié les références :

Debout un poteau à deux jambes donc un homme
près d’un autre qui n’en a qu’une
et ronde tout à fait : donc un arbre

Comme les arbres sont proches des hommes !
les hommes presque des arbres
à peu de choses près, comme tout est homme ! 




Angèle PAOLI, Marcher dans l’éphémère

Dans le voisinage de Canari, la poète marche et écrit, dans une double tension : retenir le subit, le bref, le caché, l’instantané, et prolonger dans la mémoire des lieux aimés le souvenir vif du conjoint disparu il y a peu.

Les poèmes, surgis de cette double instance d’écriture, disent le bonheur consenti à remettre les pieds là où le défunt a vu, vécu, marché.

De « l’angoisse de la mort », de celle qui est arrivée trop vite pour qu’on en perçoive la force et le chagrin, le poème dit le juste contraire : qu’il puisse, dans sa brièveté, offrir quelque apaisement à celle qui souffre.

Les poèmes d’un lyrisme contenu offrent des regards, de moments de partage, des découvertes issues de l’éphémère : « tu cherches des points/ d’eau/ dans la lumière » ou « c’est heureux que la terre encore/ persiste   sévère ».

La proximité de la mer, des rumeurs, des papillons « musardant », des « échancrures soudain/ moignons de branches », tout aide à ce que « passe la vie qui nous sépare ».

La description de la nature éloigne un temps les blessures, le chagrin.

Jonas un temps, par son récit, éloigne la poète des longs vers intenses de la fin, quand la mort venue soudain, est trauma puissant.

Angèle PAOLI, Marcher dans l’éphémère, Cahiers du Loup bleu, Les Lieux-Dits, 2022, 48p. Loup de Caroline François-Rubino. 7 euros.

L’instant d’avant
il était là les yeux mi-clos
les voilà clos
sur une nuit définitive (p.36)

La beauté de ces poèmes réside tout à la fois dans leur juste appréhension de l’extérieur et dans l’intense écriture de l’intime pudique.

Angèle Paoli réussit à rendre universelle cette poignée de poèmes personnels, où lecteur et poème se rencontrent et « où le rejoindre ».

Présentation de l’auteur




Alain Vircondelet : Des choses qui ne font que passer

   Ces choses qui ne font que passer sont celles qu’Alain Vircondelet aperçoit derrière la vitre d’un train. Le matin comme le soir. En toutes saisons. Visions fugitives qui rassérènent le poète après « les saisons lourdes / de l’épreuve ». La nature est là pour pouvoir continuer à vivre « Sur les crêtes d’abondance / Où survivent les mots ».

En citant en exergue Shei Shonagon, dame de la cour japonaise du 11e siècle et auteure des célèbres Notes de chevet, Alain Vircondelet se place d’une certaine manière sous le signe de l’impermanence, chère aux philosophies extrême-orientales, qui trouve sa traduction dans le passage des saisons. « Le chant perdu des choses qui passent jamais perdues cependant, reprises au vol, juste avant qu’elles ne s’effacent », note Vircondelet.

Après l’hiver, le printemps. Tout meurt, tout revit. L’appréhension du monde depuis un train ajoute ce grain de fugacité. Et aussi d’instantané. Car il importe de saisir au vol, tel un photographe, la chose entrevue. Ici « les coulis d’or des colzas », plus loin « l’éolienne dans sa blancheur de lait cru » ou « le vert velours des champs »… Le poète l’affirme : c’est « chaque petit matin/cette même célébration ».

Alain Vircondelet vit au diapason des saisons. Il y a le « plain-chant des vergers en fleurs » (printemps), « les chants cloutés de meules » (été), « la clarté dorée des heures quotidiennes » (automne), « l’impatiente ardeur des graines »(hiver). Mais cette capacité renouvelée d’émerveillement ne masque pas une forme de désarroi. « Le poème est salut et consolation », affirme-t-il, « dans l’aplomb incertain de nos vies ». Car il s’agit de faire face à « l’immobile silence du mal », à « la lancinante usure » et de « croire/à l’imprévisible courage des mots ».

La nature, entrevue, lui sert de modèle et l’invite même à une forme de résilience  avec ses « herbes têtues » ses « forêts impassibles », ses « haies tenaces et fidèles ». Et quand les vignes ont subi des grêles dévastatrices, « leur silence est plus fort que leurs cris ».

 

Alain Vircondelet, Des choses qui ne font que passer, L’enfance des arbres, 120 pages, 16 euros.

Le dehors dit le dedans. Le cœur chiffonné d’Alain Vircondelet trouve dans la « gloire/du vivant renaissant » et dans « l’allure vive et verte/De l’espérance » de quoi « se prémunir de l’obscure clarté/des puits à venir ».

Présentation de l’auteur




Christine Durif-Bruckert, Elle avale les levers du soleil

Sobre et discret, titre rouge, sans motif, si ce n’est le masque logo de l’éditeur, avec ma manie de ne jamais ordonner les livres dans ma bibliothèque, de les caser à la sauvage sur les planches qui peuvent encore en contenir, parfois au pied des meubles, à même le sol…c’est typiquement le livre, qui mince et blanc aime se dérober au regard qui le cherche, ou pire encore qui se glissera à l’intérieur d’un autre livre.

Alors je prends soin de le ranger en double file, sur la deuxième rangée, et le laisser à portée de main, pour le repérer rapidement et m’habituer progressivement à le voir là précisément… Il faut qu’un livre prenne sa place dans la maison avant de creuser sa brèche entre le cœur et l’esprit.

Pas à côté des autres livres de son autrice, un peu à l’écart, celui-là. J’aime que la déambulation entre les titres et les noms d’auteurs soit totalement imprévisible.

J’avais eu le plaisir de découvrir ce texte par une lecture à haute voix. C’est amusant de constater comme dès la seconde lecture, un texte peut vous sembler familier, comment, on ne sait pourquoi la reconnaissance s’opère par pans entiers de textes déjà fixés au mur de la mémoire.

Un texte aussi puissant que poétique, terriblement dense, qui transforme et porte la charge émotionnelle de chaque rencontre avec les personnes anorexiques interviewées. On se dit d’abord que l’autrice pourrait avoir été, de manière personnelle, touchée par l’anorexie, la sienne ou celle d’un proche, comme si l’on ne pouvait s’intéresser à ce thème qu’en riposte à une expérience intime de cette souffrance – aigüe au point qu’on se demande bien pourquoi on irait y plonger l’âme et le museau, si on n’était soi-même impliqué.

 Christine Durif-Bruckert, Elle avale les levers du soleil, PHB Éditions, 2021, 73 pages, 10 euros.

Puis comprendre que là est le propre de la recherche anthropologique à la source du texte, plonger par la médiation de protocoles et d’entretiens sensibles - mais dégagés de liens personnels - dans la chair et le sens de la maladie.

Alors finalement, oui, l’autrice, de chercheuse, devient « personnellement » concernée par la chose, à travers le passage du texte au philtre poétique, peut-être une forme de philtre d’amour.

Pour ma part, je n’ai jamais côtoyé de personne souffrant d’anorexie, et je voguais sur les quelques informations liées à la maladie, jusqu’à ce texte qui m’a permis de descendre très profondément dans la sensation d'un corps et d’une psyché anorexiques :

                                       

Ivresse douloureuse.
Les choses ont mal tourné.
J’avais si froid.
Le froid remplissait mes cavités
au fur et à mesure de l’apparition de mes creux
un mélange d’air et d’humidité.
Je ne suis déjà plus d’ici. 19

 

Précis, clinique, et sensoriel, rythmé, à la fois monologue incarné et voix universelles cristallisées dans une parole qui ne dévie pas de sa route. On suit par le texte, une descente aux enfers sans apparat, un constat sans faux semblants, sans fard, sans souci de ménagement ou d’édulcoration, à l’image d’une maladie sans pitié pour ceux qu’elle fauche, aux deux sens du terme. On reste médusé de vivre une immersion totale dans la maladie, posé quasiment sur la « langue » du personnage, de constater que l’acte somme toute banal pour la plupart d’entre nous de se nourrir, contient tant d’ombre, tant de méandres et de louvoiements. On a la sensation d’être « mouillé » dans une sale affaire : ces ruminations / mastications de vide, arrangements interminables avec l’aliment, le corps, la faim, le mal-être, le dégoût, d’avancer, soi-même flanqué de la maladie.

 

Ce goût dans ma bouche qui n’ose s’avouer tellement j’ai peur de m’y complaire.  
J’hésite : continuer, arrêter, se gorger, fermer les yeux, laisser couler, sentir cette chose tant attendue.
Remords regrets.
Aller trop loin
Jusqu’au point de ma démesure.
Suave déglutition.
Ça se passe dans la bouche de se faire avoir.
Un bloc de silence renfrogné.
En alerte. 45

 

La poésie retenue du texte, l’exactitude et la simplicité du style dans la description des émotions, des situations, le dédoublement par la présence du chœur, le « je » lancinant, tout cela opère une transformation : la douleur du trouble se mue en une des vibrations possibles de la difficulté à exister.

 

Corps d’os entre terre et lune.
Corps chaud et froid, si froid les soirs de lune pleine.
Je veux avaler les étoiles pour que brillent en mon centre la clarté de ma pureté et de tous mes renoncements.
Grand trou noir.
J’avale les levers du soleil.
Le froid se glisse le long des parois de mon esprit.
Il fait noir dedans.
J’avale le noir.
C’est le silence. 60

 

Malgré la dureté du sujet, ce qui est étonnant dans ce livre de Christine Durif-Bruckert, c’est qu’on ne sort pas du tout abattu par cette friction avec la réalité de l’anorexie. C’est âpre mais c’est également vivifiant.

 

Je veux exister
ne plus être l’ombre de moi-même dans la transparence d’un destin brouillé
sens dessus dessous.
Les arbres déracinés.
Le corps frissonnant
en perte de sa matière première.
Que prévoir sans le corps ? 19

Il est question d’anorexie, certes, mais on y retrouve les affres décrits dans la dépression sévère, ou dans la schizophrénie, dans toute maladie qui enferme et tourmente, fricote avec le fait d’entendre des voix, avec la tentation du vide, avec l’angoisse, la phobie.

La voix, elle est toujours là.
Elle me souffle.
Je la suis.
Du fond des forêts, je l’entends venir
comme un bruit de feuillages.
Ma propre voix en une autre.
...
Elle écrase mon histoire
tous les reliefs de ma vie.
Je la supplie.
Elle me dissout. 33

 

Ou même tout simplement on sent, juste exacerbé par la dimension pathologique, quelque chose qui ressemble fort aux moments malades ou lucides de notre existence dans le face à face avec la « vérité » de la vie.

 

Vide béant de mes pensées.
Le jour tombe bien au-delà du trait de mes ombres.
Ça marche si bien de se perdre. (...) 41
Le vent, encore
et le monde, de l’autre côté.
Quelle est cette voix qui parle si fort au fond de moi
et qui ne m’entend pas ?
De quelle vérité veut-elle me parler ? 73

 

Si pour moi vient l’heure de reposer ce recueil dans ma bibliothèque « foutraque » et hétéroclite, ce sera pour vous, celle de le prendre et de suivre l’itinéraire bouleversant de l’héroïne de Elle avale les levers du soleil.  

Présentation de l’auteur




Bruno Doucey et Robert Lobet, Peindre les mots. Gestes d’artiste, voix de poètes

« Je ne réalise pas, à proprement parler, des livres d’artiste. Je compose en me promenant, entre l’encre et le papier, entre passé et présent, des livres patinés, fatigués avant même que d’être, mais d’autant plus émouvants que les craquements de leurs pages chantent à nos oreilles des bribes de souvenirs enfouis » note Robert Lobet dans ses Carnets d’atelier qui tiennent autant du laboratoire de sa création que du journal de ses voyages dont certains, comme celui initié en Égypte, furent fondateurs de toute sa réflexion au fil de sa quête artistique.

Retour aux gestes artistiques pour mieux explorer les voix des poètes, à travers l’élaboration de l’espace de la page, son atelier se révèle l’embarcation d’un explorateur, dans le portrait qu’en dresse le poète, romancier et éditeur Bruno Doucey : « Son visage pourrait être celui d’un marin ayant écumé les sept mers et les cinq océans. Ses mains, celles d’un cap-hornier rompu à tendre les cordages. Son torse, celui des êtres qui ne craignent pas les embruns. »     

Invitations aux voyages, les papiers de ses mains reposent alors « sur des séchoirs à claies comme les cartes marines des navigateurs », dans la géographie revisitée des contrées qu’il réinvente par la combinaison du trait et de la couleur, à la jonction de la mer et du soleil, rencontre-définition de l’Éternité rimbaldienne, dont des poètes de connivence des quatre points cardinaux prolongent les périples aux semelles de vent avant de revenir à l’endroit où les Ateliers de la Margeride servent de boussole, ceux dont l’écrivain Bruno Doucey rappelle l’apport dans le catalogue des compagnonnages premiers : « l’Égypte d’Andrée Chedid, la Camargue terraquée d’Alain Freixe, les embardées méditerranéennes de Frédéric Jacques Temple, les chemins métissés d’Imasango, la Catalogne portée jusqu’aux portes du Minnesota de Felip Costaglioli, sans omettre l’homme aux mille livres de Lucinges, Michel Butor, l’empathie de la romancière Murielle Szac pour les naufragés de notre temps, ou les archivoltes verbales de Marc-Henri Arfeux. »

 Bruno Doucey et Robert Lobet, Peindre les mots. Gestes d’artiste, voix de poètesÉditions Bruno Doucey, « Passage des arts », 144 pages, 29, 50 euros.

Issue de tous ces paysages fantastiques, c’est à une danse des éléments que donne naissance la rencontre des voix de poètes et des gestes d’artiste dont les Écrits d’Alexandrie, ce premier voyage initiatique, forment le sésame sous la plume de Robert Lobet : « La pierre, le minéral, / Le signe, l’écriture, / L’encre, le papier, / L’espace, l’architecture, / Le temps, la mémoire. / Quel dessein nous gouverne ? / Autant d’éléments qui s’associent, se croisent et participent de ma démarche au fil des jours. » Dès lors pour souligner les titres des quatre chapitres élaborés par Bruno Doucey, ce sont sous le signe, la poétique ou l’imaginaire de ces quatre principes, pour reprendre la terminologie bachelardienne, que se donnent à découvrir les associations des arts et des lettres à l’œuvre dans tout ce parcours créatif : 1. Sur la pierre, 2. Par le feu, 3. Avec l’eau, 4. Dans un souffle. À l’instigation de son dessin architectonique, c’est vers le tremblement de « L’incessante mobilité des choses » dont son tracé se fait le sismographe, que les feuillets croisant vers poétiques et jets artistiques s’offrent aux regards.

Véritable éloge de l’homme à l’œuvre, la présentation de Robert Lobet par Bruno Doucey tire sa louange de l’acte artistique même envisagé dans sa méticulosité et dans sa diversité : « demandez-vous combien d’années lui ont été nécessaires pour apprendre à maîtriser les techniques traditionnelles mises en œuvre dans ses publications : typographie, sérigraphie, taille-douce, pointe sèche, collage, collagraphie, carborundum, insertion d’anciens imprimés ; voyez combien de métiers, parfois oubliés, sont tenus dans le creux de ces mains qui manipulent l’encre et le calame, le pinceau et les pigments, la lourde presse à bras et les cisailles -, et vous aurez une idée assez juste de ce qui se joue lorsqu’un artiste est à l’œuvre dans le monde qui est le nôtre. »

Justesse de l’engagement éthique de l’artisan pour sertir les mots, qui n’est que justice rendue à l’esthétique de sa gestuelle sans cesse redéployée de dessinateur, de graveur, de peintre, pour mieux exprimer la poétique des écrivains invités à ces explorations à deux des territoires du poème, à moins qu’il ne s’agisse d’un authentique dialogue entre deux aventuriers à la découverte d’un monde, à la croisée de leurs regards respectifs, tel celui surgissant comme un continent englouti, lors des « Fouilles » décrites par la grande complice Andrée Chédid : « Fouiller les sols / Jusqu’à saisir leur âme / Se déplacer dans l’espace / De notre terre / Face à l’infini cosmos / Se mouvoir d’un endroit / À l’autre / Faire face à l’énigme / Dans sa complexité / Épouser ses silences / Découvrir ses replis / Plonger dans ses lieux secrets / Pour accéder au mystère. »